Ac 2,14.22b-33 ;
Ps 15 ; 1P 1,17-21 ; Lc 24,13-35
Chers
frères et sœurs,
Ce
qui est arrivé aux disciples d’Emmaüs est un enseignement de grande valeur pour
nous aujourd’hui, dans les circonstances que nous connaissons.
En
premier lieu, observons l’état d’esprit des disciples. Ce sont des gens
généreux, qui avaient suivi Jésus de grand cœur : « Nous, nous
espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. » Et ils sont
pour le moins déçus. Plus encore, ils sont divisés par des informations
contradictoires : d’un côté ils savent que Jésus est mort crucifié depuis
trois jours, mais de l’autre que des femmes ont rapporté avoir vu des anges
leur disant qu’il est vivant. Que croire ? La discussion est apparemment tellement
vive que Jésus les interpelle. Notre traduction est gentillette : « De
quoi discutez-vous en marchant ? » ; il aurait plutôt
dit : « Quelles sont ces paroles que vous vous lancez entre vous
en marchant ? » Enfin, Jésus (dans l’araméen) ou Luc (dans le
grec) notent qu’ils ont « l’air sombre ». Notre traduction,
mignonnette, dit « tout tristes ». En réalité, les disciples
sont dépités, déçus et pour partie énervés : ils ne comprennent pas ce qui
s’est passé et pourquoi Jésus a manifestement échoué. Et la discussion est
probablement assez vive. Il est vrai que lorsqu’on se trouve en situation de
fragilité, sans pouvoir comprendre les raisons et le sens des événements, nous
cherchons des explications, parfois des coupables, et nous nous disputons.
Telle est la situation.
Jésus
reproche donc aux deux disciples leur incapacité : « Esprits sans
intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les
prophètes ont dit ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît tout
cela pour entrer dans sa gloire ? » Il y a trois points
importants dans cette répartie de Jésus.
Le
premier concerne l’intelligence et le cœur. Contrairement à nous qui plaçons aujourd’hui
les sentiments dans le cœur, les juifs y plaçaient l’intelligence :
« Croire avec le cœur » et « être intelligent »,
c’était la même chose. La lenteur du cœur à croire renvoyait au manque d’intelligence.
En réalité l’expression hébraïque exacte est la suivante : ils sont « lourds
de cœur » pour croire tout ce qu’ont dit les prophètes. Or, à la fin
de leur rencontre avec Jésus, les disciples disent que leur cœur « était
tout brûlant au-dedans d’eux » quand il leur expliquait les Écritures.
C’est-à-dire que leur intelligence était illuminée par l’enseignement de
Jésus : ils comprenaient enfin comment l’Ancien Testament parlait de lui,
de manière prophétique. Le passage de la « lourdeur du cœur » au
« cœur tout brûlant » tient à un petit point ! En effet, en
araméen « lourd » se dit « Yaquir » et « brûlant »
se dit « Yaquid ». Le « r » et le « d »
s’écrivent avec la même lettre, le « r » avec un point au-dessus, et
le « d » avec le point au-dessous… Saint Luc connaissait le jeu de
mot ! Ceci signifie qu’il ne faut pas grand-chose pour passer de
l’incrédulité à la foi et des ténèbres à la lumière de l’intelligence.
Le
second point important de la répartie de Jésus est la référence à
l’enseignement des prophètes. Celui-ci concerne Jésus lui-même, sa vie entière,
de sa naissance à sa mort et sa résurrection, c’est-à-dire toute son histoire.
Le sens de l’histoire de Jésus est donné par l’Écriture, c’est-à-dire par l’Ancien
Testament. Si nous voulons comprendre – comme les disciples – ce qui est arrivé
à Jésus, le sens de son échec et pourquoi finalement cela n’en est pas un, mais
plutôt la révélation d’un monde nouveau, il faut faire comme eux : nous mettre à
l’école des Écritures et demander à Jésus des yeux pour lire et un cœur pour
comprendre. Et il en va de même pour tout ce qui nous arrive de douloureux.
Le
dernier point de l’intervention de Jésus est sa dernière phrase : « Ne
fallait-il pas que le Christ souffrît tout cela pour entrer dans sa
gloire ? » C’est le passage le plus important de tout l’épisode.
Il est constant dans l’histoire d’Israël que les prophètes, porteurs de la
Parole de Dieu, sont rejetés et généralement mis à mort. Combien plus cette
règle ne doit-elle pas s’appliquer quand c’est le Verbe de Dieu lui-même, c’est-à-dire
Jésus, qui vient prendre chair au milieu des hommes ? La mort de Jésus ne
signifie pas son échec mais paradoxalement confirme sa qualité de Fils de Dieu.
Mais ce n’est pas la mort qui a le dernier mot, c’est Dieu. Et c’est la grande
leçon de la résurrection de Jésus : Dieu a vaincu la mort, tous ceux qui
lui sont attachés par le baptême ne mourront jamais : ils vivront de la
vie nouvelle et éternelle du ressuscité.
Ainsi
donc, dans la situation que nous connaissons, il ne sert à rien de nous
disputer sur l’impuissance apparente de Dieu. Mais il est plus utile de nous
tourner vers lui pour lui demander d’illuminer notre intelligence et nous faire
comprendre par les Écritures ce que nous ne comprenons pas maintenant, mais qui
concerne pourtant l’inimaginable : la vie nouvelle qui se cache derrière
le voile de la mort. Or, comme à Emmaüs, cette vie nouvelle nous est dévoilée
et donnée avec puissance dans la célébration eucharistique et le partage du
pain.