Is 52,13-53,12 ;
Ps 30 ; Hb 4,14-16 ; 5,6-9 ; Jn 18,1-19.42
Chers
frères et sœurs,
La
Passion de Jésus est le passage en jugement de Dieu devant les hommes.
Le
premier acte est peut-être le plus radical. Jésus est à Gethsémani avec ses
disciples quand un détachement de soldats, accompagné des gardes du Temple et
de Judas, vient l’arrêter. On ne sait pas qui est leur chef. A tel point que
c’est Jésus lui-même qui doit mener l’interrogatoire : « Qui
cherchez-vous ? »
Souvenons-nous
que Satan est entré en Judas lors du dernier repas de Jésus. Le chef anonyme de
cette troupe, c’est le diable. Il commandite ses suppôts pour arrêter
« Jésus de Nazareth ». Il y a maldonne, comme d’habitude. Car Jésus
est bien homme, il est bien « Jésus de Nazareth », mais les sbires ne
savent pas qu’il est aussi Dieu. Et ils s’en rendent compte à leur dépens,
lorsqu’ils sont pris d’un mouvement de recul incontrôlé, au moment où Jésus
leur dit : « C’est moi, je le suis. » Car « Je suis »
est le Nom de Dieu. C’est ainsi que Dieu s’était présenté à Moïse :
« Je suis celui qui suis. »
Ainsi
donc le premier procès fait à Dieu, intenté par Satan, est de dénier à Dieu son
identité divine. Il instrumentalise à cette fin des anges et des hommes, les
transformant en faux témoins, qui en feront les frais à leurs dépens.
Le
deuxième acte du procès fait à Dieu se situe devant Caïphe et les Grands-Prêtres.
Jésus est interrogé sur ses disciples et son enseignement. Ce à quoi il répond
qu’il a parlé au monde ouvertement, dans la synagogue et dans le Temple, sans
jamais avoir parlé en cachette. Le fond de l’acte d’accusation est
religieux : Quel est le vrai culte de Dieu ?
Les
Grands-Prêtres insinuent que Jésus a enseigné une doctrine étrangère, cachée,
réservée à des initiés. Or Jésus répond que son enseignement est public :
il n’a rien à cacher. En creux, Jésus dénonce toutes les religions à mystères,
à secrets. Et dans cette veine, la possibilité que les Grands-Prêtres aient
fait de la Loi de Moïse une religion réservée à une élite : la leur.
Il
n’en va pas ainsi du vrai culte de Dieu : il est accessible à tous les
hommes, car il est l’histoire même des hommes avec Dieu, et il embrasse toute
la création. Ainsi en est-il de la religion chrétienne : elle n’a rien de
caché ni de réservé à une pseudo-élite, elle s’enseigne à tous et est ouverte à
tous. Dieu est le Dieu de tous.
Le
troisième acte du procès fait à Dieu se déroule au Prétoire. Pilate dirige
l’interrogatoire : « Es-tu le roi des Juifs ? » Ce à
quoi Jésus répond que sa royauté n’est pas de ce monde. Il donne une précision
à Pilate : « Je suis venu dans le monde pour ceci : rendre
témoignage à la vérité. » Cette réponse pose problème à Pilate, qui
rétorque : « Qu’est-ce que la vérité ? »
Ici,
le procès se déroule sur le champ politique et non plus religieux. Pilate
craint que Jésus ne porte atteinte à l’autorité de l’Empereur dont il est le
représentant, mais Jésus le rassure en affirmant que sa royauté n’est pas de ce
monde. Cependant, en expliquant que cette royauté a à voir avec la vérité, il
met en lumière le fait que l’autorité politique de ce monde, elle, s’en
affranchit largement. Jésus marque bien la séparation entre « ce qui
appartient à César » et « ce qui appartient à Dieu », mais il
montre en même temps que l’autorité de César est fondée sur l’opportunisme et
le subjectivisme, tandis que le royaume de Dieu est fondé dans la vérité. Le
premier est sable, le second rocher.
L’opportunisme
de Pilate se manifeste quand, contre sa volonté profonde de relâcher Jésus, il
finit par s’aligner sur les revendications des Grands-Prêtres qui réclament la
mort de Jésus. Ainsi s’il ne fait pas partie des revendications humaines, Dieu
– pas plus que la vérité – n’a pas de place dans ce monde. Mais, pourtant, Dieu
demeure éternellement le Dieu de la vérité et, partant, de la justice.
Enfin,
le quatrième acte du procès fait à Dieu se situe au pied de la croix. Les
soldats, après s’être moqués de Jésus et l’avoir mis en croix, se partagent ses
vêtements. Ils sont comme les gens qui hochent la tête en passant devant le
crucifié : au fond sa personne ne les intéresse pas. Les seules choses
dignes d’intérêt sont matérielles : ce sont ses vêtements, dont la tunique
sans couture qui avait sans doute un peu de valeur. En Jésus, Dieu s’est vu
contester sa divinité, son culte, sa royauté, et maintenant sa dignité
personnelle par des hommes de tous les jours, par nous en somme. Au fond, c’est
lamentable. Mais c’est peut-être paradoxalement ce qu’il y a de plus
pardonnable : « Ils ne savent pas ce qu’ils font. »
Maintenant,
observons un instant notre monde actuel et interrogeons-nous : Dieu y
aurait-il sa place ? Il est bien probable que non. La Passion de Jésus est
d’une actualité confondante.