mercredi 8 avril 2020

09 avril 2020 - Jeudi Saint - Mémoire de la Cène du Seigneur - Commentaire

Le lavement des pieds

Évangéliaire d’Othon III (Xème siècle) – © Bayerische Staatsbibliothek, Munich.

Chers frères et sœurs,

Nous ne pourrons pas pratiquer le rite du lavement des pieds cette année. Mais les circonstances ne doivent pas nous empêcher de méditer sur sa signification, y compris pour nous aujourd’hui.

Dans la pratique courante à l’époque de Jésus, les pèlerins qui montaient à Jérusalem pour la fête de la Pâque, devaient d’abord se purifier en prenant un bain d’eau. Ils étaient alors en mesure de présenter leur offrande au Seigneur, dans le Temple. Cette offrande consistait en un agneau, immolé par un prêtre au coucher du soleil, destiné à être mangé ensuite en petit groupe, avec des herbes amères. Il s’agit bien entendu de l’observance du précepte du Seigneur donné aux Hébreux avant leur départ d’Égypte, notifié dans le Livre de l’Exode.

Lors de la dernière Cène, Jésus a procédé à deux transformations dans ce rituel.
D’abord, il a partagé le repas de la Pâque avec ses disciples en avance : la fête, en effet, n’avait pas encore eu lieu. De ce fait, Jésus et ses disciples ne disposaient pas d’un agneau rituellement sacrifié par un prêtre. C’est pourquoi Jésus a remplacé l’agneau pascal par du pain et du vin en disant : « Ceci est mon corps » et « Ceci est mon sang ». Car Jésus est lui-même le véritable Agneau pascal – l’Agneau de Dieu –, celui qui sera sacrifié et mourra en croix, au moment même où les agneaux de la Pâque seront immolés au Temple.
La seconde transformation est liée au lavement des pieds. Prenant tout le monde par surprise, Jésus a enlevé son vêtement et s’est mis à laver les pieds de ses disciples. Pierre fut scandalisé. D’abord parce que Jésus est le Maître : il n’est pas acceptable qu’il s’abaisse à laver les pieds de ses disciples. Ensuite, laver les pieds de quelqu’un, dans la culture hébraïque, signifie qu’on touche à l’intimité de celui-ci. Il est choquant que Jésus touche et lave les pieds des disciples. Enfin, comme l’a fait remarquer Pierre, si Jésus doit vraiment le laver, alors autant qu’il le fasse des pieds à la tête... Mais Jésus lui a répondu : « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver, sinon les pieds : on est pur tout entier. »
La remarque de Jésus est importante. Après avoir rappelé à Pierre, qu’ayant pris un bain comme tout juif se préparant à la Pâque il était rituellement pur, il devait néanmoins, pour participer à son repas pascal, être aussi lavé des pieds. Parce qu’il faut une purification plus profonde, liée à l’intimité de sa personne : à son cœur.
Ce rite d’un bain puis d’une purification supplémentaire avant de prendre un repas de Pâque a déjà été pratiqué lorsque Josué a franchi le Jourdain pour entrer en Terre Promise. Après qu’ils soient passés sur l’autre rive (après le bain), Josué a en effet fait circoncire le Peuple pour le préparer à manger la Pâque. Le lavement des pieds a une fonction semblable à celle de la circoncision, signe de purification intime et d’alliance avec Dieu.
Nous pouvons donc comprendre que, pour être rendu apte à partager le repas pascal de Jésus, il ne faut pas seulement avoir un corps pur (après avoir pris un bain), mais il faut aussi avoir un cœur pur (après avoir été purifié intimement et rétabli dans une nouvelle alliance d’amour avec Dieu – on parle dans ce cas de la « circoncision du cœur »). C’est pourquoi il fallait que Jésus lave les pieds.
Il en va de même pour nous : nous avons été baignés lors de notre baptême, et nous avons été « circoncis de cœur » – « lavés des pieds » – lors de notre confirmation. Et ces deux sacrements nous ont rendus aptes à célébrer et recevoir celui de l’Eucharistie.

Il reste deux remarques pour terminer. La première part d’une question : où est le prêtre qui sacrifie l’agneau pascal lors du repas de Jésus ? La réponse est : c’est Jésus lui-même, qui rompt le pain. Mais, en lavant les pieds de ses disciples, en rendant pur leur cœur, Jésus les configure à lui-même et en fait aussi des prêtres. C’est pourquoi, dans le rituel de l’Église, c’est à l’évêque qu’il revient de laver les pieds de ses prêtres.
La seconde remarque est liée au geste de Jésus de déposer son vêtement pour se nouer un linge à la ceinture avant de laver les pieds des disciples. On a vu que cela avait choqué Pierre : ce n’est pas au maître de s’abaisser ainsi. Or justement, Jésus a quitté le vêtement de sa divinité pour revêtir le linge de notre humanité : lui qui est Dieu s’est abaissé au niveau de l’homme, et plus encore, au niveau inférieur de l’homme humilié. Cela Jésus l’a voulu : descendre jusqu’à nos pieds, jusque dans l’ignominie et la mort, pour nous purifier et nous libérer, nous rendre la vie par son Esprit : pour faire de nous, enfin, des prophètes, des prêtres et des rois, comme lui.

Tel est le baptisé confirmé : sa dignité est, dans une vie saine et avec un cœur pur, de pouvoir – avec Jésus – s’offrir totalement au Père, pour l’amour et le salut du monde.

Frère Serge

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