Le lavement des pieds
Évangéliaire d’Othon III
(Xème siècle) – © Bayerische Staatsbibliothek, Munich.
Chers
frères et sœurs,
Nous
ne pourrons pas pratiquer le rite du lavement des pieds cette année. Mais les
circonstances ne doivent pas nous empêcher de méditer sur sa signification, y
compris pour nous aujourd’hui.
Dans
la pratique courante à l’époque de Jésus, les pèlerins qui montaient à
Jérusalem pour la fête de la Pâque, devaient d’abord se purifier en prenant un
bain d’eau. Ils étaient alors en mesure de présenter leur offrande au Seigneur,
dans le Temple. Cette offrande consistait en un agneau, immolé par un prêtre au
coucher du soleil, destiné à être mangé ensuite en petit groupe, avec des
herbes amères. Il s’agit bien entendu de l’observance du précepte du Seigneur
donné aux Hébreux avant leur départ d’Égypte, notifié dans le Livre de l’Exode.
Lors
de la dernière Cène, Jésus a procédé à deux transformations dans ce rituel.
D’abord,
il a partagé le repas de la Pâque avec ses disciples en avance : la fête,
en effet, n’avait pas encore eu lieu. De ce fait, Jésus et ses disciples ne
disposaient pas d’un agneau rituellement sacrifié par un prêtre. C’est pourquoi
Jésus a remplacé l’agneau pascal par du pain et du vin en disant : « Ceci
est mon corps » et « Ceci est mon sang ». Car Jésus
est lui-même le véritable Agneau pascal – l’Agneau de Dieu –, celui qui sera
sacrifié et mourra en croix, au moment même où les agneaux de la Pâque seront immolés
au Temple.
La
seconde transformation est liée au lavement des pieds. Prenant tout le monde
par surprise, Jésus a enlevé son vêtement et s’est mis à laver les pieds de ses
disciples. Pierre fut scandalisé. D’abord parce que Jésus est le Maître :
il n’est pas acceptable qu’il s’abaisse à laver les pieds de ses disciples. Ensuite,
laver les pieds de quelqu’un, dans la culture hébraïque, signifie qu’on touche
à l’intimité de celui-ci. Il est choquant que Jésus touche et lave les pieds
des disciples. Enfin, comme l’a fait remarquer Pierre, si Jésus doit vraiment
le laver, alors autant qu’il le fasse des pieds à la tête... Mais Jésus lui a répondu
: « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver,
sinon les pieds : on est pur tout entier. »
La
remarque de Jésus est importante. Après avoir rappelé à Pierre, qu’ayant pris
un bain comme tout juif se préparant à la Pâque il était rituellement pur, il
devait néanmoins, pour participer à son repas pascal, être aussi lavé des
pieds. Parce qu’il faut une purification plus profonde, liée à l’intimité de sa
personne : à son cœur.
Ce
rite d’un bain puis d’une purification supplémentaire avant de prendre un repas
de Pâque a déjà été pratiqué lorsque Josué a franchi le Jourdain pour entrer en
Terre Promise. Après qu’ils soient passés sur l’autre rive (après le bain), Josué
a en effet fait circoncire le Peuple pour le préparer à manger la Pâque. Le
lavement des pieds a une fonction semblable à celle de la circoncision, signe
de purification intime et d’alliance avec Dieu.
Nous
pouvons donc comprendre que, pour être rendu apte à partager le repas pascal de
Jésus, il ne faut pas seulement avoir un corps pur (après avoir pris un bain),
mais il faut aussi avoir un cœur pur (après avoir été purifié intimement et
rétabli dans une nouvelle alliance d’amour avec Dieu – on parle dans ce cas de
la « circoncision du cœur »). C’est pourquoi il fallait que Jésus
lave les pieds.
Il
en va de même pour nous : nous avons été baignés lors de notre baptême, et
nous avons été « circoncis de cœur » – « lavés des pieds »
– lors de notre confirmation. Et ces deux sacrements nous ont rendus aptes à
célébrer et recevoir celui de l’Eucharistie.
Il
reste deux remarques pour terminer. La première part d’une question : où
est le prêtre qui sacrifie l’agneau pascal lors du repas de Jésus ? La
réponse est : c’est Jésus lui-même, qui rompt le pain. Mais, en lavant les
pieds de ses disciples, en rendant pur leur cœur, Jésus les configure à
lui-même et en fait aussi des prêtres. C’est pourquoi, dans le rituel de
l’Église, c’est à l’évêque qu’il revient de laver les pieds de ses prêtres.
La
seconde remarque est liée au geste de Jésus de déposer son vêtement pour se
nouer un linge à la ceinture avant de laver les pieds des disciples. On a vu
que cela avait choqué Pierre : ce n’est pas au maître de s’abaisser ainsi.
Or justement, Jésus a quitté le vêtement de sa divinité pour revêtir le linge
de notre humanité : lui qui est Dieu s’est abaissé au niveau de l’homme,
et plus encore, au niveau inférieur de l’homme humilié. Cela Jésus l’a voulu :
descendre jusqu’à nos pieds, jusque dans l’ignominie et la mort, pour nous
purifier et nous libérer, nous rendre la vie par son Esprit : pour faire
de nous, enfin, des prophètes, des prêtres et des rois, comme lui.
Tel
est le baptisé confirmé : sa dignité est, dans une vie saine et avec un
cœur pur, de pouvoir – avec Jésus – s’offrir totalement au Père, pour l’amour
et le salut du monde.
Frère Serge