L’apparition de Jésus
ressuscité à Saint Pierre
Saint
Paul nous a appris – dans sa première lettre aux Corinthiens – qu’à sa
résurrection Jésus était apparu « à Pierre, puis aux Douze ».
Saint Luc évoque également cette première apparition à Pierre lorsqu’il raconte
l’histoire des pèlerins d’Emmaüs. De retour à Jérusalem, les disciples les
accueillent, en disant : « Le Seigneur est réellement
ressuscité : Il est apparu à Simon-Pierre. » Mais il semble que
les récits des visites au tombeau ne fassent pas mention de cette apparition à
Saint Pierre ?
En
effet, le même Saint Luc nous explique que, étant averti par les saintes
femmes, « Pierre se leva et courut au tombeau ; mais en se
penchant, il vit les linges, et eux seuls. Il s’en retourna chez lui, tout étonné
de ce qui était arrivé. » (Lc 24,12) Nous retrouvons cet épisode dans
l’évangile de Saint Jean que nous avons lu aujourd’hui, où il ne semble pas que
Pierre ait bénéficié d’une apparition : avec Jean, ils constatent plutôt
la disparition du corps de Jésus et la présence des linges, restés en place.
Nous comprenons spontanément que seul Saint Jean « vit et crut ». Et
ils retournèrent chez eux.
Cette
incohérence interne à Luc, comme avec Paul et Jean, mérite donc une petite
enquête. Il faut d’abord revenir aux langues anciennes : grec, latin et
araméen.
En
grec, le verset de Luc se lit littéralement ainsi : « Or Pierre
s’étant levé courut au tombeau et s’étant penché voit les bandelettes seules et
s’en alla chez lui-même, s’étonnant de l’étant arrivé. » Sœur Jeanne
d’Arc, dominicaine de bon conseil, a translitéré légèrement différemment :
« Tout de même, Pierre se lève, il court au Sépulcre, il se penche, et
aperçoit les linges seuls. Il revient chez lui, étonné de ce qui est arrivé. »
Et elle précise : « Il aperçoit : dans le texte grec, la
suite des temps employés met ce verbe en évidence : c’est comme un éclair
de lumière pour Pierre, mais il n’atteint pas encore à la foi. » Tiens
donc ?
En
latin, nous avons : « Petrus autem surgens cucurrit ad monumentum
et procumbens videt linteamina sola posita et abiit secum mirans quod factum
fuerat. » Un détail attire notre attention : la place du mot secum.
Si nous traduisons mot à mot, nous avons : « et il s’en alla avec
lui-même en admirant ce qui était advenu. » Le mot secum
devrait logiquement se trouver après mirans et non pas avant, pour
donner : « et il s’en alla, en admirant « avec lui-même (=
en lui-même) » ce qui était advenu. » En grec, le mot secum,
placé au même endroit se lit pros eauton, que l’on avait traduit par « chez
lui-même », mais qui peut se lire aussi « en lui-même ». Que
devons-nous donc comprendre ? Est-ce que « Pierre s’en alla chez
lui, étonné de ce qui était advenu » ou bien est-ce que « Pierre
s’en alla, étonné en lui-même de ce qui était advenu » ? L’araméen
nous donnera peut-être des indications supplémentaires.
On
y lit : « Il s’en alla en s’étonnant en lui-même de la
« médem » qui lui était arrivée. » Deux remarques sont à
faire. Premièrement, le « chez/en lui-même » s’applique ici à
l’étonnement et non pas au fait de s’en aller. Pierre ne s’en alla pas
« chez lui », d’autant plus qu’il ne rentre pas à Capharnaüm, mais
reste à Jérusalem. Le pros eauton/secum ne s’applique donc pas au verbe
aller mais au verbe étonner, permettant de souligner ainsi un fort étonnement :
Pierre est bouleversé. Ceci renvoie à la remarque de Sœur Jeanne d’Arc sur la
réaction de Pierre qui a « aperçu » quelque chose. Deuxièmement, le
mot « médem » correspond à ce que nous avons traduit du grec et du
latin par « ce qui » était arrivé ou advenu. Or « médem »
en araméen signifie « rencontre (de quelqu’un) », à différencier de
« perception (de quelque chose) ». Il faut donc comprendre que « Pierre
s’en alla, s’étonnant en lui-même de la rencontre (de quelqu’un) qu’il avait
eue ».
Nous
avons donc dénoué les fils de l’énigme : il faut donc lire le verset de
Saint Luc de la manière suivante : « Pierre se leva et courut au
tombeau ; mais en se penchant, il vit les linges, et eux seuls. Il
s’en retourna, étonné en lui-même (=bouleversé / émerveillé) de la rencontre qui (lui) était
arrivée. » On peut alors se demander, à relire l’évangile de Saint
Jean, si le « Il vit et il crut » ne s’applique pas plutôt à
Saint Pierre qu’au disciple qui l’accompagnait. Car le sujet majeur du texte est
Pierre, et non pas le disciple qui reste toujours au second plan.
L’apparition
dont Saint Pierre a bénéficié au tombeau est resté en mémoire des chrétiens
d’Orient. Saint Grégoire de Nysse et Saint Jean Damascène en font mention dans
leurs homélies. Ce dernier écrit : « Pierre, s’étant rapidement
approché du Tombeau, et ayant vu la Lumière dans le Sépulcre, s’effraya. »
Et telle est la source scripturaire possible du « feu sacré » célébré
à Jérusalem, lorsque le Samedi Saint, le Patriarche de Jérusalem sort du
tombeau avec la lumière de la résurrection de Jésus.