Is 50,4-7 ; Ps
21 ; Ph 2,5b-11 ; Mt 26,14-27,66
Chers
frères et sœurs,
En
entrant dans la Passion de Jésus, nous entrons dans une crise. Crise pour Jésus
lui-même, comme on le voit durant sa prière à Gethsémani ; crise pour les
Apôtres qui fuient lamentablement, après avoir hautement assuré Jésus de leur
fidélité ; crise pour le Grand-Prêtre et les Anciens d’Israël, qui sont
confrontés à la réalité de Jésus Fils de Dieu, qu’ils refusent de reconnaître.
Reprenons ces trois niveaux de crise, dans le sens inverse.
La
crise du Grand-Prêtre et des Anciens est – il ne faut pas la minimiser – très
profonde. Car il s’agit pour eux de reconnaître ou non, dans ce Jésus de
Nazareth qui se trouve là devant eux, le Fils de Dieu. Ils sont les mieux
placés pour ce faire, car ils possèdent pour ainsi dire par cœur la
connaissance des Écritures. D’une certaine manière, c’est même leur vocation.
Mais la réalité est aveuglante. Ils sont des prêtres de « temps de
paix », c’est-à-dire quand Dieu paraît loin. Mais quand Il se rend
présent, leur monde s’écroule et ils se révèlent incapables. Pourtant, quand la
réalité de Jésus se présente, elle donne du relief, des couleurs, du goût, de
l’intensité aux Écritures qui annoncent partout les conditions de sa venue, de
sa Passion et de sa Résurrection. L’extrait d’Isaïe comme le Psaume 21 sont
éclatants de vérité tellement ils collent à Jésus. Mais cela, sur le moment,
qui pouvait le voir, sinon Jésus lui-même ?
Il
y a là une leçon pour nous. Lorsque la réalité s’impose d’elle-même, ce ne sont
pas les généraux de « temps de paix » qui sont les mieux placés pour
comprendre et agir. En revanche, l’événement lui-même va éclairer dans les
Écritures des passages qui vont permettre de le comprendre. Car il est
impossible que le Seigneur soit étranger aux événements qui nous arrivent. Dieu
se révèle dans l’histoire et il parle à travers ses prophètes. Non pas que Dieu
aurait quelque chose de nouveau à nous apprendre : il a tout dit dans le
Christ Jésus. Mais, depuis 2000 ans ou ces dernières années, nous avons
peut-être oublié quelque chose.
La
crise des Apôtres n’est pas moins profonde. Elle fait apparaître leur immense
fragilité. Ils ont été choisis et appelés par Jésus. Ils l’ont suivi et se sont
nourris de ses enseignements. Ils ont tout donné pour le suivre et c’était leur
intérêt de ne pas trahir Jésus. Et pourtant ils ont trahi, par action ou par
omission. Terrible désillusion humaine. Judas se suicidera. Pierre sortira de
la maison où se trouve Jésus pour pleurer amèrement, dehors dans la nuit, comme
un malheureux fils d’Adam exilé du Paradis et déchu dans un monde soumis à la
mort. La crise, toute crise, révèle nos limites et parfois cruelle est la réalité.
Elle révèle qui sont les véritables héros, invisibles (pour ne pas dire ignorés
ou méprisés) en temps normal. C’est comme la grâce, invisible, insensible
habituellement, mais c’est pourtant elle qui soutient la vie du monde, en
permanence. Quand aux habitués des projecteurs et des paillettes, les forts en
paroles et en pensées, ils ont disparu ou pire, leur vacuité apparaît à tous.
Ils sont nus. Il est des hommes qui ont un rapport naturel avec la réalité, et
d’autres un rapport fabriqué, subjectif, et finalement inconsistant. La crise
révèle cela.
On
le voit dans la Passion avec Simon de Cyrène, homme sans histoires, qui fait ce
qu’on lui demande, mais qui aide Jésus affaibli et entre ainsi dans l’histoire.
On le voit aussi avec les saintes femmes, avec Joseph d’Arimathie et Nicodème.
Tout cela se fait, sans bruit, presque dans la nuit. Le reste, c’est la foule
anonyme, qui acclame Jésus un jour et hurle à sa mort le lendemain. Entre-deux,
les Apôtres, complètement perdus, mais qui feront l’objet de la miséricorde de
Dieu. Nul homme s’il n’est appelé par Dieu peut le suivre sur son chemin, mais seulement
ceux-là à qui cela est donné par grâce ou par miséricorde.
Enfin,
il y a la crise de Jésus : « Père, non pas ma volonté, mais la
tienne. » Cette phrase devrait être celle de tout fils de Dieu – de
tout baptisé – pendant les heures de crise. Il ne s’agit pas d’une abdication, d’une
soumission, devant une volonté divine écrasante. Jésus n’a jamais été l’esclave
de son Père : il est son Fils bien-aimé. Baptisés, nous ne sommes pas les
esclaves de Dieu : il nous a libérés et a fait de nous ses amis. La phrase
de Jésus signifie au contraire que par toute sa volonté humaine, il épouse totalement
la volonté divine. Jésus veut ce que son Père veut. Et ce faisant il trouve non
pas l’esclavage mais la liberté. C’est pour cette Heure-là que Jésus est venu.
Quel
intérêt aurait eu Noël s’il n’y avait pas eu Pâques ensuite ? C’est pour
la résurrection qui accomplit la réconciliation de Dieu et de l’homme que Jésus
s’est fait homme. Sans cela, sa vie terrestre n’aurait aucun sens. Il en va de même pour
nous dans les heures de crise. Quand nous nous trouvons face à un mur, c’est
l’heure de dire au Seigneur : « Parle Seigneur, ton serviteur
écoute » et de se donner entièrement à lui en faisant humblement notre
devoir quotidien, en priant, jusqu’à ce qu’Il donne sa joie, sa lumière et sa paix. Le
disciple n’est pas plus grand que son Maître, et c’est par la Croix de Jésus
que nous atteindrons sa Résurrection.