Dn
7,13-14 ; Ps 92 ; Ap 1,5-8 ; Jn 18,33b-37
Chers
frères et sœurs,
« Le
Christ, roi de l’univers ! » Voilà une prétention surprenante que
les chrétiens affichent à la face du monde, et qui parfois les étonne
eux-mêmes. N’est-ce pas là une prétention que Jésus n’aurait pas voulue
lui-même, lui qui se présentait humblement lorsqu’il parcourait les routes de
Galilée ? Et pourtant dans l’Évangile, il dit : « Il me faut
annoncer la bonne nouvelle du Royaume de Dieu, car c’est pour cela que j’ai été
envoyé » ; et aussi : « Tout pouvoir m’a été donné
dans le ciel et sur la terre » ; et encore, comme nous l’avons
entendu répondre à Pilate : « C’est toi-même qui dis que je suis
roi. »
Ainsi
il n’est pas question de savoir si Jésus est roi, s’il y a un règne ou un
royaume de Dieu. La réponse est oui, bien sûr. Mais de quoi parlons-nous ?
C’est en nous posant cette question que nous voyons apparaître les motifs de
bien des conflits à l’époque de Jésus, mais aussi à la nôtre. Il y a trois
manières de concevoir la royauté de Jésus.
La
première est celle que craignait les grands prêtres et Pilate : celle d’un
royaume terrestre, politique, où Jésus aurait physiquement pris le pouvoir à
Jérusalem, à main forte et bras étendu. Certains aujourd’hui agitent toujours
le chiffon rouge d’une possibilité que l’Église prenne le pouvoir politique en
France ou ailleurs, au nom de Jésus. Ils se font peur à eux-mêmes, car Jésus a
répondu à cette conception erronée de son règne : « Ma royauté
n’est pas de ce monde. »
La
seconde conception de la royauté de Jésus est celle de la vision du livre de
Daniel, que nous avons entendue, et celle de l’Apocalypse : le royaume des
cieux, où le Christ règne, est celui du monde à venir, après le jugement
dernier. Il s’agit de la communion des saints.
S’il
est vrai que le royaume de Jésus correspond à cette définition, il y en a encore
une troisième qui est aussi vraie : le règne de Jésus a déjà commencé
depuis son Incarnation, puis il s’est étendu par sa prédication, et surtout
depuis la Pentecôte par le don de l’Esprit Saint. Ainsi, tous ceux qui sont
habités par l’Esprit du Christ appartiennent déjà à son royaume. Ce que fait
l’Esprit, c’est justement l’Église, nous rappelle saint Irénée. L’Église est
déjà maintenant l’expression et la réalité du règne de Jésus agissant dans notre
monde. C’est pour cela que c’est dans l’Église qui célèbre l’Eucharistie dans
l’Esprit Saint qu’on trouve déjà la communion des saints.
L’Église
n’est pas mue par un pouvoir d’ordre politique mais par un pouvoir d’ordre
spirituel, même s’il faut bien reconnaître, d’une part, qu’elle doit adopter
dans ce monde les formes juridiques d’une institution humaine, avec ce que cela
requiert de pouvoir de gouvernement ; mais aussi, d’autre-part, et
inversement, il faut assumer le fait que l’Esprit pousse les chrétiens à vivre
d’une manière qui n’est pas commune à ceux qui ne le connaissent pas, y compris
dans leurs institutions. Et cela crée forcément des tensions avec notre
entourage, quand il faut faire preuve de fidélité à Dieu plutôt qu’aux hommes,
jusqu’à parfois l’objection de conscience.
Cependant,
je n’ai pas été assez loin dans ma présentation du règne de Jésus. Dans
l’Apocalypse de saint Jean, le Seigneur dit : « Je suis l’Alpha et
l’Oméga. Celui qui est, qui était et qui vient. » On a bien compris ce
que voulait dire « Celui qui vient », c’est le Christ du
Royaume à venir ; « Celui qui est », le Christ Jésus qui
règne par l’Esprit Saint dans le cœur des membres de son Église. Mais je n’ai
rien dit de « Celui qui était. » On pourrait justement
comprendre, comme les grands prêtres, qu’il s’agit du royaume idéalisé de
David, que Jésus aurait voulu restaurer politiquement. Mais ce n’est pas cela.
Jésus régnait déjà au moment de la création de l’univers en tant que Parole de
Dieu, que Verbe de Dieu. « Et par lui tout a été fait » disons-nous
dans le Credo. Jésus est roi de l’univers, car il en est la parole
créatrice. C’est lui qui le maintien dans l’existence par son Esprit. Et c’est
encore par lui que cet univers sera renouvelé pour devenir la création
nouvelle, dont la résurrection de Jésus constitue les prémices. « Jésus,
roi de l’univers », c’est lui qui est la source permanente de toute
réalité, de toute vérité, à l’origine, maintenant, et à la fin des temps. Jésus
règne, hier, aujourd’hui et demain.
Nous
sentons que ce regard nous donne un peu le tournis et c’est normal. Car nous
touchons au grand mystère de Dieu. Jésus, celui qui s’est fait humble sur les
chemins de Galilée, est le même qui est ce roi de l’univers. Il nous est proche
comme il nous paraît lointain. Et pourtant c’est le même.
Chers
frères et sœurs, quand nous sentons que le sol se dérobe sous nos pieds, que
nous nous inquiétons pour l’avenir, que nous doutons parfois, regardons Jésus
roi de l’univers et réconfortons-nous. Car de même qu’il nous a créés hier, il
nous connaît aujourd’hui en toutes choses, avec nos heures et nos malheurs, et
il nous rétablira entièrement dans son amour demain, par son Esprit. Car telle
est la volonté de son Père, qui est aussi notre Père, seule origine de tout
pouvoir et de toute royauté.