1R
17,10-16 ; Ps 145 ; Hb 9,24-28 ; Mc 12,38-44
Chers
frères et sœurs,
Jésus
est monté au Temple, où il a quelques discussions polémiques avec les scribes.
Nous sommes quelque temps avant la Passion. C’est dans ce contexte que Jésus
donne l’enseignement que nous avons entendu.
À
première vue, Jésus semble donner un enseignement pour le moins anticlérical.
Dans un premier temps il exhorte les foules à se méfier des scribes qui se
donnent belle apparence. Mais parce qu’ils sont en réalité des profiteurs, ils
seront d’autant plus sévèrement jugés. Ils devraient au contraire montrer
l’exemple d’une vie sainte, c’est-à-dire humble et honnête. Jésus, donc,
dénonce le cléricalisme des scribes aux yeux de tous. C’est pour le moins un
avertissement sévère à ses Apôtres.
D’ailleurs,
dans un second temps, il s’adresse à eux uniquement et leur fait remarquer le
geste généreux de la veuve. Il s’agit aussi d’une leçon : ce qui est mis
au bien commun de l’Église est le fruit de dons généreux de la part de personnes
qui en ont les moyens, mais aussi de beaucoup de personnes qui, elles, font de
réels sacrifices. Parce que leur geste d’offrande est pour elles d’une extrême
importance. Les Apôtres ne doivent donc pas gérer les biens de l’Église à
l’emporte-pièce, et encore moins en abuser.
Nous
aurions donc ici un enseignement de Jésus à ses disciples pour le moins très
actuel, et d’une portée anticléricale tout à fait remarquable.
Mais
cette lecture est-elle conforme à l’intention de Jésus à l’époque ? En réalité,
je pense que Jésus voyait plus loin, plus profond, et que le message qu’il
délivrait à ses Apôtres – quand il attirait leur attention sur la réalité des
choses et des personnes – ce message concernait aussi le Royaume des cieux.
Voyons comment.
Jésus
est dans le Temple, c’est-à-dire dans la Maison de son Père. Le Temple est par
rapport à ses environs, ce que le ciel est à la terre. Or Jésus rencontre dans
le Temple des scribes, c’est-à-dire des serviteurs de Dieu, qui en ont
l’apparence, mais qui n’en sont pas vraiment, et qui profitent des bénéfices
que leur donne leur qualité. Ce sont exactement ce que sont dans le ciel les
démons par rapport aux anges. Les démons sont des anges qui ont renoncé à
adorer Dieu, qui se font passer pour ce qu’ils ne sont plus, et qui profitent
de leur état angélique pour abuser les gens innocents. Or Jésus ici, en
dénonçant les scribes, dénonce aussi et combat en réalité les démons. Et il
attire l’attention de tous quant à leur perversité. Mais nous comprenons que ce
qui vaut pour les anges et les démons vaut aussi pour tous les baptisés appelés
à la sainteté, qu’ils soient clercs ou pas.
De
même la veuve, qui vient mettre dans le trésor tout ce qu’elle a pour vivre,
accomplit ici un geste extrême. Cette petite dame est dans une situation très
différente de celle de la veuve de Sarepta. Cette dernière donne tout à Elie,
et celui-ci, à partir de peu – et avec l’aide de l’Esprit Saint – fait
beaucoup : la veuve de Sarepta a finalement fait fructifier sa farine et
son huile. Tandis que la petite veuve du Temple, après avoir tout donné, n’a
plus rien du tout pour vivre. C’est un geste humainement suicidaire. Si donc,
on considère qu’à travers ces piécettes c’est toute sa vie que la veuve a donnée
au Temple, c’est-à-dire à Dieu, alors cela veut dire qu’elle lui appartient
désormais. Elle lui est consacrée. Il revient alors à Dieu ou au Temple
d’assurer sa vie désormais. En fait, cette femme fait comme Jésus va faire
durant sa Passion : il va offrir sa vie humaine tout entière à son Père,
pour le salut des hommes, et son Père la lui rendra aussitôt en vie glorieuse
et éternelle.
Au
contraire, ceux qui veulent négocier leur vie éternelle avec Dieu pour
conserver autant que possible une bonne part de vie humaine, en réalité
risquent fort de perdre la première après la seconde. La leçon de Jésus est
donc semblable à cette parole : « Celui qui veut sauver sa vie la
perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la
sauvera. »
Finalement,
savoir si on est ange ou démon, ou si on négocie un peu ou beaucoup sa vie
éternelle avec le Bon Dieu, ce ne sont pas là d’abord des histoires de
cléricalisme : tout le monde est concerné.
Chers
frères et sœurs, pour finir, je n’arrive pas à me retirer de l’esprit que,
lorsque Jésus rencontre une veuve, il voit en elle Marie sa Mère. Or la petite
veuve qui donne tout au trésor du Temple, n’est-elle pas Marie, qui a donné
tout ce qu’elle avait pour vivre ? D’abord elle-même, à l’Annonciation ;
puis son fils unique, Jésus, durant la Pâque ? Et finalement, c’est bien
elle, Marie, la pauvre veuve qui est maintenant louée et couronnée dans le
Temple, par Jésus lui-même, c’est-à-dire dans la Jérusalem céleste.