Is
61,1-3a ; Ps 88 ; Mt 25,31-40
Chers
frères et sœurs,
Saint
Martin est un géant. Par conséquent, il y a le vrai saint Martin, historique,
avec la sainteté réelle qui est la sienne, et aussi avec ses défauts ; et
il y a le saint Martin fabriqué et instrumentalisé au cours de l’histoire par
les différents pouvoirs politiques et religieux – y compris dans l’Église –
pour des intérêts qui lui étaient étrangers.
Il
est certain que Saint Martin a eu une vie bien remplie : légionnaire
romain né en Hongrie, en garnison à Amiens, en campagne en Germanie ; puis
ermite sous la direction de saint Hilaire de Poitiers, et moine fondateur du
premier monastère des Gaules, à Ligugé ; puis enfin évêque de Tours. Et
pas n’importe quel évêque : un évêque soucieux de justice qui va jusqu’à
intervenir à la cour de l’Empereur Maximin à Trêves, et évêque missionnaire,
qui n’hésitait pas à payer de sa personne pour annoncer Jésus-Christ jusque
dans les campagnes. Le biographe de Saint Martin, Sulpice Sévère, nous en a
laissé quelques épisodes savoureux. Nous avons là, dans cette vie
extraordinaire, le premier motif de la réputation, bien méritée, de saint
Martin.
Par
conséquent, son tombeau est devenu un lieu de pèlerinage extrêmement important
en Gaule. On y venait de partout, comme durant le moyen âge on allait à
Compostelle, ou au XXème siècle à Lourdes. Or ces pèlerinages ont une fonction
culturelle unificatrice fondamentale. Tous les peuples de la Gaule, qu’ils
soient gallo-romains, mais aussi Alamans, Wisigoths, Francs, et Burgondes, bien
sûr ; tous venaient vénérer Saint Martin à Tours pour s’y trouver frères, et
repartaient assimilés les uns aux autres en un seul peuple, spirituellement uni.
On
ne comprend donc rien à l’histoire de la conversion de Clovis, et ensuite à
l’importance de la relique de la chape de Saint Martin pour les rois de France,
de Hugues Capet à Louis XVI, appelé Louis Capet par les révolutionnaires, … si
on oublie que Saint Martin était à l’époque et jusqu’à la Révolution le cœur spirituel
des Gaules et après Clovis, le cœur spirituel de la France.
Évidemment,
une fois qu’on a coupé la tête au roi et qu’on a rasé volontairement le grand
sanctuaire de Saint Martin à Tours, la figure de Martin s’est transformée. Pour
oublier le grand évêque qui en remontait à l’Empereur Maximin, l’Église refit
de lui l’humble soldat qui, dans le froid, offrait la moitié de son manteau à
un pauvre mendiant. C’était pourtant le même, mais dans un monde qui n’est plus
chrétien, l’image d’une Église humble et charitable, cela passe mieux.
Cependant,
le peuple de France, aux 500 villages et au 3.700 paroisses consacrés à Saint
Martin, a longtemps conservé dans son cœur la mémoire du grand Saint, qui plus
qu’un Saint Vincent de Paul antique, fut d’abord le véritable Apôtre des
Gaules, à main forte et bras étendu. Saint Paul, après sa conversion, avait
gardé son fort caractère et son goût de la polémique, mais saint Martin, après
la sienne et jusqu’au bout, avait conservé la fidélité et la force d’âme des
légionnaires romains. Et le général pour qui on donne sa vie au combat, pour
Martin, c’était le Christ.
C’est
en souvenir de Martin, dont la mémoire est d’ailleurs partagée par les
Allemands, que la date du 11 novembre – fête de Saint Martin – a été choisie
pour signer l’armistice en 1918. Comme saint Thérèse de Lisieux, Saint Martin
était très vénéré des deux côtés. Pour l’armistice, il fallait bien Martin, lui
qui au ciel ne cesse jamais de prier pour ses chers peuples de Gaule et
d’ailleurs, pour qu’ils ne fassent qu’un : l’unique Église de son Seigneur,
Jésus-Christ.