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5,1-9 ; Ps 125 ; Ph 1,4-6.8-11 ; Lc 3,1-6
Chers
frères et sœurs,
Lorsque
nous lisons l’Évangile selon saint Luc, nous avons une première partie qui va
de l’annonce de la naissance de Jésus jusqu’à son adolescence, où nous le
voyons discuter avec les docteurs de la Loi dans le Temple de Jérusalem. Puis
il y a une rupture de plusieurs années. Saint Luc ne nous dit rien jusqu’au
moment où Jean-Baptiste commence à prêcher au bord du Jourdain : le
passage de l’Évangile que nous avons lu aujourd’hui ouvre en effet une nouvelle
grande partie de la vie de Jésus.
Ce
moment où Jean-Baptiste commence à prêcher est extrêmement important. Saint Luc
le dit de deux manières. D’abord il situe très précisément l’événement dans
l’histoire, en donnant sept références précises : Tibère, Pilate, Hérode,
Philippe, Lysanias, Hanne et Caïphe. On ne peut pas faire plus officiel.
Ensuite,
nous lisons : « La Parole de Dieu fut adressée dans le désert à
Jean, le fils de Zacharie. » Évidemment, je suis furieux contre la
traduction liturgique, car en réalité saint Luc a écrit : « La
Parole de Dieu fut sur Jean, le fils de Zacharie, dans le désert. »
Dieu ne « s’adresse » pas à Jean. Il n’entend pas des voix. Mais la
Parole de Dieu est « sur » lui : elle le domine ou elle le
possède. Elle l’habite entièrement. En réalité, Dieu parle directement au
peuple par la voix et par les actes de Jean-Baptiste, comme autrefois par les
anciens prophètes.
Voyez
bien, chers frères et sœurs, ce que veut nous faire comprendre saint Luc :
aujourd’hui, à cet instant précis de l’histoire, Dieu a parlé, par la bouche de
Jean-Baptiste dont il a fait son prophète. C’est un tremblement de terre :
Dieu intervient de nouveau dans le cours de l’histoire des hommes. Il a repris
la main.
Alors
que dit Dieu par la bouche de Jean-Baptiste ? Il proclame un baptême de
conversion pour le pardon des péchés, en accomplissant la prophétie d’Isaïe,
car il vient.
Le
Seigneur vient dans le monde et « tout être vivant » – « toute
chair » dit saint Luc – verra le salut de Dieu. Et les plus anciens
manuscrits disent que cette vision se fera « comme un » ou
« ensemble », c’est-à-dire dans l’unité. Dieu vient donc rassembler
toute l’humanité dans l’unité, dans son salut, ou dans sa gloire. C’est pareil.
C’est pour cela que nous avons lu le Livre de Baruc et chanté le psaume
125 : « Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion, nous étions
comme en rêve ! Alors notre bouche était pleine de rires, nous poussions
des cris de joie ! »
Cependant,
avant d’accéder au banquet des noces de l’Agneau, il faut mettre en pratique
les oracles du prophète Isaïe : « Préparez le chemin du Seigneur,
rendez droits ses sentiers… » Ici aussi la traduction est
imparfaite : il ne s’agit pas de s’activer pour transformer le monde extérieur
autour de soi pour y rendre plus propres et plus droites les voies de Dieu,
mais il s’agit de nous préparer nous-mêmes et de rendre droites nos vies, pour
que le Seigneur puisse venir en nous. La version de l’Évangile selon saint Luc,
que Saint Irénée devait utiliser, dit très directement : « rendez
droits vos chemins » pour pouvoir accueillir le Seigneur.
Ensuite,
l’oracle d’Isaïe, après nous avoir interpellé personnellement, nous annonce que
« Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront
abaissées… ». Il ne dit pas « Comblez les ravins ; abaissez
les montagnes et les collines… ». La formulation est différente :
« Tout ravin sera comblé… » Mais par qui ? Mais par Dieu
lui-même, car nous en sommes incapables par nos propres forces. Lorsque dans la
Bible, le sujet d’un verbe n’est pas clairement identifié, c’est que ce sujet
est Dieu lui-même. La phrase est tournée de la sorte par respect pour le Nom de
Dieu, qu’on ne doit pas prononcer à la légère.
Ainsi
donc, l’oracle d’Isaïe nous appelle à faire un pas de conversion vers Dieu en
préparant nos chemins, en rendant droits nos sentiers – c’est-à-dire nos vies –
pour l’accueillir. C’est le baptême. Alors le Seigneur lui-même comblera les
ravins de nos vies, en abaissera les montagnes et les collines ; il en redressera
les passages tortueux et en aplanira les passages rocailleux. C’est-à-dire qu’il
purifiera et sanctifiera lui-même nos vies, en vue de son Royaume.
Que
pouvons-nous donc, chers frères et sœurs, retenir de l’Évangile d’aujourd’hui
pour les semaines qui viennent ? La première est que Dieu a parlé :
il a décidé d’ouvrir le chemin du rassemblement de toute l’humanité dans sa
gloire. Ce chemin doit être préparé en nous par nous-mêmes d’abord, par le
baptême de conversion. Et ensuite par lui-même, par la puissance de son Esprit
Saint. L’Esprit Saint peut avoir un petit côté bulldozer quand il comble les
ravins et abaisse les montagnes : cela veut dire que la sanctification de
nos vies ne sera pas forcément une partie de plaisir. D’ailleurs Jésus lui-même
a tracé le chemin : il est le bon chemin. Et ce chemin est passé par la
croix douloureuse, avant de déboucher sur la résurrection.
En fait, le Seigneur
nous appelle à être comme Jean-Baptiste : à nous laisser envahir par
l’Esprit Saint, à nous laisser entièrement habiter par lui, pour devenir à
notre tour – là où nous sommes – des prophètes du Seigneur.