Jr
31,7-9 ; Ps 125 ; Hb 5,1-6 ; Mc 10,46b-52
Chers
frères et sœurs,
Jusqu’à
présent Jésus était en Galilée. Par trois fois il a annoncé sa Passion
prochaine, c’est-à-dire la révélation de sa gloire, mais qu’auparavant il était
nécessaire de passer par un chemin de croix douloureux, point délicat que les
disciples n’arrivaient pas à comprendre.
Dernièrement,
Jésus a rencontré le jeune homme riche, qui était esclave de ses biens tandis
qu’il donnait l’apparence de la piété. Celui-ci renonce justement à emprunter
ce chemin de croix avec Jésus. Au contraire, avec un peu d’orgueil, les Apôtres
rappellent à Jésus qu’eux ont déjà tout laissé pour le suivre. Par conséquent,
ils espèrent obtenir une bonne place dans son prochain gouvernement. Jésus leur
répond qu’il n’y a d’autre pouvoir dans son royaume que celui de la liberté du
don de soi, par amour pour Dieu et pour son prochain.
C’est
alors que Jésus quitte la Galilée pour se rendre à Jéricho. Et c’est en sortant
de cette ville qu’il va rencontrer Bartimée.
Nous
pouvons lire le texte au premier degré. Nous y apprenons que la prière
insistante du pauvre est efficace, qu’elle est entendue par Jésus. Nous voyons
Bartimée exactement comme l’opposé du jeune homme riche, lui qui n’a rien et
qui à la fin se met à suivre Jésus sur son chemin. Il est aussi l’opposé des
apôtres orgueilleux, quand il qualifie Jésus de « Rabbouni »,
c’est-à-dire « Grand maître » ou « Seigneur ». Manifestement,
il ne cherche pas le pouvoir, mais il se situe par rapport à Jésus comme un humble
serviteur.
Précisons ici que « Rabbouni » ne signifie pas
« mon petit rabbi chéri », comme la langue française nous porte à le
croire ; il s’agit réellement d’un titre très important. C’est exactement
par le même « Rabbouni » que Marie-Madeleine a qualifié Jésus
quand elle l’a reconnu ressuscité. Il s’agit ici de Jésus grand maître et
seigneur, dans la lumière de sa gloire. Bref, contrairement au jeune homme
riche et aux apôtres, Bartimée donne ici l’image du disciple de Jésus parfait.
Mais
nous pouvons aussi lire ce passage de l’Évangile au second degré. Saint Marc
nous y invite d’ailleurs en nous donnant des indices. Nous avons déjà parlé du
titre de « Rabbouni » employé par Bartimée. Justement, les
deux autres indices sont des noms : Jéricho et Bartimée lui-même.
Jéricho
n’est pas du tout une ville insignifiante. Jéricho est l’opposé de Jérusalem.
Si Jérusalem est la ville où réside le Seigneur dans son Temple, ville de paix
et de gloire ; Jéricho est au contraire la ville qui symbolise les enfers,
où sont enfermés les pécheurs. Or, après les 40 ans passés au désert, Josué a
franchi le Jourdain, a fait tomber les murs de Jéricho, avant de pouvoir partir
à la conquête de la Terre promise, en montant jusqu’à Jérusalem. Aujourd’hui,
nous avons pareillement Jésus qui a passé un long temps en Galilée, et qui
passe par Jéricho avant de monter à Jérusalem pour y vivre le combat de sa
Passion jusqu’à la prise de possession de la Terre promise de sa résurrection :
la Jérusalem céleste. Et que fait Jésus à Jéricho ? Il libère celui qui
est esclave de sa pauvreté en raison de son aveuglement. Il affranchit l’homme
pécheur ; tous les hommes pécheurs.
C’est
là que le nom de Bartimée a de l’importance. « Timée » est a priori
un nom grec, qui signifie « honorable », mais il y a un jeu de mot
avec l’araméen où ce nom signifie au contraire « impur ». Comme
« Bar » signifie « fils » en araméen, on doit penser que ce
pauvre Bartimée s’appelle en réalité « Fils d’Impur ». Et même, dans
la vieille version syriaque de l’Évangile, il est écrit que Bartimée s’appelle
en réalité « Timée, fils de Timée » : « Impur, fils
d’Impur »… Le nom de Bartimée consonne tout à fait avec l’état des
habitants de Jéricho : ce sont les pécheurs qui habitent les enfers. Et ce
sont eux qui crient vers Jésus : « Fils de David, Jésus, prends
pitié de moi ! » Et Jésus de leur demander : « Que
veux-tu que je fasse pour toi ? » ; « Rabbouni, que je
re-voie ! »
Voyez,
l’intensité de la scène. À travers le cri de Bartimée, il s’agit du cri de
toute l’humanité embourbée à mort dans le péché, qui s’adresse à Jésus, Maître
et Seigneur, pour retrouver enfin, grâce à lui, la lumière et la vie, et avec
elles, la paix et la joie.
Je
termine par un mot sur l’attitude de la foule qui dans un premier temps veut
étouffer le cri de Bartimée – elle est insupportable à entendre la souffrance
des impurs ! – foule qui, dans un second temps, se fait servilement le
relai de l’appel de Jésus : « Confiance, lève-toi, il
t’appelle ! » Ceci doit nous servir de leçon : la foule
peureuse va toujours dans le sens du vent. Elle est ballotée entre la mentalité
du monde : « faire taire les impurs » et – quand Jésus se révèle
Maître et Seigneur – se met immédiatement à son service. C’est la même foule
qui acclame Jésus aux Rameaux et qui lui crache dessus pendant le chemin de
croix.
Pour nous qui sommes les disciples de Jésus, prenons garde de nous
accoquiner avec la foule. Soyons fidèles serviteurs de Jésus, avec tous les
risques que cela comporte, ou au pire, crions vers lui de toutes nos forces
comme Bartimée. Mais ne soyons pas entre les deux.