lundi 10 novembre 2025

09 Novembre 2025 - AUTREY-lès-GRAY - Fête de la Dédicace de ND de Latran - Année C

 Ez 47, 1-2.8-9.12 ; Ps 45 ; 1 Co 3, 9c-11.16-17 ; Jn 2, 13-22
 
Chers frères et sœurs,
 
Jésus, aujourd’hui dans saint Jean, monte au Temple de Jérusalem pour la première fois : il s’attend à y trouver le parfait culte de Dieu, la parfaite justice exercée par des grands prêtres saints, eux-mêmes entourés de prêtres et de lévites angéliques. En effet, selon le livre de l’Exode, le Temple, son personnel et sa liturgie sont institués et organisés selon la vision que Moïse avait eue de la Jérusalem céleste, où les anciens siégeaient sur douze trônes, entourés des anges et des archanges, pour y juger les âmes des justes.
Mais, voilà, en lieu et place des grands-prêtres, il trouve des changeurs ; d’anges et d’archanges, des troupeaux de brebis et de bœufs. Pour Jésus, le Temple qui est l’image de la Jérusalem céleste est scandaleusement profané par ceux-là mêmes qui devraient au contraire veiller à sa sainteté.

Alors Jésus réagit comme autrefois réagit Mattathias : il exerce la violence pour chasser les impies, images des démons. Ce n’est pas pour rien que Jean rappelle cette citation de l’Écriture : « L’amour de ta maison fera mon tourment. » L’amour dont il est question est un amour zélé, un zèle ardent, celui-là même qui motiva la révolte des Juifs à l’époque où le Temple fut profané par le roi Antiochus IV Épiphane et ses sbires, lesquels voulaient mettre la religion d’Israël au diapason des dieux grecs et des mœurs grecques de leur temps, avec la complicité coupable de bon nombre d’Israélites eux-mêmes. Ce fut la révolte des frères Macchabées.
La réaction des Juifs, dans l’évangile, est embarrassée. En effet, Jésus a bien agi comme avait agi autrefois Mattathias, leur père. Il a agi comme un zélote, comme eux-mêmes revendiquent d’en être les héritiers. Du coup, Jésus suscite l’inquiétude des grands prêtres et de leurs partisans saducéens, ici appelés « les Juifs », mais il s’attache immédiatement la foule des pharisiens et des zélotes de son temps qui attendaient et espéraient la venu d’un messie purificateur, libérateur, pourquoi pas un peu musclé. N’oublions pas que parmi les Apôtres, il y a Simon le zélote, et saint Pierre portait sur lui une épée.
 
« Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? » - c’est-à-dire : « Avec quelle autorité fais-tu cela ? » La question n’est pas un piège : elle est ouverte. Mais la réponse de Jésus dépasse leur capacité de compréhension. Elle est d’abord provocatrice : « Détruisez ce sanctuaire »… la destruction du sanctuaire est toujours le fait des impies, des nations païennes qui veulent imposer leurs dieux. Jésus mets ses interlocuteurs devant le choix radical de revenir à la véritable adoration de Dieu ou bien d’être relégués au rang des destructeurs, des traîtres quand il s’agit d’israélites. « … et en trois jours je le relèverai ». Jésus peut faire ici référence à la parole du prophète Osée : « Venez, retournons vers le Seigneur ! il a blessé, mais il nous guérira ; il a frappé, mais il nous soignera. Après deux jours, il nous rendra la vie ; il nous relèvera le troisième jour : alors, nous vivrons devant sa face. » Le troisième jour est aussi traditionnellement celui des noces, bref, celui de la fête, celui de la liturgie céleste. Tous les auditeurs pensent que Jésus parle du Temple de pierre, mais il parle de son corps.
 
L’incompréhension grandit lorsque les sadducéens répliquent : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire… » Ici saint Jean ajoute du mystère au mystère. En effet, 46 ans, c’est peut-être un détail pour vous, mais pour Jean, cela veut dire beaucoup : à cette époque, c’est à peu de choses près, l’âge de la Vierge Marie. Marie a l’âge du Temple. De même que dans le Temple réside la présence de Dieu, en Marie le Verbe de Dieu s’est fait chair. La chair de Marie est le Temple véritable du Dieu fait homme.
Mais il n’y a pas seulement cela : il y a aussi une question de calendrier qui travaille tous les prêtres et tous les zélotes, à chaque génération. Ils savent que Marie et Zacharie ont été visités par l’ange Gabriel, annonçant pour eux et pour le peuple de Dieu une bonne nouvelle. Or l’ange Gabriel n’est venu qu’une seule fois auparavant dans tout l’Ancien Testament, dans toute l’histoire du monde depuis la Création : pour donner au prophète Daniel la chronologie du temps accordé à Israël pour faire cesser la perversité à Jérusalem, pour se convertir et exercer un culte saint avant la venue d’un messie et la dévastation de la Jérusalem terrestre, et du temple. Or ce temps correspond, selon la manière que l'on compte, à celui de la venue de Jésus. Pour les chrétiens, l’ange Gabriel est revenu annoncer à Zacharie et à Marie que le temps de la réalisation de la prophétie confiée autrefois à Daniel était venu.
Par conséquent, Jésus annonce la destruction du Temple de Jérusalem – dont il accuse par provocation les sadducéens d’en être eux-mêmes les destructeurs par leur impiété et leur hypocrisie – mais que le véritable Temple, image de la Jérusalem céleste, apparaît mystérieusement en Marie. Elle est la manifestation de cette Jérusalem céleste en laquelle Dieu se complaît, la Femme couronnée d’étoiles du livre de l’Apocalypse : le véritable Temple n’est pas de pierre, il est de chair. Et mieux encore, le véritable accomplissement est manifesté quand cette chair est ressuscitée, transfigurée, illuminée par la puissance de l’Esprit.
 
Chers frères et sœurs, cela donne un peu le tournis : c’est normal. Jésus nous apprend que son corps, sa chair ressuscitée, c’est l’Église dont Marie est la figure parfaite. Par le baptême, nous entrons dans la communion de ce corps glorieux, comme une pierre s’ajuste parfaitement dans la construction d’une église magnifique. Dès lors, par l’Esprit nous faisons partie du saint peuple de Dieu, qui adore Dieu dans le Ciel, en présence des Anciens, patriarches et apôtres, des anges et des archanges, et de tous les saints, et c’est très exactement cette réalité divine que notre liturgie rend présente aujourd’hui, dans l’église d’Autrey, à la manière d’une icône humaine.

dimanche 2 novembre 2025

02 novembre 2025 - CHARCENNE - Commémoration des fidèles défunts - Année C

 Sg 3,1-9 ; Ps 26 ; 1Co 15,51-57 ; Jn 6,37-40
 
Chers frères et sœurs,
 
Lorsqu’un homme s’interroge devant la mort et l'au-delà, plusieurs options lui sont présentées.
 
Certains pensent qu’il n’y a strictement rien : l’homme s’est fait à partir d’atomes et il retournera à l’état d’atome. Pourquoi pas, mais ces gens-là ne nous disent pas d’où viennent les atomes, et encore moins la vie qui peut les animer.
D’autres pensent que l’homme provient d’une certaine vie dans l’univers et qu’il y retournera, noyé, dilué, dans le grand tout. Si le chrétien croit, lui, qu’il retrouvera aussi une vie nouvelle dans la gloire de Dieu, il sait en revanche que sa personnalité n’y disparaîtra pas, mais qu’elle y sera au contraire exaltée : car son nom est inscrit dans les cieux.
D’autres pensent qu’ils se réincarneront en quelqu’un d’autre ou dans un animal, et ils s’en félicitent déjà. Les asiatiques et les indiens qui ont importé chez nous cette idée, en revanche, eux sont consternés par la réincarnation : pour eux c’est un échec, qui renvoie l’âme à un nouveau cycle de souffrance et d’errance dans le monde. Pour eux, il faut absolument en sortir. Comme les grecs, il réduisent l’homme à son âme – qui peut ainsi passer d’un corps à l’autre, ou qui trouve une autre vie dans un autre corps ou sans corps. Telle n’est pas la foi des chrétiens, qui – comme les juifs – savent qu’ils ne font qu’un : âme et corps. Et donc la réincarnation, pour un chrétien ou un juif, est impossible ; la résurrection concerne autant son âme que son corps. Même si ce dernier est transformé, transfiguré, illuminé, revivifié, c’est toujours le même.
 
Au bout du compte, on s’aperçoit que, dans la diversité des opinions sur la mort et l’au-delà, les juifs et les chrétiens sont les plus optimistes : il ont foi en la promesse de Dieu que tout eux-mêmes, leur âme et leur corps, leur nom, ne seront pas perdus dans un univers matériel ou même spirituel anonyme ; ils ne seront pas condamnés à des cycles de souffrance infinis, mais qu’après avoir été purifiés dans le feu de l’amour de Dieu, par l’Esprit Saint, ils seront exaltés, glorifiés dans le bonheur extrême d’une communion d’amour, vie éternelle.
C’est ce que dit le Livre de la Sagesse : « Au temps de sa visite, ils resplendiront » ; le Psaume : « J’en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants » ; saint Paul : « les morts ressusciteront, impérissables, et nous, nous serons transformés » ; et Jésus : « Telle est la volonté de mon Père : que celui qui voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. »
 
Certains diront : quelles belles promesses ! Qui peut dire, qui peut certifier que ces publicités religieuses ne sont pas mensongères ? Qui peut prouver qu’elles correspondent à la réalité ? Et que notre foi, la foi des juifs, et la foi des chrétiens, n’est pas vaine ?
Hé bien, pour nous les chrétiens, c’est plus facile que pour les juifs : car nous nous croyons que Jésus qui était mort, est vraiment ressuscité, et qu’il est apparu à ses Apôtres à plusieurs reprises, avant de disparaître avec la promesse de revenir bientôt. Si Jésus n’était pas apparu vivant à ses Apôtres, le christianisme n’aurait jamais existé : ils en seraient restés à l’espérance juive. Mais comme Jésus leur est apparu vivant, les Apôtres ont témoigné jusqu’au sang de sa vie, de sa mort et de sa résurrection.
C’est pourquoi, nous aujourd’hui, les chrétiens, nous recevons leur témoignage : il nourrit notre espérance et notre vie, il constitue notre foi. Et nous le transmettons à d’autres pour qu’ils le transmettent à leur tour, car il est la promesse non seulement de la vie éternelle, mais aussi de notre résurrection en elle, avec notre âme et notre corps. Nous ne disparaîtrons pas : nous serons transfigurés, illuminés, comme Jésus ressuscité. Notre nom ne sera pas effacé : mais il est déjà inscrit, à notre baptême, dans le Livre de Vie. Et dans la bienheureuse communion de Dieu, avec tous les saints, le cœur purifié des scories inutiles, nous nous retrouverons.
 
C’est ainsi, chers frères et sœurs, que notre foi chrétienne ne repose pas sur des hypothèses plus ou moins scientifiques sur une vie future ou pas. Elle ne repose pas sur une philosophie, ni même une expérience ou une illusion spirituelle ; elle repose sur un fait historique : la résurrection et les apparitions de Jésus à ses disciples. On peut ne pas y croire, certes, mais pourquoi les Apôtres auraient-ils mentis ? Pourquoi les Apôtres sont-ils morts martyrs en défendant la vérité de leur témoignage, si celui-ci est une invention ? Tout simplement parce que la résurrection de Jésus et ses apparitions ne sont pas des inventions, et que cette nouvelle est tellement extraordinaire pour nous, les hommes, qu’il vaut le coup de donner sa vie pour la transmettre.

01 novembre 2025 - DAMPIERRE - Solennité de Tous les saints - Année C

 Ap 7, 2-4.9-14 ; Ps 23 ; 1 Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12a
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous aimons entendre l’enseignement des Béatitudes. À travers elles, Jésus nous dit qu’il y a une espérance : espérance de dépasser les bassesses et les obscurités de ce monde. Il nous dit qu’il y a une autre vie possible : la vie du ciel, la vie des saints.
Prenons donc au sérieux l’existence de cette vie du ciel, sa réalité. Si elle est telle que Jésus nous le dit, et parce qu’elle est éternelle, alors elle est la seule réalité solide et véritable que nous devons prendre en compte. En regard, la vie de ce monde est non seulement défaillante mais aussi transitoire. Nous le savons bien : autour de nous les hommes meurent, les civilisations meurent, les galaxies elles-mêmes disparaissent, à l’échelle de l’espace. Si la vie du ciel est dans la pleine lumière, la vie de ce monde est au mieux dans le brouillard, oscillant entre ténèbres et éclaircies.
 
La religion des Juifs et des chrétiens est fondée sur deux révélations fondamentales.
La première est que, par son Esprit Saint, le Dieu qui est a donné à des hommes la grâce de voir, de connaître, de comprendre la réalité de la vie du ciel. Ces hommes sont les Patriarches, Abraham, Isaac et Jacob, et les prophètes : Moïse, Elie, Ézéchiel, Jérémie, Zacharie… et bien d’autres comme eux. Grâce à la vision qu’ils ont eue, ils ont appris non seulement que le ciel existait, mais surtout qu’il leur était promis – qu’il était promis au Peuple de Dieu, pourvu que celui-ci obéisse à ses commandements.
La seconde révélation est que, par l’Esprit Saint ayant couvert la Vierge Marie de son ombre, le Verbe de Dieu, le Fils de Dieu, s’est fait homme en Jésus-Christ, pour que par ses actes et ses enseignements, par son sacrifice sur la croix, sa résurrection et le don de son Esprit à la Pentecôte, le chemin qui mène de la vie du monde à la vie du ciel, soit praticable. Dans un sens et dans l’autre. Cette seconde révélation, non seulement dévoile davantage aux hommes la vie du ciel, mais les y fait également participer, réellement.
Comment cela ? Voir Jésus, c’est voir Dieu – nous en avons la description dans les évangiles. Connaître les apôtres et les disciples de Jésus, les saints et les saintes, qui sont habités et vivifiés par l’Esprit Saint, c’est aussi connaître à travers eux une part de la vie du ciel. Et recevoir les sacrements, les célébrer dans la liturgie, c’est participer mystérieusement, spirituellement mais aussi physiquement à cette vie. Les symboles et les rites si particuliers de la liturgie n’ont de sens que parce qu’il rendent présent ici et maintenant la vie du ciel. Le Corps et le Sang de Jésus dans l’eucharistie, parce qu’ils sont par excellence la vie éternelle, sont donc plus réels et véritables que n’importe quel autre objet périssable dans le monde.
Donc, pour faire bref, la religion des Juifs affirme qu’il existe la terre et le ciel, avec la promesse qu’un jour les portes du ciel seront ouvertes ; et la religion des chrétiens dit qu’en Jésus le Dieu du ciel est venu sur la terre, pour que depuis la terre toute l’humanité puisse être élevée jusqu’au ciel, puisse y entrer : par Jésus, les portes sont ouvertes. Et dans tous les cas, c’est l’œuvre de l’Esprit Saint.
 
Chers frères et sœurs, l’Esprit Saint n’a jamais cessé et ne cesse jamais son ouvrage. Le simple fait que nous soyons ici réunis ce matin pour célébrer l’eucharistie est aussi son œuvre : parce qu’il nous a inspiré de venir dans cette église et parce que nous y célébrons la liturgie, apparition de la vie du ciel sur la terre, pour que nous puissions communier à cette vie réellement, maintenant.
Ainsi, nous sommes nous-mêmes les gens « vêtus de robes blanches » dont parle le livre de l’Apocalypse : il s’agit du vêtement blanc de notre baptême. L’autel est le trône de Dieu, l’Agneau est l’Hostie, présence réelle de Jésus vivant. De même, les bougies sont le Buisson ardent, lumière de la Gloire de Dieu, perceptible aussi bien au Mont Sinaï, dans le Temple de Jérusalem, à la Transfiguration que lors des apparitions de Jésus ressuscité. Cette même lumière que virent Moïse et Elie, Ézéchiel et tous les prophètes, Pierre, Jacques et Jean, et tous les Apôtres, jusqu’à sainte Marguerite-Marie lorsqu’elle vit le Sacré-Cœur de Jésus à Paray-le-Monial, et saint Séraphim de Sarov lorsqu’il fut lui-même rendu rayonnant. L’Esprit Saint ne cesse pas d’illuminer les saints et les saintes de Dieu. Et c’est pourquoi il nous est donné un cierge de lumière lors de notre baptême.
Doutons-nous de la puissance de l’Esprit Saint qui imprègne les fils et les filles de Dieu, comme il les a imprégnés par l’onction du Saint-Chrême, lors de leur baptême ici encore ? Si l’Esprit de Dieu cessait d’imprégner les hommes et la nature, de les vivifier, tout disparaîtrait immédiatement, comme on éteint une lampe électrique. On est tellement habitués à la présence de l’Esprit Saint qu’on ne le voit même plus – non pas en lui-même, il est invisible – mais dans ses œuvres. Or son œuvre la plus parfaite est de faire de nous des saints. L’Esprit agit particulièrement au baptême, puis ils nous configure à la ressemblance de Jésus : humbles et pauvres, pleurant pour le monde pécheur, doux comme des agneaux, affamés de la sainteté et de la paix de Dieu, généreux en pardon, cœurs purs, hommes et femmes de paix à l’égard de tout prochain.
 
Voilà pourquoi l’enseignement des Béatitudes nous touche si profondément au cœur : elles nous rappellent que nous avons été faits pour le ciel, que nous avons été baptisés pour en faire partie et en vivre déjà maintenant en ce monde, et que nous sommes appelés à y communier pour l’éternité, configurés à la ressemblance de Jésus, avec tous les saints, pour notre plus grand bonheur.

dimanche 26 octobre 2025

26 octobre 2025 - VALAY - 30ème dimanche TO - Année C

Si 35,15b-17.20-22a ; Ps 33 ; 2Tm 4,6-8.16-18 ; Lc 18,9-14
 
Chers frères et sœurs,
 
Lorsque Jésus raconte une parabole, ce n’est pas une petite histoire inventée sur le coup, mais un véritable enseignement où chaque mot est pesé, où la composition même de la parabole est soigneusement réfléchie : rien n’est laissé au hasard. Ainsi, lorsque nous lisons ou écoutons la parabole de ce dimanche, une leçon très riche nous y est donnée.
 
Un premier point extrêmement important est à souligner avant tout commentaire. Dans notre langue française, nous employons les mots « justice » et « paix » pour désigner la justice et la paix dans le monde. Nous pensons à une justice nationale ou internationale, à des organisations comme la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour internationale de justice, qui sont censées garantir, avec des institutions comme l’ONU, la paix dans le monde. Mais ce n’est, ni de cette justice, ni de cette paix dont parle Jésus. Quand il parle de justice il parle en réalité de sainteté, et quand il parle de paix, il parle d’une profonde paix du cœur, sa paix, donnée par l’Esprit Saint. 
Ainsi, celui qui se croit juste est celui qui se croit saint. Celui qui revient à la maison justifié est celui qui a été sanctifié par Dieu, et qui, par conséquent, redescend chez lui dans une très grande paix intérieure. Il faut faire très attention, quand les Écritures ou l’Évangile parlent de justice et de paix, il y a deux sens possibles : la justice et la paix du monde, qui sont des arrangements politiques entre les hommes, et la justice-sainteté et la paix du cœur qui sont donnés gracieusement par Dieu.
Dans sa parabole, Jésus nous propose donc un enseignement sur la sainteté : comment acquiert-on la sainteté ?

On a d’abord le pharisien, qui se tient debout et prie en lui-même. L’expression n’est pas facile à traduire. En fait, Jésus dit que le pharisien se tient à l’écart des autres priants dans le Temple, pour souligner sa particularité religieuse : le mot « pharisien » veut dire en effet « séparé », attitude typique de ceux qui se considèrent comme purs et ne veulent avoir aucun contact avec les autres qu’ils jugent impurs. Ce pharisien fait une longue prière, en exposant tous ses mérites, qui sont réels. Il se félicite de ne pas tomber dans les tentations communes aux hommes : voleurs, injustes – il aurait mieux valu ici traduire par iniques – ou adultères. Nous retrouvons les trois tentations capitales : celles de l’argent, du pouvoir et du désir idolâtre, qui font que l’on choisit la fidélité à Dieu ou pas.
En regard, le publicain, lui se « tient à distance », exactement comme les dix lépreux se « tenaient à distance » de Jésus. Si la prière du pharisien était longue, celle du publicain est très courte : « Ô Dieu, fais miséricorde à moi, le pécheur ! » On retrouve la brièveté du cri de Bartimée : « Jésus, Fils de David, prend pitié de moi, pécheur ! », qui a donné dans notre liturgie : « Seigneur, prend pitié » ou « Kyrie Eleison » ! En fait, la prière du publicain est surtout une prière d’attitude, intérieure et corporelle, toute faite d’humilité. Elle rappelle l’attitude du fils prodigue quand il revient chez son père. Et c’est elle, plus que les paroles, qui change tout. 
On s’aperçoit ici que la prière la plus profonde, la plus efficace, est celle qui vient du cœur plus que du cerveau. Beaucoup de gens prient sans le savoir, parce qu’ils sont remués dans leur cœur, alors qu’ils ne savent pas leurs prières.
 
Jésus continue sa parabole en expliquant que le publicain revient chez lui justifié, c’est-à-dire sanctifié. Il semble, d’après notre traduction, que cela ne soit pas le cas du pharisien. Mais en fait, il y a deux traductions possibles. La seconde dit que le publicain est descendu à sa maison justifié « bien plus » que l’autre. Cette traduction est moins dangereuse que la première et plus conforme à l’enseignement habituel de Jésus. La traduction qui dit que le pharisien n’est pas justifié, n’est pas sanctifié, est la porte ouverte à sa condamnation, et c’est exactement sur ce type de jugement que s’est développé l’antijudaïsme qui a conduit à toutes les atrocités. Cette traduction est donc dangereuse. Au contraire, celle qui dit que le publicain est sanctifié « bien plus » que le pharisien, signifie que le pharisien a quand même reçu une part de justification, une part de sanctification, mais beaucoup mois que le publicain. C’est exactement comme avec le fils prodigue : le père l’habille, le réhabilite dans sa dignité de fils et fait tuer le veau gras, mais cela ne lèse en rien son frère aîné, qui est toujours héritier de la maison de son père. Dans notre parabole, le publicain, c’est le fils prodigue, et le pharisien, c’est le frère aîné.
 
Pour terminer, Jésus termine par la sentence : « Qui s’élève sera abaissé, qui s’abaisse sera élevé ». Il faut être conscient que le terme traduit par « abaissé » renvoie immédiatement à l’expression « humble de cœur » et à la béatitude « Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés ». Saint Irénée en a tiré l’enseignement suivant, que nous pouvons faire nôtre : « le publicain surpassa le Pharisien dans sa prière et reçut du Seigneur ce témoignage qu’il était justifié de préférence, parce que, avec grande humilité, sans orgueil ni jactance, il faisait à Dieu l’aveu de ses péchés. »
 

dimanche 19 octobre 2025

19 octobre 2025 - CUGNEY - 29ème dimanche TO - Année C

Ex 17,8-13 ; Ps 120 ; 2Tm 3,14-4,2 ; Lc 18,1-8
 
Chers frères et sœurs,
 
Jésus a raconté la parabole que nous venons d’entendre au cours d’une discussion avec les pharisiens et ses disciples au sujet de la venue du Règne de Dieu. Aux premiers, Jésus dit : « Le Règne de Dieu est au milieu de vous », ce qui est une manière de leur dire que lui, Jésus, s’il est bien un homme visible, il est également le Dieu invisible : il est Emmanuel, « Dieu avec nous ». Là où est Jésus, là est le Règne de Dieu. Aux seconds, c’est-à-dire aux disciples, Jésus précise : « Comme l’éclair qui jaillit illumine l’horizon d’un bout à l’autre, ainsi le Fils de l’homme quand son jour sera là. » Jésus, nous le savons, va leur être retiré, d’abord par sa mort, puis après sa mort et sa résurrection, par son ascension au ciel. Ainsi le jour et l’heure de son retour sont imprévisibles. Mais quand le moment sera venu, celui-ci sera aussi soudain que l’éclair. Nous comprenons donc bien, déjà, pourquoi dans la parabole d’aujourd’hui, Jésus demande à ses disciples de prier sans cesse, sans se décourager. En effet, le retour de Jésus est certain, et il peut arriver à tout instant.
Dans la parabole du juge inique et de la veuve Jésus développe son propos : il dévoile la raison cachée de son retour à la fin des temps et l’importance de la prière. Pour comprendre, interrogeons-nous tout d’abord sur l’identité du juge et de la veuve.
 
Le juge, installé dans la ville, est l’image du pouvoir installé à Jérusalem. Il peut aussi bien signifier le pouvoir politique de la dynastie d’Hérode que celle des grands-prêtres. Habituellement pouvoir politique et pouvoir religieux voguent de concert. Or Jésus dit que ce juge « ne craint pas Dieu et ne respecte pas les hommes ». La « crainte de Dieu » est une expression qui traverse les Écritures, l’Évangile et une part de la tradition des Pères de l’Église. On ne doit pas l’interpréter systématiquement par « peur de Dieu », mais plutôt par « piété envers Dieu », piété qui comprend aussi bien l’amour que le respect de Dieu. Autrement dit, le juge de la parabole n’est pas pieux : il n’aime pas ni ne respecte Dieu ; il contrevient au premier précepte de la Loi : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. » Par suite logique, ce juge ne « respecte pas les hommes », puisqu’il n’obéit pas non plus au commandement semblable au premier : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Les deux commandements vont toujours ensemble. Nous sommes donc en présence d’un juge légitimement en place mais qui se conduit de manière illégitime puisqu’il n’obéit pas aux commandements qui justifient sa fonction.
La veuve, dans l’Évangile selon saint Luc, est la représentation d’une double réalité : elle est en même temps la Vierge Marie et l’Église. Dans les deux cas, cette femme est privée de son mari et soumise à la précarité de la vie : elle est humainement fragile, mais elle est spirituellement forte car elle a la foi. Or, dans la parabole, la veuve, donc l’Église, demande justice au juge : justice contre les persécutions réelles ou à bas-bruit, inévitables quand on dépend d’un pouvoir politico-religieux qui ne connaît pas Dieu ou se rebelle contre lui. Il est remarquable que le Juge ne sache opposer à la femme que son silence. Mais comme celle-ci sait qu’elle est dans son droit, elle demeure inébranlable et ne lâche rien de ses revendications.
 
Voilà, dit Jésus, que tout à coup, le juge finit par craquer, et il insiste sur la raison : « cette veuve commence à m’ennuyer, je vais lui rendre justice pour qu’elle ne vienne plus sans cesse m’assommer. » Ici la traduction est faible et en partie inexacte : d’une part, il faut comprendre que la veuve tourmente intérieurement le juge – il a mauvaise conscience, du fait que la femme est dans son droit. Et d’autre part il pressent que sa fin est proche et qu’il encourt lui-même le jugement de Dieu : il ne faudrait pas que l’injustice dont il a fait preuve envers la femme devienne le motif de sa propre condamnation éternelle. Donc, il lui donne satisfaction, et ce faisant se sauve lui-même. Cela est extrêmement important : c’est la raison cachée du temps passé et de la nécessité de la prière incessante de la femme.
Bien sûr, la femme, en premier lieu prie pour que la justice qui lui est due lui soit accordée, mais en réalité aussi, sa prière agit comme une eau souterraine qui vient creuser le cœur de pierre du juge. Au bout du compte, elle obtient, avec la conversion du juge, la justice qu’elle attendait pour elle-même.
Du coup, nous comprenons le sens profond de l’enseignement de Jésus – qu’on retrouve aussi dans la Lettre aux Romains de saint Paul : le retard du retour de Jésus, tout ce temps d’attente, durant lequel l’Église est parfois persécutée jusqu’au sang, est le temps accordé par Dieu aux puissants de ce monde pour se convertir. Pendant ce temps l’Église est appelée à prier sans cesse, d’abord pour entretenir sa foi, ensuite pour obtenir la justice qui lui est due, et en même temps obtenir du Seigneur la conversion de ses persécuteurs, ou de leurs complices par action ou par omission – tous ceux qui ne « craignent pas Dieu ».
 
Jésus termine par une note d’inquiétude : « Le fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » Tant qu’il y aura quelqu’un à la messe le dimanche, le Seigneur Jésus sera rassuré. Et nous aussi, car chaque dimanche à la messe, il est présent. Jésus nous l’a dit à plusieurs reprises : « quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux » ; « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. » Par son Esprit Saint et les sacrements qu’il nous donne, le Seigneur Jésus lui-même est la force de notre foi.

dimanche 12 octobre 2025

12 octobre 2025 - GRAY - 28ème dimanche TO - Année C

2R 5, 14-17 ; Ps 97 ; 2Tm 2, 8-13 ; Lc 17, 11-19
 
Chers frères et sœurs,
 
À une ou plusieurs reprises, Jésus s’est trouvé en présence d’un ou plusieurs lépreux dont il a eu compassion et qu’il a guéris. Ce faisant, il leur a offert non seulement une vie sociale nouvelle, mais aussi à tous les témoins un signe de la venue toute proche du Royaume des cieux. Jésus était considéré par la plupart des hommes de son temps comme un guérisseur, et pour plusieurs comme le Messie de Dieu. Il suscitait une immense espérance et sa réputation le précédait.
Dans l’évangile de ce dimanche, saint Luc a développé une de ces rencontres. Il a voulu souligner deux leçons fondées sur la Loi concernant la guérison des lépreux, au chapitre 14 du Lévitique.
 
La première leçon concerne les malades qui étaient guéris. Jusqu’alors exclus de toute société par crainte de la contamination, ils devaient se présenter à un prêtre du Temple pour qu’il constate cette guérison et offre en sacrifice les offrandes nécessaires à la purification et à la réintégration dans le peuple de l’ex-malade.
Nous voyons que les dix lépreux et Jésus se conforment parfaitement à cette Loi : tout d’abord Jésus passe à proximité de leur village, lui-même situé aux confins de la Galilée et de la Samarie, à l’écart des autres villages. Voyant arriver Jésus, les lépreux s’avancent mais restent à distance. Jésus leur enjoint d’aller se montrer aux prêtres, comme si ils étaient déjà guéris, et c’est en obéissant à cette parole qu’en chemin, ils sont miraculeusement guéris, comme Naaman ayant obéi à la parole Élisée, fut guéri au Jourdain.
Ce qui surprend Jésus et les disciples, c’est qu’un des dix lépreux, le samaritain, constatant sa guérison, ne va pas se présenter à un prêtre, mais revient vers Jésus, comme si c’était lui le prêtre. Mieux encore, il considère Jésus comme le Seigneur Dieu lui-même, puisqu’il se prosterne devant lui en rendant grâce : il lui présente pour sa purification et sa réintégration l’offrande de son adoration. De fait, Jésus agit comme le Seigneur Dieu le fait dans le rituel de la Loi ; il lui fait grâce : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé ! » C’est-à-dire, que la foi de cet homme a valu offrande et cette offrande a été agréée.
Nous en concluons que tout homme qui suscite la compassion de Dieu par sa prière : « Jésus, Maître, prend pitié de nous », peut recevoir de lui écoute et bonté, miséricorde gracieuse. Le Seigneur cependant lui demande de se convertir, d’entrer dans sa Parole, dans sa Loi, et de la mettre en pratique : tout don reçu appelle action de grâce. Le Samaritain, qui a identifié Jésus comme Dieu, et lui rend à lui l’action de grâce, reçoit bien davantage que la guérison et le retour à une vie sociale normale ; il reçoit en plus l’entrée dans le Royaume : « Ta foi t’a sauvé » lui dit Jésus. La leçon est donc que, pour tout homme, l’obéissance à la Loi vaut pour cette vie, mais la foi en Jésus vaut pour la vie éternelle.
 
La seconde leçon concerne Jésus lui-même. Nous avons vu qu’il agissait comme Dieu, puisqu’il a fait grâce au lépreux guéri, et plus encore : il lui a donné le salut. Mais il l’a fait aussi en tant que prêtre, que vrai prêtre du Royaume des cieux. Nous observons cela à plusieurs détails donnés par saint Luc. En premier lieu, voyant les lépreux venir vers lui, Jésus les regarde. Son regard sur leurs blessures correspond au regard du prêtre qui doit constater la guérison. Chez saint Luc, comme chez saint Jean, le regard de Jésus est un regard pénétrant jusqu’au plus profond des cœurs, et qui agit. C’est par son regard que Jésus a guéri les lépreux. Obéissant à sa parole, les lépreux se rendent au Temple pour accomplir le rituel et, ce faisant, ils obéissent à la Loi : la Parole de Jésus, c’est la Loi. Aussi, celui qui revient, continue d’appliquer la Loi : il vient voir le « prêtre Jésus ». Et c’est bien en tant que prêtre que Jésus peut lui dire : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé. » À la différence près que Jésus n’est pas tant un prêtre du Temple qui exprime la grâce de Dieu pour redonner une vie sociale à un homme, mais il est le seul véritable prêtre qui donne directement la grâce de Dieu en plénitude : celle du don de la vie éternelle.
Pour les témoins de cette rencontre et les auditeurs de saint Luc, Jésus n’est donc pas tant un guérisseur ni un messie de circonstance, un prophète comme autrefois, mais il est le seul véritable prêtre et il est Dieu. Par lui, tout homme, fut-il lépreux et samaritain, rebut de la société, peut trouver guérison, pardon, réhabilitation, et mieux encore : le salut, la vie éternelle.
 
Pour nous, les leçons de cet évangile sont toujours valables. Jésus, par son Esprit et dans son Église est toujours présent et il ne cesse d’agir. Il continue d’entendre la prière des désespérés ; il continue de vouloir les relever et de les appeler à la conversion par l’écoute de sa Parole ; il continue d’agir, de réconcilier et de donner la vie éternelle par ses sacrements. N’est-ce pas pour en vivre, dans l’action de grâce, que nous sommes venus ici nous présenter devant lui, ce matin ? 

dimanche 5 octobre 2025

05 octobre 2025 - VOLON - 27ème dimanche TO - Année C

Ha 1,2-3 ; 2,2-4 ; Ps 94 ; 2 Tm 1,6-8.13-14 ; Lc 17, 5-10
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous poursuivons notre lecture de l’Évangile selon saint Luc. Aujourd’hui, nous avons deux enseignements. Le premier concerne la foi ; le second concerne la récompense que le Seigneur donnera au ciel à ses bons et fidèles serviteurs.
 
« Augmente en nous la foi ! » demandent les disciples à Jésus. En effet, ils sont bien conscients que sans la puissance de l’Esprit Saint que donne Jésus pour encourager, augmenter leur foi, il est impossible d’être chrétien intensément – d’être des saints - et de l’être continuellement, durant toute sa vie, jusqu’à ce que le Seigneur vienne. Mais Jésus leur répond qu’ils n’ont même pas la foi grosse « comme une graine de moutarde ». En syriaque classique le mot employé désigne aussi un atome ! Jésus dit donc à ses disciples qu’ils n’ont même pas un atome de foi, et qu’il en suffirait d’un seul pour déraciner un mûrier – un arbre bien résistant – pour qu’il aille se planter tout seul dans la mer !
On en conclut qu’on ne gagne pas le royaume des cieux de notre propre chef, par nous-mêmes, même avec l’aide de la grâce de Dieu. Mais c’est la grâce de Dieu, donnée par Dieu, qui nous ouvre les portes du royaume : nous n’y sommes pour rien. Il nous revient en revanche de nous préparer à recevoir cette grâce, à tout faire pour bien la recevoir, et à rendre grâce à Dieu pour le don qu’il nous fait – et de la foi, et du royaume, quand l’heure viendra.
 
Ce n’est donc pas pour rien que saint Luc a ajouté un second enseignement à la suite du premier. On ne le trouve que dans cet Évangile. Jésus y représente ses disciples comme des maîtres ayant chacun un serviteur, attaché au labourage et au pâturage. Il leur pose trois questions : est-ce qu’à la fin de la journée, vous le ferez passer directement à table ? Évidemment non, puisque c’est lui qui doit préparer le repas. C’est d’ailleurs le sens de la seconde question : est-ce qu’il ne doit pas d’abord préparer le repas, se mettre en tenue de service, le temps que le maître dîne, et ensuite seulement il pourra en profiter ? Bien sûr que oui, c’est dans l’ordre des choses. Et troisième question : est-ce que le maître va accorder à son serviteur une reconnaissance particulière pour le service habituel qu’il doit lui rendre ? Bien sûr que non ; pourquoi le maître donnerait-il une gratification spéciale pour un service normal ?
Donc, conclut Jésus, puisque vous êtes, vous aussi, des serviteurs, des serviteurs de Dieu, lorsque le temps sera écoulé, au jour du jugement, vous devrez conserver l’humilité qui sied à des serviteurs : « Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir. » Et paf ! le prédicateur moyen en tire la conclusion que les disciples sont appelés à une humilité sommes-toutes assez servile... Pour la forme, dans la nouvelle version liturgique, on a remplacé le « nous sommes des serviteurs inutiles » par « nous sommes de simples serviteurs »… c’est moins difficile à digérer pour notre ego.
 
Oui, mais ce n’est pas ainsi qu’il faut comprendre l’enseignement de Jésus. Le serviteur qui laboure et qui garde les bêtes, c’est bien le prophète de l’Évangile qui arpente la terre jusqu’au bout du monde pour y semer la Parole de Dieu ; et c’est bien le bon pasteur, gardien du troupeau de l’Église. Et que dira le Seigneur quand il viendra à son fidèle serviteur qu’il trouvera occupé à son travail : « Heureux ces serviteurs-là que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller. Amen, je vous le dis : c’est lui qui, la ceinture autour des reins, les fera prendre place à table et passera pour les servir. » Dans le monde des hommes, jamais le maître ne fera passer son serviteur à table avant ou en même temps que lui ; mais pas dans le monde de Jésus. Oui : les serviteurs de Dieu sont déjà invités et attendus pour le repas, à la table de Dieu.
Nous avons également dans cette déclaration de Jésus la réponse à la seconde question : le serviteur n’aura pas à se mettre en tenue de service, car le service sera fait par le Seigneur lui-même. Il est intéressant ici d’observer que la première question concerne le service de l’humanité : labourage et pâturage ; annoncer l’Évangile et nourrir la foi des fidèles. Et la seconde question concerne le service de Dieu lui-même : préparer un dîner, c’est préparer une offrande ; l’offrande de la prière. Se mettre en tenue de service, c’est s’habiller comme un prêtre pour la prière et faire l’offrande au Seigneur. Alors le Seigneur « mange et boit » ; il reçoit l’offrande – et si l’offrande est agréée, le serviteur peut y communier. C’est dans l’ordre des choses. Mais dans le monde de Dieu, dans le Ciel, le repas nous attend : il est déjà prêt ; et c’est le Seigneur lui-même qui nous prie d’y participer. Voyez à quel point la parabole de Jésus est impressionnante, quand on la lit avec les yeux de la foi !
Et dernière question : le Seigneur sera-t-il reconnaissant à son serviteur pour l’exécution de ses ordres ? Oui, Jésus l’a dit : « Je ne vous appelle plus serviteurs, mais amis. » Voilà comment Jésus considère ses disciples : oui, il leur demande de labourer toute la terre et de faire paître le troupeau du Seigneur sur de bons pâturages. Mais la récompense est au-delà de ce qu’ils peuvent imaginer : elle est communion au repas des noces, au titre d’invités et d’amis du roi.
C’est alors que l’on comprend dans quel état d’esprit le disciple peut répondre dans une véritable humilité au don infini, immérité, qui lui est fait : « mais… Seigneur… nous ne sommes que de simples serviteurs… nous n’avons fait que notre devoir… » C’est ce que nous disons, à chaque messe : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri. »

dimanche 28 septembre 2025

27-28 septembre 2025 - MONTAGNEY - CHAMPLITTE - 26ème dimanche TO - Année C

Am 6,1a.4-7 ; Ps 145 ; 1Tm 6,11-16 ; Lc 16, 19-31
 
Chers frères et sœurs,
 
Une parabole est comme une noix. Si on en reste à l’extérieur, on se casse les dents sur sa dureté et on manque la douceur nourrissante qui est à l’intérieur. En rester à l’extérieur, c’est juger sans appel que les méchants riches égoïstes sont destinés à l’enfer éternel, tandis que les gentils pauvres sont élevés par les anges au Paradis. Certains discutent pour savoir si le sein d’Abraham se situe encore au royaume des morts dans l’attente du Jugement dernier, ou bien s’il s’agit déjà du Paradis. Mais dans les deux cas, il n’y a aucune solution pour le riche, qui est définitivement condamné. On peut s’interroger ici : est-ce que le Verbe de Dieu, Jésus, s’est fait chair, est mort sur une croix et ressuscité, pour seulement rappeler aux hommes un enseignement déjà bien connu depuis le temps de la Loi et des prophètes (ce qu’il rappelle d’ailleurs dans sa parabole), à savoir, comme le dit fort bien le Seigneur par la bouche de son prophète Amos, que « la bande des vautrés n’existera plus ! » ? On peut aussi se demander si cette parabole se trouve bien dans l’évangile selon saint Luc, qu’on appelle aussi souvent l’« évangile de la miséricorde ». Ici, il n’y en a pas beaucoup pour le riche… n’est-ce pas ? Et pourtant, cette parabole ne se trouve que dans saint Luc ! Alors ?
 
Il faut casser la noix pour y trouver le bon fruit. Posons-nous la question : qui est l’homme riche ? Et qui est Lazare ? L’homme riche est « vêtu de pourpre et de lin fin » ; il « faisait chaque jour des festins somptueux ». Il n’y a aucun doute que c’est un Grand prêtre du Temple, qui vit grassement des offrandes qu’on y fait. Il est logique, dans la parabole, que cet homme et ses frères sadducéens, n’écoutent pas Moïse et les prophètes : les sadducéens ne reconnaissent que Moïse, c’est-à-dire la Torah. Mais ils ne reconnaissent pas les prophètes. Or Jésus insiste sur les deux. Les sadducéens ne croient pas non plus à la résurrection. Jésus le dit : « Quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne croiront pas ! » Dans sa parabole, Jésus vise donc particulièrement le Grand prêtre, les saducéens – et non pas un « homme riche » en particulier.
Maintenant, qui est Lazare ? Observons tout d’abord que dans tout le Nouveau Testament, hormis dans notre parabole, la seule fois qu’il est question d’un Lazare, c’est dans l’évangile de Jean : il s’agit de Lazare de Béthanie, qui était malade, qui est mort, que Jésus a ressuscité, et que les saducéens, justement, voulaient tuer, avec Jésus, parce qu’ils étaient devenus trop gênants. On se souviendra que Lazare avait deux sœurs, Marthe et Marie, et que Marie, grande pécheresse, avait versé du parfum sur les pieds de Jésus, annonçant les soins que son corps recevrait lors de sa mise au tombeau. Dans la parabole, Lazare est méprisé comme Jésus sera méprisé en sa passion. Ses ulcères sont des plaies brûlantes ; la souffrance qu’elles provoquent n’est apaisée que par le léchage des chiens. Comprenez ici l’allusion terrifiante de Jésus… C’est bien ainsi que Marie de Béthanie était considérée par les sadducéens et les pharisiens : « Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est : une pécheresse. » À sa mort, Lazare est porté par les anges non pas « auprès » d’Abraham, mais « dans son sein », c’est-à-dire qu’en position couchée pour un repas, il est placé à sa droite. Jésus est élevé à la droite du Père. Là, il y a de l’eau – cette eau rafraîchissante dont voudrait bien bénéficier l’homme riche en enfer – eau qui n’est autre que celle de l’Esprit Saint.
 
Donc, sous la figure du Lazare de la parabole, Jésus parle de lui-même. Il apparaît absolument rejeté par le Grand prêtre, tandis que les pécheurs prennent soin de lui. Lorsque la mort fait son œuvre, la situation s’inverse comme dans un miroir. Tout d’abord le Grand prêtre est en proie à la torture de la fournaise. Ce feu est celui du Buisson ardent dans l’Exode et celui de l’amour dans le Cantique des cantiques. Il provoque le regret : l’homme est brûlé par la culpabilité, le remord. C’est pourquoi il demande à Abraham que Lazare accomplisse la seule chose qui puisse le sauver : le geste du pardon. Car tremper « le doigt dans l’eau pour lui rafraîchir la langue » est un geste rituel de prêtre. On s’aperçoit alors que dans la parabole, le véritable Grand prêtre qui peut pardonner les péchés, donner l’eau de la vie éternelle, n’est pas l’homme riche mais le pauvre Lazare, Jésus lui-même. Si le Grand prêtre avait réellement mis en pratique la Loi de Moïse et le rituel du pardon, que lui-même célébrait au Temple, il aurait donné une part de l’offrande au pauvre Lazare, pour qu’il vive sur terre. Mais, en refusant ce geste, par hypocrisie, orgueil, avarice ou paresse, le Grand prêtre s’est condamné lui-même. N'ayant pas fait miséricorde sur terre, il s’en est privé au ciel. Nous retrouvons ici en miroir la prière que Jésus nous a enseignée : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. » Au puits de Jacob, la Samaritaine pécheresse a donné un peu d’eau à Jésus assoiffé ; en récompense le Seigneur lui a promis qu’elle recevrait l’eau vive, en abondance.
 
Il est quand même incroyable que l’homme qui, sur terre, était chargé d’accomplir le saint rituel du Pardon pour le peuple, pour qu’il vive, ne le pratiquait pas personnellement dans sa vie courante, au risque d’abandonner son prochain à la mort... Voilà ce que reprochait Jésus au Grand prêtre, aux sadducéens. Ils en sont  d’autant plus sévèrement condamnés, par eux-mêmes ! En revanche, dit la parabole, tout homme qui pose un petit geste de vie ici-bas, par son aumône, par son pardon, par sa bonté, par son humilité, s’inscrit dans la figure de Lazare, ou dans le corps de Jésus, pour y accomplir en son nom le véritable pardon, celui qui donne à l’homme – fût-il un grand pécheur ici-bas – la vie éternelle. Dieu ne veut pas que l’homme meure, mais qu’il vive. À tous, il veut faire miséricorde.

dimanche 14 septembre 2025

14 septembre 2025 - GRAY - La Croix glorieuse - Année C

 Nb 21, 4b-9 ; Ps 77 ; Ph 2, 6-11 ; Jn 3, 13-17
 
Chers frères et sœurs,
 
Nicodème, comme le dit saint Jean au début de son récit, est un pharisien et un notable parmi les Juifs. Il est membre du Sanhédrin, qui est en même temps une sorte d’Assemblée nationale et de Conseil constitutionnel des Judéens. Là, il défendra courageusement le droit de Jésus à se défendre à son procès. Il est aussi une des trois plus grosses fortunes de Jérusalem. C’est lui qui finance le mélange de 45 kilos de myrrhe et d’aloès pour la mise au tombeau de Jésus ; des funérailles de roi. Donc la rencontre entre Jésus et Nicodème est de la plus haute importance, et on aurait tort de penser que leur échange concerne des banalités. Ils vont à l’essentiel : ce qu’il en est de Dieu et du salut de l’homme.
Nicodème cherche à comprendre le message de Jésus, dont il sait déjà qu’il est prophète. Jésus lui répond que pour voir le royaume de Dieu – c’est-à-dire y entrer, y participer –, il faut naître d’en haut, de l’eau et de l’Esprit. Nicodème demande alors comment naître du souffle de l’Esprit ? On entend la même question dans la bouche de la Bienheureuse Vierge Marie quand l’ange Gabriel lui annonce qu’elle va concevoir et enfanter un fils : « Comment cela peut-il se faire ? » Jésus reproche alors à Nicodème – qui est un maître en Israël – de ne pas connaître « ces choses-là », et il lui répond qu’il est nécessaire de croire en sa parole. Parce que lui, Jésus – qui est descendu du Ciel – parle de ce qu’il connaît et il témoigne de ce qu’il a vu – c’est-à-dire de la réalité du Royaume des cieux. Donc Jésus dit que, pour naître du souffle de l’Esprit et voir le Royaume, il faut d’abord croire en lui, en son enseignement et en son témoignage, c’est-à-dire toute sa vie, c’est-à-dire l’Évangile.
 
À ce moment, nous retrouvons le passage que nous avons entendu aujourd’hui, dont nous ne savons pas très bien, en réalité, si les paroles sont prononcées par Jésus à l’attention de Nicodème, où s’il s’agit d’un commentaire de saint Jean à l’attention de ses lecteurs. Mais l’argument central est le même : la foi en Jésus mort sur la croix pour le salut des hommes, et ressuscité, est la clé du don de Dieu : du souffle de l’Esprit, de la vie éternelle. Saint Jean donne un premier argument, tiré du livre des Nombres, que nous avons entendu en première lecture : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert – pour sauver le peuple mordu par les serpents, c’est-à-dire les démons ou les péchés – ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé. » Dieu, donc, sauve les hommes pécheurs et leur accorde la vie par la croix de Jésus.
Mais ce faisant, Dieu a sacrifié son fils, son unique – dit l’évangile. Deuxième argument. La référence au sacrifice d’Isaac, dans le livre de la Genèse, est évidente : « Dieu dit : « Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac, va au pays de Moriah, et là tu l’offriras en holocauste sur la montagne que je t’indiquerai. » Nous savons qu’Isaac sera sauvé par l’ange du Seigneur au moment ultime, et qu’il sera remplacé par un bélier. Par la suite, le sacrifice au Temple pour le pardon des péchés était celui d’un agneau, l’agneau pascal, en substitution du sacrifice des premiers-nés en Égypte. Mais avec Jésus, la situation est inversée : c’est Dieu lui-même qui autorise le sacrifice de son fils, son unique, un premier-né, comme véritable Agneau pascal, une fois pour toutes et pour un pardon véritable de tous les hommes – pour que quiconque croit en lui ait la vie éternelle et que par lui le monde soit sauvé.
 
Nicodème, et nous-mêmes avec lui, qui sommes versés dans les Écritures et la foi d’Israël, sommes placés au cœur de la mission de Jésus : donner sa vie pour la multitude, pour que tout homme qui a foi en lui – y compris ceux qui dorment au fond des enfers, comme dit saint Paul – puisse recevoir le don de Dieu, la vie éternelle, et voir le Royaume des cieux. La croix est donc comme une porte entre le monde présent et le royaume des cieux. Vu d’en bas, d’un point de vue matérialiste, c’est un instrument de supplice, un obstacle. Mais vu d’en haut, avec la foi, c’est un passage, le passage : la porte étroite – la seule porte – qui conduit à la vraie liberté et à la vraie vie. Il n’y en a pas d’autres. Et c’est Jésus qui l’a ouverte pour nous. C’est pourquoi, pour un chrétien, la croix est une croix glorieuse. Parce que, par elle, la lumière du ciel illumine les ténèbres de toute la terre et même des enfers.
Il reste un dernier point important pour finir. La traduction est ambiguë : on a l’impression qu’il y a pour l’homme un délai entre sa confession de foi en Jésus et l’obtention de la vie éternelle. Dans l’araméen ou l’hébreu, le verbe avoir n’existe pas. Cela signifie que pour l’homme qui croit en Jésus, la vie éternelle est à lui. C’est immédiat, il n’y a pas de délai. L’homme qui a foi en Jésus mort et ressuscité vit déjà maintenant du Don de Dieu, de la vie éternelle, et il voit le Royaume des cieux. Cela paraît étonnant ? Mais non, il faut comprendre que la réalité du Royaume n’est pas contrainte par notre espace-temps. On peut distinguer dans le temps des étapes : le sacrifice d’Isaac, le serpent de bronze, la Pâque en Égypte, les sacrifices du Temple, la crucifixion de Jésus, mon baptême, ma mort, avant mon entrée dans la vie éternelle, avec la grâce de Dieu ! Mais dans la réalité du Royaume éternel, c’est un seul instant, un flash, où par la foi en Jésus qui s’est donné pour nous, enfin libérés du péché et de la mort, nous entrons à jamais dans la communion d’amour de Dieu, avec tous les saints. Comprenez, frères et Sœurs : par la foi en Jésus mort pour nous et ressuscité, la vie éternelle nous est donnée, maintenant. Tel est le sens de la fête de la croix glorieuse.

dimanche 31 août 2025

30-31 août 2025 - COURTESOULT - GRAY - 22ème dimanche TO - Année C

 Si 3, 17-18.20.28-29 ; Ps 67 ; He 12, 18-19.22-24a ; Lc 14, 1.7-14
 
Chers frères et sœurs,
 
Dieu s’est-il fait homme, est-il mort sur la croix et ressuscité, pour apprendre aux hommes des leçons de savoir-vivre élémentaires ? D’une certaine façon, oui, s’il s’agit du savoir-vivre de la Vie éternelle. Jésus semble profiter d’une situation assez ridicule pour rappeler à ses disciples – ceux qui écoutent l’évangile – que le commandement du service mutuel et celui de l’attention aux pauvres sont des signes du Royaume qui vient. Une telle écoute a pu donner la figure de saint Martin, par exemple, qui refusait absolument de s’asseoir tant sur un trône épiscopal dans sa cathédrale, que dans un fauteuil au cours d’une réunion officielle : il fallait toujours qu’on lui apporte un tabouret ! Les premiers chrétiens étaient très attachés à cette dimension morale de l’évangile, toute faite de service généreux et d’humilité, qui les distinguait des païens en les impressionnant, et leur permettait ainsi de faire rayonner l’Évangile.
 
Cependant, l’affaire du repas de Jésus avec les pharisiens prend une autre dimension quand on s’attache à lire le texte précisément. Jésus n’est pas entré chez un pharisien pour y prendre un repas comme on entre dans une brasserie pour y prendre un sandwich. Il a été invité par le pharisien : Jésus est l’invité d’honneur, ce pour quoi il se permet de donner un enseignement ; et le pharisien a également invité des collègues. Cependant, la situation est extrêmement tendue. Il est dit que les pharisiens « observaient » Jésus ; il faut comprendre qu’ils l’épiaient, le surveillaient, attendant qu’il fasse le moindre faux-pas pour lui tomber dessus.
Justement, nous sommes un samedi, un jour de sabbat, au cours duquel les activités sont réglementées par la Loi de Moïse. Or il se trouve qu’il y a dans la salle un homme malade d’hydropisie – cet épisode a été coupé dans notre lecture. Et Jésus va guérir cet homme, en présence des pharisiens pour lesquels l’exercice de cette activité pendant le sabbat est interdit par la Loi. Jésus leur rappelle alors ce principe que la défense de la vie, fut-elle celle d’un animal, prime sur tout autre précepte de la Loi en vertu du 5ème commandement : « Tu ne tueras pas. » Profitant du fait que les pharisiens sont décontenancés, il leur donne l’enseignement que nous avons entendu. Celui-ci semble être sans aucun rapport avec ce qu’il vient de se passer. Pourtant il s’en trouve un.
Pour comprendre, il faut aller directement à la citation du prophète Ézéchiel que cite Jésus : « Quiconque s’élève sera abaissé, et qui s’abaisse sera élevé. » Cette citation fait référence à un conflit entre Guédalia et Ismaël. Guédalia est le gouverneur nommé par Nabuchodonosor du petit reste d’Israël resté à Jérusalem après la chute du dernier roi de Juda, Sédécias, et la déportation à Babylone. Et Ismaël est un administrateur resté également en Judée, de sang royal. Évidemment, Ismaël ne rêve que de renverser Guédalia pour prendre sa place et restaurer la royauté en Israël. Or un jour Guédalia offre un repas à ses officiers, dont Ismaël, qui en profite pour l’assassiner. La fin de l’histoire est terrible parce que Ismaël est tué à son tour et le petit reste d’Israël resté jusqu’alors à Jérusalem doit s’enfuir en Égypte : il ne reste plus personne à Jérusalem. L’échec est total. Donc Jésus fait référence à cette histoire lorsqu’il évoque, au cours du repas avec les pharisiens qui en veulent à sa vie, la question des invités malséants et celle du souci des pauvres.
 
Aux pharisiens qui sont invités comme lui, il leur rappelle que Ismaël était lui aussi un invité, mais que son désir de prendre la première place en tuant Guédalia qui l’occupait, s’est soldé par la perte de sa propre vie. Plus finement, Jésus leur rappelle qu’on ne s’attribue pas à soi-même une promotion, mais que celle-ci doit venir de l’autorité supérieure. Et il y a plus de chance de la recevoir quand on s’en montre un digne serviteur. Sans doute Nabuchodonosor qui avait déjà permis à Ismaël de demeurer à Jérusalem, quoique de sang royal, l’aurait grandi après Guédalia s’il s’en était montré digne – et la royauté de David aurait peut-être été rétablie. Mais par son orgueil Ismaël a perdu et la royauté, et la vie. Évidemment, dans l’esprit de Jésus, cette histoire n’est qu’un prétexte pour parler du Royaume des cieux : l’orgueil spirituel de ceux qui se croient des purs en matière religieuse au détriment de ceux qui ont reçu de la part du Seigneur une fonction qu’ils tâchent de remplir honorablement, risquent de perdre et leur couronne de sainteté, et la béatitude. Le message de l’auteur est donc le suivant : « fuyons l’orgueil ; attachons-nous à l’humilité ! »
 
Mais Jésus se tourne ensuite vers le pharisien qui a lancé l’invitation à tous. Il le met en garde contre ses confrères qui risquent de l’entraîner dans une voie sans issue, sinon dangereuse. Jésus l’invite à choisir l’attitude de Guédalia : celle de l’administration pleine de sagesse, de l’humble service du petit reste d’Israël : les pauvres, les estropiés, les boiteux, les aveugles ; tous ceux qui sont restés à Jérusalem parce qu’ils ne valaient rien pour Babylone. Et le choix de les protéger, surtout contre les zélotes orgueilleux qui veulent se lancer dans des aventures sans lendemains, est préférable que d’emboîter le pas à ces derniers. Le message est donc double ici. D’une part Jésus condamne la radicalité et met en garde contre les familiarités qui compromettent – ceci vaut pour le pharisien que Jésus semble apprécier pour lui avoir donné cette recommandation, mais aussi pour les Apôtres, et les chefs d’Églises. Et d’autre part, le choix doit toujours être fait de la protection des plus faibles, qui sont toujours le choix de Dieu. Pour nous en convaincre, écoutons donc la Sainte Vierge Marie dans le chant de son Magnificat : « Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom ! Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais. »

dimanche 24 août 2025

24 août 2025 - PESMES - 21ème dimanche TO - Année C

 Is 66, 18-21 ; Ps 116 ; He 12, 5-7.11-13 ; Lc 13,22-30
 
Chers frères et sœurs,
 
Qu’elle est magnifique cette prophétie d’Isaïe ! Par sa bouche notre Seigneur annonce qu’il va « rassembler toutes les nations » – ce rassemblement, c’est l’Église – et qu’elles « verront sa gloire », la gloire de sa résurrection. Il mettra chez elles « un signe », le signe de la croix, celui du baptême. Du milieu d’elles, il enverra des « rescapés » – c’est-à-dire les baptisés devenus missionnaires – pour les envoyer « vers les nations les plus éloignées ». « Ma gloire, dit-il, ces rescapés l’annonceront parmi les nations. Et de toutes les nations, ils ramèneront tous vos frères. » Ainsi de toute l’humanité, tous ceux qui ont entendu et vu la gloire du Seigneur, qui sont marqués du signe du salut, ont pour vocation d’être rassemblés en un seul peuple, l’Église.
La suite n’est pas moins importante. Ce rassemblement se fait sur la montagne sainte du Seigneur, Jérusalem. Les baptisés y seront portés comme des offrandes, dans des vases purs, à la Maison, c’est-à-dire au Temple du Seigneur. Nous retrouvons ici cette parole que nous disons dans la prière eucharistique :  « Que l’Esprit Saint fasse de nous une éternelle offrande à ta gloire, pour que nous obtenions un jour l’héritage promis, avec tes élus. » Comprenons que la vie des baptisés est une vie offerte à Dieu en sacrifice d’action de grâce – une vie eucharistique – qui leur donne accès à la communion des saints. Telle est la vie chrétienne : une vie d’offrande. Cela a permis à l’évêque saint Augustin de dire un jour à ses fidèles en parlant de la communion : « Devenez ce que vous recevez. »
 
Nous ne devons pas oublier cette prophétie lorsque nous réfléchissons aux paroles de Jésus, dans l’évangile. Aujourd’hui un homme l’interroge : « Seigneur, n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? » À cette question Jésus ne donne pas de réponse : d’une part, seul son Père sait ce qu’il en est du jugement ; lui Jésus, vient pour sauver. D’autre part, la réponse dépend aussi en grande partie de chaque homme pour lui-même. Et c’est ce que Jésus explique.
Il évoque d’abord brièvement trois situations qui correspondent aussi à trois enseignements qu’on trouve à différents endroits de l’évangile de saint Matthieu. Premièrement : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite. » On devrait lire « Luttez pour entrer par la porte étroite », car saint Luc emploie ce même verbe pour l’agonie de Jésus. La lutte dont il s’agit n’est pas une épreuve de force, de pouvoir ou de puissance, mais tout l’inverse : d’humilité et de dépouillement. Deuxièmement, cette lutte est temporaire : il y a un terme. Le temps sera compté lorsque « le maître de la maison se sera levé pour fermer la porte ». Pour la génération qui écoute Jésus, le temps est écoulé lorsque Jésus ressuscite. Mais pour toute l’humanité, le temps sera écoulé lorsqu’il se manifestera à la fin des temps. Alors il sera trop tard pour se convertir : on aura été flashés dans l’état où nous serons à cet instant. Il s’agit donc de se trouver prêt à toute heure : que ce soit pour nous une habitude permanente d’attendre la venue du Seigneur. Et troisièmement, si on a été flashé, on aura beau essayer de faire valoir qu’on a croisé Jésus un jour au resto ou au supermarché, cela ne marchera pas. Plus sérieusement, Jésus vise ici les deux formes de culte de Dieu : les repas rituels – repas de communion avec Dieu – et l’écoute de la Loi, de la Parole de Dieu. Le culte comme tel ne constitue pas un passeport suffisant pour le ciel, surtout s’il n’est pour celui qui l’exerce qu’une formalité extérieure.
Car, pour finir, Jésus donne la clé de la bonne attitude, surtout pour le culte : « Éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l’injustice. » Il s’agit d’une citation directe du psaume 6, verset 9 : ils s’éloignent eux-mêmes de Dieu ceux qui, par leurs actes, ne mettent pas la Loi en pratique. Ce que Jésus exige donc comme passeport pour le ciel, pour être veilleur, pour passer la porte étroite, c'est la pratique de la Loi : l’amour de Dieu de toute son âme, de tout son cœur et de toute sa force, et l’amour du prochain comme soi-même. Il faut que cet amour soit pour nous une vertu intérieure et pratiquée de manière permanente. Elle se demande dans la prière.
La seconde partie de la réponse de Jésus semble concerner en priorité les Juifs, qui sont menacés, s’ils n’entrent pas réellement dans le commandement de l’amour, soit d’être séparés de leurs pères, les patriarches et les prophètes déjà entrés dans le Royaume de Dieu, soit d’y être doublés par les païens convertis – ceux dont parlait la prophétie d’Isaïe – qui seront rassemblés de toutes les nations à Jérusalem, à la Maison du Seigneur. La mention « et que vous-mêmes, vous serez jetés dehors » n’est pas dans tous les manuscrits ; elle provient peut-être d’un traducteur chrétien un peu trop zélé. Jésus ne dit pas que les Juifs sont exclus du Royaume, mais qu’en n’observant pas l’esprit de la Loi, ils perdent leur droit d’aînesse en quelque sorte : de premiers, ils deviennent derniers – ce qui ne veut pas dire qu’ils soient exclus. Cependant, soyons nous-mêmes bien conscients que Jésus ici ne parle pas seulement à l’homme qui l’a interrogé ou aux Juifs en général, mais à tous, y compris ses disciples, c’est-à-dire aussi à nous. Son enseignement vaut pour tous. Si notre baptême et nos célébrations eucharistiques, les sacrements que nous célébrons, ne sont que des rituels extérieurs, sans vie spirituelle intérieure selon l’amour de Dieu et du prochain ; si nous ne veillons pas en tout temps ; si nous ne vivons pas humbles et pauvres, alors nous serons certainement relégués en troisième division.
Jésus nous appelle aujourd’hui à faire mieux. Ensemble, par la force de son Esprit Saint, nous pouvons faire mieux – pour qu’à la fin nous entrions dans sa joie.  

mardi 19 août 2025

17 août 2025 - GRAY - 20ème dimanche TO - Année C

Jr 38, 4-6.8-10 ; Ps 39 ; He 12, 1-4 ; Lc 12, 49-53
 
Chers frères et sœurs,
 
Le choix des lectures de ce dimanche nous conduit à penser qu’être porteurs de la Parole de Dieu – que ce soit comme prophète ou comme Messie, et donc aussi comme chrétien – n’est pas sans danger… Jérémie se retrouve au fond du puits, enfoncé dans la boue, et Jésus est cloué en croix, voué à la mort. On nous fait entendre dans le psaume la supplication du juste dans l’épreuve et, dans l’Évangile, l’angoisse de Jésus à l’approche de son baptême – de sa passion. Le rédacteur de l’Épître aux Hébreux – c’est-à-dire les chrétiens d’origine juive – les invites à courir « avec endurance l’épreuve qui nous est proposée » ; il parle des persécutions.
Cependant, contrairement à ce que nous pourrions croire, ces lectures ne nous ont pas été proposées pour alimenter notre désespoir, mais elles nous rappellent la fidélité et la bonté de Dieu en toutes circonstances, pour que soient renforcées notre foi et notre espérance, en vue de la joie. Pour mieux comprendre cela, lisons attentivement l’Évangile selon saint Luc.
 
« Je suis venu apporter un feu. » Quand Jésus parle ici de feu, il ne parle ni des feux de forêt, ni du feu de l’enfer. Il parle du Saint-Esprit. Ce feu est celui que vit Moïse au buisson ardent : feu qui illumine le buisson sans le détruire pour signaler la Présence de Dieu. C’est le même feu qui, porté par le chandelier à sept branches, illumine le sanctuaire du Temple, que nous avons nous aussi dans l’église : ce sont les bougies qui clairent sur l’autel. Ce feu est aussi celui dont les disciples ont parlé : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant en chemin, tandis qu’il nous ouvrait les Écritures ? » Car, pour un araméen, c’est le même mot « nour » qui signifie le feu, et la passion de l’amour. Voilà le feu dont parle Jésus, qu’il est si impatient de voir allumé en nous : celui de l’amour de Dieu, le don de l’Esprit Saint.
 
Quand Jésus dit cela, il le dit en tant que Dieu : « Je suis venu apporter un feu sur la terre. » Mais quand il ajoute : « Je dois recevoir un baptême », il le dit en tant qu’homme. En fait, il répond à la promesse du feu d’amour divin par le cri de l’homme qui espère : « Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli. » Oui, nous sommes pressés et anxieux dans l’attente du baptême dans l’Esprit et le feu, par lequel nous accomplirons enfin totalement notre vocation à la communion d’amour, pour l’éternité. Jésus n’a pas peur du baptême pour lui-même, mais il est tendu dans l’attente de ce moment, comme des parents au moment d’une naissance, par exemple.
Voyez ce mouvement extraordinaire : en tant que Dieu Jésus dit qu’il est venu apporter un feu d’amour, et en tant qu’homme il répond qu’il est dans l’attente de cet accomplissement. Saint Irénée le disait si bien : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu. »
 
Maintenant, dit Jésus : « Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? » Ici il y a un petit piège, difficile à identifier si on ne sait pas. En araméen, il y a deux mots pour dire paix : « shyna », qui veut dire « terre cultivée », « tranquillité », prospérité » ; et « shelma », qui a donné « Shalom » ou « Jérusalem », qui est une paix intérieure profonde, une paix qui vient de Dieu. L’araméen fait donc la différence entre la paix humaine, la vie paisible sur la terre, et la paix qui vient de Dieu, une paix profonde. Or le grec ne connaît qu’un seul mot pour dire « paix » : « Eirenè », qui a donné les prénoms Irénée et Irène. Du coup, de quelle paix parle ici Jésus ? Non, il n’est pas venu apporter la paix humaine, la tranquillité et la prospérité de celui qui veut accumuler du blé dans ses greniers, mais oui, il est venu apporter la paix profonde de Dieu. C’est d’ailleurs le feu dont il vient juste de parler.
 
Par conséquent, on comprend mieux la suite : le feu d’amour – celui de la Pentecôte, le don de l’Esprit Saint, ne vient pas apporter une tranquillité humaine, une vie pépère, mais il a deux conséquences pour nous. D’un point de vue pratique, il va créer des divisions entre ceux qui ont la foi et ceux qui ne l’ont pas. Et d’un point de vue spirituel, il va purifier en nous ce qui est conforme à l’homme nouveau et brûler ce qui est de l’homme ancien. « Cinq personnes de la même famille », ce sont des gens qui vivent ensemble mais qui – du fait de la foi – ne vivent plus sur la même longueur d’onde ; et ce sont aussi nos dispositions intérieures, en chacun d’entre nous, qui se divisent lorsque nous sommes déjà attirés par la lumière de Dieu, mais encore tentés par les ténèbres, par les séductions diverses. Alors qu’avant nous ne le savions pas, et nous vivions entièrement dans les ténèbres, dans une fausse unanimité d’esprit en raison de notre aveuglement, la venue du feu d’amour nous révèle notre état réel de pécheur et en même temps nous attire vers la gloire lumineuse.
 
C’est ainsi, chers frères et sœurs, que lors de sa venue l’Esprit Saint sera comme un feu : il divisera les choses de ce monde, brûlera ce qui est péché et illuminera ce qui est justice, en donnant sa paix profonde. Nous pouvons être habités par la crainte devant les épreuves – Jésus est passé par là lui aussi –, mais nous devons être entraînés par l’impatience avec laquelle Dieu veut que nous soyons réconfortés. Derrière le feu, l’Esprit Saint se fait rosée.
  

vendredi 15 août 2025

15 août 2025 - BEAUJEU - Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie - Année C

Ap 11, 19a ; 12, 1-6a.10ab ; Ps 44 ; 1 Co 15, 20-27a ; Lc 1, 39-56
 
Chers frères et sœurs,
 
L’Apocalypse de saint Jean est un texte curieux, rempli d’images et de symboles. Pour une grande partie des gens, il annonce l’avenir de manière prophétique. Mais en réalité, il est plutôt un moyen crypté, compréhensible pour les chrétiens, incompréhensible pour les autres, pour évoquer et comprendre les difficultés, c’est-à-dire les persécutions du temps présent, à l’époque où vivait saint Jean.
 
Notre lecture commence de manière assez grandiose par l’ouverture du sanctuaire de Dieu, qui est dans le ciel, avec l’apparition de l’Arche d’Alliance. Nous devons savoir tout d’abord, que pour saint Jean la réalité est composée de la Terre – l’univers dans lequel nous vivons – et du Ciel, qui est le domaine de Dieu. Le temple de Jérusalem, comme toute église traditionnelle,  a été configuré selon cette distinction. Dans la première partie, la terre, se trouvent habituellement les prêtres, le grand candélabre, l’encens et les offrandes de pain. Derrière le rideau, dans la seconde partie appelée « Saint des Saints », le ciel, se trouve l’Arche d’Alliance qui contient les Tables de la Loi et sur laquelle repose la Présence de Dieu. Dans cette deuxième partie, seul le Grand Prêtre peut rentrer une fois par an pour la prière du Grand Pardon.
 
Justement, la vision de saint Jean, qui est un homme de la terre, n’est possible que par l’ouverture du rideau qui lui permet d’apercevoir l’Arche qui se trouve dans le sanctuaire du ciel. Cette ouverture ne se fait pas par hasard, mais sur la prière de louange des vingt-quatre anciens qui se trouvent devant le trône de Dieu, qui sont les vingt-quatre prophètes de l’Ancien Testament, en comptant parmi eux saint Jean-Baptiste. Ils rendent gloire à Dieu parce qu’il a décidé que l’heure de la Rédemption de l’humanité – l’heure de Jésus – était venue. Ces vingt-quatre anciens agissent donc comme des prêtres.
Ils voient donc, et saint Jean avec eux, l’Arche d’Alliance. Or saint Jean nous dit que cette Arche, c’est la bienheureuse Vierge Marie. De même que l’Arche qui se trouvait dans le Temple contenait les Tables de la Loi ; de même la Vierge Marie contient en son sein Jésus, la Parole de Dieu, source et accomplissement de la Loi. Sur l’Arche reposait la Présence de Dieu ; sur Marie repose l’Ombre de l’Esprit Saint, comme l’Ange Gabriel le lui a dit lors de l’Annonciation.
 
Nous voyons ensuite cette Vierge magnifique, comme était l’Arche d’Alliance, donner naissance à un enfant, qui est donc Jésus. C’est le mystère de Noël. Le Dragon qui veut dévorer l’enfant, humainement c’est Hérode, mais c’est surtout le Satan qui veut absolument empêcher Jésus de réussir sa mission.
Ce Dragon est fascinant : sur ses sept têtes se trouvent des diadèmes précieux. Ce sont les symboles de sa puissance. Le mal, de manière multiple, est puissant et attirant. Le dragon balaye le ciel et fait tomber le tiers des étoiles. Les étoiles sont les fils et les filles de Dieu. Chacun est libre de ses choix : être avec Jésus ou bien se soumettre, se livrer, aux puissances fascinantes du démon, et chuter.
Très vite saint Jean passe sur la vie de Jésus et même sur sa mort et sa résurrection. Il évoque seulement son Ascension au ciel : « L’enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son trône. » Ce que saint Jean veut nous enseigner, en effet, concerne plutôt ce qui se passe à ce moment et ensuite. Rappelons-nous ici, en passant, que seul celui qui peut entrer dans le sanctuaire du Temple est le Grand Prêtre, pour le rituel du Grand Pardon. Ainsi, lors de son Ascension au ciel, où il entre dans la gloire de Dieu, Jésus est le Grand Prêtre véritable.
 
Ici le texte de notre lecture est malheureusement coupé et, pour comprendre, il faut le lire en entier dans notre Bible. Nous apprenons alors que, pendant que la Femme – la Sainte Vierge Marie – s’enfuit au désert, le lieu où se réfugient habituellement les gens qui sont persécutés, il y a un immense combat dans le Ciel entre Saint Michel et le Dragon. Entre les anges et les démons. Mais le Satan est vaincu, c’est-à-dire que dans son Ascension au Ciel, accompagné de tous les anges, Jésus a vaincu non seulement le péché et la mort, mais surtout leur racine : le Diable et ses démons. Et c’est pourquoi, Jésus ayant rempli entièrement sa mission, on entend dans le ciel la voix forte qui proclame : « Maintenant, voici le salut, la puissance et le règne de notre Dieu, voici le pouvoir de son Christ. » Ce moment, c’est celui de la Pentecôte : le Démon est vaincu et l’Esprit Saint est répandu sur le monde. Ainsi le Grand Pardon est accordé par Dieu à Adam et à sa descendance, à toute l’humanité, à nous tous.
 
Mais que devient la Bienheureuse Vierge Marie ? Il faut continuer notre lecture dans la Bible. Le Dragon et ses démons, comme Adam autrefois, sont jetés hors du Ciel et chutent à leur tour sur la terre. Ils se lancent alors à la poursuite de la Femme. Saint Jean dit qu’elle est protégée par les ailes d’un grand aigle, c’est-à-dire par lui, comme Jésus le lui a demandé sur la croix. Et faute d’avoir pu la rattraper par ses puissances de mort, le Dragon et ses démons finissent par se retourner contre le reste des enfants de la Femme, c’est-à-dire contre les chrétiens, contre nous : « ceux qui obéissent aux ordres de Dieu et qui possèdent le témoignage de Jésus ». Ainsi s’expliquent les persécutions.
 
Voilà donc ce qui se trouve dans notre lecture de l’Apocalypse. Retenons que Marie est l’Arche d’Alliance qui contient la Parole de Dieu et sur qui repose l’Esprit du Seigneur. Retenons aussi que quand le Diable renonce à s’attaquer à elle, il se reporte sur nous. Mais qu’avons-nous à craindre ? Il a été vaincu par la prière de Jésus, par Saint Michel et ses anges, et jamais il n’a pu porter atteinte à la Vierge Marie. Si nous nous cachons dans le manteau de notre Reine du Ciel, nous ne craignons rien.

dimanche 10 août 2025

09-10 août 2025 - TINCEY - SOING - 19ème dimanche TO - Année C

 Sg 18, 6-9 ; Ps 32 ; He 11, 1-2.8-19 ; Lc 12, 32-48

Chers frères et sœurs,
 
Nous poursuivons notre lecture de l’évangile de Luc, où Jésus donne un enseignement sur la bonne manière de vivre en ce monde, dans l’attente de la vie future. Il préconise en premier lieu de se faire « un trésor inépuisable dans les cieux », en étant généreux en aumônes ici-bas. Non pas tant par le geste que par l’intention du cœur qui produit le geste. Cette intention manifeste autant un détachement des biens terrestres transitoires, qu’une générosité qui ne compte pas, comme Dieu donne toujours largement quand il fait grâce. Ainsi doit être l’homme généreux : bon comme Dieu est bon.
 
Cependant Jésus précise ensuite qu’un jour viendra à l’improviste, qui sera aussi un jour de jugement. Il invite pour cela son auditoire à veiller, à rester en tenue de service, la ceinture autour des reins, à garder sa lampe allumée, comme des serviteurs qui attendent leur maître à la fin des noces. Le jour où le Seigneur viendra, nous serons comme « flashés » dans l’état d’esprit et la disponibilité à servir où nous serons à ce moment-là. Autrement dit, il s’agit que l’état de veille et de service soit pour nous un état permanent, un mode de vie habituel, qu’on ne remet pas à demain, ou qu’on ne pratique pas seulement de 9h00 à 12h00 et de 14h00 à 18h00. L’homme que le Seigneur s’attend à trouver à son retour est un cœur qui l’attend dans une espérance vivante, en pratiquant humblement son service, à toute heure.
La surprise pour cet homme n’est pas tant qu’il aura à se mettre au service du Seigneur qui vient, mais plutôt que c’est le Seigneur lui-même qui le servira. Le maître de maison se fera lui-même le serviteur et il servira l’homme à sa table, pour un bon repas. Jésus veut dire ici que la récompense du juste dépasse toute attente ; elle est inimaginable pour un homme ; et sa part sera une communion de dignité avec son maître, une forme de divinisation : une participation au repas de Dieu. Pensons ici au moment où, dans l’Évangile de Jean, Jésus s’est lui-même ceint d’un linge pour laver les pieds de ses disciples : c’était lors du repas pascal, où pour la première fois il leur a partagé en communion son Corps et son Sang, la Vie divine.
 
Pierre s’interroge : si donc l’eucharistie, la communion des saints, est ouverte à tout homme juste tel qu’on vient de le décrire, qu’en sera-t-il pour un disciple ou un apôtre comme lui ? Aura-t-il une part supérieure, plus riche, plus importante ?
Peut-être que Jésus est surpris par la question ; il la reformule donc ainsi : « Que dire de l’intendant fidèle et sensé, à qui le maître confiera la charge de son personnel pour distribuer, en temps voulu, la ration de nourriture ? »
Nous avons déjà ici une définition de ce qu’est un apôtre tel que Pierre, un évêque : il est un intendant, à qui le personnel – c’est-à-dire tous les baptisés – est confié, pour lui distribuer la « ration de nourriture », c’est-à-dire la Parole de Dieu et les sacrements. Un évêque est un intendant : il n’est pas le Maître, mais il est au service du Maître en étant au service de ses serviteurs. Et tel est son service particulier, dans lequel Jésus s’attend à le trouver au moment de sa venue.
Cependant Jésus identifie la tentation terrible des serviteurs des serviteurs de Dieu : le découragement et l’abandon de l’espérance pour s’abîmer dans le relâchement et la dépravation. L’apôtre, ou l’évêque, a un devoir d’exemplarité d’autant plus qu’il connaît la Parole de Dieu : il sait quelle est la volonté du Maître. Sa responsabilité personnelle est donc d’autant plus importante en cas de faillite. « À qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage » dit Jésus. On peut prier ici pour nos évêques.
 
Remarquons ici que Jésus ne répond pas positivement à la question de Pierre. Il y répond négativement. A la question de savoir si l’apôtre où l’évêque recevra davantage dans le Royaume des cieux que le simple fidèle, Jésus répond à Pierre que ceux qui sont riches de la Parole de Dieu et des sacrements courent un bien plus grand risque d’être condamnés si ils perdent la foi, que celui qui mène une humble vie chrétienne en attendant la venue du Seigneur. Le critère du jugement n’est pas le degré d’ordination ou de la science de Dieu, mais la foi, l’espérance et la charité qui doivent habiter le cœur de tout homme aimé de Dieu.
On peut comprendre qu’il n’y a rien à gagner au ciel à être apôtre ou évêque sur la terre, sinon à prendre davantage de risques de ne pas pouvoir y entrer à cause de ses nombreux péchés ! Mais on sait aussi que les Apôtres sont appelés à siéger avec Jésus, sur Douze trônes pour y juger avec lui toutes les nations, c’est-à-dire à participer à sa royauté. Jésus y fait allusion, quand il dit, à propos de l'intendant: « Il l’établira sur tous ses biens. »   Il y aura donc une récompense particulière, une place particulière, mais qui ne dépend que de la fidélité de l’Apôtre d’une part, et de la grâce de Dieu d’autre part, car à la droite et à la gauche du Christ, les places sont réservées à ceux que le Père seul en aura jugé dignes. Et ce peut être n’importe qui ; même un larron !

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