lundi 21 avril 2025

20 avril 2024 - VALAY - Messe du Jour de Pâques - Année C

Ac 10,34a.37-43 ; Ps 117 ; 1Co 3,1-4 ; Jn 20,1-9
 
Chers frères et sœurs,
 
La résurrection, personne ne s’y attendait. Certainement pas les grands prêtres : vous savez bien que les saducéens ne croyaient pas à la résurrection des morts. Certainement pas non plus les romains ni les grecs présents à Jérusalem. Lorsque saint Paul évoquera ce sujet à Athènes, il ne s’y attirera que des moqueries. Et nous apprenons, dans l’évangile de saint Jean que les disciples non plus ne s’y attendaient pas : « en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts ». Au bout du compte personne ne s’attendait à la résurrection de Jésus : c’est une surprise totale. Et l’on comprend que plusieurs demeurent incrédules.
 
Saint Jean, l’évangéliste qui donne le plus de détails historiques authentiques, est le premier à comprendre ce qu’il se passe. Pour lui, il lui suffit de voir le linge « posé à plat » sur la table du tombeau où reposait Jésus. Cela l’a tellement frappé, qu’il reviendra par trois fois, dans le passage que nous avons lu, sur le fait que ce linge était « posé à plat ». Comme si le corps de Jésus s’était évanoui, et que le linge était retombé comme un soufflé. Que voulez-vous, chers frères et sœurs, il y a des détails qui ne s’inventent pas. Et quand saint Jean s’est retrouvé face à cette situation, il a compris immédiatement qu’il était arrivé au corps de Jésus quelque chose d’extraordinaire.
 
Nous avons du mal à imaginer ce qu’est la résurrection, surtout la résurrection d’un corps. On peut encore comprendre qu’une âme ressuscite, mais un corps ! Et pourtant c’est bien ce qui est arrivé à Jésus et à son corps de chair. Il est entièrement ressuscité. Ce que nous n’arrivons pas à comprendre, c’est qu’il s’agit d’une nouvelle étape dans la création de Dieu, quelque chose d’entièrement nouveau qui concerne l’âme, l’esprit et le corps. D’ailleurs, lors de ses apparitions Jésus a pu passer à travers une porte, tout en étant capable de manger du poisson. Son corps a reçu des facultés pour nous inimaginables, qui sont de l’ordre d’un univers nouveau, inconnu jusqu’à présent, que pourtant Jésus a essayé de nous expliquer, quand il parlait de son Royaume.
 
Ce qu’il y a au tombeau de Jésus, cependant, dépasse l’entendement de saint Pierre. Devant les linges « posés à plat », il reste parfaitement incrédule, quoique troublé. Il ne comprend pas ce qu’il s’est passé, et il lui faudra attendre que Jésus vivant se manifeste devant lui, dans sa chair de ressuscité. Cela est vrai de saint Thomas aussi, vous le savez bien. Aucun Apôtre – et encore moins saint Paul – n’a cru à la résurrection lorsqu’elle leur fut annoncée. Mais il a fallu que Jésus lui-même vienne à leur rencontre pour qu’ils aient la foi.
 
Et nous alors ? Nous sommes comme le centurion de Césarée. Nous écoutons, grâce aux évangiles, le témoignage de saint Pierre, de saint Jean, mais aussi de saint Matthieu et de saint Paul, dans ses lettres. Et le centurion croit parce qu’il croit au témoignage de Pierre. Lui ne bénéficie pas d’une vision de Jésus ressuscité, mais il a la vision de Pierre, qui lui raconte ce qu’il a vécu, ce qu’il a entendu et ce qu’il a vu. Et cela lui suffit.
Cela est également vrai pour nous, bien que nous nous soyons bien trop habitués au témoignage des évangiles et à la présence d’un évêque, successeur des Apôtres. Et pourtant ces évangiles qui remontent aux premiers temps de l’Église, comme ces évêques, dont la bénédiction remonte de mains en mains jusqu’aux Apôtres, ce sont des témoignages exceptionnels si l’on veut bien y prêter attention. Nous n’avons pas la vision de l’explosion que représente la résurrection de Jésus, mais nous en avons le souffle et le bruit. Quand on ressent le souffle d’une explosion et qu’on en entend la détonation, on en déduit évidemment qu’il y a eu une explosion, n’est-ce pas ? Alors, en ayant les évangiles et les évêques, nous ne croyons pas à la résurrection de Jésus ? Le centurion n’est pas si compliqué, et pourtant il n’est pas plus stupide que nous : il a écouté attentivement le témoignage de saint Pierre et il a cru que Jésus était vivant.
 
Que le Seigneur nous fasse donc la grâce d’éclairer notre esprit, pour qu’en lisant les évangiles et en considérant attentivement ce qu’est un évêque, nous comprenions toujours plus ce que la résurrection de Jésus signifie concrètement : l’accès pour nous, pauvres pécheurs, à l’univers nouveau du Royaume de Dieu. Cela est déjà vrai aujourd’hui, par les sacrements, et demain, au jour où Jésus nous relèvera, à notre tour, d’entre les morts, pour entrer entièrement, esprit, âme et corps, dans sa joie, sa paix et sa lumière.
 


19 avril 2025 - GY - Vigile Pascale - Année C

Gn 1,1-2,2 ; Ps 103 ; Ex 14,15-15-1a ; Ct Ex 15 ; Is 54,5-14 ; Ps 29 ; Rm 6,3b-11 ; Ps 117 ; Lc 24,1-12
 
Chers frères et sœurs,
 
Que faisons-nous ici, ce soir, dans cette église ? Nous célébrons en même temps la plus grande fête juive et la plus grande fête chrétienne : Pâques. Pâques, libération d’Égypte et constitution d’Israël ; Pâques, résurrection de Jésus d’entre les morts et naissance de l’Église.
Pâques est une création nouvelle dans l’univers. Création tellement éblouissante, tellement bouleversante, tellement intelligente, tellement bonne et tellement réelle, qu’on en reste aveuglés, sans voix, tremblants, et même prosternés.
Et comme nous n’avons pas les mots pour dire cette création nouvelle, il ne nous reste que le chant, la poésie, les gestes, nos cinq sens : ce qu’on voit, ce qu’on entend, ce qu’on sent, ce qu’on touche, et ce qu’on goûte. Dans le langage savant, tout cela s’appelle « la liturgie » : la célébration de Pâques, avec toujours le même rituel, les mêmes chants, les mêmes bougies, les mêmes fleurs, le même encens, les mêmes prières, les mêmes vêtements blancs, tout quoi. Tout cela pour dire avec des mots et sans mots cette création nouvelle de Dieu dans l’univers.
 
Sans le savoir, et même sans le faire exprès, simplement parce que nous sommes ici, nous conservons dans tout l’univers la mémoire de cette création de Dieu : la création du premier jour, la création du Peuple de Dieu à la sortie d’Égypte, la création de l’homme nouveau ressuscité des morts, au matin de Pâques, la création de l’Église qui est déjà la communion des saints, avec un pied sur la terre et un pied dans le ciel.
À partir de cette liturgie de Pâques, mémoire de l’action créatrice de Dieu dans l’univers, on peut réfléchir, faire de la théologie, écrire des sermons... Mais jamais notre intelligence n’arrivera à tout dire de ce que dit la liturgie, qui elle-même n’arrive pas à tout dire du grand mystère de la vie créatrice de Dieu.
Cependant, la connaissance de ce mystère nous fait nous réunir, nous qui le partageons comme un trésor précieux, et nous fait agir, nous qui pensons qu’il est un appel à une vie meilleure, une vie plus intense, une vie plus belle. Alors nous nous rassemblons en Église, que nous organisons pour vivre et pour transmettre aux enfants ce trésor précieux. Nous créons des diocèses, des paroisses, des équipes pastorales et des catéchistes.
Nous organisons aussi notre vie quotidienne par le calendrier liturgique : Pâques en premier, bien sûr, mais aussi le Carême et le Temps pascal, Noël et l’Avent. Et puis tous les dimanches, qui sont des petites Pâques, des petits cailloux sur le chemin, pour nous rappeler Pâques hier et nous préparer à Pâques demain. De même, chaque messe, chaque office du matin, du midi, du soir, nos prières au lever et au coucher, sont autant de petites lumières qui nous rappellent chaque jour, et presque à chaque heure du jour, la grande lumière de Pâques, la grande lumière du mystère de Pâques, la grande lumière du grand mystère de la vie créatrice de Dieu.
 
Alors, évidemment, quand on pense l’univers, la société, sa famille, et sa propre vie – y compris sa vie quotidienne – à la lumière de ce grand mystère de la vie de Dieu, on pense différemment de ceux qui ne le connaissent pas : on n’est pas câblé pareil. Du coup, on agit différemment et on vit différemment. Déjà, ce soir, nous ne sommes pas devant la télé, ni dans une boîte de nuit, ni en train de jouer à un jeu vidéo... Car nous sommes là pour nous remplir les yeux et le cœur, l’intelligence et la mémoire, du grand mystère de Pâques, pour vivre mieux, pour vivre heureux, pour devenir des saints.
C’est dire que le grand mystère de la vie créatrice de Dieu, non seulement est à l’origine de l’univers, puis d’une transformation de cet univers, pour que notre vie humaine y soit rendue éternelle et sainte. Mais ce mystère est aussi à l’origine du Peuple de Dieu – du Peuple d’Israël et de l’Église du ciel et de la terre – aujourd’hui civilisation particulière, et demain communion de vie. Tout cela est dans la liturgie de Pâques, où tout semble fait pour des enfants ! En effet, parce que c’est le germe de tout ce qui est beau, tout ce qui est bon, de tout ce qui est vrai, tout ce qui est réellement vivant, dans tout l’univers.
 
Si jamais un jour les Juifs s’arrêtaient de fêter Pâques, et plus encore si les Chrétiens s’arrêtaient de fêter Pâques, la lumière de Dieu s’éteindrait pour tous les hommes dans tout l’univers : plus rien. On reviendrait à la Guerre du feu, sans lumière pour les yeux et sans espérance pour le cœur.
Mais non, nous sommes ici, ensemble, autour de la lumière de Pâques ; et comme nos ancêtres, comme les premiers chrétiens, comme les Juifs avec eux et avant eux, nous célébrons Pâques.
Pâques, lumière du premier jour de la création et gloire du Dieu Vivant ; Pâques, colonne de feu dans la nuit pour guider les Hébreux et lumière du grand chandelier du Temple, marquant la Présence toujours fidèle du Seigneur à son peuple ; Pâques, pointe de l’Aurore de la Résurrection et premier Jour de la vie éternelle ; Pâques, lumière éblouissante des anges et joie des chrétiens ; Pâques, lumière du cierge de notre baptême et de nos vêtements blancs ; Pâques, pierres précieuses de la Jérusalem céleste et couronne royale de la Bienheureuse Vierge Marie. 
Pâques, l’écrin de nos mains ouvertes, pour recevoir ce soir encore, la Vie éternelle du Bon Dieu.
Bonne fête de Pâques !

samedi 19 avril 2025

18 avril 2025 - GY - Vendredi Saint - Célébration de la Passion du Seigneur - Année C

Is 52,13-53,12 ; Ps 30 ; He 4,14-16 ; 5,7-9 ; Jn 18,1-19,42
 
Chers frères et sœurs,
 
Pourquoi lisons-nous chaque année la Passion de Jésus ? Parce que dans l’Église, la liturgie a pour fonction de nous faire vivre les événements de sa vie, comme si nous y étions. C’est le travail de l’Esprit Saint que de supprimer l’espace et le temps, pour que tous les hommes puissent participer à la vie de Jésus. Ainsi, l’Esprit Saint a mis dans la bouche du prophète Isaïe ce que nous avons entendu en première lecture. N’est-ce pas qu’on dirait qu’Isaïe était présent à la Passion de Jésus ? Et pourtant il a vécu 750 ans avant lui ! Et le psalmiste ? L’Esprit Saint lui a inspiré un psaume qui a certainement été dit par Jésus en sa Passion : « En toi, Seigneur, j’ai mon refuge ; garde-moi d’être humilié pour toujours. En tes mains je remets mon esprit ; tu me rachètes, Seigneur, Dieu de vérité. » Et pourtant ce psaume a été écrit 500 ans avant Jésus. Aujourd’hui, l’Esprit Saint nous les fait entendre, en même temps que la Passion de Jésus, pour que nous aussi, 2000 ans après, nous y participions.
 
Si nous sommes présents lors de la Passion, quel personnage sommes-nous ? Jésus, Pierre ou un autre apôtre, Pilate, Caïphe, un soldat, quelqu’un dans la foule, Marie, Marie-Madeleine, Nicodème… ? Ou encore Dieu le Père, lui-même, qui assiste comme impuissant à la mort de son Fils unique, son fils bien-aimé ? En prenant le temps de méditer la Passion de Jésus, nous pouvons chacun nous identifier à l’un ou l’autre personnage, ou même plusieurs, en fonction des différents événements de nos vies. Et on s’aperçoit que la Passion parle aussi de notre propre vie. Je voudrais jeter un bref regard sur Pilate et Caïphe, puis sur Nicodème et Marie, femme de Clophas.
 
Pilate est un homme qui n’a pas de racines en Dieu. Il ne sait pas ce qu’est la Vérité. Il ne croit à rien, même pas à la justice puisqu’il est prêt à condamner à mort un innocent. La seule chose qui le guide est la peur de perdre le pouvoir que lui a délégué l’Empereur romain. On sent que Pilate lutte en lui-même : car il sait que sa conscience le condamne. Mais la peur le conduit à tuer sa conscience comme elle le conduit à tuer Jésus. Combien d’hommes aujourd’hui ressemblent à Pilate ? Il y en a tant qui ont abdiqué leur conscience, pour s’aplatir devant un pouvoir sans vraie justice, et qui finalement en viennent à voter la mort des innocents ?
Caïphe est tout le contraire de Pilate. En tant que Grand prêtre d’Israël, il n’y a pas plus croyant en Dieu que lui. Il baigne dans la Loi de Moïse et les Prophètes depuis son enfance. Sa vie est guidée à la moindre seconde par les observances de la Loi. Mais il ne reconnaît pas Jésus : il ne veut pas le voir. Car Jésus représente pour lui un danger, jusqu’à en vouloir sa mort. Et il en vient à renier l’obéissance qu’il doit à Dieu seul, pour s’inféoder lamentablement à l’Empereur de Rome : « Nous n’avons pas d’autre roi que l’empereur » dit-il. Pourquoi Caïphe en est-il arrivé là ? Lui aussi a peur. Peur que confesser sa foi en Jésus ne lui fasse perdre sa bonne place, voire sa vie. Peur aussi que les Romains détruisent à nouveau Jérusalem, comme au temps de l’Exil à Babylone. Combien de baptisés aujourd’hui ressemblent à Caïphe ? Il y en a tant qui détournent leur regard de Jésus, qui ferment leur oreille à son appel, pour conserver une vie tranquille, un environnement sécurisé, mais qui en réalité étouffent la voix de l’Esprit Saint dans leur cœur ?
Avez-vous remarqué, chers frères et sœurs que dans les deux cas, il y en a un dont l’ombre s’étend à Jérusalem sans qu’il y soit lui-même présent ? Et qui est déterminant dans l’attitude de Pilate et de Caïphe ? C’est l’Empereur de Rome. L’Empereur qui étend son pouvoir jusqu’à Jérusalem, simplement par la peur ! C’est ainsi que domine le Diable dans le monde. Par la peur, il détourne les consciences des hommes et les âmes de Dieu. Pilate est sans doute excusable : il n’a pas la foi. Mais Caïphe ! Voilà que l’ange adorateur de Dieu s’est transformé en démon adorateur du monde ! Quel drame ! Quelle tristesse !
 
Tournons-nous maintenant vers Nicodème et Marie, femme de Cléophas.
Nicodème était un personnage très riche et par là très influent à Jérusalem. Tout le monde savait qu’il n’était pas insensible à l’Évangile. Mais il n’est pas toujours très bon d’être religieusement radical quand on est un personnage public, qui fait des affaires : il faut être bien avec tout le monde... Il était donc resté publiquement sur la réserve. Mais en secret, Nicodème est très ferme : il a la foi. Et c’est une foi qui agit. Et au moment où il pouvait agir, où il devait agir, il a agi. C’est lui qui a financé le linceul de lin fin et les aromates pour l’ensevelissement de Jésus. Un ensevelissement de roi. Combien d’hommes, dans le secret de leur cœur, sont-ils attachés fermement à Jésus. Et quand l’occasion se présente, quand l’appel de Dieu retentit dans leur conscience, répondent immédiatement : « me voici ! » et agissent en conséquence.
Je termine par Marie, femme de Cléophas. Personne ne la connaît à Jérusalem : elle est une inconnue. Elle est comme on dit « une sainte femme ». Elle ne dit rien. Elle n’agit pas. Mais elle est simplement là, au pied de la croix, avec Marie mère de Jésus, Marie-Madeleine et saint Jean. Mystère des saintes femmes qui passent sous les radars de l’Histoire, mais aussi sous les radars de la peur des puissants. Elles ne craignent rien, elles n’ont peur de rien, même pas du démon. Parce qu’elles ont la foi. Comme des petites bougies allumées dans les églises, filles d’Espérance, près de Jésus, elles sont toujours là.
 
Chers frères et sœurs. Et nous ? Qui sommes-nous en la Passion de Jésus ?  

vendredi 18 avril 2025

17 avril 2025 - GY - Jeudi Saint - Messe en mémoire de la Cène du Seigneur - Année C

Ex 12,1-8.11-14 ; Ps 115 ; 1Co 11,23-26 ; Jn 13, 1-15
 
Chers frères et sœurs,
 
Comme les autres apôtres, Pierre était monté à Jérusalem avec Jésus, pour y célébrer la Pâque. La Pâque est cette grande fête des Juifs, où l’on fait mémoire de la libération du peuple de Dieu retenu en esclavage par le Pharaon d’Égypte. Le rituel de cette mémoire est le sacrifice de l’agneau pascal et sa consommation lors d’un repas. À l’époque de Jésus, lorsqu’on habitait en Israël, on montait au Temple de Jérusalem, où étaient sacrifiés les agneaux, le jour de la Pâque, à l’heure de midi. Pour pouvoir accéder au Temple, il fallait se purifier entièrement, c’est-à-dire prendre un bain. Comme il y avait beaucoup de monde, les pèlerins prenaient leur bain quelques jours avant Pâques et, le jour-même, ils se lavaient simplement les pieds pour pouvoir entrer dans le Temple. Telle était donc l’ambiance générale dans laquelle Pierre comprenait les événements.
 
C’est ainsi que, voyant Jésus retirer son vêtement, puis se mettre à laver les pieds de ses disciples, Pierre a compris que Jésus s’abaissait au rang d’esclave et, bien sûr, il ne pouvait pas l’accepter. Est-ce qu’il n’avait pas l’habitude de l’appeler « Maître et Seigneur » ? – ce qui convient à un prince de sang royal. D’ailleurs, Jésus ne le conteste pas : « Vraiment, je le suis », dit Jésus. Vous savez que « Je suis » est la révélation du Nom de Dieu, faite à Moïse au Mont Sinaï. Il y a là un point de bascule pour la compréhension du geste de Jésus. Jusqu’à présent Pierre voyait en lui le Messie d’Israël, qui allait libérer le peuple de la tutelle des Romains, est c’est pourquoi il ne comprenait pas que – tout à coup – son roi, s’abaissant comme un esclave, veuille lui laver les pieds. Mais Jésus lui répond que celui qui se fait esclave pour lui, ce n’est pas son roi… c’est son Dieu ! Du coup, le geste du lavement des pieds prend encore une tout autre dimension.
 
Jésus donne son enseignement de manière prophétique, c’est-à-dire par des gestes et des paroles. Tous les détails comptent, et les mots dans l’évangile, ont un sens précis. Par exemple, nous lisons ceci : « [Jésus] se lève de table, dépose son vêtement et prend un linge qu’il se noue à la ceinture, puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture. »
D’abord, précisons qu’à l’époque de Jésus, à Jérusalem, on ne prend pas son repas assis sur une chaise autour d’une table, mais semi-couché sur des coussins comme les Romains dans Astérix. C’est pourquoi Jésus peut facilement laver les pieds des convives. Mais voyons ce qui suit : « il dépose son vêtement. » On retrouve cette expression un peu avant dans l’évangile quand il est écrit : « il dépose sa vie », « il donne sa vie ». Puis Jésus « prend un linge »… mais ce n’est pas une serviette ; en syriaque, c’est un « drap de lin fin », qui sert à confectionner les vêtements des prêtres ou les linceuls. Jésus le noue « à ses reins » – les reins pour un hébreu, c’est là où réside la vie. Puis Jésus verse de l’eau « dans un bassin ». Là encore, il ne s’agit pas d’une cuvette en plastique… Le mot employé désigne les bassins d’ablution en bronze qui se trouvent dans le Temple pour purifier Aaron et ses fils, les prêtres, au cours du rituel des sacrifices. Enfin, Jésus « essuie » les pieds des disciples avec le linge attaché à ses reins – Jean insiste, il évoque les reins une seconde fois. En grec, nous avons bien le verbe « essuyer », mais en syriaque, c’est le verbe « orner » : Jésus « embellit » les pieds de ses disciples, il les « brique » comme de l’argenterie !
Vous avez bien saisi, chers frères et sœurs, que le lavement des pieds a donc une signification assez mystérieuse, que l’on peut comprendre ainsi : Jésus, qui est Dieu, a revêtu le vêtement de l’humanité en se faisant homme. Lors de la Pâque, il quitte ce vêtement : il meurt sur la croix. Puis il se revêt du drap de lin fin : c’est en même temps son linceul, mais c’est aussi son habit de prêtre. De fait Jésus est en même temps le grand prêtre qui offre le sacrifice pour le pardon des péchés, et aussi le sacrifice lui-même : il est le véritable Agneau de Pâques. Avec ce sacrifice qui donne la vie – celle qui vient de ses reins – c’est-à-dire l’Esprit Saint – il lave les pieds de ses disciples dont il fait des prêtres comme Aaron et ses fils. Alors seulement ceux-ci peuvent avoir « part » avec lui. Là encore, « avoir part » avec Jésus renvoie à la promesse faite aux fils de la tribu de Lévi, les prêtres, d’« avoir part » directement avec Dieu, puisque contrairement aux autres tribus d’Israël, ils n’ont pas de territoire en Terre Promise. Les Apôtres sont donc établis comme prêtres, dont la « part » est de partager le sacerdoce et le sacrifice de Jésus, son repas pascal, son Eucharistie.
 
Trois leçons pour finir : premièrement, ce lavement des pieds est à la fois un baptême et une ordination. Baptisés dans la mort et la résurrection de Jésus, ayant reçu le don de l’Esprit Saint, les Apôtres sont faits prêtres à l’image de Jésus pour participer avec lui à son Eucharistie. On ne peut pas communier, si d’abord on n’est pas baptisé et si on n’a pas reçu l’Esprit Saint.
Deuxièmement, Jésus a dévoilé le secret du sacerdoce : c’est un sacrifice du prêtre lui-même, qui quitte son vêtement d’humanité pour se revêtir du drap de lin fin, et qui l’ayant attaché à ses reins peut communiquer la vie. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » Telle est la vocation du prêtre. Vous me direz : pour le mariage c’est pareil, puisque les époux, pour exprimer leur amour, se donnent mutuellement l’un à l’autre. C’est tout à fait exact. Le secret du mariage, c’est le sacerdoce. Et le secret du sacerdoce, c’est le mariage. L’un ne va pas sans l’autre.
Et pour finir, vous aurez compris, chers frères et sœurs, que ce sacerdoce d’amour qui trouve son accomplissement dans l’Eucharistie, est la part divine réservée aux baptisés. Mais on est toujours prêtre pour un peuple : le peuple de l’évêque, ce sont les habitants du diocèse ; le peuple du curé, ce sont les habitants de la paroisse. Et le peuple de chaque baptisé ? C’est sa famille, ses amis, ses collègues, son village. Notre vocation baptismale et sacerdotale, chers frères et sœurs, est de donner notre vie par amour pour notre prochain, afin que lui aussi puisse avoir part à la résurrection et à la vie de Jésus, pour l’éternité.

dimanche 13 avril 2025

13 avril 2025 - MEMBREY - Dimanche des Rameaux et de la Passion du Seigneur - Année C

Lc 19, 28-40
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous avons lu que Jésus, assis sur un ânon, est monté à Jérusalem sous les acclamations. Mais qu’est-ce que cela veut dire ?
 
D’abord, en reproduisant avec ses disciples le rite d’intronisation des rois d’Israël, Jésus a voulu annoncer qu’il venait à Jérusalem en roi, pour y prendre possession de son trône. C’est la raison pour laquelle certains veulent les arrêter : ils ont peur d’une réaction violente des romains. Jésus leur répond : « Si eux se taisent, les pierres crieront. » On ne peut pas faire taire la Parole de Dieu.
 
Mais Jésus ne voulait pas prendre le pouvoir. À travers son geste prophétique, il voulait dire qu’il allait bientôt entrer en roi dans la Jérusalem céleste, pour venir s’asseoir sur son trône, à la droite du Père. Dans cette prophétie, les disciples représentent les anges qui s’étonnent et se réjouissent du retour de l’homme dans le ciel ; et les pharisiens représentent les démons qui s’étranglent devant leur échec à garder les hommes sous leur domination. Car Jésus est le sauveur des hommes pécheurs.
 
Aujourd’hui, par la liturgie qui annule l’espace et le temps, nous nous trouvons dans le passé à Jérusalem avec Jésus et ses disciples, et avec eux nous acclamons notre roi, celui qui nous sauve du péché et de la mort. Et nous nous trouvons aussi dans l’éternité, parmi les anges qui acclament sa venue dans le ciel. Car l’Église, c’est déjà le ciel sur la terre. Bien que nous soyons mortels et pécheurs de bien des manières, par notre baptême dans la mort et la résurrection de Jésus, nous sommes déjà vivants et pardonnés, avec tous les saints du ciel.
 
Aujourd’hui, avec Jésus qui monte vers le Père, qui est à notre tête et dont nous sommes le corps, montons nous aussi de la terre au ciel, vers le sanctuaire de la gloire de Dieu. Avec tous les saints et tous les anges, acclamons avec joie Jésus, notre roi, notre sauveur et notre Dieu !
 
 
 
Is 50, 4-7 ; Ps 21 ; Ph 2 6-11 ; Lc 22, 14 – 23, 56
 
Chers frères et sœurs,
 
Pourquoi fêtons-nous le dimanche des Rameaux tous les ans ? Et pourquoi lisons-nous chaque année la Passion de Jésus ? C’est pour que nous n’oubliions pas, pour que les enfants apprennent et n’oublient pas. Et que les enfants de ces enfants apprennent à leur tour et n’oublient pas non plus. Que tous apprennent la Passion de Jésus et ne l’oublient pas tout au long de leur vie, et tant que durera l’humanité. La liturgie sert en partie à cela : on répète toujours la même chose pour ne pas oublier.
 
Mais que devons-nous savoir ? Que ne devons-nous pas oublier ? Nous devons savoir que nous les hommes, nous sommes bien imparfaits, pécheurs et mortels. Nous sommes enfermés dans des vies limitées, comme dans une prison. Or Dieu qui est notre créateur, qui est la vie éternelle et l’amour infini, a voulu nous libérer. C’est la raison pour laquelle il s’est fait homme, comme nous. Car nous ne pouvons pas être sauvés si Dieu ne se fait pas comme nous. C’est la fête de Noël.
Après être descendu, il est remonté. Mais pas seulement en tant que Dieu ; il est monté aussi en tant qu’homme. Et c’est ainsi qu’il nous a libérés et nous a sauvés : par sa mort et sa résurrection, il nous a ouvert le chemin de la vie éternelle et, par son sacrifice sur la croix pour le pardon de nos péchés, il nous a accordé son pardon, pour que nous retrouvions la maison, que nous vivions éternellement dans son amour avec ceux que nous aimons. Telle est la gloire de Dieu. C’est la fête de Pâques.
 
Aujourd’hui, nous apprenons et nous nous souvenons que Jésus, avant d’accomplir cette Pâque lui-même, a enseigné à ses disciples – dont nous sommes – par quel chemin il allait passer : il allait monter au ciel en roi, acclamé par les anges, et nous avec lui, à notre résurrection. Ne vous y trompez pas, frères et sœurs, si nous lisons la Passion de Jésus, c’est que malgré les apparences de la déchéance de Jésus en Croix, insulté par la foule, en réalité, il s’agit de sa glorification au ciel, acclamé par les anges. Souvenons-nous des Béatitudes : si sur terre nous-mêmes, nous sommes moqués, insultés, frappés, ou martyrisés par des impies en raison de notre foi en Jésus, alors nous serons honorés, consolés, réconfortés et glorifiés par les anges. Et nous serons bienheureux.
 
Déjà nous nous réjouissons d’être comptés parmi les anges et tous les saints du ciel. C’est la raison pour laquelle nous participons maintenant au repas des noces de l’Agneau, Jésus, le Christ, notre Seigneur. Amen.

lundi 7 avril 2025

06 avril 2025 - PESMES - 5ème dimanche de carême - Année C

Is 43, 16-21 ; Ps 125 ; Ph 3, 8-14 ; Jn 8, 1-11
 
Chers frères et sœurs,
 
Le passage de l’évangile que nous venons d’entendre a une histoire compliquée. Nous le lisons dans l’évangile de Jean, alors qu’il y a peu de doutes qu’il se trouvait originellement dans celui de Luc. On y retrouve en effet beaucoup des expressions de ce dernier, que n’emploie pas Jean. En soit, cela a peu d’importance, mais en fait, c’est presque une clé de lecture. Je vais essayer d’ouvrir la porte pour vous.
 
Les lectures de ce jour ont été choisies pour nous inciter à interpréter l’Évangile, et donc le jugement de Jésus, comme une dévalorisation de la Loi de Moïse pour magnifier la « Loi nouvelle » de l’Évangile : celle de la miséricorde. Ainsi nous lisons en Isaïe : « Voici que je fais toute chose nouvelle » et en saint Paul : « non pas de la justice venant de la Loi de Moïse, mais de celle qui vient de la foi au Christ. » Certes, Jésus apporte du nouveau, mais certainement pas en invalidant la Loi de Moïse, dont il est lui-même le Maître. Car, dans notre cas, c’est bien par la Loi de Moïse qu’il va sauver la femme pécheresse. D’ailleurs, à la fin, personne chez les Juifs, qu’ils soient prêtres, scribes ou pharisiens, ne va s’opposer à son jugement. Comment a-t-il donc fait ?
 
Commençons par l’exposé du problème, en deux points. L’Évangile est très précis. Premier point : la femme adultère est présentée à Jésus, qui se trouve dans le Temple. Le cadre général est donc celui de la « loi de la jalousie » qui se trouve au livre des Nombres, où l’on fait subir à une femme soupçonnée d’adultère une ordalie. La femme doit être présentée au prêtre qui se trouve dans le Temple, lequel mélange de la poussière du sol du Temple avec de l’eau sainte pour en faire de l’eau amère. Il inscrit ensuite sur un papier la sentence de la condamnation, puis il le lave avec l’eau amère, et fait boire cette eau, chargée de la sentence, à la femme. Si elle dépérit, elle est coupable ; si elle reste en bonne santé, elle est innocente.
On voit tout de suite que les scribes et les pharisiens qui ont amené la femme adultère à Jésus lui posent un problème ambigu, car si ils avaient respecté la loi du Lévitique sur les femmes adultères, cette la femme de l’évangile aurait été mise à mort immédiatement, sans qu’on ait recours à la loi de la jalousie. Si donc s’ils s’engagent dans cette procédure, c’est qu’ils ont un doute. Sur le fond, ils ne cherchent pas à mettre à mort cette femme, mais ils veulent éprouver Jésus. C’est le véritable objectif.
Et ils vont être, en effet, particulièrement abjects avec lui. Car, précisent-ils : « Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. » C’est le second point. Ces « femmes-là », ce ne sont pas toutes les femmes adultères, mais très expressément les jeunes filles ou femmes vierges. Il n’y a que pour ces « femmes-là » que la mise à mort doit se faire par lapidation. Vous avez bien compris l’insulte et le piège qui a été tendu à Jésus : selon la Loi, il doit condamner lui-même une jeune fille vierge dont on soupçonne qu’elle a commis un adultère. Et comme celui-ci est avéré, la sentence est théoriquement mécanique. Voilà pour le piège. Or, tout le monde à Jérusalem a compris que le cas de la pauvre femme qui se trouve devant Jésus correspond parfaitement aux ragots colportés partout de la naissance de Jésus d’une jeune fille vierge promise en mariage à un homme du nom de Joseph, dont elle a eu un enfant avant qu’ils aient habité ensemble… donc forcément, selon eux, par adultère. Voilà pour l’insulte.
Jésus va-t-il condamner sa mère ? Et par conséquent, va-t-il aussi se condamner lui-même avec elle ?
 
Jésus revient à la loi de la jalousie, et il écrit sur le sol, le sol du Temple. Il prononce la sentence – qui confirme la loi de la mise à mort par lapidation pour adultère d’une jeune fille vierge : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. » La femme boit l’eau amère de la parole de Jésus : soit quelqu’un lui jette une pierre et elle est coupable : elle meurt ; soit personne ne lui jette de pierre et elle est jugée innocente : elle vit. Mais Jésus a ajouté : « Celui d’entre vous qui est sans péché… » Par ces mots, il a rendu impraticable la sentence, car aucun homme n’est sans péché. Sur terre, il n’y en a que deux qui sont sans péchés : lui-même, Jésus, et la Vierge Marie, sa mère. Marie condamnerait-elle sa sœur, une femme qui lui ressemble tellement par l’accusation que ces hommes portent contre elle ? Certainement pas. Il reste donc Jésus…
Avez-vous remarqué, chers frères et sœurs, que les scribes et les pharisiens appellent Jésus « maître », et que la femme l’appelle « Seigneur » ? Ils n’ont voulu voir en lui qu’un homme comme eux. Mais elle, elle a vu qu’il était son Dieu. Et c’est pourquoi, ayant confessé sa foi en lui, il ne l’a pas condamnée. Il s’est souvenu de ce que par l’Esprit Saint il avait dit par le prophète Ézéchiel : « Prendrais-je donc plaisir à la mort du méchant – oracle du Seigneur Dieu –, et non pas plutôt à ce qu’il se détourne de sa conduite et qu’il vive ? » C’est pourquoi à la femme, il ajoute : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. »
 
Voilà chers frères et sœurs, ce qui s’est passé ce matin-là dans le Temple de Jérusalem, où Dieu a innocenté une jeune fille vierge, accusée de péché par des hommes. Comment, nous autres qui sommes pécheurs de bien des manières, ne nous réjouirions-nous pas de nous savoir un tel juge, si miséricordieux, pourvu que nous ayons foi en lui, et en l’intercession de notre bienheureuse et toute sainte Vierge Marie.

dimanche 30 mars 2025

29-30 mars 2025 - RENAUCOURT - SEVEUX - 4ème dimanche de carême - Année C

 Jos 5, 9a.10-12 ; Ps 33 ; 2 Co 5, 17-21 ; Lc 15, 1-3.11-32
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous sommes toujours touchés par la compassion du père pour son fils perdu, et nous regrettons l’attitude du frère aîné qui demeure dans l’incompréhension. En effet, la justice du père – qui est l’amour parfait – dépasse la justice des deux frères. Celle du premier, qui revient repentant en se condamnant lui-même au dernier rang, au rang d’esclave de la maisonnée. Et celle du second, qui ne comprend pas les gestes de son père, alors que lui-même n’a pas pu en bénéficier jusqu’alors. Mais la sagesse du Père dépasse la sagesse des hommes. La sagesse du père est son amour inconditionnel pour ses fils – les deux, inséparablement.
 
Il faut dire que ces gestes ont de quoi surprendre le fils aîné. Et en effet, la parabole de Jésus est assez provocante pour qui veut bien comprendre à qui il parle et de quoi il parle réellement.
Voyons ce qui concerne la bague. Une simple recherche dans toute la Bible nous montre qu’il n’est jamais question de bague, sauf dans la parabole et la Lettre de Jacques, où celui-ci oppose un homme au vêtement rutilant, portant une bague en or, et un pauvre au vêtement sale. Ici, la bague est signe de richesse. Mais cela ne nous aide pas beaucoup à comprendre.
En réalité, dans les versions anciennes de l’Évangile de Luc, il ne s’agit pas d’une bague, mais d’un anneau. Le père passe donc un anneau au doigt de son fils cadet. D’anneau, il n’est jamais question dans le Nouveau Testament (sauf dans la parabole) mais seulement dans l’Ancien Testament, et c’est toujours pour désigner quelqu’un qui possède le pouvoir, le pouvoir royal. Citons donc ce passage de la Genèse : 
« Alors, Pharaon dit à Joseph : « Dès lors que Dieu t’a fait connaître tout cela, personne ne peut être aussi intelligent et aussi sage que toi. C’est toi qui auras autorité sur ma maison ; tout mon peuple se soumettra à tes ordres ; par le trône seulement, je serai plus grand que toi. » Pharaon dit à Joseph : « Vois ! Je t’établis sur tout le pays d’Égypte. » Il ôta l’anneau de son doigt et le passa au doigt de Joseph ; il le revêtit d’habits de lin fin et lui mit autour du cou le collier d’or. Il le fit monter sur son deuxième char et on criait devant lui : « À genoux ! » Et ainsi il l’établit sur tout le pays d’Égypte. »
Voilà qui est intéressant, car Joseph était justement objet de la jalousie de ses frères aînés. N’avait-il pas reçu une tunique de grand prix de la part de son père Jacob, ce qui faisait murmurer ses frères ? Ainsi, en arrière-fond de la parabole de Jésus, il y a vraisemblablement l’histoire de Joseph. Remarquez qu’au moment où il parle, Jésus s’adresse à des publicains et des pécheurs, tandis que les pharisiens et les scribes murmuraient contre lui en disant : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! » On croirait entendre le fils aîné...
Alors que dit Jésus, en réalité ? Il dit aux publicains et aux pécheurs : « soyez comme le fils prodigue, rentrez en vous-mêmes et convertissez-vous, et revenez au Père. Alors le Père, qui vous attend, vous recevra comme Jacob aimait Joseph, en le revêtant de la plus belle tunique, et comme Pharaon a partagé son pouvoir avec lui, en lui passant l’anneau royal au doigt. Et il sacrifiera le veau gras pour un repas de fête. Vous serez donc fils de Dieu et vous partagerez sa royauté ; vous goûterez sa communion, dans la joie. » On comprend la stupeur des scribes et des pharisiens, qui réagissent comme des frères aînés. Dieu ne leur retire rien, mais ils ont l’impression d’être dépossédés, tellement les publicains et les pécheurs repentants, comme le fils cadet ou Joseph, sont comblés de bénédictions. Mais encore une fois, l’amour du père est le même pour ses deux fils, inséparablement.
 
J’attire votre attention pour finir, sur les rites du baptême. Un chrétien est baptisé dans l’eau, plongé dans la mort et avant d’être relevé dans la vie nouvelle, de la même manière que le fils cadet s’était perdu dans la soue à cochons, avant de remonter à la maison du père. Et là, à la maison, le baptisé a reçu un vêtement blanc, le saint chrême et la lumière provenant du Cierge pascal, pour veiller dans l’attente de la venue du Seigneur. Le vêtement blanc, voilà la tunique de grand prix, le plus beau vêtement. Le saint Chrême, c’est le signe de l’Esprit qui fait du baptisé un fils, le purifiant de la racine de tout péché, en établissant entre Dieu et lui une alliance nouvelle : c’est l’anneau, ou la bague. Le don de l’Esprit, c’est également le partage de la sagesse de Dieu, le véritable pouvoir du Royaume des cieux. Enfin, le baptisé n’a pas reçu des sandales, mais un cierge pour veiller. En réalité, les deux signes se rejoignent. Dans les Actes des Apôtres, nous lisons cet ordre donné par l’Ange du Seigneur à Pierre : « Mets ta ceinture et chausse tes sandales. » Ce que fit Pierre. L’ange ajouta : « Enveloppe-toi de ton manteau et suis-moi. » Si donc, le père donne des sandales à son fils, c’est pour qu’il marche, qu’il marche à sa suite. C’est ce que font les baptisés : en sandales, ils marchent à la suite du Christ, tout en attendant son retour, avec un cierge allumé à la main. Pensez à une procession : marcher avec un cierge à la main, c’est une attitude typiquement chrétienne.
Alors, chers frères et sœurs, si par le baptême nous avons reçu les mêmes dons que le patriarche Joseph ou le que fils prodigue, alors nous sommes devenus fils de Dieu, héritiers du Royaume et nous partageons la gloire de notre Père qui est aux Cieux. Alors, c’est que le temps du repas des noces de l’Agneau, et de la joie, est venu.
 

dimanche 23 mars 2025

23 mars 2025 - GRAY - 3ème dimanche de Carême - Année C

 Ex 3, 1-8a.10.13-15 ; Ps 102 ; 1 Co 10, 1-6.10-12 ; Lc 13, 1-9
 
Chers frères et sœurs,
 
L’enseignement que nous donne aujourd’hui Jésus prend place dans une série de leçons et de paraboles qui invitent à veiller en attendant le jour de la manifestation de Dieu, le jour du jugement, et à s’y préparer. Le premier échange sur la répression des Galiléens par Pilate et sur les victimes de la chute de la tour de Siloé s’inscrit parfaitement dans ce contexte. Outre le fait que des meurtres commis à l’aveugle, ou des accidents naturels, ne peuvent pas être considérés comme des punitions divines – ce qu’enseignait déjà le Livre de Job – Jésus indique cependant que l’Heure du jugement peut arriver à tout moment pour chacun, quel que soit son degré de péché ou de justice. Et il convient donc de se tenir prêt.

Je voudrais m’attarder un peu plus ce matin sur le second enseignement de Jésus : la parabole du figuier stérile. Nous en avons trois commentaires très anciens, à peu près de la même époque, dans les années 150-200.

Je citerai d’abord celui de Tertullien, chrétien issu d’une famille païenne d’Afrique du Nord, résidant à Carthage – c’est-à-dire à Tunis. Pour Tertullien, l’interprétation est assez tranchée : le figuier représente Israël, c’est-à-dire les Juifs, lesquels – malgré le temps et les soins apportés par le vigneron qui est le Christ –  ne cessent pas d’être stériles : ils n’ont pas la foi, ils ne produisent pas de fruits. De ce fait, le Maître de la Vigne, qui est le Père, les retranche pour que le sol ne soit pas épuisé. Avec Tertullien, nous avons la condamnation sans appel du judaïsme, dont nous connaissons les conséquences malheureuses pour ne pas dire dramatiques. Notez ici que si Tertullien est un témoin très précieux de la vie chrétienne au second siècle, et même le premier théologien en langue latine, il n’a pas pour autant été canonisé par l’Église. Il est donc à consommer avec modération.
 
Le second commentaire est celui de saint Irénée de Lyon, figure bien plus recommandable et chaleureusement recommandée. Saint Irénée, grec d’origine païenne, tient à peu près le même discours que Tertullien. Il explique en parlant de Jésus : « Cette parabole indiquait clairement sa venue par les prophètes, par lesquels il était venu maintes fois chercher chez eux – les Juifs – le fruit de la justice sans le trouver ; elle indiquait aussi que le figuier serait coupé pour la raison qui vient d’être dite. » Pour Irénée, le figuier est également coupé, mais il ne s’agit pas tant d’Israël ou des Juifs dans leur ensemble que de la part récalcitrante du peuple dans l’obéissance à la Loi, la part rétive à la prédication des prophètes comme à celle de Jésus. Car il précise un peu plus loin qu’Abraham, Isaac et Jacob et les prophètes appartiennent au Royaume des cieux. On comprend que les Juifs qui s’inscrivent vraiment dans la Loi et les Prophètes sont justes aux yeux de Dieu : ils produisent des fruits. Irénée est porté à garder ouverte la possibilité d’un salut pour les Juifs du fait que lui-même a reçu la foi d’une communauté composée de judéo-chrétiens, dont saint Polycarpe son maître était. Les judéo-chrétiens, rappelons-le, continuaient d’observer la Loi de Moïse tout en ayant la foi en Jésus. Irénée prit d’ailleurs leur défense contre le Pape Victor, qui voulait les exclure de l’Église. On peut donc comprendre qu’avec Irénée le figuier est davantage émondé que déraciné. Il n’y a qu’un seul figuier de Dieu, appelé à porter du fruit, et une bonne part en donne.
 
Mon troisième et dernier commentaire est celui de l’Apocalypse de Pierre. Il s’agit d’un texte autrefois lu dans l’Église, mais qui finalement a été rangé parmi les apocryphes. De fait, il a été écrit par un judéo-chrétien originaire de Jérusalem. Évidemment pour ce commentateur, il est impossible d’affirmer simplement que le figuier représente tout Israël. Sinon, il couperait lui-même la branche sur laquelle il est assis, puisqu’il est juif ! En fait, pour lui, le figuier est bien Israël – jusque-là il est d’accord avec Tertullien et Irénée – mais les fruits du figuier sont les chrétiens martyrisés pour leur foi. Surprise ! Tout d’un coup, le figuier a été baptisé : il était juif, et maintenant – tout en restant Juif – il est devenu chrétien. Ce commentaire est très intéressant, parce qu’il lit la parabole de Jésus avec une grande confiance dans la parole du Vigneron, qui est Jésus. Le judéo-chrétien a compris et il sait que ce vigneron qui va bêcher la terre et mettre du fumier, va faire en sorte que ce figuier stérile va porter du fruit. Car le Christ est venu pour les pécheurs, les convertir et qu’ils portent du fruit.

Pourquoi ce commentateur peut-il affirmer cela ? Comme il est judéo-chrétien, il connaît par cœur son Livre du Lévitique, où on lit le commandement suivant, au chapitre 19 : « Lorsque vous serez entrés dans ce pays et que vous aurez planté n’importe quel arbre fruitier, vous considérerez ses fruits comme interdits. Pendant trois ans, ils seront pour vous chose interdite, on n’en mangera pas. La quatrième année, tous ses fruits seront consacrés dans une fête de louange au Seigneur. La cinquième année, vous pourrez manger ses fruits et profiter de ses produits. Je suis le Seigneur votre Dieu. » 
Nous reconnaissons la chronologie de la parabole de Jésus, qui est donc un commentaire de ce passage du Lévitique. Et cela est d’autant plus vrai que saint Luc nous dit que le Maître parle non pas à son « vigneron », mais très exactement à son « cultivateur de la vigne » - où le terme « cultivateur » évoque en hébreu aussi bien l’« agriculteur » que « celui qui rend un culte ». Dans la parabole le viti-culteur intervient justement pour la quatrième année, celle où les fruits attendus doivent être consacrés et offerts à Dieu en culte d’action de grâce. Et ensuite seulement, les fruits qui seront donnés par l’arbre pourront être consommés ou employés comme semences, avec la promesse d’une grande fécondité. Notre commentateur judéo-chrétien évidemment sait cela ; mais ce n’est pas évident pour Irénée, et encore moins pour Tertullien, qui ne sont pas juifs.
 
Finalement, que retenir de la parabole de Jésus ? Jésus dit que le peuple d’Israël est semblable à un figuier. D’une certaine façon, qu’il donne des fruits ou qu’il n’en donne pas pendant trois ans, n’est pas déterminant, puisque selon la Loi, durant cette période, le Maître ne peut pas les exiger. En revanche il peut déjà s’inquiéter de ce que le figuier demeure stérile. Arrive la quatrième année, qui est celle de l’offrande. Là, il est nécessaire que le figuier donne du fruit. Jésus, qui est le Viticulteur, va labourer la terre, la fumer et son action rédemptrice va porter du fruit – pour le judéo-chrétien, c’est évident – de sorte que l’offrande prescrite par la Loi puisse être faite par lui. Cette offrande, c’est d’abord celle de lui-même, de sa propre humanité en tant que Fils de David, puis avec lui ce sont les chrétiens, et en premier lieu les judéo-chrétiens, bien sûr. C’est ainsi que le figuier donne de nombreux fruits : les justes qui étant juifs vivent dans l’obéissance à la Loi, les patriarches et les prophètes, et ceux qui n’étant pas juifs vivent par la foi au Christ, les saints et les martyrs. Le figuier qui est Israël, est aussi devenu l’Église, inséparablement, par l’action de grâce du Viticulteur ; ainsi porte-t-il du fruit en abondance, pour la plus grande joie du Maître.

dimanche 16 mars 2025

15-16 mars 2025 - VELLEXON - DAMPIERRE - 2ème dimanche de Carême - Année C

Gn 15,5-12.17-18 ; Ps 26 ; Ph 3,17-4,1 ; Lc 9, 28b-36
 
Chers frères et sœurs,
 
La Transfiguration de Jésus est l’un des épisodes parmi les plus impressionnants de l’Évangile. Il se situe à la croisée des chemins. D’un côté, nous avons, les Écritures – La Loi et les Prophètes – qui nous rapportent des événements similaires vécus par Abraham, mais aussi Jacob, ou Moïse et Élie, où Dieu s’est fait connaître à eux, s’est révélé à eux. De l’autre, nous avons la Gloire de Dieu, cette communion lumineuse dans l’amour, où se retrouvent face au Père, dans le Christ et par l’Esprit, les hommes de toutes les générations, qu’ils aient ou non déjà franchit la mort. Ainsi, avec Jésus, se trouvent Moïse et Élie, Pierre, Jacques et Jean – tous ensemble dans la même Gloire de Dieu. Nous avons donc le temps et l’éternité. Mais nous avons aussi la terre et le Ciel. En effet, Jésus qui est homme, se révèle aussi Fils de Dieu, lorsque l’aspect de son visage change et que ses vêtements deviennent éblouissants. En réalité, Jésus ne change pas au cours de cet épisode : il est toujours le même. Ce qui change, c’est le regard de Pierre, Jacques et Jean, pour qu’ils puissent voir la réalité glorieuse de Jésus, fils de l’homme et fils de Dieu.
Nous comprenons ici qu’en Jésus, Dieu s’est fait homme, et il a été reconnu homme à son aspect par tous ceux qui l’ont rencontré. Et inversement, si Pierre, Jacques et Jean ont pu voir la Gloire de Dieu, s’ils ont pu même y entrer, en compagnie de Moïse et d’Élie, c’est que eux – qui sont des hommes comme vous et moi – ont été revêtus de la divinité. Par l’Esprit Saint qui les a couverts de son ombre, ces hommes ont eu part à la Gloire de Dieu. Ils sont devenus eux aussi fils de Dieu. Ils ont connu la résurrection à l’avance. Et c’est pourquoi, quand Jésus est ressuscité, ils ont pu le reconnaître, l’identifier, l’authentifier. Parce qu’ils l’avaient déjà vu glorieux avant.
 
Comment cela s’est-il passé ? Il est important de noter qu’il y a eu quatre étapes. La première est celle où Jésus monte dans la montagne pour prier. L’aboutissement de sa prière, son objectif, est la Gloire de Dieu. Au sommet de sa prière, son visage a donc changé et ses vêtements apparaissent éblouissants. Cela veut dire que son corps réel est un corps lumineux et que la réalité de la matière qui l’environne est également lumière. Dans la Gloire de Dieu, il en sera de même pour nos corps et pour toute la création : tout sera irradié de lumière. Plus encore, la Gloire de Dieu n’est pas qu’une modification d’état physique, c’est surtout une communion : dans la Gloire, on retrouve les Patriarches et les Prophètes, et les Apôtres – on retrouve tous les saints, les justes et tous les hommes de bonne volonté. Le but de la prière de Jésus – qui est aussi la prière de l’Église – est que tous les hommes puissent se retrouver dans cette Gloire de Dieu. Et cela ne peut se faire que par la Passion et la résurrection de Jésus, par la Croix, par le passage de la mort à la vie, par le baptême qui libère et sauve l’homme pécheur. Ce dont Jésus parle avec Moïse et Élie.
 
Justement – deuxième étape – avec Pierre, Jacques et Jean – qui sont comme nous – nous sommes avec des hommes pécheurs. La Gloire de Dieu ne leur est pas immédiatement accessible. Sinon, ils en mourraient, car nul homme ne peut se tenir en présence de Dieu, du fait de son péché. Le sommeil et les songes sont des moyens pour Dieu de montrer aux hommes sa Gloire sans qu’ils ne meurent. C’est pourquoi il endormit Adam, Abraham et Jacob. Moïse et Élie sont montés sur la montagne dans les ténèbres – les ténèbres ont la même fonction que le sommeil. Car il faut d’abord passer par la nuit – par la Passion – pour accéder au jour, à la Gloire de Dieu. D’ailleurs, avez-vous remarqué que la Transfiguration de Jésus se passe aussi de nuit ?
Pierre est en même temps comblé par la vision qu’il a – elle est fascinante : « Maître, il est bon que nous soyons ici ! » s’écrie-t-il. Mais Luc note qu’« il ne savait pas ce qu’il disait » : c’est beaucoup, beaucoup trop grand pour lui. Il a accès à la Gloire de Dieu, et il n’en reste pas moins un petit homme pécheur : il est terrassé. Il en va toujours ainsi quand un homme se trouve en présence de Dieu : il ne peut pas faire autrement que de se prosterner face contre terre.
Cependant Pierre a dit quelque chose d’important : « Faisons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. » En effet, il a bien compris qu’il n’y a rien de plus grand, rien de plus désirable, que la Gloire de Dieu. Et donc, il veut y habiter pour toujours. Mais quel est l’homme qui bâtirait une maison pour le Seigneur ? C’était le désir du saint roi David, qui voulait bâtir un Temple pour l’Arche de Dieu. Et Dieu lui a répondu : « C’est moi qui te bâtirai une maison. » C’est exactement ce qu’il se passe à la troisième étape.
 
La nuée survient et les couvre de son ombre. Le langage de saint Luc est sans équivoque : la nuée les couvre de son ombre comme les ailes des chérubins couvrent de leur ombre le propitiatoire de l’Arche d’Alliance où repose la Présence du Seigneur. C’est-à-dire qu’à ce moment précis non seulement ils entrent dans la Gloire de Dieu quand ils entrent dans la nuée, mais aussi qu’étant couverts par l’ombre de la nuée, Dieu vient faire reposer sa Présence sur eux, en eux : dans leur cœur. Dieu vient habiter leur cœur comme dans son Temple. Et là il dit : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi  : écoutez-le ! » Bien entendu, il s’agit de Jésus. À ce moment Pierre, Jacques et Jean sont comme Moïse au Sinaï, à la différence qu’au lieu de recevoir la Loi à écouter et à mettre en pratique, ils reçoivent Jésus à écouter et à mettre en pratique. Cette Loi nouvelle, Jésus, la Parole de Dieu, l’Évangile, est donc ici inscrite non pas sur des tables de pierre, mais directement dans leur cœur, où elle est conservée comme dans un Temple. Par l’Esprit Saint, le Seigneur a fait de leur cœur son Temple, où repose son Évangile.
 
Alors, quatrième et dernière étape, quand Dieu eut fini de parler, que l’Esprit Saint s’est retiré en quelque sorte, ils se retrouvent avec Jésus seul, dans son aspect humain, un peu sonnés par ce qu’il s’est passé. Cela a été tellement impressionnant, presque irréel, qu’ils n’en parlent pas. Ils ne peuvent pas. Déjà, parce qu’ils n’ont pas tout compris. Ils ne comprendront vraiment que le jour de Pâques, quand Jésus se montrera à eux ressuscité. Dès lors, comme nous tous, ils n’attendront plus qu’une chose : retrouver la Gloire de Dieu, y habiter, tout en sachant qu’à chaque messe nous recevons cette même Gloire dans la communion. Là, c’est elle qui vient, déjà, nous habiter. 

dimanche 9 mars 2025

09 mars 2025 - PESMES - 1er dimanche de carême - Année C

Dt 26, 4-10 ; Ps 90 ; Rm 10, 8-13 ; Lc 4,1-13
 
Chers frères et sœurs,
 
Par son jeûne au désert, Jésus rejoint la condition de tout homme : dans la détresse, dans la pauvreté, il se révèle sensible aux tentations. L’homme moyen y succombe facilement, ce qui fait rapidement de lui un pécheur. Au contraire, Jésus surmonte les tentations par l’obéissance à la Parole de Dieu : à chaque fois, il cite en réponse au tentateur un verset des Écritures, un verset du Deutéronome. Tout le monde sait bien qu’il ne suffit pas de lire un passage des Écritures pour résister aux tentations, mais en écoutant et en mettant en pratique la Parole de Dieu qui inspire les Écritures, il est possible d’exprimer sa foi dans ce Dieu qui a parlé en elles, d’avoir foi en Dieu lui-même en tant qu’il est le seul Dieu et qu’il n’y en a pas d’autre, et qu’il est Tout-puissant. C’est-à-dire qu’il peut faire arriver ce qui est humainement inconcevable, au moment et de la manière dont il est le seul juge. Avec lui, le diable peut être vaincu. Ainsi, nous voyons apparaître au désert la foi pure de Jésus en son Père, qui ne donne prise à aucune tentation. Le diable chauffe pourtant Jésus « à blanc », si je puis dire, pour tenter de le séparer de son Père. Ce faisant, il mène une attaque directe contre l’Esprit Saint qui unit le Père et le Fils. Et cela est impardonnable. Le combat que mène Jésus au désert est donc pour lui existentiel, comme pour le diable d’ailleurs.
Peut-on faire quelques pas de plus dans notre compréhension de cet épisode de la vie de Jésus ? Je voudrais faire quelques observations.
 
La première est que, d’un côté l’épisode renvoie à la querelle des Hébreux contre Dieu, dans le désert après la sortie d’Égypte, où ils mettent Dieu à l’épreuve. En effet, les Hébreux avaient faim et soif et ils s’interrogeaient – ils doutaient : « Le Seigneur est-il au milieu de nous, oui ou non ? » Mais on peut aussi lire l’inverse, où c’est Dieu qui met les Hébreux à l’épreuve, en les laissant entrer en tentation : « Ont-ils foi en lui, oui ou non ? » Et Dieu répond, dans le livre de l’Exode : « Si tu écoutes bien la voix du Seigneur ton Dieu, si tu fais ce qui est droit à ses yeux, si tu prêtes l’oreille à ses commandements, si tu observes tous ses décrets, je ne t’infligerai aucune des maladies que j’ai infligées aux Égyptiens, car je suis le Seigneur, celui qui te guérit. » Le Seigneur est le protecteur de son peuple, avec qui il a fait alliance.
Donc pour saint Luc, d’un côté nous avons dans les tentations de Jésus un rappel des tentations des Hébreux au désert. Mais, d’un autre côté nous avons aussi la Passion de Jésus. D’ailleurs, Luc écrit que « le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé », c’est-à-dire la Passion.
 
Lors de sa Passion, la première tentation de Jésus se produit à Gethsémani, où il est angoissé : « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. » La tentation consiste à faire sa volonté plutôt que celle de son Père. « Ordonne à cette pierre de devenir du pain » lui suggère le diable… Mais Jésus vit de l’obéissance à la volonté de son Père.
La seconde tentation de Jésus a lieu quand il est confronté aux Grands prêtres et aux anciens, et à Pilate. La question est de savoir s’il est réellement le Christ, c’est-à-dire pour les uns le Fils de Dieu, et pour l’autre le Roi des Juifs. Aux premiers, face à leurs accusations et à leur refus de croire Jésus répond que « désormais le Fils de l’homme sera assis à la droite de la Puissance de Dieu », et au second : « C’est toi-même qui le dis » – qui dit que je suis Roi. Jésus assume complètement son identité. Et justement, il refuse de « lécher les babouches » de ceux qui lui proposent de se renier pour sauver sa vie : « Toi donc, si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela », lui dit le diable. Mais « Quel avantage un homme aura-t-il à gagner le monde entier, si c’est au prix de sa vie ? » a dit Jésus. Ainsi donc, devant la seconde tentation de tout lâcher, de se renier, Jésus réaffirme la seule chose essentielle : « C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte. » Et il faut entendre ici aussi cette réponse de Jésus à Pilate : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi si tu ne l’avais reçu d’en haut. » Il en va de même aussi pour le diable.
Enfin, troisième tentation, tandis que Jésus est élevé en croix : « Il en a sauvé d’autres : qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu, l’Élu ! » lui crient les chefs du peuple ; « N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi ! » lui reproche un larron. « Si tu es Fils de Dieu, d’ici jette-toi en bas… » lui suggère une dernière fois le diable. La réponse de Jésus est souveraine : alors qu’il est le dernier des hommes, rejeté, condamné, crucifié comme un paria, il répond : « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. » Mais… frères et sœurs, Jésus est la Parole de Dieu : il parle de lui-même quand il dit cela : « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »
 
 Alors que peut-on dire pour conclure, qui nous soit profitable ? Retenons que Jésus a toujours choisi l’obéissance à son Père seul, contre toute autre sollicitation. Pour cela, il s’est toujours appuyé sur les Écritures où s’exprime la Parole de Dieu. Et pour cause, comme la Parole de Dieu c’est lui-même, désobéir à sa propre parole aurait été se renier lui-même. Il en va de même pour nous : si nous sommes entrés en Alliance avec Dieu, baptisés au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, alors nous sommes fils et filles de Dieu. Renoncer à notre foi, à notre obéissance à la Parole de Dieu, serait aussi renoncer à nous-mêmes, à notre identité la plus profonde.
Enfin, retenons que la lutte avec le diable, finalement, est toujours de même nature : que ce soit les Hébreux au désert, que ce soit Jésus après son baptême ou lors de sa Passion, le diable prend des visages différents, mais ce sont toujours les mêmes tentations. Et la réponse est toujours la même : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ta force, et de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même. »

vendredi 7 mars 2025

05 mars 2025 - MEMBREY - Mercredi des Cendres

 Jl 2, 12-18 ; Ps 50 ; 2 Co 5,20-6,2 ; Mt 6,1-6.16-18
 
Chers frères et sœurs,
 
La liturgie d’aujourd’hui nous fait entrer en carême. Nous associons souvent le carême à un temps de pratique religieuse plus radicale, où il est question d’aumône, de prière et de jeûne. En réalité ces pratiques devraient nous être parfaitement habituelles. D’ailleurs, même hors carême le vendredi est au moins un jour d’abstinence de viande, et les premiers chrétiens jeûnaient habituellement le mercredi et le vendredi. Pour ce qui est de la prière, tous ceux qui ont reçu un catéchisme savent qu’il faut faire quotidiennement sa prière du matin et du soir. Et nous savons que la prière de l’Église – qui est dans le bréviaire des évêques, des prêtres et des diacres, et de tous les moines et religieux – cette prière est composée de plusieurs temps chaque jour : matines, laudes, tierce, sexte, none, vêpres et complies, sans oublier la messe, bien sûr. La prière de l’Église est par définition celle de tout chrétien : il devrait y être attaché autant que possible. Quant à l’aumône, elle devrait être pour nous tous une seconde nature, un geste habituel, car dans le regard du pauvre nous devrions reconnaître celui de notre Jésus souffrant.
Alors qu’y a-t-il donc de si particulier durant le carême, pour que nous insistions à ce point sur ces actions normales d’une vie chrétienne normale ? Je voudrais souligner trois choses.
 
La première est l’insistance de Jésus, dans l’évangile, pour que ces pratiques – l’aumône, le jeûne et la prière – soient accomplies « dans le secret ». Jésus vilipende les hypocrites qui agissent avec un panneau publicitaire sur la tête. C’est que – comme l’a enseigné Ben Sira le Sage, dans la lecture d’hier à la messe : « C’est présenter de multiples offrandes que d’observer la Loi. » Il veut dire – et il le détaille même – que faire des actes d’aumône, de jeûne et de prière, cela équivaut à présenter à Dieu des offrandes, exactement comme le prêtre présente des offrandes à Dieu « dans le secret » du Temple du Seigneur. Et le plus secret du secret est le Saint des Saints, où se trouve l’Arche d’Alliance sur laquelle repose la Présence de Dieu. Vivre une vie sainte – toute faite d’aumône, de prière et de jeûne – « dans le secret » équivaut à présenter cette vie en offrande à Dieu pour obtenir sa bénédiction, non pas tant pour soi-même, mais aussi et surtout pour les autres.
Tous ici, nous avons été baptisés, prêtres, prophètes et rois, à l’image de Jésus. Agir en secret en vue du bien, c’est donc exercer notre sacerdoce de baptisés. Le Seigneur attend de nous que nous accomplissions la vocation que nous avons reçue de lui au baptême. Et cela vaut le coup de s’en rappeler au moins quarante jours par ans.
 
Justement, nous sommes ainsi faits que nous sommes portés à l’oubli : la mémoire des hommes est défaillante. Parfois, il est aussi bien que nous oubliions les heures sombres, autant que possible. Mais parfois, nous ne sommes vraiment pas très reconnaissants. Nous oublions facilement les dons et les pardons de Dieu, même les miracles. Et nous croyons que tout ou presque nous est dû. La liturgie de l’Église a pour fonction de nous empêcher d’oublier ; oublier que nous avons été créés par amour, oublier que nous sommes pécheurs et mortels, oublier que Dieu nous a donné un repère et un guide pour vivre saintement, dans la Loi de Moïse, oublier que Dieu nous a parlé par les patriarches et les prophètes pour nous préparer à recevoir son Fils, notre véritable rédempteur, notre véritable sauveur.
La liturgie de l’Église nous empêche aussi d’oublier de remercier Jésus pour son sacrifice sur la croix, pour la porte du Ciel qu’il nous a ouverte, et pour le don de son Esprit Saint, le don de la vie éternelle. Voilà pourquoi l’Église prie, les chrétiens prient, plusieurs fois par jour : pour ne pas oublier d’où viennent la vie et la Vie véritable ; pour ne jamais perdre de vue la source de la Vie.
Un téléphone portable ne fonctionne que connecté une antenne et, quand il la perd, immédiatement il en recherche une de nouveau. Un chrétien devrait être pareil : la prière ne devrait jamais le quitter. Elle est pour lui vitale. C’est ainsi que fait l’Église : elle prie, elle célèbre, pour ne jamais oublier le Seigneur son Dieu, Jésus-Christ son Sauveur, et l’Esprit de Vie. Par conséquent, notre carême est un rappel pressant à nous souvenir de Dieu, de son action pour nous ; de notre baptême, et de la vocation sacerdotale que nous y avons reçue en tant que fils de Dieu, à l’image de Jésus.
 
En définitive – et c’est mon dernier point – il ne s’agit pas tant d’agir toujours plus ou mieux que d’habitude – bien sûr qu’il faut le faire – mais il s’agit surtout de changer de mentalité. C’est ce que nous dit l’Esprit Saint par la bouche du prophète Joël : « Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements. » La vraie conversion n’est pas d’abord dans les actes extérieurs, mais elle est d’abord dans notre âme intérieure – et c’est bien le plus difficile à réaliser.
Nécessairement, cette conversion ne peut se faire que « dans le secret », dans le secret de notre conscience. Voilà le vrai Temple du Seigneur auquel nous avons accès, pour lequel chacun est son propre et son seul Grand Prêtre. Il n’y en a pas d’autres. Quand nous venons dans le secret de notre conscience, dans le Temple de notre cœur, qu’avons-nous de notre vie à offrir au Seigneur, pour nous et pour les autres ?
Voilà la vraie question du carême. Pour ne pas l’oublier, et puisqu’elle est si importante, il faut bien se la poser un peu de temps en temps ! 

dimanche 2 mars 2025

02 mars 2025 - BEAUJEU - 8ème dimanche TO - Année C

 Si 27, 4-7 ; Ps 91 ; 1 Co 15, 54-58 ; Lc 6, 39-45
 
Chers frères et sœurs,
 
Avec saint Luc, comme dimanche dernier et celui d’avant, nous continuons d’être à l’écoute de Jésus, qui enseigne à ses disciples la manière d’être chrétien, c’est-à-dire la manière de lui ressembler et de devenir ainsi fils et filles de Dieu. C’est bien ce que dit Jésus : « Le disciple n’est pas au-dessus du maître ; mais une fois bien formé, chacun sera comme son maître. »
L’objectif étant connu, il convient de s’interroger sur le moyen. Jésus parle de nous « former », mais comment ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Nous pouvons bien sûr nous rappeler ce que Jésus nous a dit dimanche dernier sur l’amour des ennemis. Humainement, c’est une chose qui nous est difficile, voire impossible, car nous attendons une justice rapide, à l’échelle humaine, et nous pensons que la personne qui nous a offensé ne peut pas changer. Or Jésus nous rappelle qu’au commencement Dieu nous a créés par amour. C’est-à-dire que l’amour est créateur, et recréateur autant qu’il en faut. Ainsi, un homme pécheur peut-il être recréé, pardonné, et rendu juste par amour. De même Jésus nous enseigne que le jugement appartient à Dieu : nous ne sommes pas de justes juges. Le disciple du Christ qui a foi en lui, remets au Père le fardeau des offenses reçues pour lesquelles il demande justice. Et il laisse Dieu rendre la sentence, à son heure et de la manière qu’il juge bonne. Alors le disciple reçoit la paix de l’Esprit Saint, qui lui permet de regarder son prochain autrement qu’en ennemi irréductible.
 
Nous arrivons maintenant au point que Jésus souligne aujourd’hui à son auditoire : le regard qu’il porte sur la réalité. « Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? » ; « Enlève d’abord la poutre de ton œil, alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère. » Comment avoir, non pas une bonne vue, mais le regard éclairé ? La réponse est dans l’invective que Jésus lance à celui qui croit voir, tout en étant aveugle : « Hypocrite ! » Ce mot est intéressant, parce qu’il est difficile à traduire. En araméen, on dirait qu’il s’agit d’un « preneur de visage », c’est-à-dire de quelqu’un qui prend plusieurs masques, qui s’adapte aux circonstances : c’est une girouette, un caméléon. Le « preneur de visage » est aussi celui qui est partial et qui juge les autres sur les apparences. En fait, il est en permanence en dehors de la réalité, il est dans le cinéma ; il est dans la fiction. Par conséquent, celui qui a un œil pour voir, c’est celui qui est enraciné dans le réel. Et pour Jésus comme pour tous les Juifs qui l’écoutent, c’est celui qui est fondé dans l’obéissance à la Parole de Dieu et qui la met en pratique. Cela rejoint le mot hébreu qui désigne l’« impiété ». Dans un certain nombre de cas, ce mot a été traduit en grec par « hypocrisie ». Est « hypocrite » celui qui est « impie », celui qui n’adore pas Dieu, qui n’aime pas Dieu, et par conséquent n’aime pas non plus son prochain en vérité. Nous retrouvons ce que nous disions tout à l’heure : seul l’Esprit Saint permet à l’homme d’aimer Dieu et son prochain en vérité, parce que seul l’Esprit Saint illumine les yeux et permet de voir la réalité.
 
Jésus compare enfin l’homme à un arbre qui donne du bon fruit, ou pas, selon ce qu’il tire du fond de lui-même. Notre traduction malheureusement, a tendance à nous entraîner dans un piège. Jésus dit clairement : « Un homme bon, du bon trésor de son cœur, fait sortir de bonnes choses. » Trois points sont à souligner.
 
Premièrement, le cœur de l’homme est neutre : il n’est pas bon ou mauvais au départ. Mais dans ce cœur, il y a un bon trésor et un mauvais trésor.
Dans un premier temps, l’homme peut accumuler et faire fructifier de bonnes choses dans son cœur – c’est le bon trésor. Mais il peut aussi accumuler avec rancœur, amertume ou malignité, de mauvaises choses – c’est le mauvais trésor. On peut déjà choisir de n’avoir dans son cœur qu’un seul trésor, le bon, et réduire autant que possible le mauvais : ce serait déjà un grand pas.
Ensuite, dans un second temps, l’homme peut choisir ce qu’il va tirer de l’un ou l’autre trésor. Si l’homme a un bon jugement, il va puiser dans le bon trésor pour en sortir de bonnes choses, et si son jugement est mauvais, alors il sera tenté d’aller puiser dans le mauvais trésor, et ce qu’il en sortira est déplorable.
 
Deuxièmement, justement, le cœur de l’homme pour un hébreu, pour Jésus et ses disciples, pour saint Luc, n’est pas l’affectivité de l’homme, comme pour nous, mais l’intelligence qui éclaire le jugement. Ainsi, l’homme dont l’intelligence est illuminée par l’Esprit Saint, qui a l’œil ouvert, qui a un bon jugement, peut naturellement exprimer des choses bonnes qu’il va savoir tirer du bon trésor de lui-même. Mais celui qui est aveugle, qui a un cœur aveugle et un jugement défaillant, va en sortir autant de bonnes choses que de mauvaises. C’est un canard sans tête !
 
Enfin, troisièmement, l’homme ne tire pas le « bien » ou le « mal » de son cœur, mais il sort de « bonnes choses » ou de « mauvaises choses » du bon trésor ou du mauvais trésor de son cœur. De l’homme ne sort pas le bien absolu, ou le mal absolu. Nous ne sommes ni Dieu ni démons : nous disons ou nous faisons des bonnes choses – des choses illuminées par l’Esprit de Dieu ; et nous disons et faisons des mauvaises choses – quand nous sommes sans discernement. C’est plus modeste dans les deux cas, mais c’est aussi plus salutaire pour nous... ! Nous ne sommes pas Dieu ; nous sommes simplement humains.
 
Ce que Jésus attend de nous, c’est que nous écoutions sa Parole, que nous la mettions en pratique, et que nous laissions l’Esprit Saint illuminer notre cœur, notre intelligence. Et ainsi, que nous vivions en paix en tirant, par un bon jugement, le meilleur de nous-mêmes, en aimant Dieu et nos frères – qu’ils soient bons ou mauvais, amis ou ennemis. 

dimanche 23 février 2025

22-23 février 2025 - SEVEUX - AUTREY-lès-GRAY - 7ème dimanche TO - Année C

1 S 26, 2.7-9.12-13.22-23 ; Ps 102 ; 1 Co 15, 45-49 ; Lc 6, 27-38
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous sommes toujours parmi les disciples de Jésus et nous écoutons l’enseignement qu’il leur donne, qu’il nous donne. Cet enseignement est très construit, très ordonné. Ainsi, dimanche dernier nous avons eu 4 béatitudes suivies de 4 lamentations. De même, aujourd’hui nous avons dans un premier temps, 4 commandements suivis de 4 recommandations pratiques. Nous avions compris que la joie promise aux disciples était celle de l’Esprit Saint, l’Esprit de Pentecôte. Il nous faut en tenir compte pour comprendre les commandements et les recommandations de Jésus aujourd’hui.
« Je vous le dis, à vous qui m’écoutez », dit Jésus, c’est-à-dire à ceux qui « écoutent sa Parole et la mettent en pratique », puisqu’elle est la Loi nouvelle, ou plus exactement le cœur caché de la Loi de Moïse, que Jésus accomplit.
 
C’est si vrai que, pour la suite de son enseignement, Jésus s’appuie d’abord sur un précepte tiré du Livre de Tobie : « Ne fais à personne ce que tu détestes », qu’il transforme en « Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux » ; puis sur un précepte du livre du Lévitique : « Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint », qu’il transforme en « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux ». Plutôt que « transformer », il serait mieux de dire « révèle », « dévoile », ou même « transfigure ». En effet, on voit bien que dans son enseignement Jésus va plus loin, plus profond, ou plus haut que le précepte tiré des Écritures. Nous ne devons pas oublier qu’il s’adresse ici, non pas au commun des mortels, mais à ceux qui sont ou seront bientôt remplis de l’Esprit Saint, et qui sont ou seront donc bientôt rendus capables de l’amour de Dieu lui-même.
 
La grande différence porte justement sur l’amour des ennemis – ce qui nous paraît humainement impossible. Cependant, nous savons que Dieu a créé l’homme par amour et lui a donné son esprit de vie ; puis, bien que pécheur, en Jésus, Dieu l’a ensuite sauvé par amour et, avec la résurrection, lui a donné son Esprit Saint, la grâce du pardon et la vie éternelle. C’est notre Credo. L’acte d’amour de Dieu est inséparable de son acte créateur. De même, le pardon et le don d’une vie nouvelle sont inséparablement des actes créateurs et des actes d’amour.  Jésus nous dit donc que tout disciple de l’Évangile doit regarder chaque homme – même son ennemi – avec les yeux de Dieu, avec un regard d’amour et de création nouvelle, toujours possible pour lui, pourvu qu’il l’accepte.
Certes, je peux humainement ne pas aimer tel homme que je vois de mes yeux de chair, car il est limité, pécheur et mortel, peut-être même objectivement mauvais. Mais si j’adopte le regard de Dieu, alors je le vois comme ayant été créé par amour depuis le commencement et appelé aujourd’hui et demain, comme tout homme et comme moi-même, à un pardon pour ses fautes et à une vie nouvelle dans un amour éternellement fidèle. Dieu a les yeux du père du fils prodigue. Et l’homme a les yeux du frère aîné. L’Esprit Saint, l’Esprit de Jésus, seul peut nous faire passer du regard du frère à celui du père ; de celui de l’homme à celui de Dieu.
 
Nous mesurons ici la différence abyssale qu’il y a entre un homme normal – si je puis dire – et un saint. Entre un regard humain limité à un horizon terrestre – c’est-à-dire à un jugement temporel, qu’on est tenté d’appliquer soi-même de peur qu’il ne soit jamais rendu ; et un regard divin, qui voit au-delà de la mort la vie nouvelle des pécheurs pardonnés et ressuscités, appelés à la communion dans l’amour. L’homme normal veut juger dès que possible ; le saint offre et confie le jugement à Dieu. Plus encore, comme le saint sait qu’il est lui-même pécheur et qu’il espère pour lui-même la miséricorde de Dieu, alors, comme le gérant malhonnête dont Jésus fait l’éloge, il fait miséricorde à son frère, obligeant ainsi Dieu à lui faire à son tour miséricorde, selon la parole de Jésus : « ne jugez pas et vous ne serez pas jugés », car « la mesure dont vous vous servez pour les autres, servira de mesure aussi pour vous ». On a le droit de prendre Jésus au mot, surtout quand il est aussi affirmatif !
 
Je voudrais terminer sur un verset curieux du psaume : « comme la tendresse du père pour ses fils, la tendresse du Seigneur pour qui le craint ! » Nous avons bien compris que Dieu n’est qu’amour pour ses enfants. Mais comment peut-on être invités à « craindre » un Père qui n’est qu’amour ? Il faut bien comprendre que la « crainte de Dieu », dans les Écritures, est une expression qui ne signifie pas la « peur de Dieu », mais qui signifie quelque chose comme « le service de Dieu dans l’amour », « le culte de Dieu, de tout son cœur ». Celui qui « craint Dieu », c’est celui qui aime Dieu, concrètement, par la prière, l’obéissance à sa Parole, la liturgie, l’offrande de soi, et qui aime son frère, concrètement, par le pardon, le service, la charité sous de multiples formes. En somme, celui qui « craint Dieu », c’est celui qui vit selon l’Esprit de Dieu : c’est un saint. Ainsi, nous comprenons que Dieu appelle « ses fils » ceux qui le craignent, parce qu’il reconnaît et aime en eux l’Esprit Saint qui les transfigure en son fils bien-aimé Jésus-Christ, notre Seigneur. Ainsi, la plus belle, la plus remarquable, la plus grande figure humaine qui « craint Dieu », c’est la Bienheureuse Vierge Marie !

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