dimanche 14 décembre 2025

14 décembre 2025 - PESMES - 3ème dimanche de l'Avent - Année A

 Is 35, 1-6a.10 ; Ps 145 ; Jc 5, 7-10 ; Mt 11, 2-11
 
Chers frères et sœurs,
 
Pouvons-nous mettre notre foi en Jésus ? Telle est la question que les habitants de Galilée et de Judée devaient se poser autrefois ; telle est la question qui se pose à tous les hommes en tous lieux et en tous temps, depuis l’annonce de la Bonne Nouvelle à la Pentecôte. Sur quels appuis solides pouvons-nous nous appuyer pour pouvoir y répondre et confesser notre foi : « Je crois en toi, Seigneur ! » ?
 
Jean-Baptiste a envoyé ses disciples poser cette question à Jésus, mais avec une condition particulière, qui permet à Jésus d’authentifier sa réponse : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » Traduisons : « Es-tu bien le Messie de Dieu ? », la question que tous se posent. Mais il l’exprime en disant : « Es-tu celui qui doit venir ? » Car le Messie de Dieu a déjà été annoncé par les prophètes. Et il n’est vraiment le Messie de Dieu que si et seulement si il correspond aux prophéties le concernant. Le premier critère d’authenticité du Messie de Dieu est les prophéties de l’Ancien Testament. Voilà le premier appui solide sur lequel nous pouvons et nous devons nous appuyer pour pouvoir confesser notre foi : notre foi chrétienne s’enracine dans la foi des prophètes d’Israël.

Jésus a compris la question 5 sur 5 ; il répond : « Les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle. » Ces affirmations répondent directement à diverses annonces du prophète Isaïe – nous en avons entendu une en première lecture. Il est capital d’observer que Jésus ne renvoie pas la question à des paroles mais à des actes : les prophéties, pour être validées authentiquement, doivent correspondre à la réalité des faits. Ce qui répond aux prophéties, c’est le témoignage de la réalité de la vie de Jésus, de sa prédication et de ses actes, de sa mort et de sa résurrection, et de l’envoi du Saint-Esprit. Par conséquent, le second appui solide sur lequel nous pouvons et nous devons nous appuyer pour pouvoir confesser notre foi en Jésus, c’est le témoignage des Apôtres : l’Évangile, et son résumé, le Credo. Notre foi chrétienne s’enracine dans le témoignage des Apôtres, lequel répond directement à celui des prophètes.

Ainsi le visage de Jésus que nous sommes appelés à contempler, « la gloire du Seigneur, la splendeur de notre Dieu » comme dit Isaïe, est celui qui nous est annoncé par les prophètes et décrit par les Apôtres. Et c’est tout. Par l’action de l’Esprit Saint, nous sommes amenés chacun selon des modes différents et à des degrés divers à voir dans nos cœurs ou à travers notre prochain le visage du Seigneur. Mais jamais ce visage ne peut être différent de celui qui nous est dessiné par les prophètes et les Apôtres. Si quelque chose ne correspond pas, alors, nous avons encore un peu de chemin à parcourir dans la connaissance de la Parole de Dieu et de sa mise en pratique.
 
En envoyant à Jésus ses disciples – et avec eux les foules qui venaient se faire baptiser au Jourdain – Jean-Baptiste, désigne donc encore une foi Jésus comme « celui qui doit venir », comme « Messie de Dieu » : il accomplit totalement sa vocation prophétique. Tout prophète authentique, habité par l’Esprit de Dieu, ne parle et agit que pour annoncer le Christ, et lui seul.

Mais en retour, Jésus aussi authentifie Jean-Baptiste, et à travers lui tous les prophètes qui l’ont précédé. Non seulement en montrant que les prophéties se réalisent – ce qui est un fait – mais aussi en révélant leur identité profonde : Jean, comme tous les prophètes, est habité comme Élie par l’Esprit de Dieu. 
Jean est-il un roseau agité par le vent – on dirait aujourd’hui une girouette ? Non, Jean était connu pour son intransigeance doctrinale et morale jusque devant les rois. Il le payera de sa vie. 
Jean était-il un homme habillé de manière raffinée ? La question sous-entendrait que Jean ait pu être corrompu, servile, parvenu, ou sensible aux facilités humaines. Non, Jean ne vivait pas dans la  compromission : il était tout entier, âme et corps donné à l’action de l’Esprit Saint en lui : il était un authentique serviteur de Dieu : il était un vrai prophète. 
Jean était-il un prophète, insiste Jésus ? Oui – confirme-t-il, « et bien plus qu’un prophète ». En effet, Jean est appelé « messager », il est élevé à un rang angélique, qui est aussi ici un rôle de prêtre : « J’envoie mon messager en avant de toi » ; pour « préparer le chemin devant toi », c’est-à-dire restaurer, rétablir, accomplir l’obéissance à la Loi : l’amour exclusif de Dieu et du prochain comme soi-même, et présenter cet amour en sacrifice. Souvenez-vous : « Il faut qu’il grandisse et que je diminue. » Jean est en même temps et tout à la fois, prophète, ange et prêtre.

Jésus souligne la grandeur de Jean le Baptiste : « Parmi ceux qui sont nés d’une femme, personne ne s’est levé de plus grand que lui ». Et pourtant, Jésus ajoute : « le plus petit  dans le royaume des Cieux est plus grand que lui. » Et qui est ce « plus petit » ? C’est chacun de nous, qui est baptisé au Nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit, qui a été élevé au rang de prêtre, prophète et roi, devenu enfant et ami de Dieu. Comment ne mettrions-nous pas notre foi en celui qui a tant fait pour nous, hier, aujourd’hui et demain ? Amen.

dimanche 7 décembre 2025

07 décembre 2025 - SAVOYEUX - 2ème dimanche de l'Avent - Année A

 Is 11,1-10 ; Ps 71 ; Rm 15,4-9 ; Mt 3,1-12
 
Chers frères et sœurs,
 
Bienvenue dans le monde des prophètes ! Un prophète, dans notre tradition judéo-chrétienne, est un homme ou une femme, qui est habité par l’Esprit de Dieu et par qui la Parole de Dieu s’adresse aux hommes. Il en est institué témoin et messager.
 
Dans la première lecture, le prophète Isaïe rapporte la vision qu’il a du monde nouveau, que nous appelons le ciel, ou le Royaume des Cieux. Dans ce ciel se trouve le rejeton de David, le juste juge. Il est également dit fidèle, c’est-à-dire qu’il est Dieu. Il n’y a que Dieu qui soit vraiment juste et fidèle. Isaïe dit de lui : « Ce jour-là, la racine de Jessé sera dressée comme un étendard pour les peuples, les nations la chercheront, et la gloire sera sa demeure. » Bien sûr nous savons qu’il s’agit de Jésus, dressé sur l’étendard de la croix, appelant au baptême les hommes de toutes les nations, et demeurant dans la Gloire de Dieu, au ciel.
Dans l’évangile, nous sommes mis en présence de Jean-Baptiste. Ce n’est pas pour lui donner une petite touche d’exotisme que saint Matthieu nous dit qu’il est habillé d’un « vêtement de poil de chameau, avec une ceinture de cuir autour des reins ». Le 2ème livre des Rois nous apprend que le prophète Élie était habillé exactement de la même manière. Le message est très clair, et saint Matthieu le dit explicitement au chapitre 17 de son évangile : saint Jean-Baptiste, c’est Élie de retour. Non pas sa réincarnation, mais avec le même esprit.
En quoi cela est-il important ? Parce que selon le prophète Malachie, Élie doit revenir « avant que vienne le jour du Seigneur, jour grand et redoutable ». Nous comprenons pourquoi Jean-Baptiste proclame avec insistance : « Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche. » Elie-Jean-Baptiste annonce la venue de Jésus, le juste juge et fidèle, qui, sous le signe de la croix, va rassembler toutes les nations dans la demeure de sa Gloire, au Ciel.
 
Pour les juifs de Judée et de Jérusalem, à l’époque, il s’agit donc de se convertir et, pour en manifester l’intention sincère, de se faire baptiser dans l’eau du Jourdain par Jean. Par nature, si je puis dire, les Juifs sont déjà convertis : en vertu de l’Alliance du Dieu fidèle, ils appartiennent au Peuple de Dieu. En quoi doivent-ils se convertir ? Il en est du temps de Jean-Baptiste comme du temps d’Élie, comme de tous les temps ici-bas : il faut renoncer à l’idolâtrie pour revenir à l’amour exclusif de Dieu et du prochain. Quand Jean-Baptiste dit, reprenant une parole prononcée par le prophète Isaïe, « Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers », nous voyons l’image mais n’en comprenons pas vraiment le sens. Pour un juif, il s’agit clairement de l’étude de la Loi de Moïse et de sa mise en pratique. Donc, la conversion attendue pour la venue du Messie, c’est l’abandon des idoles et le retour à la pratique de la Loi de Moïse, et le signe de cette démarche en est le baptême dans le Jourdain. De fait, pour entrer en Terre Promise et monter à Jérusalem, au temps de Josué, il faut d’abord franchir les eaux du Jourdain.
Aujourd’hui, les Juifs attendent toujours le retour d’Élie et les plus pieux sont évidemment très attachés à l’étude de la Loi et à sa mise en pratique, comme à de nombreux bains de purification rituelles.
 
Cependant, Jean-Baptiste a ajouté à son appel à la conversion : « Celui qui vient derrière moi est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de lui retirer ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. » « Celui qui vient » est Jésus, nous le savons. Il est « plus fort » que Jean, c’est-à-dire que si Jean est humain, Jésus est divin. Car Celui qui est « fort », c’est Dieu. On comprend pourquoi Jean n’est pas digne de lui retirer ses sandales : Jésus est le Dieu fort. Et c’est lui qui baptisera « dans l’Esprit Saint et le feu ».
Par rapport au judaïsme traditionnel, Jean-Baptiste fait ici une « percée conceptuelle » : le vrai baptême n’est pas dans l’eau du Jourdain, mais « dans l’Esprit Saint et le feu ». Cela veut dire que la Terre Promise et Jérusalem ne sont plus la Terre Sainte matérielle et la ville actuelle de Jérusalem, mais il s’agit du Ciel, du Royaume des Cieux, de la Gloire de Dieu. Josué et Jésus portent exactement le même nom, mais si l’un fait entrer dans une terre, l’autre fait entrer dans le ciel. Le juste Juge, qui est Dieu fidèle, n’est pas un roi de la terre, mais son Trône est dans les cieux. Le baptême n’est plus d’eau seulement, mais il est au « Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ». Et le feu, c’est celui du Don de l’Esprit, l’Esprit de Pentecôte qui fait l’Église par la communion de tous. C’est ainsi, d’ailleurs, que les baptisés deviennent eux-mêmes prophètes, par l’Esprit Saint qui habite en eux.
La conversion attendue demeure la même qu’au temps d’Élie, d’Isaïe, de Malachie et de Jean-Baptiste : renoncer aux idoles, aimer Dieu seul et son prochain comme soi-même, et le mettre en pratique. Et, lorsqu’on est baptisé, vivre déjà sur la terre de la vie du ciel, par la communion au Corps et au Sang de Jésus, lui qui est Dieu fort, Dieu juste, Dieu fidèle, hier, aujourd’hui et demain, en attendant son retour, comme il nous l’a promis. Amen. 


dimanche 23 novembre 2025

22-23 novembre 2026 - SEVEUX-VALAY - Notre Seigneur Jésus Christ Roi de l'Univers - Année C

2S 5, 1-3 ; Ps 121 ; Col 1, 12-20 ; Lc 23, 35-43
 
Chers frères et sœurs,
 
La fête de notre Seigneur Jésus Christ Roi de l’Univers nous donne l’occasion de méditer sur notre vocation humaine et chrétienne.
 
Dès le commencement Jésus est « Roi de l’Univers » parce qu’il est le Verbe de Dieu, la Parole de Dieu, par qui tout a été fait. « C’est par lui que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui » a écrit saint Jean :  tout dans l’Univers porte son empreinte. C’est encore plus vrai pour ce qui nous concerne, dès lors que Dieu nous a créés en disant : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. » C’est ainsi que l’homme et tout l’Univers sont pleinement eux-mêmes selon leur vocation, selon le plan de Dieu, lorsqu’ils accueillent le Christ Jésus comme principe existentiel et vital de tout leur être, en reconnaissant Jésus comme « Roi de l’Univers ».
 
Cependant l’homme n’a pas reconnu cette royauté et, dans sa chute, il a entraîné l’Univers dans les ténèbres. Ainsi l’humanité et la création tout entière ont été assujetties au péché et à la mort. Mais, comme le Seigneur notre Dieu est fidèle, il ne nous a pas abandonnés à cet esclavage. En premier lieu, il s’est suscité un peuple prophétique ayant à sa tête un roi, images de l’humanité sauvée ayant Dieu lui-même à sa tête comme roi. C’est ainsi et en second lieu que, réalisant cette promesse, le Verbe de Dieu, la Parole de Dieu, Jésus s’est fait chair en Marie, descendante du roi David. Jésus, vainqueur en sa Passion et sa résurrection des tentations et de la mort dans lesquels Adam était tombé, fut élevé au ciel et reconnu « Seigneur ». En lui l’humanité et la création ont été, non seulement libérées, mais aussi recréées comme humanité et création nouvelles. C’est ainsi que le peuple prophétique annonçait l’Église, peuple nouveau dont la constitution n’est pas terrestre mais céleste et dont le chef hier, aujourd’hui et demain est toujours l’unique et même Seigneur Jésus-Christ, le « Roi de l’Univers ».
Cette royauté, ou plutôt ce règne de Jésus s’applique déjà pour nous, baptisés, qui sommes encore en pèlerinage dans ce monde, au plan social et au plan individuel.
 
Au plan social, nous devons distinguer ce qui est de l’ordre terrestre, ce qui est « à César », et ce qui est de l’ordre céleste, ce qui est « à Dieu ». Avez-vous remarqué, dans l’évangile de ce jour, que Jésus est interpellé par trois fois de la même manière : « Sauve-toi toi-même ! », d’abord par les chefs d’Israël, ensuite par les soldats romains, et enfin par le mauvais larron. Ces trois tentations de Jésus rappellent celles qu’il avait déjà vaincues au désert. Ici, tentations de se proclamer lui-même Messie, Roi et Christ en désobéissant à la volonté de son Père, contre tentations de changer les pierres en pains, de régner sur tous les royaumes de la terre en adorant Satan, et de se jeter au bas du Temple en mettant Dieu en demeure de le sauver. Jésus a été tenté de régner dans l’ordre terrestre, au prix de trahir son Père au profit de Satan. Mais il a choisi de boire la coupe de sa Passion : il a fait la volonté de son Père, et c’est ainsi qu’il a reçu de lui le règne véritable, dans l’ordre céleste.

De la même manière que Jésus, nous baptisés, nous sommes tentés de faire du règne céleste du Christ un règne terrestre. Lorsque nous luttons pour un monde « plus juste et plus fraternel », un monde « de justice et de paix », ou bien pour le « règne du Christ » dans le monde, de quoi parlons-nous ? Si il s’agit d’une justice et d’une fraternité humaine aux prix de compromissions morales et du sacrifice de la vérité de l’Évangile ; si il s’agit d’arrangements diplomatiques et d’une paix fondée sur des intérêts particuliers ; si il s’agit d’une chrétienté politique niant toute liberté de conscience, alors nous faisons fausse route. Car le règne de Dieu n’est juste qu’en sainteté, fraternel qu’en communion dans l’amour de Dieu ; il n’est règne de paix que de la Paix de l’Esprit Saint qui vient de Dieu seul. Le Règne du Christ pour nous se manifeste dans l’écoute et l’obéissance à la Parole de Dieu, dans l’amour de Dieu et du prochain, dans la célébration des mystères du ciel, les sacrements, surtout l’Eucharistie. L’Église est donc pour nous ici-bas le règne de Dieu, dans l’attente de sa transfiguration totale dans la Gloire.
 
Pour finir, et j’en viens au plan individuel, le Règne de Dieu n’est pas seulement extérieur à nous : il nous est aussi intérieur. Il rejoint notre vocation intime : l’amour que Dieu nous porte, l’amour auquel il nous invite, dans une vie sainte. Le Seigneur Jésus veut régner en nos cœurs ; il veut habiter en nous comme Dieu demeure dans son Temple. Pour cela, il a besoin de nous : que nous soyons comme une petite Église personnelle, nourris par sa Parole et ses sacrements, adorant Dieu seul et soignant notre prochain ; et que nous chassions les marchands du Temple, nos gros péchés et nos petites manies, tout ce qui s’oppose à sa volonté. Ce Règne de Dieu n’est pas inaccessible, comme dit le Seigneur à ses fils bien-aimés : « Elle est tout près de toi, cette Parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur, afin que tu la mettes en pratique. » 

dimanche 16 novembre 2025

16 novembre 2025 - FEDRY - 33ème dimanche TO - Année C

Ml 3, 19-20a ; Ps 97 ; 2Th 3, 7-12 ; Lc 21, 5-19
 
Chers frères et sœurs,
 
Comme dimanche dernier, nous trouvons Jésus au Temple de Jérusalem. Dans les deux cas, il en annonce la destruction. Mais dans son esprit, il s’agit aussi et surtout d’une annonce de sa Passion imminente : car le Temple véritable – dont celui de Jérusalem est l’image – est son Corps. Et il ne s’agit pas seulement de son propre corps charnel, mais aussi de son corps spirituel qu’est l’Église – dont nous sommes membres par notre baptême.
C’est bien ce que nous lisons dans notre évangile : la discussion démarre sur la beauté transitoire du Temple de Jérusalem, puis elle se poursuit sur le mode de sa destruction et de la destruction du monde, au cours duquel Jésus annonce les persécutions et les martyres : « certains d’entre vous seront mis à mort » dit-il. Mais ce faisant il parle aussi et d’abord de lui-même puisqu’il décrit le déroulement de sa Passion : « on portera la main sur vous – au Jardin des Olivier – et l’on vous persécutera – on vous giflera ; on vous livrera aux synagogues – devant le Sanhédrin – et aux prisons – dans la maison du Grand-Prêtre, on vous fera comparaître devant des rois – le roi Hérode – et des gouverneurs – Ponce Pilate. Nous comprenons donc que la Passion de Jésus jusqu’à la croix, et les persécutions jusqu’au martyre, ne sont pour Jésus qu’une seule et même réalité, puisqu’il s’agit du même corps, de son corps.
C’est la raison pour laquelle les chrétiens ont toujours honoré les saints martyrs, car ayant imité le Christ Jésus au plus près par leur vie et par leur mort, nous croyons qu’ils se trouvent d’autant plus près de lui dans la vie éternelle.

Ceci dit, d’un point de vue purement humain, le programme annoncé par Jésus n’est pas très réjouissant : il annonce la Passion de l’Église et même sa mort sociale ou civile, d’une certaine manière. Cela est effectivement arrivé dans bien des endroits, dans le passé : en certains lieux l’Église, tellement persécutée, a disparu, ou n’est plus aujourd’hui qu’un mince petit troupeau. Pensons aux Églises d’Orient, ou à l’Église russe durant la période communiste, ou même ici, pendant la Révolution. Nous avons eu des vrais martyrs, même en Haute-Saône – on les a un peu oubliés, malheureusement.
Cependant, vous le comprenez bien, si nous sommes ici pour en parler, c’est que l’Église n’a pas totalement disparu : elle n’est pas morte. Car l’Église-Corps de Jésus a les promesses de la vie éternelle. Quand bien même elle s’éteindrait en certains lieux, elle demeure éternellement vivante au ciel dans les saints qui en sont originaires, et sur terre dans les chrétiens résidants dans les autres contrées du monde faisant mémoire de leurs frères, avec lesquels ils savent qu’ils sont en communion. Car Jésus est ressuscité ; Jésus est vivant, éternellement ; et son corps avec lui, inséparablement.
 
Ainsi, si persécutés nous sommes, nous avons la promesse de la sainteté puisque notre passion épouse celle de Jésus ; et nous sommes en communion dans son Corps avec les saints dans le ciel et nos frères et sœurs par toute la terre. Notre espérance doit donc être forte. Mais Jésus nous invite à adopter deux attitudes dans ces moments de souffrance.

La première est de nous garder des faux prophètes : ceux qui se proclament eux-mêmes Messies, ou bien ceux qui annoncent une fin du monde toute proche. C’est l’attrape-nigaud par la carotte et le bâton : promesses providentielles et gouvernement par la peur. Le chrétien doit se garder sur la réserve : le salut ne vient que de Dieu seul, et notre Dieu gouverne par l’amour.
Précisons ici que la « crainte de Dieu » dans les Écritures ne doit pas être traduite par la « peur de Dieu ». Ceux qui « craignent Dieu », les « craignant-Dieu », sont ceux qui ont été les bénéficiaires de la miséricorde de Dieu, d’une marque d’amour de Dieu : le don de cet amour est si grand pour eux, qu’ils en sont comme écrasés de confusion et de reconnaissance. Comme le lépreux samaritain guéri, qui revient vers Jésus et se prosterne devant lui : ce faisant, il « craint Dieu » ; mais il est en même temps rempli de joie et de reconnaissance. Telle doit être l’attitude constante du chrétien, après avoir reçu le don immense de la vie éternelle par son baptême et dans la sainte communion. Le « craignant Dieu » est immunisé contre les faux prophètes et leurs artifices.

La seconde attitude à laquelle nous appelle Jésus est celle de la « persévérance ». Comme souvent, le terme français ne correspond pas entièrement au terme grec ou araméen d’origine. Il faut entendre cette persévérance comme une « patience » ou une veille. Jésus nous invite à être patients. Cela veut dire trois choses : la première est qu’on se remet entièrement à Dieu, avec tous nos soucis : on les lui confie. La seconde est qu’on ne compte pas les jours : « un seul jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un seul jour » aux yeux du Seigneur. Le Jour de Dieu peut arriver maintenant, ou demain, comme l’éclair, comme il peut arriver « on ne sait pas quand ». On remet donc tout à Dieu, et on lui laisse la direction de l’agenda. Mais, et c’est la troisième chose : on ne reste pas les bras ballants ; on prie et on travaille ; on vit paisiblement, on cherche à s’améliorer en sainteté, à se réconcilier avec Dieu et avec son prochain, on gère ses affaires et ses biens de manière responsable et juste. On attend la venue du Seigneur, dans la paix. Et en fait, par moments, on s’aperçoit qu’il est déjà là, avec nous.

lundi 10 novembre 2025

09 Novembre 2025 - AUTREY-lès-GRAY - Fête de la Dédicace de ND de Latran - Année C

 Ez 47, 1-2.8-9.12 ; Ps 45 ; 1 Co 3, 9c-11.16-17 ; Jn 2, 13-22
 
Chers frères et sœurs,
 
Jésus, aujourd’hui dans saint Jean, monte au Temple de Jérusalem pour la première fois : il s’attend à y trouver le parfait culte de Dieu, la parfaite justice exercée par des grands prêtres saints, eux-mêmes entourés de prêtres et de lévites angéliques. En effet, selon le livre de l’Exode, le Temple, son personnel et sa liturgie sont institués et organisés selon la vision que Moïse avait eue de la Jérusalem céleste, où les anciens siégeaient sur douze trônes, entourés des anges et des archanges, pour y juger les âmes des justes.
Mais, voilà, en lieu et place des grands-prêtres, il trouve des changeurs ; d’anges et d’archanges, des troupeaux de brebis et de bœufs. Pour Jésus, le Temple qui est l’image de la Jérusalem céleste est scandaleusement profané par ceux-là mêmes qui devraient au contraire veiller à sa sainteté.

Alors Jésus réagit comme autrefois réagit Mattathias : il exerce la violence pour chasser les impies, images des démons. Ce n’est pas pour rien que Jean rappelle cette citation de l’Écriture : « L’amour de ta maison fera mon tourment. » L’amour dont il est question est un amour zélé, un zèle ardent, celui-là même qui motiva la révolte des Juifs à l’époque où le Temple fut profané par le roi Antiochus IV Épiphane et ses sbires, lesquels voulaient mettre la religion d’Israël au diapason des dieux grecs et des mœurs grecques de leur temps, avec la complicité coupable de bon nombre d’Israélites eux-mêmes. Ce fut la révolte des frères Macchabées.
La réaction des Juifs, dans l’évangile, est embarrassée. En effet, Jésus a bien agi comme avait agi autrefois Mattathias, leur père. Il a agi comme un zélote, comme eux-mêmes revendiquent d’en être les héritiers. Du coup, Jésus suscite l’inquiétude des grands prêtres et de leurs partisans saducéens, ici appelés « les Juifs », mais il s’attache immédiatement la foule des pharisiens et des zélotes de son temps qui attendaient et espéraient la venu d’un messie purificateur, libérateur, pourquoi pas un peu musclé. N’oublions pas que parmi les Apôtres, il y a Simon le zélote, et saint Pierre portait sur lui une épée.
 
« Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? » - c’est-à-dire : « Avec quelle autorité fais-tu cela ? » La question n’est pas un piège : elle est ouverte. Mais la réponse de Jésus dépasse leur capacité de compréhension. Elle est d’abord provocatrice : « Détruisez ce sanctuaire »… la destruction du sanctuaire est toujours le fait des impies, des nations païennes qui veulent imposer leurs dieux. Jésus mets ses interlocuteurs devant le choix radical de revenir à la véritable adoration de Dieu ou bien d’être relégués au rang des destructeurs, des traîtres quand il s’agit d’israélites. « … et en trois jours je le relèverai ». Jésus peut faire ici référence à la parole du prophète Osée : « Venez, retournons vers le Seigneur ! il a blessé, mais il nous guérira ; il a frappé, mais il nous soignera. Après deux jours, il nous rendra la vie ; il nous relèvera le troisième jour : alors, nous vivrons devant sa face. » Le troisième jour est aussi traditionnellement celui des noces, bref, celui de la fête, celui de la liturgie céleste. Tous les auditeurs pensent que Jésus parle du Temple de pierre, mais il parle de son corps.
 
L’incompréhension grandit lorsque les sadducéens répliquent : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire… » Ici saint Jean ajoute du mystère au mystère. En effet, 46 ans, c’est peut-être un détail pour vous, mais pour Jean, cela veut dire beaucoup : à cette époque, c’est à peu de choses près, l’âge de la Vierge Marie. Marie a l’âge du Temple. De même que dans le Temple réside la présence de Dieu, en Marie le Verbe de Dieu s’est fait chair. La chair de Marie est le Temple véritable du Dieu fait homme.
Mais il n’y a pas seulement cela : il y a aussi une question de calendrier qui travaille tous les prêtres et tous les zélotes, à chaque génération. Ils savent que Marie et Zacharie ont été visités par l’ange Gabriel, annonçant pour eux et pour le peuple de Dieu une bonne nouvelle. Or l’ange Gabriel n’est venu qu’une seule fois auparavant dans tout l’Ancien Testament, dans toute l’histoire du monde depuis la Création : pour donner au prophète Daniel la chronologie du temps accordé à Israël pour faire cesser la perversité à Jérusalem, pour se convertir et exercer un culte saint avant la venue d’un messie et la dévastation de la Jérusalem terrestre, et du temple. Or ce temps correspond, selon la manière que l'on compte, à celui de la venue de Jésus. Pour les chrétiens, l’ange Gabriel est revenu annoncer à Zacharie et à Marie que le temps de la réalisation de la prophétie confiée autrefois à Daniel était venu.
Par conséquent, Jésus annonce la destruction du Temple de Jérusalem – dont il accuse par provocation les sadducéens d’en être eux-mêmes les destructeurs par leur impiété et leur hypocrisie – mais que le véritable Temple, image de la Jérusalem céleste, apparaît mystérieusement en Marie. Elle est la manifestation de cette Jérusalem céleste en laquelle Dieu se complaît, la Femme couronnée d’étoiles du livre de l’Apocalypse : le véritable Temple n’est pas de pierre, il est de chair. Et mieux encore, le véritable accomplissement est manifesté quand cette chair est ressuscitée, transfigurée, illuminée par la puissance de l’Esprit.
 
Chers frères et sœurs, cela donne un peu le tournis : c’est normal. Jésus nous apprend que son corps, sa chair ressuscitée, c’est l’Église dont Marie est la figure parfaite. Par le baptême, nous entrons dans la communion de ce corps glorieux, comme une pierre s’ajuste parfaitement dans la construction d’une église magnifique. Dès lors, par l’Esprit nous faisons partie du saint peuple de Dieu, qui adore Dieu dans le Ciel, en présence des Anciens, patriarches et apôtres, des anges et des archanges, et de tous les saints, et c’est très exactement cette réalité divine que notre liturgie rend présente aujourd’hui, dans l’église d’Autrey, à la manière d’une icône humaine.

dimanche 2 novembre 2025

02 novembre 2025 - CHARCENNE - Commémoration des fidèles défunts - Année C

 Sg 3,1-9 ; Ps 26 ; 1Co 15,51-57 ; Jn 6,37-40
 
Chers frères et sœurs,
 
Lorsqu’un homme s’interroge devant la mort et l'au-delà, plusieurs options lui sont présentées.
 
Certains pensent qu’il n’y a strictement rien : l’homme s’est fait à partir d’atomes et il retournera à l’état d’atome. Pourquoi pas, mais ces gens-là ne nous disent pas d’où viennent les atomes, et encore moins la vie qui peut les animer.
D’autres pensent que l’homme provient d’une certaine vie dans l’univers et qu’il y retournera, noyé, dilué, dans le grand tout. Si le chrétien croit, lui, qu’il retrouvera aussi une vie nouvelle dans la gloire de Dieu, il sait en revanche que sa personnalité n’y disparaîtra pas, mais qu’elle y sera au contraire exaltée : car son nom est inscrit dans les cieux.
D’autres pensent qu’ils se réincarneront en quelqu’un d’autre ou dans un animal, et ils s’en félicitent déjà. Les asiatiques et les indiens qui ont importé chez nous cette idée, en revanche, eux sont consternés par la réincarnation : pour eux c’est un échec, qui renvoie l’âme à un nouveau cycle de souffrance et d’errance dans le monde. Pour eux, il faut absolument en sortir. Comme les grecs, il réduisent l’homme à son âme – qui peut ainsi passer d’un corps à l’autre, ou qui trouve une autre vie dans un autre corps ou sans corps. Telle n’est pas la foi des chrétiens, qui – comme les juifs – savent qu’ils ne font qu’un : âme et corps. Et donc la réincarnation, pour un chrétien ou un juif, est impossible ; la résurrection concerne autant son âme que son corps. Même si ce dernier est transformé, transfiguré, illuminé, revivifié, c’est toujours le même.
 
Au bout du compte, on s’aperçoit que, dans la diversité des opinions sur la mort et l’au-delà, les juifs et les chrétiens sont les plus optimistes : il ont foi en la promesse de Dieu que tout eux-mêmes, leur âme et leur corps, leur nom, ne seront pas perdus dans un univers matériel ou même spirituel anonyme ; ils ne seront pas condamnés à des cycles de souffrance infinis, mais qu’après avoir été purifiés dans le feu de l’amour de Dieu, par l’Esprit Saint, ils seront exaltés, glorifiés dans le bonheur extrême d’une communion d’amour, vie éternelle.
C’est ce que dit le Livre de la Sagesse : « Au temps de sa visite, ils resplendiront » ; le Psaume : « J’en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants » ; saint Paul : « les morts ressusciteront, impérissables, et nous, nous serons transformés » ; et Jésus : « Telle est la volonté de mon Père : que celui qui voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. »
 
Certains diront : quelles belles promesses ! Qui peut dire, qui peut certifier que ces publicités religieuses ne sont pas mensongères ? Qui peut prouver qu’elles correspondent à la réalité ? Et que notre foi, la foi des juifs, et la foi des chrétiens, n’est pas vaine ?
Hé bien, pour nous les chrétiens, c’est plus facile que pour les juifs : car nous nous croyons que Jésus qui était mort, est vraiment ressuscité, et qu’il est apparu à ses Apôtres à plusieurs reprises, avant de disparaître avec la promesse de revenir bientôt. Si Jésus n’était pas apparu vivant à ses Apôtres, le christianisme n’aurait jamais existé : ils en seraient restés à l’espérance juive. Mais comme Jésus leur est apparu vivant, les Apôtres ont témoigné jusqu’au sang de sa vie, de sa mort et de sa résurrection.
C’est pourquoi, nous aujourd’hui, les chrétiens, nous recevons leur témoignage : il nourrit notre espérance et notre vie, il constitue notre foi. Et nous le transmettons à d’autres pour qu’ils le transmettent à leur tour, car il est la promesse non seulement de la vie éternelle, mais aussi de notre résurrection en elle, avec notre âme et notre corps. Nous ne disparaîtrons pas : nous serons transfigurés, illuminés, comme Jésus ressuscité. Notre nom ne sera pas effacé : mais il est déjà inscrit, à notre baptême, dans le Livre de Vie. Et dans la bienheureuse communion de Dieu, avec tous les saints, le cœur purifié des scories inutiles, nous nous retrouverons.
 
C’est ainsi, chers frères et sœurs, que notre foi chrétienne ne repose pas sur des hypothèses plus ou moins scientifiques sur une vie future ou pas. Elle ne repose pas sur une philosophie, ni même une expérience ou une illusion spirituelle ; elle repose sur un fait historique : la résurrection et les apparitions de Jésus à ses disciples. On peut ne pas y croire, certes, mais pourquoi les Apôtres auraient-ils mentis ? Pourquoi les Apôtres sont-ils morts martyrs en défendant la vérité de leur témoignage, si celui-ci est une invention ? Tout simplement parce que la résurrection de Jésus et ses apparitions ne sont pas des inventions, et que cette nouvelle est tellement extraordinaire pour nous, les hommes, qu’il vaut le coup de donner sa vie pour la transmettre.

01 novembre 2025 - DAMPIERRE - Solennité de Tous les saints - Année C

 Ap 7, 2-4.9-14 ; Ps 23 ; 1 Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12a
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous aimons entendre l’enseignement des Béatitudes. À travers elles, Jésus nous dit qu’il y a une espérance : espérance de dépasser les bassesses et les obscurités de ce monde. Il nous dit qu’il y a une autre vie possible : la vie du ciel, la vie des saints.
Prenons donc au sérieux l’existence de cette vie du ciel, sa réalité. Si elle est telle que Jésus nous le dit, et parce qu’elle est éternelle, alors elle est la seule réalité solide et véritable que nous devons prendre en compte. En regard, la vie de ce monde est non seulement défaillante mais aussi transitoire. Nous le savons bien : autour de nous les hommes meurent, les civilisations meurent, les galaxies elles-mêmes disparaissent, à l’échelle de l’espace. Si la vie du ciel est dans la pleine lumière, la vie de ce monde est au mieux dans le brouillard, oscillant entre ténèbres et éclaircies.
 
La religion des Juifs et des chrétiens est fondée sur deux révélations fondamentales.
La première est que, par son Esprit Saint, le Dieu qui est a donné à des hommes la grâce de voir, de connaître, de comprendre la réalité de la vie du ciel. Ces hommes sont les Patriarches, Abraham, Isaac et Jacob, et les prophètes : Moïse, Elie, Ézéchiel, Jérémie, Zacharie… et bien d’autres comme eux. Grâce à la vision qu’ils ont eue, ils ont appris non seulement que le ciel existait, mais surtout qu’il leur était promis – qu’il était promis au Peuple de Dieu, pourvu que celui-ci obéisse à ses commandements.
La seconde révélation est que, par l’Esprit Saint ayant couvert la Vierge Marie de son ombre, le Verbe de Dieu, le Fils de Dieu, s’est fait homme en Jésus-Christ, pour que par ses actes et ses enseignements, par son sacrifice sur la croix, sa résurrection et le don de son Esprit à la Pentecôte, le chemin qui mène de la vie du monde à la vie du ciel, soit praticable. Dans un sens et dans l’autre. Cette seconde révélation, non seulement dévoile davantage aux hommes la vie du ciel, mais les y fait également participer, réellement.
Comment cela ? Voir Jésus, c’est voir Dieu – nous en avons la description dans les évangiles. Connaître les apôtres et les disciples de Jésus, les saints et les saintes, qui sont habités et vivifiés par l’Esprit Saint, c’est aussi connaître à travers eux une part de la vie du ciel. Et recevoir les sacrements, les célébrer dans la liturgie, c’est participer mystérieusement, spirituellement mais aussi physiquement à cette vie. Les symboles et les rites si particuliers de la liturgie n’ont de sens que parce qu’il rendent présent ici et maintenant la vie du ciel. Le Corps et le Sang de Jésus dans l’eucharistie, parce qu’ils sont par excellence la vie éternelle, sont donc plus réels et véritables que n’importe quel autre objet périssable dans le monde.
Donc, pour faire bref, la religion des Juifs affirme qu’il existe la terre et le ciel, avec la promesse qu’un jour les portes du ciel seront ouvertes ; et la religion des chrétiens dit qu’en Jésus le Dieu du ciel est venu sur la terre, pour que depuis la terre toute l’humanité puisse être élevée jusqu’au ciel, puisse y entrer : par Jésus, les portes sont ouvertes. Et dans tous les cas, c’est l’œuvre de l’Esprit Saint.
 
Chers frères et sœurs, l’Esprit Saint n’a jamais cessé et ne cesse jamais son ouvrage. Le simple fait que nous soyons ici réunis ce matin pour célébrer l’eucharistie est aussi son œuvre : parce qu’il nous a inspiré de venir dans cette église et parce que nous y célébrons la liturgie, apparition de la vie du ciel sur la terre, pour que nous puissions communier à cette vie réellement, maintenant.
Ainsi, nous sommes nous-mêmes les gens « vêtus de robes blanches » dont parle le livre de l’Apocalypse : il s’agit du vêtement blanc de notre baptême. L’autel est le trône de Dieu, l’Agneau est l’Hostie, présence réelle de Jésus vivant. De même, les bougies sont le Buisson ardent, lumière de la Gloire de Dieu, perceptible aussi bien au Mont Sinaï, dans le Temple de Jérusalem, à la Transfiguration que lors des apparitions de Jésus ressuscité. Cette même lumière que virent Moïse et Elie, Ézéchiel et tous les prophètes, Pierre, Jacques et Jean, et tous les Apôtres, jusqu’à sainte Marguerite-Marie lorsqu’elle vit le Sacré-Cœur de Jésus à Paray-le-Monial, et saint Séraphim de Sarov lorsqu’il fut lui-même rendu rayonnant. L’Esprit Saint ne cesse pas d’illuminer les saints et les saintes de Dieu. Et c’est pourquoi il nous est donné un cierge de lumière lors de notre baptême.
Doutons-nous de la puissance de l’Esprit Saint qui imprègne les fils et les filles de Dieu, comme il les a imprégnés par l’onction du Saint-Chrême, lors de leur baptême ici encore ? Si l’Esprit de Dieu cessait d’imprégner les hommes et la nature, de les vivifier, tout disparaîtrait immédiatement, comme on éteint une lampe électrique. On est tellement habitués à la présence de l’Esprit Saint qu’on ne le voit même plus – non pas en lui-même, il est invisible – mais dans ses œuvres. Or son œuvre la plus parfaite est de faire de nous des saints. L’Esprit agit particulièrement au baptême, puis ils nous configure à la ressemblance de Jésus : humbles et pauvres, pleurant pour le monde pécheur, doux comme des agneaux, affamés de la sainteté et de la paix de Dieu, généreux en pardon, cœurs purs, hommes et femmes de paix à l’égard de tout prochain.
 
Voilà pourquoi l’enseignement des Béatitudes nous touche si profondément au cœur : elles nous rappellent que nous avons été faits pour le ciel, que nous avons été baptisés pour en faire partie et en vivre déjà maintenant en ce monde, et que nous sommes appelés à y communier pour l’éternité, configurés à la ressemblance de Jésus, avec tous les saints, pour notre plus grand bonheur.

dimanche 26 octobre 2025

26 octobre 2025 - VALAY - 30ème dimanche TO - Année C

Si 35,15b-17.20-22a ; Ps 33 ; 2Tm 4,6-8.16-18 ; Lc 18,9-14
 
Chers frères et sœurs,
 
Lorsque Jésus raconte une parabole, ce n’est pas une petite histoire inventée sur le coup, mais un véritable enseignement où chaque mot est pesé, où la composition même de la parabole est soigneusement réfléchie : rien n’est laissé au hasard. Ainsi, lorsque nous lisons ou écoutons la parabole de ce dimanche, une leçon très riche nous y est donnée.
 
Un premier point extrêmement important est à souligner avant tout commentaire. Dans notre langue française, nous employons les mots « justice » et « paix » pour désigner la justice et la paix dans le monde. Nous pensons à une justice nationale ou internationale, à des organisations comme la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour internationale de justice, qui sont censées garantir, avec des institutions comme l’ONU, la paix dans le monde. Mais ce n’est, ni de cette justice, ni de cette paix dont parle Jésus. Quand il parle de justice il parle en réalité de sainteté, et quand il parle de paix, il parle d’une profonde paix du cœur, sa paix, donnée par l’Esprit Saint. 
Ainsi, celui qui se croit juste est celui qui se croit saint. Celui qui revient à la maison justifié est celui qui a été sanctifié par Dieu, et qui, par conséquent, redescend chez lui dans une très grande paix intérieure. Il faut faire très attention, quand les Écritures ou l’Évangile parlent de justice et de paix, il y a deux sens possibles : la justice et la paix du monde, qui sont des arrangements politiques entre les hommes, et la justice-sainteté et la paix du cœur qui sont donnés gracieusement par Dieu.
Dans sa parabole, Jésus nous propose donc un enseignement sur la sainteté : comment acquiert-on la sainteté ?

On a d’abord le pharisien, qui se tient debout et prie en lui-même. L’expression n’est pas facile à traduire. En fait, Jésus dit que le pharisien se tient à l’écart des autres priants dans le Temple, pour souligner sa particularité religieuse : le mot « pharisien » veut dire en effet « séparé », attitude typique de ceux qui se considèrent comme purs et ne veulent avoir aucun contact avec les autres qu’ils jugent impurs. Ce pharisien fait une longue prière, en exposant tous ses mérites, qui sont réels. Il se félicite de ne pas tomber dans les tentations communes aux hommes : voleurs, injustes – il aurait mieux valu ici traduire par iniques – ou adultères. Nous retrouvons les trois tentations capitales : celles de l’argent, du pouvoir et du désir idolâtre, qui font que l’on choisit la fidélité à Dieu ou pas.
En regard, le publicain, lui se « tient à distance », exactement comme les dix lépreux se « tenaient à distance » de Jésus. Si la prière du pharisien était longue, celle du publicain est très courte : « Ô Dieu, fais miséricorde à moi, le pécheur ! » On retrouve la brièveté du cri de Bartimée : « Jésus, Fils de David, prend pitié de moi, pécheur ! », qui a donné dans notre liturgie : « Seigneur, prend pitié » ou « Kyrie Eleison » ! En fait, la prière du publicain est surtout une prière d’attitude, intérieure et corporelle, toute faite d’humilité. Elle rappelle l’attitude du fils prodigue quand il revient chez son père. Et c’est elle, plus que les paroles, qui change tout. 
On s’aperçoit ici que la prière la plus profonde, la plus efficace, est celle qui vient du cœur plus que du cerveau. Beaucoup de gens prient sans le savoir, parce qu’ils sont remués dans leur cœur, alors qu’ils ne savent pas leurs prières.
 
Jésus continue sa parabole en expliquant que le publicain revient chez lui justifié, c’est-à-dire sanctifié. Il semble, d’après notre traduction, que cela ne soit pas le cas du pharisien. Mais en fait, il y a deux traductions possibles. La seconde dit que le publicain est descendu à sa maison justifié « bien plus » que l’autre. Cette traduction est moins dangereuse que la première et plus conforme à l’enseignement habituel de Jésus. La traduction qui dit que le pharisien n’est pas justifié, n’est pas sanctifié, est la porte ouverte à sa condamnation, et c’est exactement sur ce type de jugement que s’est développé l’antijudaïsme qui a conduit à toutes les atrocités. Cette traduction est donc dangereuse. Au contraire, celle qui dit que le publicain est sanctifié « bien plus » que le pharisien, signifie que le pharisien a quand même reçu une part de justification, une part de sanctification, mais beaucoup mois que le publicain. C’est exactement comme avec le fils prodigue : le père l’habille, le réhabilite dans sa dignité de fils et fait tuer le veau gras, mais cela ne lèse en rien son frère aîné, qui est toujours héritier de la maison de son père. Dans notre parabole, le publicain, c’est le fils prodigue, et le pharisien, c’est le frère aîné.
 
Pour terminer, Jésus termine par la sentence : « Qui s’élève sera abaissé, qui s’abaisse sera élevé ». Il faut être conscient que le terme traduit par « abaissé » renvoie immédiatement à l’expression « humble de cœur » et à la béatitude « Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés ». Saint Irénée en a tiré l’enseignement suivant, que nous pouvons faire nôtre : « le publicain surpassa le Pharisien dans sa prière et reçut du Seigneur ce témoignage qu’il était justifié de préférence, parce que, avec grande humilité, sans orgueil ni jactance, il faisait à Dieu l’aveu de ses péchés. »
 

dimanche 19 octobre 2025

19 octobre 2025 - CUGNEY - 29ème dimanche TO - Année C

Ex 17,8-13 ; Ps 120 ; 2Tm 3,14-4,2 ; Lc 18,1-8
 
Chers frères et sœurs,
 
Jésus a raconté la parabole que nous venons d’entendre au cours d’une discussion avec les pharisiens et ses disciples au sujet de la venue du Règne de Dieu. Aux premiers, Jésus dit : « Le Règne de Dieu est au milieu de vous », ce qui est une manière de leur dire que lui, Jésus, s’il est bien un homme visible, il est également le Dieu invisible : il est Emmanuel, « Dieu avec nous ». Là où est Jésus, là est le Règne de Dieu. Aux seconds, c’est-à-dire aux disciples, Jésus précise : « Comme l’éclair qui jaillit illumine l’horizon d’un bout à l’autre, ainsi le Fils de l’homme quand son jour sera là. » Jésus, nous le savons, va leur être retiré, d’abord par sa mort, puis après sa mort et sa résurrection, par son ascension au ciel. Ainsi le jour et l’heure de son retour sont imprévisibles. Mais quand le moment sera venu, celui-ci sera aussi soudain que l’éclair. Nous comprenons donc bien, déjà, pourquoi dans la parabole d’aujourd’hui, Jésus demande à ses disciples de prier sans cesse, sans se décourager. En effet, le retour de Jésus est certain, et il peut arriver à tout instant.
Dans la parabole du juge inique et de la veuve Jésus développe son propos : il dévoile la raison cachée de son retour à la fin des temps et l’importance de la prière. Pour comprendre, interrogeons-nous tout d’abord sur l’identité du juge et de la veuve.
 
Le juge, installé dans la ville, est l’image du pouvoir installé à Jérusalem. Il peut aussi bien signifier le pouvoir politique de la dynastie d’Hérode que celle des grands-prêtres. Habituellement pouvoir politique et pouvoir religieux voguent de concert. Or Jésus dit que ce juge « ne craint pas Dieu et ne respecte pas les hommes ». La « crainte de Dieu » est une expression qui traverse les Écritures, l’Évangile et une part de la tradition des Pères de l’Église. On ne doit pas l’interpréter systématiquement par « peur de Dieu », mais plutôt par « piété envers Dieu », piété qui comprend aussi bien l’amour que le respect de Dieu. Autrement dit, le juge de la parabole n’est pas pieux : il n’aime pas ni ne respecte Dieu ; il contrevient au premier précepte de la Loi : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. » Par suite logique, ce juge ne « respecte pas les hommes », puisqu’il n’obéit pas non plus au commandement semblable au premier : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Les deux commandements vont toujours ensemble. Nous sommes donc en présence d’un juge légitimement en place mais qui se conduit de manière illégitime puisqu’il n’obéit pas aux commandements qui justifient sa fonction.
La veuve, dans l’Évangile selon saint Luc, est la représentation d’une double réalité : elle est en même temps la Vierge Marie et l’Église. Dans les deux cas, cette femme est privée de son mari et soumise à la précarité de la vie : elle est humainement fragile, mais elle est spirituellement forte car elle a la foi. Or, dans la parabole, la veuve, donc l’Église, demande justice au juge : justice contre les persécutions réelles ou à bas-bruit, inévitables quand on dépend d’un pouvoir politico-religieux qui ne connaît pas Dieu ou se rebelle contre lui. Il est remarquable que le Juge ne sache opposer à la femme que son silence. Mais comme celle-ci sait qu’elle est dans son droit, elle demeure inébranlable et ne lâche rien de ses revendications.
 
Voilà, dit Jésus, que tout à coup, le juge finit par craquer, et il insiste sur la raison : « cette veuve commence à m’ennuyer, je vais lui rendre justice pour qu’elle ne vienne plus sans cesse m’assommer. » Ici la traduction est faible et en partie inexacte : d’une part, il faut comprendre que la veuve tourmente intérieurement le juge – il a mauvaise conscience, du fait que la femme est dans son droit. Et d’autre part il pressent que sa fin est proche et qu’il encourt lui-même le jugement de Dieu : il ne faudrait pas que l’injustice dont il a fait preuve envers la femme devienne le motif de sa propre condamnation éternelle. Donc, il lui donne satisfaction, et ce faisant se sauve lui-même. Cela est extrêmement important : c’est la raison cachée du temps passé et de la nécessité de la prière incessante de la femme.
Bien sûr, la femme, en premier lieu prie pour que la justice qui lui est due lui soit accordée, mais en réalité aussi, sa prière agit comme une eau souterraine qui vient creuser le cœur de pierre du juge. Au bout du compte, elle obtient, avec la conversion du juge, la justice qu’elle attendait pour elle-même.
Du coup, nous comprenons le sens profond de l’enseignement de Jésus – qu’on retrouve aussi dans la Lettre aux Romains de saint Paul : le retard du retour de Jésus, tout ce temps d’attente, durant lequel l’Église est parfois persécutée jusqu’au sang, est le temps accordé par Dieu aux puissants de ce monde pour se convertir. Pendant ce temps l’Église est appelée à prier sans cesse, d’abord pour entretenir sa foi, ensuite pour obtenir la justice qui lui est due, et en même temps obtenir du Seigneur la conversion de ses persécuteurs, ou de leurs complices par action ou par omission – tous ceux qui ne « craignent pas Dieu ».
 
Jésus termine par une note d’inquiétude : « Le fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » Tant qu’il y aura quelqu’un à la messe le dimanche, le Seigneur Jésus sera rassuré. Et nous aussi, car chaque dimanche à la messe, il est présent. Jésus nous l’a dit à plusieurs reprises : « quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux » ; « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. » Par son Esprit Saint et les sacrements qu’il nous donne, le Seigneur Jésus lui-même est la force de notre foi.

dimanche 12 octobre 2025

12 octobre 2025 - GRAY - 28ème dimanche TO - Année C

2R 5, 14-17 ; Ps 97 ; 2Tm 2, 8-13 ; Lc 17, 11-19
 
Chers frères et sœurs,
 
À une ou plusieurs reprises, Jésus s’est trouvé en présence d’un ou plusieurs lépreux dont il a eu compassion et qu’il a guéris. Ce faisant, il leur a offert non seulement une vie sociale nouvelle, mais aussi à tous les témoins un signe de la venue toute proche du Royaume des cieux. Jésus était considéré par la plupart des hommes de son temps comme un guérisseur, et pour plusieurs comme le Messie de Dieu. Il suscitait une immense espérance et sa réputation le précédait.
Dans l’évangile de ce dimanche, saint Luc a développé une de ces rencontres. Il a voulu souligner deux leçons fondées sur la Loi concernant la guérison des lépreux, au chapitre 14 du Lévitique.
 
La première leçon concerne les malades qui étaient guéris. Jusqu’alors exclus de toute société par crainte de la contamination, ils devaient se présenter à un prêtre du Temple pour qu’il constate cette guérison et offre en sacrifice les offrandes nécessaires à la purification et à la réintégration dans le peuple de l’ex-malade.
Nous voyons que les dix lépreux et Jésus se conforment parfaitement à cette Loi : tout d’abord Jésus passe à proximité de leur village, lui-même situé aux confins de la Galilée et de la Samarie, à l’écart des autres villages. Voyant arriver Jésus, les lépreux s’avancent mais restent à distance. Jésus leur enjoint d’aller se montrer aux prêtres, comme si ils étaient déjà guéris, et c’est en obéissant à cette parole qu’en chemin, ils sont miraculeusement guéris, comme Naaman ayant obéi à la parole Élisée, fut guéri au Jourdain.
Ce qui surprend Jésus et les disciples, c’est qu’un des dix lépreux, le samaritain, constatant sa guérison, ne va pas se présenter à un prêtre, mais revient vers Jésus, comme si c’était lui le prêtre. Mieux encore, il considère Jésus comme le Seigneur Dieu lui-même, puisqu’il se prosterne devant lui en rendant grâce : il lui présente pour sa purification et sa réintégration l’offrande de son adoration. De fait, Jésus agit comme le Seigneur Dieu le fait dans le rituel de la Loi ; il lui fait grâce : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé ! » C’est-à-dire, que la foi de cet homme a valu offrande et cette offrande a été agréée.
Nous en concluons que tout homme qui suscite la compassion de Dieu par sa prière : « Jésus, Maître, prend pitié de nous », peut recevoir de lui écoute et bonté, miséricorde gracieuse. Le Seigneur cependant lui demande de se convertir, d’entrer dans sa Parole, dans sa Loi, et de la mettre en pratique : tout don reçu appelle action de grâce. Le Samaritain, qui a identifié Jésus comme Dieu, et lui rend à lui l’action de grâce, reçoit bien davantage que la guérison et le retour à une vie sociale normale ; il reçoit en plus l’entrée dans le Royaume : « Ta foi t’a sauvé » lui dit Jésus. La leçon est donc que, pour tout homme, l’obéissance à la Loi vaut pour cette vie, mais la foi en Jésus vaut pour la vie éternelle.
 
La seconde leçon concerne Jésus lui-même. Nous avons vu qu’il agissait comme Dieu, puisqu’il a fait grâce au lépreux guéri, et plus encore : il lui a donné le salut. Mais il l’a fait aussi en tant que prêtre, que vrai prêtre du Royaume des cieux. Nous observons cela à plusieurs détails donnés par saint Luc. En premier lieu, voyant les lépreux venir vers lui, Jésus les regarde. Son regard sur leurs blessures correspond au regard du prêtre qui doit constater la guérison. Chez saint Luc, comme chez saint Jean, le regard de Jésus est un regard pénétrant jusqu’au plus profond des cœurs, et qui agit. C’est par son regard que Jésus a guéri les lépreux. Obéissant à sa parole, les lépreux se rendent au Temple pour accomplir le rituel et, ce faisant, ils obéissent à la Loi : la Parole de Jésus, c’est la Loi. Aussi, celui qui revient, continue d’appliquer la Loi : il vient voir le « prêtre Jésus ». Et c’est bien en tant que prêtre que Jésus peut lui dire : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé. » À la différence près que Jésus n’est pas tant un prêtre du Temple qui exprime la grâce de Dieu pour redonner une vie sociale à un homme, mais il est le seul véritable prêtre qui donne directement la grâce de Dieu en plénitude : celle du don de la vie éternelle.
Pour les témoins de cette rencontre et les auditeurs de saint Luc, Jésus n’est donc pas tant un guérisseur ni un messie de circonstance, un prophète comme autrefois, mais il est le seul véritable prêtre et il est Dieu. Par lui, tout homme, fut-il lépreux et samaritain, rebut de la société, peut trouver guérison, pardon, réhabilitation, et mieux encore : le salut, la vie éternelle.
 
Pour nous, les leçons de cet évangile sont toujours valables. Jésus, par son Esprit et dans son Église est toujours présent et il ne cesse d’agir. Il continue d’entendre la prière des désespérés ; il continue de vouloir les relever et de les appeler à la conversion par l’écoute de sa Parole ; il continue d’agir, de réconcilier et de donner la vie éternelle par ses sacrements. N’est-ce pas pour en vivre, dans l’action de grâce, que nous sommes venus ici nous présenter devant lui, ce matin ? 

dimanche 5 octobre 2025

05 octobre 2025 - VOLON - 27ème dimanche TO - Année C

Ha 1,2-3 ; 2,2-4 ; Ps 94 ; 2 Tm 1,6-8.13-14 ; Lc 17, 5-10
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous poursuivons notre lecture de l’Évangile selon saint Luc. Aujourd’hui, nous avons deux enseignements. Le premier concerne la foi ; le second concerne la récompense que le Seigneur donnera au ciel à ses bons et fidèles serviteurs.
 
« Augmente en nous la foi ! » demandent les disciples à Jésus. En effet, ils sont bien conscients que sans la puissance de l’Esprit Saint que donne Jésus pour encourager, augmenter leur foi, il est impossible d’être chrétien intensément – d’être des saints - et de l’être continuellement, durant toute sa vie, jusqu’à ce que le Seigneur vienne. Mais Jésus leur répond qu’ils n’ont même pas la foi grosse « comme une graine de moutarde ». En syriaque classique le mot employé désigne aussi un atome ! Jésus dit donc à ses disciples qu’ils n’ont même pas un atome de foi, et qu’il en suffirait d’un seul pour déraciner un mûrier – un arbre bien résistant – pour qu’il aille se planter tout seul dans la mer !
On en conclut qu’on ne gagne pas le royaume des cieux de notre propre chef, par nous-mêmes, même avec l’aide de la grâce de Dieu. Mais c’est la grâce de Dieu, donnée par Dieu, qui nous ouvre les portes du royaume : nous n’y sommes pour rien. Il nous revient en revanche de nous préparer à recevoir cette grâce, à tout faire pour bien la recevoir, et à rendre grâce à Dieu pour le don qu’il nous fait – et de la foi, et du royaume, quand l’heure viendra.
 
Ce n’est donc pas pour rien que saint Luc a ajouté un second enseignement à la suite du premier. On ne le trouve que dans cet Évangile. Jésus y représente ses disciples comme des maîtres ayant chacun un serviteur, attaché au labourage et au pâturage. Il leur pose trois questions : est-ce qu’à la fin de la journée, vous le ferez passer directement à table ? Évidemment non, puisque c’est lui qui doit préparer le repas. C’est d’ailleurs le sens de la seconde question : est-ce qu’il ne doit pas d’abord préparer le repas, se mettre en tenue de service, le temps que le maître dîne, et ensuite seulement il pourra en profiter ? Bien sûr que oui, c’est dans l’ordre des choses. Et troisième question : est-ce que le maître va accorder à son serviteur une reconnaissance particulière pour le service habituel qu’il doit lui rendre ? Bien sûr que non ; pourquoi le maître donnerait-il une gratification spéciale pour un service normal ?
Donc, conclut Jésus, puisque vous êtes, vous aussi, des serviteurs, des serviteurs de Dieu, lorsque le temps sera écoulé, au jour du jugement, vous devrez conserver l’humilité qui sied à des serviteurs : « Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir. » Et paf ! le prédicateur moyen en tire la conclusion que les disciples sont appelés à une humilité sommes-toutes assez servile... Pour la forme, dans la nouvelle version liturgique, on a remplacé le « nous sommes des serviteurs inutiles » par « nous sommes de simples serviteurs »… c’est moins difficile à digérer pour notre ego.
 
Oui, mais ce n’est pas ainsi qu’il faut comprendre l’enseignement de Jésus. Le serviteur qui laboure et qui garde les bêtes, c’est bien le prophète de l’Évangile qui arpente la terre jusqu’au bout du monde pour y semer la Parole de Dieu ; et c’est bien le bon pasteur, gardien du troupeau de l’Église. Et que dira le Seigneur quand il viendra à son fidèle serviteur qu’il trouvera occupé à son travail : « Heureux ces serviteurs-là que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller. Amen, je vous le dis : c’est lui qui, la ceinture autour des reins, les fera prendre place à table et passera pour les servir. » Dans le monde des hommes, jamais le maître ne fera passer son serviteur à table avant ou en même temps que lui ; mais pas dans le monde de Jésus. Oui : les serviteurs de Dieu sont déjà invités et attendus pour le repas, à la table de Dieu.
Nous avons également dans cette déclaration de Jésus la réponse à la seconde question : le serviteur n’aura pas à se mettre en tenue de service, car le service sera fait par le Seigneur lui-même. Il est intéressant ici d’observer que la première question concerne le service de l’humanité : labourage et pâturage ; annoncer l’Évangile et nourrir la foi des fidèles. Et la seconde question concerne le service de Dieu lui-même : préparer un dîner, c’est préparer une offrande ; l’offrande de la prière. Se mettre en tenue de service, c’est s’habiller comme un prêtre pour la prière et faire l’offrande au Seigneur. Alors le Seigneur « mange et boit » ; il reçoit l’offrande – et si l’offrande est agréée, le serviteur peut y communier. C’est dans l’ordre des choses. Mais dans le monde de Dieu, dans le Ciel, le repas nous attend : il est déjà prêt ; et c’est le Seigneur lui-même qui nous prie d’y participer. Voyez à quel point la parabole de Jésus est impressionnante, quand on la lit avec les yeux de la foi !
Et dernière question : le Seigneur sera-t-il reconnaissant à son serviteur pour l’exécution de ses ordres ? Oui, Jésus l’a dit : « Je ne vous appelle plus serviteurs, mais amis. » Voilà comment Jésus considère ses disciples : oui, il leur demande de labourer toute la terre et de faire paître le troupeau du Seigneur sur de bons pâturages. Mais la récompense est au-delà de ce qu’ils peuvent imaginer : elle est communion au repas des noces, au titre d’invités et d’amis du roi.
C’est alors que l’on comprend dans quel état d’esprit le disciple peut répondre dans une véritable humilité au don infini, immérité, qui lui est fait : « mais… Seigneur… nous ne sommes que de simples serviteurs… nous n’avons fait que notre devoir… » C’est ce que nous disons, à chaque messe : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri. »

dimanche 28 septembre 2025

27-28 septembre 2025 - MONTAGNEY - CHAMPLITTE - 26ème dimanche TO - Année C

Am 6,1a.4-7 ; Ps 145 ; 1Tm 6,11-16 ; Lc 16, 19-31
 
Chers frères et sœurs,
 
Une parabole est comme une noix. Si on en reste à l’extérieur, on se casse les dents sur sa dureté et on manque la douceur nourrissante qui est à l’intérieur. En rester à l’extérieur, c’est juger sans appel que les méchants riches égoïstes sont destinés à l’enfer éternel, tandis que les gentils pauvres sont élevés par les anges au Paradis. Certains discutent pour savoir si le sein d’Abraham se situe encore au royaume des morts dans l’attente du Jugement dernier, ou bien s’il s’agit déjà du Paradis. Mais dans les deux cas, il n’y a aucune solution pour le riche, qui est définitivement condamné. On peut s’interroger ici : est-ce que le Verbe de Dieu, Jésus, s’est fait chair, est mort sur une croix et ressuscité, pour seulement rappeler aux hommes un enseignement déjà bien connu depuis le temps de la Loi et des prophètes (ce qu’il rappelle d’ailleurs dans sa parabole), à savoir, comme le dit fort bien le Seigneur par la bouche de son prophète Amos, que « la bande des vautrés n’existera plus ! » ? On peut aussi se demander si cette parabole se trouve bien dans l’évangile selon saint Luc, qu’on appelle aussi souvent l’« évangile de la miséricorde ». Ici, il n’y en a pas beaucoup pour le riche… n’est-ce pas ? Et pourtant, cette parabole ne se trouve que dans saint Luc ! Alors ?
 
Il faut casser la noix pour y trouver le bon fruit. Posons-nous la question : qui est l’homme riche ? Et qui est Lazare ? L’homme riche est « vêtu de pourpre et de lin fin » ; il « faisait chaque jour des festins somptueux ». Il n’y a aucun doute que c’est un Grand prêtre du Temple, qui vit grassement des offrandes qu’on y fait. Il est logique, dans la parabole, que cet homme et ses frères sadducéens, n’écoutent pas Moïse et les prophètes : les sadducéens ne reconnaissent que Moïse, c’est-à-dire la Torah. Mais ils ne reconnaissent pas les prophètes. Or Jésus insiste sur les deux. Les sadducéens ne croient pas non plus à la résurrection. Jésus le dit : « Quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne croiront pas ! » Dans sa parabole, Jésus vise donc particulièrement le Grand prêtre, les saducéens – et non pas un « homme riche » en particulier.
Maintenant, qui est Lazare ? Observons tout d’abord que dans tout le Nouveau Testament, hormis dans notre parabole, la seule fois qu’il est question d’un Lazare, c’est dans l’évangile de Jean : il s’agit de Lazare de Béthanie, qui était malade, qui est mort, que Jésus a ressuscité, et que les saducéens, justement, voulaient tuer, avec Jésus, parce qu’ils étaient devenus trop gênants. On se souviendra que Lazare avait deux sœurs, Marthe et Marie, et que Marie, grande pécheresse, avait versé du parfum sur les pieds de Jésus, annonçant les soins que son corps recevrait lors de sa mise au tombeau. Dans la parabole, Lazare est méprisé comme Jésus sera méprisé en sa passion. Ses ulcères sont des plaies brûlantes ; la souffrance qu’elles provoquent n’est apaisée que par le léchage des chiens. Comprenez ici l’allusion terrifiante de Jésus… C’est bien ainsi que Marie de Béthanie était considérée par les sadducéens et les pharisiens : « Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est : une pécheresse. » À sa mort, Lazare est porté par les anges non pas « auprès » d’Abraham, mais « dans son sein », c’est-à-dire qu’en position couchée pour un repas, il est placé à sa droite. Jésus est élevé à la droite du Père. Là, il y a de l’eau – cette eau rafraîchissante dont voudrait bien bénéficier l’homme riche en enfer – eau qui n’est autre que celle de l’Esprit Saint.
 
Donc, sous la figure du Lazare de la parabole, Jésus parle de lui-même. Il apparaît absolument rejeté par le Grand prêtre, tandis que les pécheurs prennent soin de lui. Lorsque la mort fait son œuvre, la situation s’inverse comme dans un miroir. Tout d’abord le Grand prêtre est en proie à la torture de la fournaise. Ce feu est celui du Buisson ardent dans l’Exode et celui de l’amour dans le Cantique des cantiques. Il provoque le regret : l’homme est brûlé par la culpabilité, le remord. C’est pourquoi il demande à Abraham que Lazare accomplisse la seule chose qui puisse le sauver : le geste du pardon. Car tremper « le doigt dans l’eau pour lui rafraîchir la langue » est un geste rituel de prêtre. On s’aperçoit alors que dans la parabole, le véritable Grand prêtre qui peut pardonner les péchés, donner l’eau de la vie éternelle, n’est pas l’homme riche mais le pauvre Lazare, Jésus lui-même. Si le Grand prêtre avait réellement mis en pratique la Loi de Moïse et le rituel du pardon, que lui-même célébrait au Temple, il aurait donné une part de l’offrande au pauvre Lazare, pour qu’il vive sur terre. Mais, en refusant ce geste, par hypocrisie, orgueil, avarice ou paresse, le Grand prêtre s’est condamné lui-même. N'ayant pas fait miséricorde sur terre, il s’en est privé au ciel. Nous retrouvons ici en miroir la prière que Jésus nous a enseignée : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. » Au puits de Jacob, la Samaritaine pécheresse a donné un peu d’eau à Jésus assoiffé ; en récompense le Seigneur lui a promis qu’elle recevrait l’eau vive, en abondance.
 
Il est quand même incroyable que l’homme qui, sur terre, était chargé d’accomplir le saint rituel du Pardon pour le peuple, pour qu’il vive, ne le pratiquait pas personnellement dans sa vie courante, au risque d’abandonner son prochain à la mort... Voilà ce que reprochait Jésus au Grand prêtre, aux sadducéens. Ils en sont  d’autant plus sévèrement condamnés, par eux-mêmes ! En revanche, dit la parabole, tout homme qui pose un petit geste de vie ici-bas, par son aumône, par son pardon, par sa bonté, par son humilité, s’inscrit dans la figure de Lazare, ou dans le corps de Jésus, pour y accomplir en son nom le véritable pardon, celui qui donne à l’homme – fût-il un grand pécheur ici-bas – la vie éternelle. Dieu ne veut pas que l’homme meure, mais qu’il vive. À tous, il veut faire miséricorde.

dimanche 14 septembre 2025

14 septembre 2025 - GRAY - La Croix glorieuse - Année C

 Nb 21, 4b-9 ; Ps 77 ; Ph 2, 6-11 ; Jn 3, 13-17
 
Chers frères et sœurs,
 
Nicodème, comme le dit saint Jean au début de son récit, est un pharisien et un notable parmi les Juifs. Il est membre du Sanhédrin, qui est en même temps une sorte d’Assemblée nationale et de Conseil constitutionnel des Judéens. Là, il défendra courageusement le droit de Jésus à se défendre à son procès. Il est aussi une des trois plus grosses fortunes de Jérusalem. C’est lui qui finance le mélange de 45 kilos de myrrhe et d’aloès pour la mise au tombeau de Jésus ; des funérailles de roi. Donc la rencontre entre Jésus et Nicodème est de la plus haute importance, et on aurait tort de penser que leur échange concerne des banalités. Ils vont à l’essentiel : ce qu’il en est de Dieu et du salut de l’homme.
Nicodème cherche à comprendre le message de Jésus, dont il sait déjà qu’il est prophète. Jésus lui répond que pour voir le royaume de Dieu – c’est-à-dire y entrer, y participer –, il faut naître d’en haut, de l’eau et de l’Esprit. Nicodème demande alors comment naître du souffle de l’Esprit ? On entend la même question dans la bouche de la Bienheureuse Vierge Marie quand l’ange Gabriel lui annonce qu’elle va concevoir et enfanter un fils : « Comment cela peut-il se faire ? » Jésus reproche alors à Nicodème – qui est un maître en Israël – de ne pas connaître « ces choses-là », et il lui répond qu’il est nécessaire de croire en sa parole. Parce que lui, Jésus – qui est descendu du Ciel – parle de ce qu’il connaît et il témoigne de ce qu’il a vu – c’est-à-dire de la réalité du Royaume des cieux. Donc Jésus dit que, pour naître du souffle de l’Esprit et voir le Royaume, il faut d’abord croire en lui, en son enseignement et en son témoignage, c’est-à-dire toute sa vie, c’est-à-dire l’Évangile.
 
À ce moment, nous retrouvons le passage que nous avons entendu aujourd’hui, dont nous ne savons pas très bien, en réalité, si les paroles sont prononcées par Jésus à l’attention de Nicodème, où s’il s’agit d’un commentaire de saint Jean à l’attention de ses lecteurs. Mais l’argument central est le même : la foi en Jésus mort sur la croix pour le salut des hommes, et ressuscité, est la clé du don de Dieu : du souffle de l’Esprit, de la vie éternelle. Saint Jean donne un premier argument, tiré du livre des Nombres, que nous avons entendu en première lecture : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert – pour sauver le peuple mordu par les serpents, c’est-à-dire les démons ou les péchés – ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé. » Dieu, donc, sauve les hommes pécheurs et leur accorde la vie par la croix de Jésus.
Mais ce faisant, Dieu a sacrifié son fils, son unique – dit l’évangile. Deuxième argument. La référence au sacrifice d’Isaac, dans le livre de la Genèse, est évidente : « Dieu dit : « Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac, va au pays de Moriah, et là tu l’offriras en holocauste sur la montagne que je t’indiquerai. » Nous savons qu’Isaac sera sauvé par l’ange du Seigneur au moment ultime, et qu’il sera remplacé par un bélier. Par la suite, le sacrifice au Temple pour le pardon des péchés était celui d’un agneau, l’agneau pascal, en substitution du sacrifice des premiers-nés en Égypte. Mais avec Jésus, la situation est inversée : c’est Dieu lui-même qui autorise le sacrifice de son fils, son unique, un premier-né, comme véritable Agneau pascal, une fois pour toutes et pour un pardon véritable de tous les hommes – pour que quiconque croit en lui ait la vie éternelle et que par lui le monde soit sauvé.
 
Nicodème, et nous-mêmes avec lui, qui sommes versés dans les Écritures et la foi d’Israël, sommes placés au cœur de la mission de Jésus : donner sa vie pour la multitude, pour que tout homme qui a foi en lui – y compris ceux qui dorment au fond des enfers, comme dit saint Paul – puisse recevoir le don de Dieu, la vie éternelle, et voir le Royaume des cieux. La croix est donc comme une porte entre le monde présent et le royaume des cieux. Vu d’en bas, d’un point de vue matérialiste, c’est un instrument de supplice, un obstacle. Mais vu d’en haut, avec la foi, c’est un passage, le passage : la porte étroite – la seule porte – qui conduit à la vraie liberté et à la vraie vie. Il n’y en a pas d’autres. Et c’est Jésus qui l’a ouverte pour nous. C’est pourquoi, pour un chrétien, la croix est une croix glorieuse. Parce que, par elle, la lumière du ciel illumine les ténèbres de toute la terre et même des enfers.
Il reste un dernier point important pour finir. La traduction est ambiguë : on a l’impression qu’il y a pour l’homme un délai entre sa confession de foi en Jésus et l’obtention de la vie éternelle. Dans l’araméen ou l’hébreu, le verbe avoir n’existe pas. Cela signifie que pour l’homme qui croit en Jésus, la vie éternelle est à lui. C’est immédiat, il n’y a pas de délai. L’homme qui a foi en Jésus mort et ressuscité vit déjà maintenant du Don de Dieu, de la vie éternelle, et il voit le Royaume des cieux. Cela paraît étonnant ? Mais non, il faut comprendre que la réalité du Royaume n’est pas contrainte par notre espace-temps. On peut distinguer dans le temps des étapes : le sacrifice d’Isaac, le serpent de bronze, la Pâque en Égypte, les sacrifices du Temple, la crucifixion de Jésus, mon baptême, ma mort, avant mon entrée dans la vie éternelle, avec la grâce de Dieu ! Mais dans la réalité du Royaume éternel, c’est un seul instant, un flash, où par la foi en Jésus qui s’est donné pour nous, enfin libérés du péché et de la mort, nous entrons à jamais dans la communion d’amour de Dieu, avec tous les saints. Comprenez, frères et Sœurs : par la foi en Jésus mort pour nous et ressuscité, la vie éternelle nous est donnée, maintenant. Tel est le sens de la fête de la croix glorieuse.

dimanche 31 août 2025

30-31 août 2025 - COURTESOULT - GRAY - 22ème dimanche TO - Année C

 Si 3, 17-18.20.28-29 ; Ps 67 ; He 12, 18-19.22-24a ; Lc 14, 1.7-14
 
Chers frères et sœurs,
 
Dieu s’est-il fait homme, est-il mort sur la croix et ressuscité, pour apprendre aux hommes des leçons de savoir-vivre élémentaires ? D’une certaine façon, oui, s’il s’agit du savoir-vivre de la Vie éternelle. Jésus semble profiter d’une situation assez ridicule pour rappeler à ses disciples – ceux qui écoutent l’évangile – que le commandement du service mutuel et celui de l’attention aux pauvres sont des signes du Royaume qui vient. Une telle écoute a pu donner la figure de saint Martin, par exemple, qui refusait absolument de s’asseoir tant sur un trône épiscopal dans sa cathédrale, que dans un fauteuil au cours d’une réunion officielle : il fallait toujours qu’on lui apporte un tabouret ! Les premiers chrétiens étaient très attachés à cette dimension morale de l’évangile, toute faite de service généreux et d’humilité, qui les distinguait des païens en les impressionnant, et leur permettait ainsi de faire rayonner l’Évangile.
 
Cependant, l’affaire du repas de Jésus avec les pharisiens prend une autre dimension quand on s’attache à lire le texte précisément. Jésus n’est pas entré chez un pharisien pour y prendre un repas comme on entre dans une brasserie pour y prendre un sandwich. Il a été invité par le pharisien : Jésus est l’invité d’honneur, ce pour quoi il se permet de donner un enseignement ; et le pharisien a également invité des collègues. Cependant, la situation est extrêmement tendue. Il est dit que les pharisiens « observaient » Jésus ; il faut comprendre qu’ils l’épiaient, le surveillaient, attendant qu’il fasse le moindre faux-pas pour lui tomber dessus.
Justement, nous sommes un samedi, un jour de sabbat, au cours duquel les activités sont réglementées par la Loi de Moïse. Or il se trouve qu’il y a dans la salle un homme malade d’hydropisie – cet épisode a été coupé dans notre lecture. Et Jésus va guérir cet homme, en présence des pharisiens pour lesquels l’exercice de cette activité pendant le sabbat est interdit par la Loi. Jésus leur rappelle alors ce principe que la défense de la vie, fut-elle celle d’un animal, prime sur tout autre précepte de la Loi en vertu du 5ème commandement : « Tu ne tueras pas. » Profitant du fait que les pharisiens sont décontenancés, il leur donne l’enseignement que nous avons entendu. Celui-ci semble être sans aucun rapport avec ce qu’il vient de se passer. Pourtant il s’en trouve un.
Pour comprendre, il faut aller directement à la citation du prophète Ézéchiel que cite Jésus : « Quiconque s’élève sera abaissé, et qui s’abaisse sera élevé. » Cette citation fait référence à un conflit entre Guédalia et Ismaël. Guédalia est le gouverneur nommé par Nabuchodonosor du petit reste d’Israël resté à Jérusalem après la chute du dernier roi de Juda, Sédécias, et la déportation à Babylone. Et Ismaël est un administrateur resté également en Judée, de sang royal. Évidemment, Ismaël ne rêve que de renverser Guédalia pour prendre sa place et restaurer la royauté en Israël. Or un jour Guédalia offre un repas à ses officiers, dont Ismaël, qui en profite pour l’assassiner. La fin de l’histoire est terrible parce que Ismaël est tué à son tour et le petit reste d’Israël resté jusqu’alors à Jérusalem doit s’enfuir en Égypte : il ne reste plus personne à Jérusalem. L’échec est total. Donc Jésus fait référence à cette histoire lorsqu’il évoque, au cours du repas avec les pharisiens qui en veulent à sa vie, la question des invités malséants et celle du souci des pauvres.
 
Aux pharisiens qui sont invités comme lui, il leur rappelle que Ismaël était lui aussi un invité, mais que son désir de prendre la première place en tuant Guédalia qui l’occupait, s’est soldé par la perte de sa propre vie. Plus finement, Jésus leur rappelle qu’on ne s’attribue pas à soi-même une promotion, mais que celle-ci doit venir de l’autorité supérieure. Et il y a plus de chance de la recevoir quand on s’en montre un digne serviteur. Sans doute Nabuchodonosor qui avait déjà permis à Ismaël de demeurer à Jérusalem, quoique de sang royal, l’aurait grandi après Guédalia s’il s’en était montré digne – et la royauté de David aurait peut-être été rétablie. Mais par son orgueil Ismaël a perdu et la royauté, et la vie. Évidemment, dans l’esprit de Jésus, cette histoire n’est qu’un prétexte pour parler du Royaume des cieux : l’orgueil spirituel de ceux qui se croient des purs en matière religieuse au détriment de ceux qui ont reçu de la part du Seigneur une fonction qu’ils tâchent de remplir honorablement, risquent de perdre et leur couronne de sainteté, et la béatitude. Le message de l’auteur est donc le suivant : « fuyons l’orgueil ; attachons-nous à l’humilité ! »
 
Mais Jésus se tourne ensuite vers le pharisien qui a lancé l’invitation à tous. Il le met en garde contre ses confrères qui risquent de l’entraîner dans une voie sans issue, sinon dangereuse. Jésus l’invite à choisir l’attitude de Guédalia : celle de l’administration pleine de sagesse, de l’humble service du petit reste d’Israël : les pauvres, les estropiés, les boiteux, les aveugles ; tous ceux qui sont restés à Jérusalem parce qu’ils ne valaient rien pour Babylone. Et le choix de les protéger, surtout contre les zélotes orgueilleux qui veulent se lancer dans des aventures sans lendemains, est préférable que d’emboîter le pas à ces derniers. Le message est donc double ici. D’une part Jésus condamne la radicalité et met en garde contre les familiarités qui compromettent – ceci vaut pour le pharisien que Jésus semble apprécier pour lui avoir donné cette recommandation, mais aussi pour les Apôtres, et les chefs d’Églises. Et d’autre part, le choix doit toujours être fait de la protection des plus faibles, qui sont toujours le choix de Dieu. Pour nous en convaincre, écoutons donc la Sainte Vierge Marie dans le chant de son Magnificat : « Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom ! Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais. »

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