vendredi 15 août 2025

15 août 2025 - BEAUJEU - Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie - Année C

Ap 11, 19a ; 12, 1-6a.10ab ; Ps 44 ; 1 Co 15, 20-27a ; Lc 1, 39-56
 
Chers frères et sœurs,
 
L’Apocalypse de saint Jean est un texte curieux, rempli d’images et de symboles. Pour une grande partie des gens, il annonce l’avenir de manière prophétique. Mais en réalité, il est plutôt un moyen crypté, compréhensible pour les chrétiens, incompréhensible pour les autres, pour évoquer et comprendre les difficultés, c’est-à-dire les persécutions du temps présent, à l’époque où vivait saint Jean.
 
Notre lecture commence de manière assez grandiose par l’ouverture du sanctuaire de Dieu, qui est dans le ciel, avec l’apparition de l’Arche d’Alliance. Nous devons savoir tout d’abord, que pour saint Jean la réalité est composée de la Terre – l’univers dans lequel nous vivons – et du Ciel, qui est le domaine de Dieu. Le temple de Jérusalem, comme toute église traditionnelle,  a été configuré selon cette distinction. Dans la première partie, la terre, se trouvent habituellement les prêtres, le grand candélabre, l’encens et les offrandes de pain. Derrière le rideau, dans la seconde partie appelée « Saint des Saints », le ciel, se trouve l’Arche d’Alliance qui contient les Tables de la Loi et sur laquelle repose la Présence de Dieu. Dans cette deuxième partie, seul le Grand Prêtre peut rentrer une fois par an pour la prière du Grand Pardon.
 
Justement, la vision de saint Jean, qui est un homme de la terre, n’est possible que par l’ouverture du rideau qui lui permet d’apercevoir l’Arche qui se trouve dans le sanctuaire du ciel. Cette ouverture ne se fait pas par hasard, mais sur la prière de louange des vingt-quatre anciens qui se trouvent devant le trône de Dieu, qui sont les vingt-quatre prophètes de l’Ancien Testament, en comptant parmi eux saint Jean-Baptiste. Ils rendent gloire à Dieu parce qu’il a décidé que l’heure de la Rédemption de l’humanité – l’heure de Jésus – était venue. Ces vingt-quatre anciens agissent donc comme des prêtres.
Ils voient donc, et saint Jean avec eux, l’Arche d’Alliance. Or saint Jean nous dit que cette Arche, c’est la bienheureuse Vierge Marie. De même que l’Arche qui se trouvait dans le Temple contenait les Tables de la Loi ; de même la Vierge Marie contient en son sein Jésus, la Parole de Dieu, source et accomplissement de la Loi. Sur l’Arche reposait la Présence de Dieu ; sur Marie repose l’Ombre de l’Esprit Saint, comme l’Ange Gabriel le lui a dit lors de l’Annonciation.
 
Nous voyons ensuite cette Vierge magnifique, comme était l’Arche d’Alliance, donner naissance à un enfant, qui est donc Jésus. C’est le mystère de Noël. Le Dragon qui veut dévorer l’enfant, humainement c’est Hérode, mais c’est surtout le Satan qui veut absolument empêcher Jésus de réussir sa mission.
Ce Dragon est fascinant : sur ses sept têtes se trouvent des diadèmes précieux. Ce sont les symboles de sa puissance. Le mal, de manière multiple, est puissant et attirant. Le dragon balaye le ciel et fait tomber le tiers des étoiles. Les étoiles sont les fils et les filles de Dieu. Chacun est libre de ses choix : être avec Jésus ou bien se soumettre, se livrer, aux puissances fascinantes du démon, et chuter.
Très vite saint Jean passe sur la vie de Jésus et même sur sa mort et sa résurrection. Il évoque seulement son Ascension au ciel : « L’enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son trône. » Ce que saint Jean veut nous enseigner, en effet, concerne plutôt ce qui se passe à ce moment et ensuite. Rappelons-nous ici, en passant, que seul celui qui peut entrer dans le sanctuaire du Temple est le Grand Prêtre, pour le rituel du Grand Pardon. Ainsi, lors de son Ascension au ciel, où il entre dans la gloire de Dieu, Jésus est le Grand Prêtre véritable.
 
Ici le texte de notre lecture est malheureusement coupé et, pour comprendre, il faut le lire en entier dans notre Bible. Nous apprenons alors que, pendant que la Femme – la Sainte Vierge Marie – s’enfuit au désert, le lieu où se réfugient habituellement les gens qui sont persécutés, il y a un immense combat dans le Ciel entre Saint Michel et le Dragon. Entre les anges et les démons. Mais le Satan est vaincu, c’est-à-dire que dans son Ascension au Ciel, accompagné de tous les anges, Jésus a vaincu non seulement le péché et la mort, mais surtout leur racine : le Diable et ses démons. Et c’est pourquoi, Jésus ayant rempli entièrement sa mission, on entend dans le ciel la voix forte qui proclame : « Maintenant, voici le salut, la puissance et le règne de notre Dieu, voici le pouvoir de son Christ. » Ce moment, c’est celui de la Pentecôte : le Démon est vaincu et l’Esprit Saint est répandu sur le monde. Ainsi le Grand Pardon est accordé par Dieu à Adam et à sa descendance, à toute l’humanité, à nous tous.
 
Mais que devient la Bienheureuse Vierge Marie ? Il faut continuer notre lecture dans la Bible. Le Dragon et ses démons, comme Adam autrefois, sont jetés hors du Ciel et chutent à leur tour sur la terre. Ils se lancent alors à la poursuite de la Femme. Saint Jean dit qu’elle est protégée par les ailes d’un grand aigle, c’est-à-dire par lui, comme Jésus le lui a demandé sur la croix. Et faute d’avoir pu la rattraper par ses puissances de mort, le Dragon et ses démons finissent par se retourner contre le reste des enfants de la Femme, c’est-à-dire contre les chrétiens, contre nous : « ceux qui obéissent aux ordres de Dieu et qui possèdent le témoignage de Jésus ». Ainsi s’expliquent les persécutions.
 
Voilà donc ce qui se trouve dans notre lecture de l’Apocalypse. Retenons que Marie est l’Arche d’Alliance qui contient la Parole de Dieu et sur qui repose l’Esprit du Seigneur. Retenons aussi que quand le Diable renonce à s’attaquer à elle, il se reporte sur nous. Mais qu’avons-nous à craindre ? Il a été vaincu par la prière de Jésus, par Saint Michel et ses anges, et jamais il n’a pu porter atteinte à la Vierge Marie. Si nous nous cachons dans le manteau de notre Reine du Ciel, nous ne craignons rien.

dimanche 10 août 2025

09-10 août 2025 - TINCEY - SOING - 19ème dimanche TO - Année C

 Sg 18, 6-9 ; Ps 32 ; He 11, 1-2.8-19 ; Lc 12, 32-48

Chers frères et sœurs,
 
Nous poursuivons notre lecture de l’évangile de Luc, où Jésus donne un enseignement sur la bonne manière de vivre en ce monde, dans l’attente de la vie future. Il préconise en premier lieu de se faire « un trésor inépuisable dans les cieux », en étant généreux en aumônes ici-bas. Non pas tant par le geste que par l’intention du cœur qui produit le geste. Cette intention manifeste autant un détachement des biens terrestres transitoires, qu’une générosité qui ne compte pas, comme Dieu donne toujours largement quand il fait grâce. Ainsi doit être l’homme généreux : bon comme Dieu est bon.
 
Cependant Jésus précise ensuite qu’un jour viendra à l’improviste, qui sera aussi un jour de jugement. Il invite pour cela son auditoire à veiller, à rester en tenue de service, la ceinture autour des reins, à garder sa lampe allumée, comme des serviteurs qui attendent leur maître à la fin des noces. Le jour où le Seigneur viendra, nous serons comme « flashés » dans l’état d’esprit et la disponibilité à servir où nous serons à ce moment-là. Autrement dit, il s’agit que l’état de veille et de service soit pour nous un état permanent, un mode de vie habituel, qu’on ne remet pas à demain, ou qu’on ne pratique pas seulement de 9h00 à 12h00 et de 14h00 à 18h00. L’homme que le Seigneur s’attend à trouver à son retour est un cœur qui l’attend dans une espérance vivante, en pratiquant humblement son service, à toute heure.
La surprise pour cet homme n’est pas tant qu’il aura à se mettre au service du Seigneur qui vient, mais plutôt que c’est le Seigneur lui-même qui le servira. Le maître de maison se fera lui-même le serviteur et il servira l’homme à sa table, pour un bon repas. Jésus veut dire ici que la récompense du juste dépasse toute attente ; elle est inimaginable pour un homme ; et sa part sera une communion de dignité avec son maître, une forme de divinisation : une participation au repas de Dieu. Pensons ici au moment où, dans l’Évangile de Jean, Jésus s’est lui-même ceint d’un linge pour laver les pieds de ses disciples : c’était lors du repas pascal, où pour la première fois il leur a partagé en communion son Corps et son Sang, la Vie divine.
 
Pierre s’interroge : si donc l’eucharistie, la communion des saints, est ouverte à tout homme juste tel qu’on vient de le décrire, qu’en sera-t-il pour un disciple ou un apôtre comme lui ? Aura-t-il une part supérieure, plus riche, plus importante ?
Peut-être que Jésus est surpris par la question ; il la reformule donc ainsi : « Que dire de l’intendant fidèle et sensé, à qui le maître confiera la charge de son personnel pour distribuer, en temps voulu, la ration de nourriture ? »
Nous avons déjà ici une définition de ce qu’est un apôtre tel que Pierre, un évêque : il est un intendant, à qui le personnel – c’est-à-dire tous les baptisés – est confié, pour lui distribuer la « ration de nourriture », c’est-à-dire la Parole de Dieu et les sacrements. Un évêque est un intendant : il n’est pas le Maître, mais il est au service du Maître en étant au service de ses serviteurs. Et tel est son service particulier, dans lequel Jésus s’attend à le trouver au moment de sa venue.
Cependant Jésus identifie la tentation terrible des serviteurs des serviteurs de Dieu : le découragement et l’abandon de l’espérance pour s’abîmer dans le relâchement et la dépravation. L’apôtre, ou l’évêque, a un devoir d’exemplarité d’autant plus qu’il connaît la Parole de Dieu : il sait quelle est la volonté du Maître. Sa responsabilité personnelle est donc d’autant plus importante en cas de faillite. « À qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage » dit Jésus. On peut prier ici pour nos évêques.
 
Remarquons ici que Jésus ne répond pas positivement à la question de Pierre. Il y répond négativement. A la question de savoir si l’apôtre où l’évêque recevra davantage dans le Royaume des cieux que le simple fidèle, Jésus répond à Pierre que ceux qui sont riches de la Parole de Dieu et des sacrements courent un bien plus grand risque d’être condamnés si ils perdent la foi, que celui qui mène une humble vie chrétienne en attendant la venue du Seigneur. Le critère du jugement n’est pas le degré d’ordination ou de la science de Dieu, mais la foi, l’espérance et la charité qui doivent habiter le cœur de tout homme aimé de Dieu.
On peut comprendre qu’il n’y a rien à gagner au ciel à être apôtre ou évêque sur la terre, sinon à prendre davantage de risques de ne pas pouvoir y entrer à cause de ses nombreux péchés ! Mais on sait aussi que les Apôtres sont appelés à siéger avec Jésus, sur Douze trônes pour y juger avec lui toutes les nations, c’est-à-dire à participer à sa royauté. Jésus y fait allusion, quand il dit, à propos de l'intendant: « Il l’établira sur tous ses biens. »   Il y aura donc une récompense particulière, une place particulière, mais qui ne dépend que de la fidélité de l’Apôtre d’une part, et de la grâce de Dieu d’autre part, car à la droite et à la gauche du Christ, les places sont réservées à ceux que le Père seul en aura jugé dignes. Et ce peut être n’importe qui ; même un larron !

dimanche 3 août 2025

03 août 2025 - GRAY - 18ème dimanche TO - Année C

Qo 1, 2 ; 2, 21-23 ; Ps 89 ; Col 3, 1-5.9-11 ; Lc 12, 13-21
 
Chers frères et sœurs,
 
L’évangile que nous venons d’entendre peut se comprendre de deux manières. La première nous vient à l’esprit spontanément, d’autant plus que les traductions successives tirent largement dans son sens. Il s’agirait ici d’un enseignement moral, où Jésus prend prétexte d’un différend familial à propos d’un héritage qu’il refuse de trancher, pour inviter son auditoire à ne pas s’attacher aux biens terrestres mais plutôt à se faire un trésor dans le ciel en donnant ses biens aux pauvres. Car « être riche en vue de Dieu », c’est mettre en pratique la parole suivante de Jésus : « Vendez ce que vous possédez et donnez-le en aumône. Faites-vous des bourses qui ne s’usent pas, un trésor inépuisable dans les cieux. » C’est aussi la réponse qu’il a faite au jeune homme riche : « Une seule chose te fait encore défaut : vends tout ce que tu as, distribue-le aux pauvres et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi. » A contrario, celui qui accumule les richesses n’emprunte pas un chemin qui conduit au ciel, mais plutôt au néant ou à l’absurde : « Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ? »
Les interlocuteurs de Jésus, et nous avec eux, seraient donc confrontés à une parole plutôt radicale, qui aurait pour effet paradoxal de condamner ceux qui ne la mettraient pas en pratique, alors que Jésus se défend tout d’abord de vouloir juger les hommes... Il y a quelque chose qui ne colle pas très bien. Peut-on comprendre cet épisode un peu différemment ? Il est à remarquer que celui-ci est propre à l’évangile de Luc ; il ne se retrouve pas dans les autres évangiles. Or saint Luc a la caractéristique de glisser dans son texte des expressions ou des mots-clés destinés à guider la compréhension de ses auditeurs.
 
La première expression est facile à trouver : il s’agit de la réponse de Jésus à l’homme qui l’interpelle : « Qui donc m’a établi pour être votre juge ? » Cette phrase-là, tous les Juifs en connaissent la référence dans le livre de l’Exode, lorsque le jeune Moïse, après avoir tué un Égyptien qui frappait un Hébreu, s’est fait apostropher alors qu’il tentait de séparer deux Hébreux qui se battaient entre eux : « Qui t’a institué chef et juge sur nous ? » La situation dans l’évangile est donc la suivante : un homme demande à Jésus de se faire juge entre lui et son frère. C’est un piège. Si il avait accédé à cette demande en s’instituant lui-même juge, immédiatement quelqu’un lui aurait renvoyé la réponse qui a été faite autrefois à Moïse. On l’aurait accusé d’usurpation ; on l’aurait disqualifié. Au contraire, Jésus renonce à toute prétention à se revendiquer comme juge, ou comme roi. Le piège a échoué.
 
Cependant, Jésus va se servir de cet échange pour donner une leçon à ceux qui voulaient l’attraper. Il raconte alors la parabole de l’homme riche. Nous nous souvenons de l’allusion à l’histoire de Moïse en Égypte. C’est également la clé de cette parabole. Quel est l’homme riche qui bénéficie d’une abondante récolte au point de devoir agrandir ses greniers ? Dans la Bible, il n’y en a qu’un : c’est Pharaon, au temps de Joseph. Mais aussi au temps de l’Exode, puisque le Pharaon de l’époque a fait construire par les Hébreux les deux villes-entrepôts de Pithom et de Ramsès. Pharaon a pour caractéristique de se prendre lui-même pour un dieu ; ce pour quoi il affirme ne pas connaître le vrai Dieu, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Or, dit Jésus, Dieu lui-même lui déclare : « tu es fou : cette nuit même, on va te redemander ta vie. » Cette nuit, où la vie est retirée d’Égypte, la vie des premiers-nés – c’est la nuit de la Pâque. C’est la nuit du jugement pour Pharaon et de la liberté pour les Hébreux ; c’est la nuit de la condamnation des idoles et des idolâtres, qui se fient à leurs biens matériels, et la nuit de la manifestation de Dieu et de sa puissance pour ceux qui ont foi en lui.
Dans la parabole de Jésus, Dieu a traité l’homme-pharaon de « fou » ; en araméen d’« insensé », celui qui « manque de raison ». Ceci est à mettre en rapport avec cette sentence du livre de Qohéleth, que nous avons justement entendue en première lecture : « Un homme s’est donné de la peine ; il est avisé, il s’y connaissait, il a réussi. Et voilà qu’il doit laisser son bien à quelqu’un qui ne s’est donné aucune peine. Cela aussi n’est que vanité, c’est un grand mal ! En effet, que reste-t-il à l’homme de toute la peine et de tous les calculs pour lesquels il se fatigue sous le soleil ? » On comprend que c’est folie de ne pas placer sa foi en Dieu, et c’est déraisonnable de se croire autosuffisant, de se prendre pour dieu.
 
Pourquoi Jésus a-t-il donc dit cela ? On aura bien compris qu’il vise ceux qui ont voulu le piéger avec l’histoire de l’héritage. Il leur dit, en somme : « Il n’y a pas de véritable quiétude sur la terre, que ce soit dans les biens dont on dispose par son travail ou par héritage, ou dans les actions dont on peut soi-même se gratifier, y compris les actions cultuelles. Car la vie terrestre est limitée : elle a une fin ; ses joies sont passagères ; et l’homme ne peut pas être sa propre mesure, sauf à vouloir se faire dieu de manière illusoire. Au contraire, le repos véritable – la paix réelle et la joie infinie – se trouvent dans la sagesse de Dieu, qui réside dans la foi en Dieu seul. C’est Dieu seul qui, par sa Pâque, peut libérer l’homme des contingences terrestres et lui donner accès à la terre de la liberté. »
Évidemment Jésus est celui-là même qui, par sa Pâque, c’est-à-dire sa croix et son baptême, donne accès au Royaume des cieux à tous ceux qui croient en lui. Jésus a résumé par ailleurs cet enseignement en une phrase : « Je ne suis pas venu juger le monde, mais le sauver. »

dimanche 27 juillet 2025

27 juillet 2025 - GRANDECOURT - 17ème dimanche TO - Année C

Gn 18, 20-32 ; Ps 137 ; Col 2, 12-14 ; Lc 11, 1-13
 
Chers frères et sœurs,
 
En voyant Jésus prier dans « un certain lieu », c’est-à-dire dans le Temple, un de ses disciples fut pris du désir de l’imiter et lui demande de lui apprendre à prier. Comme pour s’excuser d’avoir eu ce désir et d’avoir exprimé cette demande, il se cache derrière le fait que Jean-Baptiste a déjà donné un tel enseignement à ses propres disciples. On s’aperçoit ici que l’homme ne sait pas prier comme il faut : il a besoin qu’on lui apprenne ; cependant, il est capable de sentir intérieurement ce qu’est une vraie prière et même désirer la pratiquer. Au fond de lui-même, la prière existe déjà, mais elle est comme une rivière souterraine : elle lui demeure cachée, tant qu’il n’arrive pas à l’extérioriser.
Étonnamment, l’homme ressent un sentiment de honte à exprimer ce désir profond de prier : il n’ose pas demander, il n’ose pas parler, il n’ose pas faire. Sans doute parce que la prière est très intime : elle vient du cœur ; elle touche à l’essentiel de nos vies. C’est pourquoi Jésus désarme les préventions de ses disciples, et il leur dit : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. » Il ne doit pas y avoir de honte à désirer prier, à vouloir prier, à prier tout court, en paroles et en gestes. Jésus énumère trois verbes : « demandez », « cherchez » et « frappez » : la prière se fait en paroles, par le désir intime, et par des actes. Et à chaque fois, c’est pour nous autant d’obstacles intérieurs à surmonter ; ou comme des accouchements à accomplir – mais en vue d’une libération et d’une joie. Il y a de la joie à prier.
 
Lorsque Jésus donne sa leçon de prière, il enseigne le « Notre-Père ». Rien que dans ces deux premiers mots, il y a deux vérités sur la prière. La première est que l’on ne dit pas « Mon Père, qui est aux cieux… etc. » La prière est dite au nom de tous : toute la communauté des disciples et plus largement toute l’humanité. « Donne-nous… » La prière est dite au nom de tous et pour tous. On ne dit pas « Mon Père,… donne-moi… » Abraham priait déjà ainsi, puis qu’il priait le Seigneur non pas pour lui-même mais pour tous les justes de la ville de Sodome, et en fait pour l’ensemble des habitants de Sodome : « Pour dix, je ne détruirai pas. » dit le Seigneur, à la fin de sa prière.
La posture du priant est donc celle d’un prêtre qui prie pour un peuple, un peuple auquel il appartient. Il prie le Père commun à tous. En fait, c’est comme si il revêtait les vêtements du seul et véritable prêtre qui prie le Père pour tous les hommes, c’est-à-dire Jésus lui-même. Quand un homme prie, il prie dans le Christ, pour tous les hommes, et pour lui-même en communion avec tous les hommes. Ce n’est pas pour rien que nous avons été baptisés puis oints du Saint-Chrême qui a fait de nous des prêtres, des prophètes et des rois à l’image de Jésus. Quand nous prions, nous exerçons notre vocation sacerdotale de baptisés.
Jésus ne prie pas « en l’air », une sorte de « Dieu général » : non, il prie « son Père ». La prière s’adresse toujours au Père. On peut bien prier Jésus ou Marie, ou sainte Marie-Madeleine, mais en définitive, la prière aboutit toujours à la seule personne qui peut l’exaucer : le Père de Jésus, qui est aussi Notre Père. Les prières des saints sont des prières d’intercession, des relais en quelque sorte, auprès du Père. Nous pensons qu’avec leur aide, notre demande sera plus sûrement exaucée. De même Abraham ne prie pas « en l’air » ; il ne s’adresse pas à des arbres ou à des cailloux : il s’adresse au Seigneur qui le visite au chêne de Mambré. La prière va d’une personne à une autre : la prière est toujours personnelle. On ne prie jamais dans le vide : on s’adresse toujours à quelqu’un, quelqu’un de vivant. Ce pourquoi nous sommes certains que la prière est toujours entendue. Cependant, la réponse ne nous appartient pas : elle vient comme le Seigneur veut, et quand il veut, pour notre bien.
 
Avez-vous remarqué, chers frères et sœurs, que je n’ai pas encore parlé du Saint-Esprit ? Et pourtant, il est toujours là. C’est lui qui est la rivière souterraine qui coule dans nos cœurs et aspire à s’exprimer dans une prière en paroles, en désirs et en actes. C’est lui aussi qui est la réponse du Père : la joie de la prière exaucée. Et Jésus de dire à ses disciples : « Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! » Il dit ici qu’il n’y a rien de plus grand à demander dans la prière que l’Esprit Saint. Qui reçoit l’Esprit reçoit tout : le pardon, la justice, la paix, la joie, la vie, la communion... N’est-ce pas ce que dit le Notre-Père ? Que l’Esprit Saint sanctifie tous les hommes pour que le Nom de Dieu soit glorifié par eux, en eux ? Que le Règne de Dieu vienne, c’est-à-dire que l’univers entier soit ordonné et gouverné par la puissance de l’Esprit Saint ? Et le vrai pain dont nous avons besoin, n’est-il pas l’Esprit Saint vivificateur lui-même ? Et le pardon des péchés, n’est-il pas accordé dans la miséricorde de Dieu ? L’Esprit Saint n’est-il pas la vraie rosée de miséricorde et de paix ? « Ne nous laisse pas entrer en tentation » disons-nous : l’Esprit Saint est une force, une puissance invincible, car il est la vie elle-même, la vie divine, la vie éternelle.
 
Chers frères et sœurs, au fond de notre cœur, l’Esprit nous appelle à revêtir le Christ et, par lui, avec lui et en lui, à nous tourner vers notre Père afin que son même Esprit soit répandu dans le monde, et que le monde soit enfin totalement transfiguré dans la joie, la paix et la lumière.

dimanche 20 juillet 2025

19-20 juillet 2025 - VEREUX - VALAY - 16ème dimanche TO - Année C

 Gn 18, 1-10a ; Ps 14 ; Col 1, 24-28 ; Lc 10, 38-42
 
Chers frères et sœurs,
 
Comme d’habitude chez saint Luc, il y a au moins deux clés pour comprendre l’Évangile. D’abord, il s'agit de faire attention à ce qu’il se passe, aux lieux, aux gestes, autant qu’aux paroles. Dans ce sens, il faut observer que Jésus se rend dans la maison de Marthe. Mentionner une maison, dans l’Évangile, est une manière d’évoquer le Temple. Marthe est chez elle dans le Temple : elle figure le peuple d’Israël, le peuple fidèle qui sert Dieu – ici Jésus – dans son Temple, dans lequel Il vient demeurer. Retenons cela.
Ensuite – même si la traduction ne nous aide pas beaucoup – il faut remarquer que, la première, Marie vient près de Jésus ; elle s’assoit sans rien dire, et elle écoute Jésus parler. Elle écoute la Parole : elle écoute la Parole de Dieu. Ensuite Marthe vient à son tour près de Jésus ; elle reste debout et elle s’adresse à Jésus : elle lui coupe la parole ; elle empêche la Parole de Dieu de s’exprimer. Son attitude orgueilleuse ne lui permet pas d’écouter la Parole de Dieu.
On retrouve ici entre Marthe et Marie l’opposition que Jésus a déjà relevée entre le pharisien qui fait sa propre louange dans le Temple, et le publicain qui, écrasé par son péché, demande à Dieu son pardon. Jésus dit : « Quand ce dernier redescendit dans sa maison, c’est lui qui était devenu un homme juste, plutôt que l’autre. Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. » On se souviendra, que pour saint Jean, Marie de Béthanie est celle qui a répandu du parfum sur les pieds de Jésus et les a essuyés de ses cheveux, parce qu’elle était une grande pécheresse.
Aujourd’hui nous avons un conflit entre deux sœurs, dont Jésus est l’arbitre. Mais on l’a aussi déjà vu arbitrer entre deux frères : le fils prodigue et son frère aîné, qui se plaint à son père qu’on reçoive à grands frais son frère pécheur : « Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres ! » Et souvenez-vous de la réponse : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. » Le père dirait donc aujourd’hui à Marthe : « Pourquoi t’inquiètes-tu ? Je sais bien que tu me sers, que tu me sers bien, du mieux que tu peux ; et je suis toujours dans ta maison, avec toi, et toi avec moi, parce que c’est aussi ma maison. »
 
On voit apparaître ici un décalage entre ce que dit Marthe et ce que lui répond Jésus. La première, qui est dite accaparée, se plaint que Marie ne l’aide pas dans son service. Et Jésus lui répond qu’elle se disperse, tandis que Marie a choisi la meilleure part. Ils ne parlent pas de la même chose, ou plutôt, pas au même niveau. Pour comprendre, il faut employer la seconde clé qu’utilise habituellement saint Luc : les mots-clés, semés comme des petits cailloux dans le texte.
Le premier est le verbe traduit ici par « accaparé » qui, en araméen, n’a qu’une seule occurrence parallèle dans toute la Bible, dans le livre de Qohélet (l’Ecclésiaste), pour dire la vanité, en raison de son impossibilité, d’une recherche en vue de la connaissance totale de l’univers : « J’ai pris à cœur de rechercher et d’explorer, grâce à la sagesse, tout ce qui se fait sous le ciel ; c’est là une rude besogne que Dieu donne aux fils d’Adam pour les tenir en haleine. J’ai vu tout ce qui se fait et se refait sous le soleil. Eh bien ! Tout cela n’est que vanité et poursuite de vent ! » La quête de Marthe et sa dispersion la perdent dans du sable. Et le second mot-clé est mal traduit : Marie n’a pas choisi la « meilleure part », mais la « bonne part », c’est-à-dire la « part de Dieu » : Dieu lui-même ; la part des lévites.
Nous comprenons donc que la question réelle de cette histoire est celle de la manière dont il faut se comporter avec Dieu dans le temple de son cœur : soit on veut se justifier soi-même en faisant un mauvais usage de sa raison, de la sagesse, pour constater avec colère qu’on se perd dans des recherches sans fin, suscitant jalousie vis-à-vis de ses frères et sœurs, et orgueil vis-à-vis de Dieu ; soit on se présente simplement à lui, tel qu’on est, petit ou grand pécheur, avec grande humilité, pour le prier d’accorder sa Parole, son pardon, un peu de vie nouvelle. Et c’est là le culte véritable, le service véritable, attendu par Dieu dans le cœur de l’homme.
 
En définitive et pour conclure, dans une situation humaine concrète, Jésus – et saint Luc – discernent le véritable enjeu spirituel qui concerne l’amour de Dieu et celui de nos frères, et sœurs en l’occurrence : il n’y a pas de petits et grands moments dans notre relation à Dieu. Même des événements de vie courante ont de la valeur à ses yeux. Pour Marthe, qui a reçu une leçon, Jésus n’oublie pas qu’il est reçu chez elle pour y trouver le meilleur service possible – le grand souci de Marthe – et cela ne lui est pas retiré, cela ne lui est pas reproché. Jésus crée simplement dans sa maison une place nouvelle et particulière pour Marie, et à travers elle pour toutes les nations : une place pour les pécheurs qui aiment Dieu et son aimés de lui. Ainsi dit-il à leur propos : « Il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion », et : « Si vous aviez compris ce que signifie : “Je veux la miséricorde, non le sacrifice”, vous n’auriez pas condamné ceux qui n’ont pas commis de faute. »

dimanche 13 juillet 2025

12-13 JUILLET 2025 - CITEY - CHARENTENAY - 15ème dimanche TO - Année C

Dt 30, 10-14 ; Ps 18 ; Col 1, 15-20 ; Lc 10, 25-37
 
Chers frères et sœurs,
 
Dans l’évangile que nous venons d’entendre, nous avons l’impression que le docteur de la Loi fait passer deux examens à Jésus. Mais en réalité, c’est l’inverse : au premier examen, le docteur de la Loi obtient son bac, et au second il obtient sa licence. Et c’est Jésus qui examine.

Comprenons, en effet, que le système scolaire en Israël est composé de trois niveaux : au primaire, on apprend à lire et écrire l’hébreu, à connaître les bases de la Torah et de l’histoire d’Israël. Au secondaire,  le malpanâ, le maître, fait apprendre par cœur la Torah et les psaumes, avec quelques commentaires et explications. Notons ici que le docteur de la Loi appelle Jésus « maître » : il le prend donc au mieux pour un prof de lycée, c’est-à-dire pour lui un collègue, puisqu’un docteur de la Loi se situe à ce niveau. Son métier en effet est de connaître par cœur la Torah pour assister des rabbis quand ils enseignent. C’est pourquoi Jésus lui dit : « Dans la Loi, qu’y-a-t-il d’écrit ? Et comment lis-tu ? » ; il lui demande tout simplement de faire son métier. Et d’ailleurs, le docteur de la Loi lui répond parfaitement – ce que Jésus va souligner en lui donnant les félicitations : « Tu as répondu correctement. Fais ainsi et tu vivras. » Ainsi, la première partie de l’évangile correspond à un examen de niveau bac.
Fort de cette réussite, le docteur de la Loi s’enhardit et interroge Jésus : « Et qui est mon prochain ? » On passe alors au troisième niveau du système scolaire : celui des rabbis. Il s’agit ici d’approfondir et d’éclairer les enseignements du maître, notamment par le moyen du midrash, c’est-à-dire par un raisonnement fondé sur des citations tirées de la Torah, des psaumes, et des prophètes. On est à la fac. Et justement, la parabole du Bon samaritain est exactement un midrash : le récit est tissé de références aux Écritures pour exposer un profond enseignement spirituel. Ici, Jésus ne répond plus en malpanâ, en prof de lycée ; il répond en rabbi, en prof de fac. Il faut donc que le docteur de la Loi fasse appel à toutes ses connaissances pour pouvoir le suivre ! Essayons nous aussi de comprendre.
 
L’homme descend de Jérusalem à Jéricho : il part de la ville sainte, la ville de Dieu, pour descendre à la ville la plus basse du monde, sous le niveau de la mer. C’est un homme qui, comme Adam, chute du Paradis à l’enfer : c’est tout homme pécheur.
C’est la raison pour laquelle il est attaqué par les bandits, les démons, qui le laissent mourant sur le chemin. Telle est la condition humaine. Il demeure en nous toujours notre dignité car nous avons été créés à l’image de Dieu, mais nous avons été défigurés, blessés, par le péché : nous avons perdu la ressemblance d’avec Dieu. Il y a en nous une part de vie et une part de mort, et comme l’homme abandonné sur le chemin, nous attendons un secours, ce qu’on appelle « le salut ».

Arrivent alors successivement un prêtre et un lévite. Mais ils évitent l’homme. Jésus n’a pas besoin d’expliquer au docteur de la Loi pourquoi ils se comportent ainsi : il le sait très bien, comme tous les autres auditeurs de Jésus. C’est que le prêtre et le lévite obéissent à un précepte de la Loi, donné dans le Lévitique : « Le Seigneur dit à Moïse : « Parle aux prêtres, fils d’Aaron. Tu leur diras : Aucun de vous ne se rendra impur pour un mort de sa parenté » » - sauf si c’est quelqu’un de sa très proche parenté. En effet, prêtres et lévites sont consacrés au culte de Dieu, et ils doivent absolument se garder purs pour éviter de pervertir ce culte. N’oublions pas ici que le culte de Dieu, ce sont concrètement les sacrifices au Temple de Jérusalem. Si jamais un prêtre ou un lévite contracte une impureté, c’est-à-dire est contaminé par une bactérie, alors les sacrifices c’est-à-dire les viandes qui sont consommées par ceux qui les offrent, et tous les objets du Temple, et le Temple lui-même, deviennent eux-aussi contaminés. On comprend naturellement l’intransigeance de la Loi en cette matière. Par extension, on comprend que, selon la Loi, ce n’est pas la vocation des prêtres et des lévites qui sont spécialement consacrés à Dieu, de se consacrer aux hommes.

En attendant, notre homme blessé est toujours sur le chemin. Passe alors le Samaritain. En hébreu, la racine du mot « samaritain » signifie « gardien », comme un « ange gardien ». Mais en fait, et toutes les Écritures le disent : le « gardien d’Israël », le protecteur d’Israël, c’est Dieu lui-même. Le docteur de la Loi le sait. Et d’ailleurs le samaritain est « saisi de compassion ». Dans les Écritures, seul Dieu – ou Jésus – sont « saisis de compassion ». En deux mots, Jésus dit que c’est Dieu lui-même qui arrive sur le chemin, auprès de l’homme perdu.
Dieu n’a pas à observer les lois de pureté : il est lui-même pureté infinie. Il s’approche et panse les blessures de l’homme, y verse de l’huile et du vin. Il le lave, le cautérise avec le vin, il l’habille, il l’oint avec de l’huile : il le baptise pour le guérir de son mal et le rendre à la vie. Puis, il le charge sur son âne et le conduit à l’auberge où il prend « soin de lui » – c’est-à-dire qu’il le nourrit. Glorifié comme un roi assis sur son âne, en procession le baptisé est conduit au Temple, à l’Église, pour y recevoir l’Eucharistie, la communion. Cela est évident pour un chrétien, mais pour le docteur de la Loi, c’est une révélation, qu’il peut aussi comprendre car toutes les références sont bibliques.
Plus encore, « le lendemain », à l’aube, jour nouveau, jour de résurrection, le Gardien s’absente et demande à l’aubergiste de prendre soin de l’homme convalescent, « jusqu’à ce qu’il revienne ». Là aussi un chrétien comprend : à l’évêque, Jésus monté au Ciel a confié l’humanité sauvée par le baptême : il doit la nourrir et la fortifier dans son Église, jusqu’à ce qu’il revienne. Le Gardien-Jésus dit encore : « Tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rendrai. » En araméen, il ne s’agit pas simplement d’un remboursement, mais d’une récompense : d’un remboursement au centuple. La part des justes.

Alors Jésus conclut son midrash par une question-piège : « Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l’homme tombé aux mains des bandits ? » Or le docteur de la Loi avait demandé : « Qui est mon prochain ? » Jésus a inversé la question : il ne s’agit pas de juger les hommes pour savoir qui est celui dont je dois prendre soin ; mais il s’agit de se faire proche de tous les hommes pour devenir soi-même leur prochain. Alors le docteur de la Loi répond à Jésus en confessant que le Samaritain, c’est Dieu. Il dit :  « Celui – on ne prononce pas le Nom de Dieu – qui a fait preuve de pitié envers lui ». Il sait que Dieu seul peut faire miséricorde, peut pardonner les péchés. Alors Jésus donne au docteur de la Loi sa licence en théologie et sa vocation chrétienne : « Va, et toi aussi, fais de même. »

dimanche 6 juillet 2025

06 juillet 2025 - VALAY - 14ème dimanche TO - Année C

Is 66, 10-14c ; Ps 65 ; Ga 6, 14-18 ; Lc 10, 1-12.17-20
 
Chers frères et sœurs,
 
Jésus nous enseigne aujourd’hui ce qu’est l’évangélisation : la proclamation de la bonne nouvelle de sa résurrection et de l’ouverture du ciel à ceux qui sont baptisés en son nom. Il y a plusieurs choses à noter.
 
Tout d’abord, Jésus désigne 72 disciples, en plus des Douze apôtres, déjà appelés auparavant. Pour saint Luc, le nombre 72 n’est pas choisi au hasard. Il signifie que les disciples sont envoyés à toutes les générations – la généalogie de Jésus dans saint Luc compte 72 générations – de telle sorte que l’évangile soit annoncé à tous les âges jusqu’à la fin des temps, jusqu’au dernier jour, Jésus étant au centre de l’histoire du salut. C’est ainsi que saint Irénée de Lyon le comprend. Il note également que ce nombre représente aussi l’universalité des nations et des langues – toute l’humanité en somme.
 
Ensuite, Jésus enseigne que les disciples sont envoyés par lui, là où lui-même Jésus doit se rendre. Les disciples sont des ambassadeurs qui annoncent sa venue, la venue de son règne. Ils sont précurseurs pour les nations, comme saint Jean-Baptiste était lui-aussi précurseur pour Israël.
Cependant Jésus n’agit jamais seul, mais toujours avec le Père et l’Esprit Saint. Ainsi, lorsque les disciples annoncent la paix à une famille, à un pays, soit ceux-ci sont déjà amis de la paix – c’est-à-dire que le Père a déjà préparé leur cœur à recevoir la bonne nouvelle – et c’est l’illumination ; soit ce n’est pas le cas et la mission aboutit à l’échec.
Ainsi notre Père devance déjà les missionnaires dans le cœur des gens ; les missionnaires n’ont qu’à leur annoncer la paix au nom de Jésus : il suffit, par grâce, qu’ils l’accueillent et s’en réjouissent, pour que cette paix – c’est-à-dire l’Esprit Saint – vienne reposer sur eux, et qu’avec elle, Jésus lui-même vienne habiter dans leur cœur.
Relevons que, pour Jésus, nombreux sont ceux qui sont en attente de la bonne nouvelle : « la moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. »
 
D’un point de vue pratique, Jésus envoie ses disciples « comme des agneaux au milieu des loups », c’est-à-dire sans aucune agressivité, et ne répondant par la réciproque à aucune agressivité. Au contraire, il s’agit de faire preuve d’innocence et d’humilité. Jésus précise ensuite : « ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales ». On peut comprendre que les disciples ne doivent pas s’embarrasser de biens inutiles pour se confier plutôt à la Providence.
Cependant, le vocabulaire employé par saint Luc désigne des objets assez précis. La bourse dont il est question renvoie aux notions d’idolâtrie et de vol, au mauvais usage de l’argent. Le sac correspond plus à une sorte de carquois qu’à une besace : c’est dans ce type de sac que David avait placé les cinq pierres dont il allait frapper Goliath. Probablement Jésus veut-il dire ici que l’annonce de l’Évangile ne peut pas se faire sous forme de menace, de coercition. Il s’agit plutôt d’une libre bénédiction, ce pourquoi Jésus invite ensuite ses disciples à prendre soin des malades. La référence aux sandales est plus difficile à comprendre. Il s’agit de sandales de rechange. Certainement Jésus demande-t-il à ses disciples de se présenter en ayant renoncé à toutes les dignités mondaines, jusqu’à risquer de se retrouver un jour publiquement pieds nus, c’est-à-dire en totale humilité, dans la position d’esclave.
Tout cela nous donne un bon portrait-robot du chrétien, ambassadeur du Christ : innocent comme un agneau, il est humble et pauvre, doux et chaleureux, abandonné à la Providence. On pense aux Béatitudes ; on pense aussi à Jésus lui-même.
 
Pour terminer, attardons-nous à l’observation joyeuse des disciples : « Même les démons nous sont soumis en ton nom ! », ce dont Jésus se réjouit également. En effet, il se passe sur terre avec les missionnaires de l’Évangile, ce qui se passe au ciel avec Michel et ses anges, combattant Satan et ses démons. Comme si c’était le même combat sur la terre et dans le ciel, comme si l’armée des disciples correspondait à celle des anges. Mais c’est bien le cas ! Et si Jésus voit que ses disciples sont vainqueurs des démons, c’est qu’il en est de même au ciel pour Michel et ses anges. Alors c’est que, d’une part, le Jour de Dieu est proche, et d’autre part, que les noms des disciples sont déjà inscrits dans les tables des armées du ciel, dans le grand livre de la communion des saints.
 
Voilà, chers frères et sœurs, l’enseignement de Jésus sur l’évangélisation. Soyons conscients de notre dignité à ses yeux, tout en étant les plus humbles parmi les hommes. Combattons fermement les puissances du mal, mais soignons avec douceur ceux qui en souffrent. Ne nous reposons pas sur les biens terrestres, mais sur l’aide généreuse des personnes que le Seigneur a prédisposées à recevoir de nous la bonne nouvelle : ils sont en attente, et ils sont plus nombreux que nous l’imaginons. Et cela, jusqu’au Jour de la venue de Jésus. 

mardi 1 juillet 2025

29 juin 2025 - COURCUIRE - Saints Pierre et Paul - Année C

Ac 12, 1-11 ; Ps 33 ; 2Tm 4,6-8.17-18 ; Mt 16, 13-19
 
Chers frères et sœurs,
 
Les deux premières lectures ont été choisies pour la fête des saints Pierre et Paul parce qu’elles correspondent le mieux à la fin de leur séjour terrestre.

En effet, après sa libération de prison, le livre des Actes n’évoque plus la figure de Pierre. Et sa sortie de prison ressemble à une résurrection. Comme au tombeau de Jésus, telle que l’ont vue les saintes femmes, une lumière brillante illumine la cellule de Pierre. Et les chaînes tombent : celles de la mort pour Jésus, celles de fer pour Pierre. Si Jésus rejoint la gloire de Dieu – l’assemblée des anges et des saints – dans son ascension à la droite du Père, Pierre rejoint la communauté chrétienne de Jérusalem, l’Église réunie. Mais il s’agit de la même réalité, puise que l’Église sur la terre est inséparable de l’Église céleste : c’est la même assemblée. Du point de vue historique, il est possible que Pierre ait bénéficié d’une évasion par protection, ce pourquoi il a ensuite été exfiltré de Jérusalem vers Antioche puis à Rome, où finalement il a été martyrisé, sous le règne de Néron.
Dans sa seconde lettre à Timothée, Paul annonce qu’il est « déjà offert en sacrifice », c’est-à-dire qu’il est condamné à mort. Il s’attend d’ailleurs à recevoir bientôt la « couronne de justice », non pas lui seul, mais aussi les autres chrétiens également condamnés, certainement lors d’une persécution collective. Paul fait une belle confession de foi quand il dit que le Seigneur l’a « assisté », l’a « rempli de force » - c’est-à-dire qu’il avait conscience que l’Esprit Saint était avec lui. Il a foi dans le Seigneur face à la mort : « J’ai été arraché à la gueule du lion ; le Seigneur m’arrachera encore à tout ce qu’on fait pour me nuire. Il me sauvera et me fera entrer dans son Royaume céleste. » On ne peut pas être plus explicite. Comme Pierre, Paul était juif, bien sûr, mais il était aussi citoyen romain. C’est pourquoi il meurt décapité à l’extérieur de la ville, sans doute dans les mêmes années que le martyre de Pierre.
À travers ces deux témoignages, nous devons nous rappeler sans cesse la puissance de la résurrection de Jésus qui illumine tout homme par le baptême, et celle de l’Esprit Saint qui fortifie les croyants jusqu’au martyre – c’est-à-dire jusqu’au témoignage par l’offrande de leur vie par amour pour Dieu et pour les hommes. Le témoignage de Pierre fonde notre foi, celui de Paul la fortifie.
 
Justement, dans l’évangile, Jésus affirme en s’adressant à Simon-Pierre : « Tu es Pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon Église. » Je voudrais simplement vous donner quelques repères pour mieux comprendre cette affirmation.
La première est que la scène se passe dans la région de Césarée-de-Philippe, qui est une région païenne. Nous avons une indication chronologique un peu plus loin dans l’évangile, au moment de la Transfiguration de Jésus, qui nous indique que la confession de Pierre a lieu le jour du Yom Kippour, le jour du « Grand Pardon » où le Grand Prêtre entre dans le Saint-des-Saint du Temple pour accomplir le rite particulier de ce jour, en y prononçant notamment le Nom de Dieu.
Saint Pierre s’est-il rendu compte que le Saint-Esprit lui a fait prononcer sa confession de foi : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant », au moment où un autre « Pierre », le Grand Prêtre Caïphe, professait aussi le Nom de Dieu ? Car « Pierre », en araméen se dit « Képha », la même racine que « Caïphe ». Si Caïphe cependant confessait le Nom de Dieu dans le Temple, notre Pierre, lui, l’a fait en terre païenne : car avec Jésus ressuscité et l’effusion de l’Esprit, le Nom de Dieu est confessé de par toutes les nations, en tout lieu et en tout temps. Mais alors, quel est le Temple où notre Pierre officie-t-il ?
Jésus l’a dit : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. » Le Temple nouveau : c’est l’Église. D’ailleurs, en hébreu, les mots ont même racine pour désigner l’« Assemblée » du Peuple d’Israël au désert et la « Tente » de la Rencontre, où officiait Aaron, Tente qui deviendra par la suite le Temple de Jérusalem. Il est intéressant de constater que Aaron et les Grands Prêtres ont été choisis pour officier dans le Temple, tandis c’est Pierre qui sert de fondation à l’Église. C’est l’inverse en quelque sorte. Pour les premiers la foi est suggérée par le culte et le culte est toujours en un même lieu, tandis que pour nous le culte peut être démultiplié en des lieux différents pourvu qu’il soit fondé sur la foi de Pierre, la foi en la résurrection de Jésus. Et cela non pas seulement en Terre sainte, mais aussi dans les territoires païens où les gens adorent des idoles.
 
Pour finir, chers frères et sœurs, Jésus ajoute que les « Puissances de la mort » ne « prévaudront pas » contre l’Église et il confie à Pierre les « clés du royaume des Cieux ». Il faut comprendre que l’Église, c’est-à-dire l’Assemblée sainte qui assure le culte du vrai Dieu dans la foi en Jésus ressuscité avec la force que donne l’Esprit, cette Église sera confrontée à des puissances néfastes impressionnantes et dangereuses, mais la victoire est assurée pourvu qu’elle demeure fidèle à la foi de Pierre. C’est à Pierre et à ses successeurs qu’est confié le discernement des événements, le jugement des actions et des enseignements, pour confirmer l’Église dans la foi en tout lieu et en tout temps, et la garder dans l’unité de la charité, jusqu’au jour de la venue bienheureuse de notre Seigneur Jésus.

dimanche 22 juin 2025

21-22 juin 2025 - FRESNE-SAINT-MAMES - BEAUJEU - Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ

 Gn 14, 18-20 ; Ps 109 ; 1 Co 11, 23-26 ; Lc 9, 11b-17
 
Chers frères et sœurs,
 
La résurrection de Jésus et le don de l’Esprit Saint nous ont dévoilé les mystères de Dieu jusque-là restés cachés. C’est ainsi que dimanche dernier, la liturgie nous a fait entrer dans le mystère de la Sainte Trinité : Dieu est un en trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Comme nous avons été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, nous aussi nous sommes des personnes, et nous sommes appelés par grâce à entrer en communion dans ce mystère. Aujourd’hui, la liturgie nous fait connaître un autre mystère : celui de la réalité sacramentelle de l’Église, de sa parole et de son action, de ses membres, et même de certaines choses matérielles, comme l’eau et l’huile, le pain et le vin, quand ils sont consacrés. Cela mérite quelques explications : que veut-on dire quand on parle de « réalité sacramentelle », de « sacrement » ?
 
La chose la plus importante à comprendre est que, par ses paroles et ses actions, par le don de l’Esprit Saint, Jésus donne à des objets terrestres une réalité céleste. Par exemple, ayant pris du pain, Jésus dit : « Ceci est mon corps. » Ainsi, ce pain quoiqu’ayant toujours l’apparence du pain – il reste un objet terrestre – devient aussi son Corps : il est devenu une réalité céleste.
Ce qui vaut pour le pain et le vin, qui deviennent Corps et Sang de Jésus, vaut aussi pour chacun de nous, lorsque nous sommes baptisés. Lorsque le prêtre verse de l’eau sur la tête d’une personne en disant « Juliette, je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit », celle-ci n’est pas changée : elle demeure toujours la même Juliette. Mais elle reçoit en plus la réalité des fils et des filles de Dieu, participants à la vie éternelle et aptes à la communion dans la gloire de Dieu. C’est ainsi que Jésus peut dire à ses disciples : « Qui vous accueille m’accueille ; et qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé », parce que le baptisé est revêtu du Christ. Il est devenu ambassadeur du Christ ; et même plus : le Christ habite en lui ; il est comme un tabernacle dans lequel réside le Christ.
Ce qui vaut pour des personnes individuelles comme Juliette, vaut aussi pour l’assemblée des chrétiens. Juridiquement l’Église est une association de croyants en Jésus-Christ : cela c’est la situation terrestre, que tout le monde peut voir. Mais par l’Esprit Saint reçu à la Pentecôte, la réalité de l’Église est qu’elle est d’abord par Jésus, une communion des hommes avec le Père, dans sa gloire. L’Église est une réalité terrestre et céleste, humaine et divine, en même temps. Et cette réalité de l’Église, comme celle du Corps et du Sang de Jésus, comme celle du baptisé enfant de Dieu, n’est visible que par la foi en Jésus ressuscité et par le don de son Esprit Saint.
 
Comme vous le savez, nous avons peu de foi et nous avons besoin de toujours plus d’Esprit Saint pour croire et pour connaître les réalités célestes. C’est pour cette raison que nous matérialisons ces réalités par des symboles. Ainsi, nous prenons un pain différent du pain ordinaire pour l’Eucharistie : cela nous aide à comprendre qu’il s’agit d’un pain terrestre et céleste en même temps. De même, nous sommes attachés à ce que les baptisés portent une médaille de baptême autour du cou, pour leur rappeler tout le temps qu’ils sont enfants de Dieu. De même pour l’Église : quand elle se rassemble, elle se retrouve dans des lieux – des églises justement – dont l’architecture dit que nous sommes aussi bien au ciel que sur la terre, et nous nous habillons différemment, surtout les prêtres et les enfants de chœur, pour dire que la liturgie qui est célébrée est une action – terrestre certes – mais aussi et surtout céleste. La messe, comme tout sacrement, est une action, une réalité terrestre et céleste, humaine et divine en même temps.
Et j’ai lâché le mot technique qui exprime cette réalité très particulière, qui n’est connue que de ceux qui ont la foi et qui ont reçu l’Esprit Saint : le « sacrement ». Le pain et le vin consacré sont le sacrement du Corps et du Sang de Jésus ; Juliette est devenue enfant de Dieu par le sacrement du baptême ; et l’Église est le sacrement du royaume des cieux sur la terre, le sacrement de la communion des saints.
 
Quand on a compris cela, il y a une conclusion à en tirer, très importante pour nous : ce que le monde ne voit pas, nous nous le voyons. Le monde voit du pain et du vin ; il voit une personne qui reçoit de l’eau sur la tête ; il voit une association de personnes qui se réunissent le dimanche et essayent de faire du bien. Mais nous nous voyons les réalités célestes : nous vivons sur la terre comme tout le monde, et pas comme tout le monde, puisque nous y vivons en même temps déjà de la vie éternelle. C’est toute la différence entre un homme normal et un saint. Le saint regarde le monde avec les yeux de Dieu ; il y reconnaît les réalités célestes déjà présentes et à l’œuvre comme un ferment, et – avec l’aide de l’Esprit Saint – il tâche de s’y conformer par sa vie entière.
Voilà un bel appel pour la fête du Saint Sacrement du Corps et du Sang de Jésus ; comme dit l’évêque saint Augustin à ses fidèles, en parlant de la communion eucharistique : « Devenez ce que vous recevez ! »

dimanche 15 juin 2025

15 juin 2025 - GRAY - Sainte Trinité

Pr 8, 22-31 ; Ps 8 ; Rm 5, 1-5 ; Jn 16, 12-15
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous avons été créés « à l’image et à la ressemblance de Dieu ». « À l’image », c’est-à-dire selon le modèle de Dieu. Le Livre des Proverbes nous apprend que ce modèle est la Sagesse elle-même, la Parole de Dieu par laquelle tout a été créé, et particulièrement l’homme. En effet, la Sagesse trouve « ses délices avec les fils des hommes » parce que l’homme seul a été créé en capacité de la comprendre, de l’écouter, et c’est pour cette raison – comme le rappelle le Psaume – que l’homme est appelé à régner sur la création. Rien ni personne ne peut retirer à l’homme ce don initial d’avoir été créé à l’image de Dieu, selon le modèle de la Sagesse de Dieu, la Parole de Dieu.
Précisons immédiatement que cette Sagesse, cette Parole de Dieu, n’est autre que le Fils de Dieu, celui qui s’est fait chair sous le nom de Jésus de Nazareth. C’est lui, le Christ, qui est la Parole de Dieu, la Sagesse de Dieu par qui tout a été créé. Tout homme sur terre est en capacité d’écouter sa parole et peut reconnaître en Jésus celui qui est à l’origine de son existence, « plus intime à lui-même que lui-même » disait saint Augustin.
 
Dans le même acte créateur, nous avons également été créés « à la ressemblance de Dieu ». Cette « ressemblance », elle, peut-être perdue, malheureusement, mais aussi retrouvée. En effet, c’est elle que nous perdons par le péché, mais que nous retrouvons par la grâce de Dieu, comme nous le rappelle saint Paul. Par le péché, nous sommes devenus ennemis de Dieu, comme des anges déchus devenus des démons, mais dit l’Apôtre « nous qui sommes devenus justes par la foi, nous voici en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ, lui qui nous a donné, par la foi, l’accès à cette grâce dans laquelle nous sommes établis. » Cette grâce, c’est la ressemblance et l’Esprit Saint qui nous la fait recouvrer : « l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné. » La ressemblance, c’est donc l’amour de Dieu, l’amour qui est en Dieu, par lequel le Père donne tout à son Fils et le Fils donne tout à son Père.
On comprend en effet que, lorsque nous péchons et devenons ennemis de Dieu, refusant de recevoir le don de Dieu ou refusant de nous donner à Dieu, nous quittons l’amour de Dieu, nous perdons la ressemblance. Mais en revanche, quand nous sommes réconciliés avec Dieu par le sacrifice de Jésus sur la croix qui nous obtient le pardon, alors nous retrouvons, avec l’accueil du don de l’Esprit et la volonté de nous donner tout entier à Dieu, cette ressemblance perdue. En définitive, le don de la ressemblance, c’est le don de l’Esprit Saint. Être « à la ressemblance de Dieu », c’est vivre dans l’Esprit de Dieu, dans l’amour de Dieu.
 
Nous pouvons maintenant essayer de comprendre ce que dit Jésus à ses disciples, et pourquoi nous lisons ce passage de l’évangile pour la fête de la Sainte Trinité. Jésus explique à ses disciples qu’au moment où il leur parle, c’est-à-dire avant sa résurrection et son ascension, ils ne peuvent pas comprendre ses propos. Plus exactement, ils ne peuvent pas « connaître » ce dont il parle. Chez saint Jean, vous le savez en effet, le terme « connaître » a un sens très particulier. Il s’agit exactement d’entrer dans la communion du Père, du Fils et du Saint-Esprit : par l’Esprit Saint, être rendu à l’état de l’homme parfait, image et ressemblance de Dieu, comme son modèle, la Sagesse, la Parole de Dieu, le Fils Jésus, qui reçoit tout de son Père et lui rend tout en action de grâce, et ceci dans la « connaissance » mutuelle, c’est-à-dire dans l’amour où tout est don de soi.
Ainsi, ce n’est qu’en recevant le don de l’Esprit Saint à la Pentecôte, que les disciples sont en mesure de « connaître » Dieu Père, Fils et Saint-Esprit. Si donc Jésus s’en va auprès du Père, c’est justement pour que soit répandu l’Esprit Saint dans leur cœur, afin qu’ils accèdent non pas à une compréhension intellectuelle seulement, mais entrent tout entier dans la « connaissance » de Dieu. La connaissance de Dieu concerne tout l’homme, tout ce qui le constitue, y compris sa chair.
 
Par conséquent, et pour conclure, nous pouvons retenir deux enseignements. Le premier est que la connaissance de Dieu a à voir avec ce que nous sommes originellement : nous avons été créés pour la connaissance de Dieu – pour la communion avec le Père, par le Fils et dans l’Esprit – et nous ne pouvons nous comprendre nous-mêmes réellement, en vérité, que dans cette communion originelle que nous avons vocation à retrouver.
Et le second enseignement – qui passe presque inaperçu – est que cela ne peut pas se faire en dehors de la communion de toute l’Église. En effet, Jésus ne dit pas à ses disciples : « L’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour le faire connaître à X ou à Y », comme si la connaissance de Dieu était une expérience individuelle ; mais il dit : « L’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. » La connaissance que je peux avoir de Dieu est inséparable de la connaissance commune de l’ensemble des disciples de Jésus, de toute l’Église. C’est pourquoi dans la connaissance de Dieu nous ne sommes pas des individus juxtaposés mais des personnes en communion, et nous avons reçu de Jésus le commandement de l’amour mutuel qui seul peut nous garantir d’être chacun et chacune réellement dans l’amour de Dieu, à son image et à sa ressemblance.

dimanche 1 juin 2025

01 juin 2025 - AUTREY-lès-GRAY - 7ème dimanche de Pâques - Année C

Ac 7, 55-60 ; Ps 96 ; Ap 22, 12-14.16-17.20 ; Jn 17, 20-26
 
Chers frères et sœurs,
 
Les lectures de ce dimanche illustrent parfaitement la situation réelle de l’Église, notre situation, dans le monde de ce temps. En effet, nous sommes bien dans cet entre-deux où d’un côté, dans le passé, notre Seigneur le Christ Jésus est monté au ciel, et de l’autre, tournés vers l’avenir, nous attendons sa venue dans la gloire.

Dans le passé, nous avons le martyre d’Étienne qui, comme les Apôtres lors de l’Ascension de Jésus, « contemple les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu ». Cela nous rappelle que par la foi, l’Église contemple les réalités célestes. Elle affirme cette contemplation non seulement dans des paroles, par la proclamation de l’Évangile, mais aussi dans des actes, par la liturgie elle-même. La liturgie n’est-elle pas l’expression des réalités célestes dans notre monde terrestre ? C’est là quelque chose d’incompréhensible et parfois insupportable aux hommes, ce qui peut conduire l’Église – comme Étienne – au témoignage du martyre.
Vers l’avenir, nous avons la vision de saint Jean : « Voici, je viens sans tarder. » Le Seigneur Jésus annonce sa venue prochaine, qui est le jugement dernier : « Heureux ceux qui lavent leurs vêtements : ils auront droit d’accès à l’arbre de la vie et, par les portes, ils entreront dans la ville. » Par le baptême, les hommes ont accès au Corps et au Sang de Jésus et, franchissant ainsi le voile qui sépare le ciel et la terre, ils ont accès à sa communion de vie éternelle. Tel est notre avenir, le but de notre espérance, notre vocation.
Remarquez que, dans la liturgie dont nous venons de parler, nous avons déjà accès à cette vie éternelle. Dans la liturgie, le temps est transformé en éternité. C’est ainsi que l’Église se réjouit de la vie future qu’elle contemple par la foi et qu’elle reçoit déjà par les sacrements. Et avec les anges, elle chante le psaume : « Le Seigneur est roi ! Exulte la terre ! Joie pour les îles sans nombre ! » Cette louange n’est pas à conserver pour nous ; elle est une eau vive à partager avec ceux qui ont soif, partout dans l’univers, jusque dans les îles lointaines.

L’Église est donc tout à la fois contemplation des réalités célestes, attente et accueil de la vie divine dont elle se nourrit déjà par les sacrements, et louange de Dieu dans la joie – une joie contagieuse ; tout ceci engendrant incompréhension, moqueries, parfois opposition et violence, de la part des puissances obscures.
 
Cependant, notre Seigneur le Christ Jésus, demeure à la tête de son Église. Sa présence au Ciel, devant son Père, est pour nous une providence : car il intercède directement en notre faveur afin que nous soyons bénéficiaires de la force de Dieu : l’Esprit de sainteté. Cette prière de Jésus nous donne trois informations importantes.
La première est qu’il prie le Père que nous soyons « un », c’est-à-dire en communion parfaite avec eux, dans la gloire, et aussi par conséquent entre nous. La communion parfaite n’est pas la dissolution de nos identités dans un grand tout divin impersonnel – ce serait la mort ultime ; mais au contraire cette communion est l’illumination de chacun d’entre nous, avec la transfiguration de ce que nous portons en nous de meilleur au profit de tous. L’image la plus parlante est sans doute celle de l’orchestre : diversité des instruments emportés dans la symphonie de la plus belle des valses, le Père ayant écrit la partition, le Christ Jésus dirigeant l’orchestre, et l’Esprit étant la musique elle-même, faisant l’unité de tous. Jésus prie donc pour que nous formions une seule communion dans la Sainte Trinité et entre tous.
La seconde information est qu’il prie son Père afin que par l’Esprit, nous vivions réellement cette communion divine déjà maintenant, dans notre temps. Il s’agit que l’Église de la terre soit une, comme elle l’est déjà dans le ciel. Cette unité spirituelle doit être réellement vécue puisqu’elle est le moteur de l’évangélisation : « Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un, afin que le monde sache que tu m’as envoyé. » Ce faisant, si Jésus prie son Père pour que cette unité soit possible, c’est qu’il y a des forces contraires à l’intérieur de l’Église elle-même, malheureusement. La tentation de la division n’est pas extérieure à nous-mêmes, elle nous est intérieure – elle nous traverse tous – et le Seigneur Jésus prie son Père que par le don de l’Esprit Saint, l’unité sur terre comme au ciel soit la plus forte.
Enfin, troisième et dernière information, Jésus reconnaît que les forces contraires agissent aussi à l’extérieur de l’Église : « Père juste, le monde ne t’a pas connu, mais moi je t’ai connu, et ceux-ci ont reconnu que tu m’as envoyé. » Nous retrouvons l’expérience d’Étienne : le monde ne connaît pas la gloire de Dieu et se rebelle contre elle, parfois avec violence, préférant les ténèbres à la lumière. Jésus prie donc son Père pour l’Église que nous formons, semblable à un bateau sur la mer, ne soit pas engloutie par les eaux tumultueuses, mais aborde bientôt tantôt les îles lointaines, tantôt la terre ferme du Royaume des cieux.
 
Chers frères et sœurs, que de bonheur à réentendre les lectures de ce dimanche : elles nous rappellent la situation et la vocation de l’Église dans le monde, et notre vocation à chacun, ainsi que la prière de Jésus pour nous tous à toute heure. Réjouissons-nous de la lumière de l’Esprit que le Père nous accorde généreusement, et rendons-lui grâce maintenant et dans toute notre vie. 

jeudi 29 mai 2025

29 mai 2025 - GRAY - Ascension du Seigneur - Année C

Ac 1, 1-11 ; Ps 46 ; He 9,24-28 ; 10,19-23 ; Lc 24, 46-53
 
Chers frères et sœurs,
 
Comment comprendre l’Ascension de Jésus ? Factuellement, il s’agit de la fin des apparitions de Jésus ressuscité ; c’est en quelque sorte sa dernière disparition, avant son retour dans la gloire. Mais il disparaît où ? Saint Luc l’affirme : Jésus a cessé d’apparaître en ce monde pour s’élever au « ciel ». Nous voilà bien avancés : comment comprendre ce qu’est le « ciel » ?
 
Les Écritures – c’est-à-dire l’Ancien Testament – nous l’apprennent. Tout d’abord, le ciel est un sanctuaire : c’est l’espace sacré d’un temple. Ainsi comprenons-nous que notre monde et le ciel forment ensemble un seul temple, dont le ciel est le sanctuaire. Quand Moïse a construit la Tente de la Rencontre dans le désert, qui est devenu par la suite le Temple de Jérusalem, il a bien défini deux espaces : le « saint » dans lequel pouvaient entrer les prêtres pour les offrandes habituelles, et le « Saint des Saints » qui n’était accessible qu’au seul grand-prêtre, une fois par an, pour la célébration du Grand Pardon – le Yom Kippour. De la même manière, toutes les églises sont construites sur le même modèle : il y a la nef où se trouvent les baptisés, pour la prière habituelle, et le sanctuaire où officie l’évêque ou le prêtre. C’est ainsi que dans son Ascension Jésus quitte ce monde pour entrer dans le sanctuaire du Ciel, comme faisait le grand prêtre dans le Temple, comme fait encore aujourd’hui l’évêque ou le prêtre dans l’église.
 
Notons au passage que notre monde et le ciel sont séparés par ce que je vais appeler un « voile ». La Lettre aux Hébreux évoque le « rideau du sanctuaire » en précisant qu’il s’agit de la « chair » de Jésus. De fait, dans le Temple de Jérusalem, il y avait un rideau entre le « Saint » et le « Saint des Saints », où le grand prêtre ne pouvait pénétrer qu’en s’étant purifié, sanctifié. Dans les Actes des Apôtres, la séparation entre le monde et le ciel est constituée par la nuée, qui soustrait Jésus aux yeux des disciples, et par deux hommes en vêtements blancs – c’est-à-dire par les anges. Les anges sont comme des douaniers : ils interdisent l’entrée du sanctuaire du ciel et à tous les hommes dont la chair est obscurcie par le péché, aux impies, mais ils autorisent le passage à celui qui est le pur et le saint par excellence, l’innocent dont la chair est sans péché, celui dont le corps est lumière, Jésus et lui seul. Le psaume 46 est exactement le chant des anges acclamant l’entrée de Jésus dans le ciel. Dans les églises, le voile est matérialisé par la marche et le banc de communion qui séparent la nef du sanctuaire.
 
Que trouve-t-on dans le ciel ? On y trouve le trône où siège le Père, à la droite duquel vient s’asseoir le Fils. Il y a les trônes des douze fils d’Israël et des douze Apôtres. C’est ce que nous retrouvons dans nos églises : le siège du président, et ici les stalles des chanoines. Et au milieu du ciel se trouve l’autel, qui est le Christ. Vous savez que Jésus entrant au ciel est à la foi le prêtre – ce que nous avons vu – mais il est aussi l’offrande faite à Dieu son Père : il offre son corps et son sang – c’est-à-dire nous, l’humanité qu’il partage avec nous, le corps et le sang des martyrs et des saints, nos vies, nos joies et nos souffrances, nos intentions de messe. Il les présente à son Père en offrande. Et Jésus est aussi l’autel sur lequel reposent ces offrandes. Jésus cumule en lui-même tout le culte de Dieu. Et pourquoi ?
 
Moïse l’a déjà dit, en parlant du grand prêtre qui fait l’offrande une fois par an dans le Saint des Saints : pour le Grand pardon. Jésus s’offre lui-même et nous avec, pour nous obtenir le pardon de son Père, sa grâce, le don de son Esprit Saint. De même, dans l’église, l’évêque accueille le pain et le vin, fruits de la terre et du travail des hommes – tout ce qui fait notre monde, et nous-mêmes, et nos prières. Et par ordre de Jésus, par la prière eucharistique et l’action de l’Esprit Saint, il en fait Corps et Sang de Jésus. Alors seulement, accomplissant ici et maintenant, ce que Jésus fait au ciel et toujours, il offre ce Corps et ce Sang de Jésus – et nous-mêmes avec lui – à Dieu notre Père : « Par lui, avec lui et en lui, à toi, Dieu le Père tout puissant, tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles. » Et avec les anges, et tous les saints, le peuple de Dieu accompagne cette offrande avec force : « Amen ! » Alors, dans les ultimes prières, comme les Apôtres au Cénacle attendant la Pentecôte, nous espérons de notre Père qu’il nous accorde sa grâce, le don de l’Esprit, la sainte communion.
 
Car, chers frères et sœurs, l’enseignement des apôtres n’est pas terminé : « Frères, c’est avec assurance que nous pouvons entrer dans le véritable sanctuaire grâce au sang de Jésus : nous avons là un chemin nouveau et vivant qu’il a inauguré en franchissant le rideau du Sanctuaire ; or, ce rideau est sa chair. Et nous avons le prêtre par excellence, celui qui est établi sur la maison de Dieu. Avançons-nous donc vers Dieu avec un cœur sincère et dans la plénitude de la foi, le cœur purifié de ce qui souille notre conscience, le corps lavé par une eau pure. » Le corps lavé par l’eau pure du baptême, le cœur purifié de la souillure du péché par le don de l’Esprit Saint, nous pouvons avancer pour la procession de communion jusqu’au sanctuaire du ciel, où le passage n’est plus interdit par les anges, mais ouvert grâce au sacrifice de Jésus. Là, en communiant à son Corps et à son Sang, nous lui somme unis, ainsi qu’à son Père, dans la communion de l’Esprit Saint, et nous participons ici et maintenant à la vie éternelle qui est celle du ciel.
 
Voilà, chers frères et sœurs ce qui est voilé dans le mystère de l’Ascension de Jésus : c’est la messe, qui est en même temps sacramentellement et réellement notre propre ascension dans la gloire de Dieu, au ciel. Amen !

dimanche 25 mai 2025

25 mai 2025 - FRESNE-SAINT-MAMES - 6ème dimanche de Pâques - Année C

Ac 15, 1-2.22-29 ; Ps 66 ; Ap 21, 10-14.22-23 ; Jn 14, 23-29
 
Chers frères et sœurs,
 
Durant ses apparitions, Jésus rappelle aux Apôtres l’enseignement qu’il leur avait donné avant sa mort, enseignement qu’ils ne pouvaient pas comprendre à ce moment, mais seulement après sa résurrection. Voilà pourquoi nous lisons l’Évangile selon Jean maintenant, après Pâques.

Dans son enseignement, Jésus dit : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure. » Aimer Jésus et garder sa parole sont deux choses inséparables. Par « garder sa parole », il faut entendre « écouter ses commandements et les mettre en pratique », c’est-à-dire vivre selon le premier commandement qui est au cœur de tous les autres commandements de la Loi : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit », ceci sans oublier celui qui lui est semblable : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Celui qui vit ainsi, dit Jésus, sera aimé de son Père. De fait, il est comme une terre labourée, bien préparée, pour accueillir la semence que voici : « Nous viendrons vers lui. » Jésus dit « nous » car il parle inséparablement de son Père, de lui-même le Fils, et de l’Esprit Saint. La Trinité Sainte, comme à Abraham au chêne de Mambré, se présente à l’homme juste afin que, dit Jésus :  « chez lui, nous nous ferons une demeure. » Comprenez, chers frères et sœurs, que l’homme juste, qui aime Jésus et garde sa Parole, qui est aimé de son Père, est visité par la Sainte Trinité qui vient habiter en lui comme dans le Temple. L’homme juste est le Temple de Dieu : son cœur est devenu comme le Saint des Saints en lequel vient reposer la Présence de Dieu.
C’est pourquoi, Jésus, après avoir parlé du don de l’Esprit Saint qui rappelle aux Apôtres ses paroles, parce qu’en même temps il les réalise, leur parle maintenant de la paix. Il y a deux mots en hébreu pour parler de la paix : soit la paix divine, le repos de Dieu ; soit la tranquillité humaine, les accords signés entre les hommes. Évidemment, ici Jésus parle de la paix – Shalom – qui est le repos de Dieu. On n’a cette paix que lorsque la Sainte Trinité vient habiter dans notre cœur. Et en même temps, avec cette paix de Dieu, on a aussi sa joie, une joie que le monde ne connaît pas.
 
Maintenant que nous avons compris que Dieu vient habiter en nous, avec la vision du livre de l’Apocalypse, nous comprenons que cette habitation de Dieu en l’homme correspond aussi exactement à l’habitation de l’homme en Dieu. La communion de l’homme avec la Sainte Trinité est une habitation réciproque. Ainsi l’homme vient habiter sur la haute montagne, dans la ville sainte, Jérusalem, dans la gloire de Dieu, illuminée par Jésus. Cette ville a douze portes correspondant aux douze tribus des fils d’Israël et douze fondations correspondant aux douze Apôtres. C’est-à-dire que dans la Jérusalem céleste sont réunis Israël et l’Église, les Juifs et les païens entrés dans la communion de Dieu par la foi. Ensemble, dans la paix et la joie, nous ne formons qu’un seul peuple de Dieu. La communion est en même temps la Sainte Trinité qui habite en l’homme, l’homme qui habite en Dieu, et l’homme en communion avec ses frères et sœurs qui partagent le même amour de Dieu, la même foi. C’est inséparable.
 
Et nous arrivons au débat survenu entre les chrétiens d’origine juive et les chrétiens d’origine païenne, dans les Actes des Apôtres. Vous avez bien compris que, dans le cœur des Apôtres, l’unité de l’Église est fondamentale puisqu’elle reflète sur terre l’unité de la Jérusalem céleste, qui est l’habitation réciproque entre les justes et la Trinité Sainte. C’est pourquoi il est dit dans les Actes que la décision des Apôtres a été prise à l’unanimité, c’est-à-dire dans l’Esprit Saint. Il ne pourrait en être autrement dans l’Église.
Le fond du débat est : est-ce que les païens, en se convertissant, doivent quitter leur identité pour devenir juifs ? Ou bien inversement, est-ce que les Juifs doivent perdre leur identité pour devenir comme les païens, pour que tous puissent être chrétiens ? La réponse est que personne n’a à perdre son identité ; la foi ne détruit pas l’identité des personnes : elle les transfigure. Ainsi les juifs chrétiens peuvent et doivent vivre selon la Loi et leurs coutumes illuminées par la foi, et les chrétiens d’origine païenne doivent obéir par la foi au cœur de la Loi sans avoir à en suivre les formes coutumières juives. Le cœur de la Loi est rappelé par les commandements qui sont en tête de chacune des deux tables : d’abord contre l’adoration des idoles, l’amour exclusif de Dieu ; puis l’interdiction de verser le sang : « tu ne tueras pas » ; et la pratique d’une vie morale sainte qui en découle : le refus des unions illégitimes. Nous savons que les premiers chrétiens ont suivi scrupuleusement cette décision, jusqu’au témoignage du martyre. Et elle est toujours valable pour nous aujourd’hui, dans notre monde rempli d’idoles variées, qui veut porter atteinte à la vie, et qui fait se fait le promoteur d’une société désordonnée.
 
Nous sommes toujours, comme chaque chrétien en son temps, à la croisée des chemins : choisissons-nous l’obscurité ou la lumière ? la division ou son miroir, l’unité totalitaire, ou bien l’unité dans la diversité, dans la communion du Père du Fils et de l’Esprit Saint, pour y vivre ensemble la paix et la joie de Dieu ? 

dimanche 18 mai 2025

18 mai 2025 - CHAMPLITTE - 5ème dimanche de Pâques - Année C

 Ac 14, 21b-27 ; Ps 144 ; Ap 21, 1-5a ; Jn 13, 31-33a.34-35
 
Chers frères et sœurs,
 
Il y a une forme d’inquiétude, pour ne pas dire d’angoisse, qui traverse les lectures et l’évangile de ce dimanche. Dans les Actes des Apôtres, Paul et Barnabé affermissent le « courage des disciples » ; ils les exhortent à « persévérer dans la foi ». Dans l’Apocalypse, Jean entend la voix qui dit que Dieu « essuiera toutes larmes de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur. » Et dans l’Évangile, nous retrouvons Jésus lors de son dernier repas avec ses disciples ; Judas vient de le trahir pour qu’il soit conduit à la mort de la croix : la Passion a commencé.
 
Pourquoi, alors que nous sommes dans le temps de Pâques, de la joie de Pâques, la liturgie évoque-t-elle les souffrances de Jésus, de ses disciples, et au fond celles de toute l’humanité ? Il y a deux raisons à cela. La première est que, comme dit Jésus : « Le disciple n’est pas plus grand que le Maître. » C’est-à-dire que par là où Jésus est passé, maintenant ses disciples à leur tour doivent passer aussi. L’Église souffrante dans les persécutions – c’est bien des persécutions dont parlent les Actes des Apôtres et l’Apocalypse – l’Église, donc, rejoint son Seigneur souffrant en sa Passion. Mais nous savons bien, par la foi en Jésus, que la Passion conduit à la résurrection et à la vie nouvelle.  Et la seconde raison est que Jésus ne cesse pas, dans son ascension auprès de son Père, non seulement de lui présenter en offrande son corps ressuscité et meurtri, mais aussi de combattre contre les puissances du mal, jusqu’à la victoire définitive. Nous savons par la foi en Jésus, qu’il a vaincu définitivement le mal puisqu’il est entré dans sa gloire, siégeant à la droite du Père, et que l’offrande de lui-même a été agréée par son Père, puisqu’il a envoyé à son Église l’Esprit de Pentecôte.
 
Ainsi la liturgie nous fait superposer la figure de l’Église avec celle de Jésus : à l’une comme à l’autre, il arrive la même chose. L’Église persécutée, c’est Jésus persécuté. Jésus luttant contre les puissances du mal, c’est aussi l’Église luttant contre les puissances du mal. Jésus s’offrant lui-même à son Père, c’est aussi l’Église s’offrant elle-même – par Jésus – pour le salut du monde. Mais alors, la victoire de Jésus sur la mort et sur le mal, c’est aussi la victoire de l’Église. Et la glorification de Jésus au ciel, c’est aussi la glorification de son corps qui est l’Église.
Voilà pourquoi Paul et Barnabé veulent « affermir » « le courage des disciples », et les « exhortent » à « persévérer dans la foi », et pourquoi Dieu « essuiera » « toutes larmes de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur. »
 
Comprenez bien, chers frères et sœurs que, ce faisant, les lectures, ou plus exactement l’Esprit Saint à travers le témoignage de Paul et Barnabé, et celui de Jean, nous appellent à relever la tête, à regarder les réalités éternelles du ciel plutôt que de rester ensorcelés par les illusions du monde qui passe. Vous me direz : « les paroles et les exhortations à la foi peuvent-elles suffire devant tant de souffrances présentes ? » Mais… ni Paul et Barnabé, ni Jean, ni Jésus, n’ont laissé les hommes avec des paroles seulement.
Jésus lui-même, le premier, est passé par la souffrance de la Passion ; et il est ressuscité. Il nous a dit comment lutter contre la souffrance et les assauts des puissances du mal : « Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. » Par la charité mutuelle vécue en actes, nous sommes les plus forts.
Jean, lui, a vu « la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle, qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari. » Et quelle est-elle cette ville sainte ? C’est l’Église, la communauté de charité que nous formons, dont les membres inséparables sont au ciel et sur terre, formant l’unique corps de Jésus ressuscité. L’Église est une réalité du ciel et de la terre, une réalité « sacramentelle » : par le baptême, la confirmation et l’eucharistie, nous appartenons à cette réalité et nous en recevons la vie. Par cette vie éternelle reçue concrètement par les sacrements de l’Église, nous sommes les plus forts.
Enfin, Paul et Barnabé, avant de quitter les Églises en souffrance de Lystre, Iconium et Antioche de Pisidie, leur ont donné des Anciens : des évêques. Ils les ont appelés ; puis, après avoir prié et jeûné, les ont consacrés au Christ Jésus pour qu’ils soient présence de Jésus au milieu de leurs Églises. Par la présence sacramentelle de Jésus dans ses évêques, par la vie donnée par ses sacrements à son Église, par la charité qui les assemble et les anime, alors, contre le mal, la souffrance et la mort, nous sommes toujours les plus forts.
 
C’est ainsi, chers frères et sœurs, que nous pouvons et nous devons nous réjouir en ce temps de Pâques. Parce que, par sa résurrection et le don de son Esprit, Jésus ne nous a pas quittés, ne nous a pas abandonné. Au contraire, il est toujours présent à son Église. Si elle souffre, alors il souffre avec elle. Et si il entre dans sa gloire, alors avec lui, Jérusalem céleste, l’Église est glorifiée dans le ciel !


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