dimanche 28 septembre 2025

27-28 septembre 2025 - MONTAGNEY - CHAMPLITTE - 26ème dimanche TO - Année C

Am 6,1a.4-7 ; Ps 145 ; 1Tm 6,11-16 ; Lc 16, 19-31
 
Chers frères et sœurs,
 
Une parabole est comme une noix. Si on en reste à l’extérieur, on se casse les dents sur sa dureté et on manque la douceur nourrissante qui est à l’intérieur. En rester à l’extérieur, c’est juger sans appel que les méchants riches égoïstes sont destinés à l’enfer éternel, tandis que les gentils pauvres sont élevés par les anges au Paradis. Certains discutent pour savoir si le sein d’Abraham se situe encore au royaume des morts dans l’attente du Jugement dernier, ou bien s’il s’agit déjà du Paradis. Mais dans les deux cas, il n’y a aucune solution pour le riche, qui est définitivement condamné. On peut s’interroger ici : est-ce que le Verbe de Dieu, Jésus, s’est fait chair, est mort sur une croix et ressuscité, pour seulement rappeler aux hommes un enseignement déjà bien connu depuis le temps de la Loi et des prophètes (ce qu’il rappelle d’ailleurs dans sa parabole), à savoir, comme le dit fort bien le Seigneur par la bouche de son prophète Amos, que « la bande des vautrés n’existera plus ! » ? On peut aussi se demander si cette parabole se trouve bien dans l’évangile selon saint Luc, qu’on appelle aussi souvent l’« évangile de la miséricorde ». Ici, il n’y en a pas beaucoup pour le riche… n’est-ce pas ? Et pourtant, cette parabole ne se trouve que dans saint Luc ! Alors ?
 
Il faut casser la noix pour y trouver le bon fruit. Posons-nous la question : qui est l’homme riche ? Et qui est Lazare ? L’homme riche est « vêtu de pourpre et de lin fin » ; il « faisait chaque jour des festins somptueux ». Il n’y a aucun doute que c’est un Grand prêtre du Temple, qui vit grassement des offrandes qu’on y fait. Il est logique, dans la parabole, que cet homme et ses frères sadducéens, n’écoutent pas Moïse et les prophètes : les sadducéens ne reconnaissent que Moïse, c’est-à-dire la Torah. Mais ils ne reconnaissent pas les prophètes. Or Jésus insiste sur les deux. Les sadducéens ne croient pas non plus à la résurrection. Jésus le dit : « Quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne croiront pas ! » Dans sa parabole, Jésus vise donc particulièrement le Grand prêtre, les saducéens – et non pas un « homme riche » en particulier.
Maintenant, qui est Lazare ? Observons tout d’abord que dans tout le Nouveau Testament, hormis dans notre parabole, la seule fois qu’il est question d’un Lazare, c’est dans l’évangile de Jean : il s’agit de Lazare de Béthanie, qui était malade, qui est mort, que Jésus a ressuscité, et que les saducéens, justement, voulaient tuer, avec Jésus, parce qu’ils étaient devenus trop gênants. On se souviendra que Lazare avait deux sœurs, Marthe et Marie, et que Marie, grande pécheresse, avait versé du parfum sur les pieds de Jésus, annonçant les soins que son corps recevrait lors de sa mise au tombeau. Dans la parabole, Lazare est méprisé comme Jésus sera méprisé en sa passion. Ses ulcères sont des plaies brûlantes ; la souffrance qu’elles provoquent n’est apaisée que par le léchage des chiens. Comprenez ici l’allusion terrifiante de Jésus… C’est bien ainsi que Marie de Béthanie était considérée par les sadducéens et les pharisiens : « Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est : une pécheresse. » À sa mort, Lazare est porté par les anges non pas « auprès » d’Abraham, mais « dans son sein », c’est-à-dire qu’en position couchée pour un repas, il est placé à sa droite. Jésus est élevé à la droite du Père. Là, il y a de l’eau – cette eau rafraîchissante dont voudrait bien bénéficier l’homme riche en enfer – eau qui n’est autre que celle de l’Esprit Saint.
 
Donc, sous la figure du Lazare de la parabole, Jésus parle de lui-même. Il apparaît absolument rejeté par le Grand prêtre, tandis que les pécheurs prennent soin de lui. Lorsque la mort fait son œuvre, la situation s’inverse comme dans un miroir. Tout d’abord le Grand prêtre est en proie à la torture de la fournaise. Ce feu est celui du Buisson ardent dans l’Exode et celui de l’amour dans le Cantique des cantiques. Il provoque le regret : l’homme est brûlé par la culpabilité, le remord. C’est pourquoi il demande à Abraham que Lazare accomplisse la seule chose qui puisse le sauver : le geste du pardon. Car tremper « le doigt dans l’eau pour lui rafraîchir la langue » est un geste rituel de prêtre. On s’aperçoit alors que dans la parabole, le véritable Grand prêtre qui peut pardonner les péchés, donner l’eau de la vie éternelle, n’est pas l’homme riche mais le pauvre Lazare, Jésus lui-même. Si le Grand prêtre avait réellement mis en pratique la Loi de Moïse et le rituel du pardon, que lui-même célébrait au Temple, il aurait donné une part de l’offrande au pauvre Lazare, pour qu’il vive sur terre. Mais, en refusant ce geste, par hypocrisie, orgueil, avarice ou paresse, le Grand prêtre s’est condamné lui-même. N'ayant pas fait miséricorde sur terre, il s’en est privé au ciel. Nous retrouvons ici en miroir la prière que Jésus nous a enseignée : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. » Au puits de Jacob, la Samaritaine pécheresse a donné un peu d’eau à Jésus assoiffé ; en récompense le Seigneur lui a promis qu’elle recevrait l’eau vive, en abondance.
 
Il est quand même incroyable que l’homme qui, sur terre, était chargé d’accomplir le saint rituel du Pardon pour le peuple, pour qu’il vive, ne le pratiquait pas personnellement dans sa vie courante, au risque d’abandonner son prochain à la mort... Voilà ce que reprochait Jésus au Grand prêtre, aux sadducéens. Ils en sont  d’autant plus sévèrement condamnés, par eux-mêmes ! En revanche, dit la parabole, tout homme qui pose un petit geste de vie ici-bas, par son aumône, par son pardon, par sa bonté, par son humilité, s’inscrit dans la figure de Lazare, ou dans le corps de Jésus, pour y accomplir en son nom le véritable pardon, celui qui donne à l’homme – fût-il un grand pécheur ici-bas – la vie éternelle. Dieu ne veut pas que l’homme meure, mais qu’il vive. À tous, il veut faire miséricorde.

dimanche 14 septembre 2025

14 septembre 2025 - GRAY - La Croix glorieuse - Année C

 Nb 21, 4b-9 ; Ps 77 ; Ph 2, 6-11 ; Jn 3, 13-17
 
Chers frères et sœurs,
 
Nicodème, comme le dit saint Jean au début de son récit, est un pharisien et un notable parmi les Juifs. Il est membre du Sanhédrin, qui est en même temps une sorte d’Assemblée nationale et de Conseil constitutionnel des Judéens. Là, il défendra courageusement le droit de Jésus à se défendre à son procès. Il est aussi une des trois plus grosses fortunes de Jérusalem. C’est lui qui finance le mélange de 45 kilos de myrrhe et d’aloès pour la mise au tombeau de Jésus ; des funérailles de roi. Donc la rencontre entre Jésus et Nicodème est de la plus haute importance, et on aurait tort de penser que leur échange concerne des banalités. Ils vont à l’essentiel : ce qu’il en est de Dieu et du salut de l’homme.
Nicodème cherche à comprendre le message de Jésus, dont il sait déjà qu’il est prophète. Jésus lui répond que pour voir le royaume de Dieu – c’est-à-dire y entrer, y participer –, il faut naître d’en haut, de l’eau et de l’Esprit. Nicodème demande alors comment naître du souffle de l’Esprit ? On entend la même question dans la bouche de la Bienheureuse Vierge Marie quand l’ange Gabriel lui annonce qu’elle va concevoir et enfanter un fils : « Comment cela peut-il se faire ? » Jésus reproche alors à Nicodème – qui est un maître en Israël – de ne pas connaître « ces choses-là », et il lui répond qu’il est nécessaire de croire en sa parole. Parce que lui, Jésus – qui est descendu du Ciel – parle de ce qu’il connaît et il témoigne de ce qu’il a vu – c’est-à-dire de la réalité du Royaume des cieux. Donc Jésus dit que, pour naître du souffle de l’Esprit et voir le Royaume, il faut d’abord croire en lui, en son enseignement et en son témoignage, c’est-à-dire toute sa vie, c’est-à-dire l’Évangile.
 
À ce moment, nous retrouvons le passage que nous avons entendu aujourd’hui, dont nous ne savons pas très bien, en réalité, si les paroles sont prononcées par Jésus à l’attention de Nicodème, où s’il s’agit d’un commentaire de saint Jean à l’attention de ses lecteurs. Mais l’argument central est le même : la foi en Jésus mort sur la croix pour le salut des hommes, et ressuscité, est la clé du don de Dieu : du souffle de l’Esprit, de la vie éternelle. Saint Jean donne un premier argument, tiré du livre des Nombres, que nous avons entendu en première lecture : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert – pour sauver le peuple mordu par les serpents, c’est-à-dire les démons ou les péchés – ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé. » Dieu, donc, sauve les hommes pécheurs et leur accorde la vie par la croix de Jésus.
Mais ce faisant, Dieu a sacrifié son fils, son unique – dit l’évangile. Deuxième argument. La référence au sacrifice d’Isaac, dans le livre de la Genèse, est évidente : « Dieu dit : « Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac, va au pays de Moriah, et là tu l’offriras en holocauste sur la montagne que je t’indiquerai. » Nous savons qu’Isaac sera sauvé par l’ange du Seigneur au moment ultime, et qu’il sera remplacé par un bélier. Par la suite, le sacrifice au Temple pour le pardon des péchés était celui d’un agneau, l’agneau pascal, en substitution du sacrifice des premiers-nés en Égypte. Mais avec Jésus, la situation est inversée : c’est Dieu lui-même qui autorise le sacrifice de son fils, son unique, un premier-né, comme véritable Agneau pascal, une fois pour toutes et pour un pardon véritable de tous les hommes – pour que quiconque croit en lui ait la vie éternelle et que par lui le monde soit sauvé.
 
Nicodème, et nous-mêmes avec lui, qui sommes versés dans les Écritures et la foi d’Israël, sommes placés au cœur de la mission de Jésus : donner sa vie pour la multitude, pour que tout homme qui a foi en lui – y compris ceux qui dorment au fond des enfers, comme dit saint Paul – puisse recevoir le don de Dieu, la vie éternelle, et voir le Royaume des cieux. La croix est donc comme une porte entre le monde présent et le royaume des cieux. Vu d’en bas, d’un point de vue matérialiste, c’est un instrument de supplice, un obstacle. Mais vu d’en haut, avec la foi, c’est un passage, le passage : la porte étroite – la seule porte – qui conduit à la vraie liberté et à la vraie vie. Il n’y en a pas d’autres. Et c’est Jésus qui l’a ouverte pour nous. C’est pourquoi, pour un chrétien, la croix est une croix glorieuse. Parce que, par elle, la lumière du ciel illumine les ténèbres de toute la terre et même des enfers.
Il reste un dernier point important pour finir. La traduction est ambiguë : on a l’impression qu’il y a pour l’homme un délai entre sa confession de foi en Jésus et l’obtention de la vie éternelle. Dans l’araméen ou l’hébreu, le verbe avoir n’existe pas. Cela signifie que pour l’homme qui croit en Jésus, la vie éternelle est à lui. C’est immédiat, il n’y a pas de délai. L’homme qui a foi en Jésus mort et ressuscité vit déjà maintenant du Don de Dieu, de la vie éternelle, et il voit le Royaume des cieux. Cela paraît étonnant ? Mais non, il faut comprendre que la réalité du Royaume n’est pas contrainte par notre espace-temps. On peut distinguer dans le temps des étapes : le sacrifice d’Isaac, le serpent de bronze, la Pâque en Égypte, les sacrifices du Temple, la crucifixion de Jésus, mon baptême, ma mort, avant mon entrée dans la vie éternelle, avec la grâce de Dieu ! Mais dans la réalité du Royaume éternel, c’est un seul instant, un flash, où par la foi en Jésus qui s’est donné pour nous, enfin libérés du péché et de la mort, nous entrons à jamais dans la communion d’amour de Dieu, avec tous les saints. Comprenez, frères et Sœurs : par la foi en Jésus mort pour nous et ressuscité, la vie éternelle nous est donnée, maintenant. Tel est le sens de la fête de la croix glorieuse.

dimanche 31 août 2025

30-31 août 2025 - COURTESOULT - GRAY - 22ème dimanche TO - Année C

 Si 3, 17-18.20.28-29 ; Ps 67 ; He 12, 18-19.22-24a ; Lc 14, 1.7-14
 
Chers frères et sœurs,
 
Dieu s’est-il fait homme, est-il mort sur la croix et ressuscité, pour apprendre aux hommes des leçons de savoir-vivre élémentaires ? D’une certaine façon, oui, s’il s’agit du savoir-vivre de la Vie éternelle. Jésus semble profiter d’une situation assez ridicule pour rappeler à ses disciples – ceux qui écoutent l’évangile – que le commandement du service mutuel et celui de l’attention aux pauvres sont des signes du Royaume qui vient. Une telle écoute a pu donner la figure de saint Martin, par exemple, qui refusait absolument de s’asseoir tant sur un trône épiscopal dans sa cathédrale, que dans un fauteuil au cours d’une réunion officielle : il fallait toujours qu’on lui apporte un tabouret ! Les premiers chrétiens étaient très attachés à cette dimension morale de l’évangile, toute faite de service généreux et d’humilité, qui les distinguait des païens en les impressionnant, et leur permettait ainsi de faire rayonner l’Évangile.
 
Cependant, l’affaire du repas de Jésus avec les pharisiens prend une autre dimension quand on s’attache à lire le texte précisément. Jésus n’est pas entré chez un pharisien pour y prendre un repas comme on entre dans une brasserie pour y prendre un sandwich. Il a été invité par le pharisien : Jésus est l’invité d’honneur, ce pour quoi il se permet de donner un enseignement ; et le pharisien a également invité des collègues. Cependant, la situation est extrêmement tendue. Il est dit que les pharisiens « observaient » Jésus ; il faut comprendre qu’ils l’épiaient, le surveillaient, attendant qu’il fasse le moindre faux-pas pour lui tomber dessus.
Justement, nous sommes un samedi, un jour de sabbat, au cours duquel les activités sont réglementées par la Loi de Moïse. Or il se trouve qu’il y a dans la salle un homme malade d’hydropisie – cet épisode a été coupé dans notre lecture. Et Jésus va guérir cet homme, en présence des pharisiens pour lesquels l’exercice de cette activité pendant le sabbat est interdit par la Loi. Jésus leur rappelle alors ce principe que la défense de la vie, fut-elle celle d’un animal, prime sur tout autre précepte de la Loi en vertu du 5ème commandement : « Tu ne tueras pas. » Profitant du fait que les pharisiens sont décontenancés, il leur donne l’enseignement que nous avons entendu. Celui-ci semble être sans aucun rapport avec ce qu’il vient de se passer. Pourtant il s’en trouve un.
Pour comprendre, il faut aller directement à la citation du prophète Ézéchiel que cite Jésus : « Quiconque s’élève sera abaissé, et qui s’abaisse sera élevé. » Cette citation fait référence à un conflit entre Guédalia et Ismaël. Guédalia est le gouverneur nommé par Nabuchodonosor du petit reste d’Israël resté à Jérusalem après la chute du dernier roi de Juda, Sédécias, et la déportation à Babylone. Et Ismaël est un administrateur resté également en Judée, de sang royal. Évidemment, Ismaël ne rêve que de renverser Guédalia pour prendre sa place et restaurer la royauté en Israël. Or un jour Guédalia offre un repas à ses officiers, dont Ismaël, qui en profite pour l’assassiner. La fin de l’histoire est terrible parce que Ismaël est tué à son tour et le petit reste d’Israël resté jusqu’alors à Jérusalem doit s’enfuir en Égypte : il ne reste plus personne à Jérusalem. L’échec est total. Donc Jésus fait référence à cette histoire lorsqu’il évoque, au cours du repas avec les pharisiens qui en veulent à sa vie, la question des invités malséants et celle du souci des pauvres.
 
Aux pharisiens qui sont invités comme lui, il leur rappelle que Ismaël était lui aussi un invité, mais que son désir de prendre la première place en tuant Guédalia qui l’occupait, s’est soldé par la perte de sa propre vie. Plus finement, Jésus leur rappelle qu’on ne s’attribue pas à soi-même une promotion, mais que celle-ci doit venir de l’autorité supérieure. Et il y a plus de chance de la recevoir quand on s’en montre un digne serviteur. Sans doute Nabuchodonosor qui avait déjà permis à Ismaël de demeurer à Jérusalem, quoique de sang royal, l’aurait grandi après Guédalia s’il s’en était montré digne – et la royauté de David aurait peut-être été rétablie. Mais par son orgueil Ismaël a perdu et la royauté, et la vie. Évidemment, dans l’esprit de Jésus, cette histoire n’est qu’un prétexte pour parler du Royaume des cieux : l’orgueil spirituel de ceux qui se croient des purs en matière religieuse au détriment de ceux qui ont reçu de la part du Seigneur une fonction qu’ils tâchent de remplir honorablement, risquent de perdre et leur couronne de sainteté, et la béatitude. Le message de l’auteur est donc le suivant : « fuyons l’orgueil ; attachons-nous à l’humilité ! »
 
Mais Jésus se tourne ensuite vers le pharisien qui a lancé l’invitation à tous. Il le met en garde contre ses confrères qui risquent de l’entraîner dans une voie sans issue, sinon dangereuse. Jésus l’invite à choisir l’attitude de Guédalia : celle de l’administration pleine de sagesse, de l’humble service du petit reste d’Israël : les pauvres, les estropiés, les boiteux, les aveugles ; tous ceux qui sont restés à Jérusalem parce qu’ils ne valaient rien pour Babylone. Et le choix de les protéger, surtout contre les zélotes orgueilleux qui veulent se lancer dans des aventures sans lendemains, est préférable que d’emboîter le pas à ces derniers. Le message est donc double ici. D’une part Jésus condamne la radicalité et met en garde contre les familiarités qui compromettent – ceci vaut pour le pharisien que Jésus semble apprécier pour lui avoir donné cette recommandation, mais aussi pour les Apôtres, et les chefs d’Églises. Et d’autre part, le choix doit toujours être fait de la protection des plus faibles, qui sont toujours le choix de Dieu. Pour nous en convaincre, écoutons donc la Sainte Vierge Marie dans le chant de son Magnificat : « Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom ! Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais. »

dimanche 24 août 2025

24 août 2025 - PESMES - 21ème dimanche TO - Année C

 Is 66, 18-21 ; Ps 116 ; He 12, 5-7.11-13 ; Lc 13,22-30
 
Chers frères et sœurs,
 
Qu’elle est magnifique cette prophétie d’Isaïe ! Par sa bouche notre Seigneur annonce qu’il va « rassembler toutes les nations » – ce rassemblement, c’est l’Église – et qu’elles « verront sa gloire », la gloire de sa résurrection. Il mettra chez elles « un signe », le signe de la croix, celui du baptême. Du milieu d’elles, il enverra des « rescapés » – c’est-à-dire les baptisés devenus missionnaires – pour les envoyer « vers les nations les plus éloignées ». « Ma gloire, dit-il, ces rescapés l’annonceront parmi les nations. Et de toutes les nations, ils ramèneront tous vos frères. » Ainsi de toute l’humanité, tous ceux qui ont entendu et vu la gloire du Seigneur, qui sont marqués du signe du salut, ont pour vocation d’être rassemblés en un seul peuple, l’Église.
La suite n’est pas moins importante. Ce rassemblement se fait sur la montagne sainte du Seigneur, Jérusalem. Les baptisés y seront portés comme des offrandes, dans des vases purs, à la Maison, c’est-à-dire au Temple du Seigneur. Nous retrouvons ici cette parole que nous disons dans la prière eucharistique :  « Que l’Esprit Saint fasse de nous une éternelle offrande à ta gloire, pour que nous obtenions un jour l’héritage promis, avec tes élus. » Comprenons que la vie des baptisés est une vie offerte à Dieu en sacrifice d’action de grâce – une vie eucharistique – qui leur donne accès à la communion des saints. Telle est la vie chrétienne : une vie d’offrande. Cela a permis à l’évêque saint Augustin de dire un jour à ses fidèles en parlant de la communion : « Devenez ce que vous recevez. »
 
Nous ne devons pas oublier cette prophétie lorsque nous réfléchissons aux paroles de Jésus, dans l’évangile. Aujourd’hui un homme l’interroge : « Seigneur, n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? » À cette question Jésus ne donne pas de réponse : d’une part, seul son Père sait ce qu’il en est du jugement ; lui Jésus, vient pour sauver. D’autre part, la réponse dépend aussi en grande partie de chaque homme pour lui-même. Et c’est ce que Jésus explique.
Il évoque d’abord brièvement trois situations qui correspondent aussi à trois enseignements qu’on trouve à différents endroits de l’évangile de saint Matthieu. Premièrement : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite. » On devrait lire « Luttez pour entrer par la porte étroite », car saint Luc emploie ce même verbe pour l’agonie de Jésus. La lutte dont il s’agit n’est pas une épreuve de force, de pouvoir ou de puissance, mais tout l’inverse : d’humilité et de dépouillement. Deuxièmement, cette lutte est temporaire : il y a un terme. Le temps sera compté lorsque « le maître de la maison se sera levé pour fermer la porte ». Pour la génération qui écoute Jésus, le temps est écoulé lorsque Jésus ressuscite. Mais pour toute l’humanité, le temps sera écoulé lorsqu’il se manifestera à la fin des temps. Alors il sera trop tard pour se convertir : on aura été flashés dans l’état où nous serons à cet instant. Il s’agit donc de se trouver prêt à toute heure : que ce soit pour nous une habitude permanente d’attendre la venue du Seigneur. Et troisièmement, si on a été flashé, on aura beau essayer de faire valoir qu’on a croisé Jésus un jour au resto ou au supermarché, cela ne marchera pas. Plus sérieusement, Jésus vise ici les deux formes de culte de Dieu : les repas rituels – repas de communion avec Dieu – et l’écoute de la Loi, de la Parole de Dieu. Le culte comme tel ne constitue pas un passeport suffisant pour le ciel, surtout s’il n’est pour celui qui l’exerce qu’une formalité extérieure.
Car, pour finir, Jésus donne la clé de la bonne attitude, surtout pour le culte : « Éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l’injustice. » Il s’agit d’une citation directe du psaume 6, verset 9 : ils s’éloignent eux-mêmes de Dieu ceux qui, par leurs actes, ne mettent pas la Loi en pratique. Ce que Jésus exige donc comme passeport pour le ciel, pour être veilleur, pour passer la porte étroite, c'est la pratique de la Loi : l’amour de Dieu de toute son âme, de tout son cœur et de toute sa force, et l’amour du prochain comme soi-même. Il faut que cet amour soit pour nous une vertu intérieure et pratiquée de manière permanente. Elle se demande dans la prière.
La seconde partie de la réponse de Jésus semble concerner en priorité les Juifs, qui sont menacés, s’ils n’entrent pas réellement dans le commandement de l’amour, soit d’être séparés de leurs pères, les patriarches et les prophètes déjà entrés dans le Royaume de Dieu, soit d’y être doublés par les païens convertis – ceux dont parlait la prophétie d’Isaïe – qui seront rassemblés de toutes les nations à Jérusalem, à la Maison du Seigneur. La mention « et que vous-mêmes, vous serez jetés dehors » n’est pas dans tous les manuscrits ; elle provient peut-être d’un traducteur chrétien un peu trop zélé. Jésus ne dit pas que les Juifs sont exclus du Royaume, mais qu’en n’observant pas l’esprit de la Loi, ils perdent leur droit d’aînesse en quelque sorte : de premiers, ils deviennent derniers – ce qui ne veut pas dire qu’ils soient exclus. Cependant, soyons nous-mêmes bien conscients que Jésus ici ne parle pas seulement à l’homme qui l’a interrogé ou aux Juifs en général, mais à tous, y compris ses disciples, c’est-à-dire aussi à nous. Son enseignement vaut pour tous. Si notre baptême et nos célébrations eucharistiques, les sacrements que nous célébrons, ne sont que des rituels extérieurs, sans vie spirituelle intérieure selon l’amour de Dieu et du prochain ; si nous ne veillons pas en tout temps ; si nous ne vivons pas humbles et pauvres, alors nous serons certainement relégués en troisième division.
Jésus nous appelle aujourd’hui à faire mieux. Ensemble, par la force de son Esprit Saint, nous pouvons faire mieux – pour qu’à la fin nous entrions dans sa joie.  

mardi 19 août 2025

17 août 2025 - GRAY - 20ème dimanche TO - Année C

Jr 38, 4-6.8-10 ; Ps 39 ; He 12, 1-4 ; Lc 12, 49-53
 
Chers frères et sœurs,
 
Le choix des lectures de ce dimanche nous conduit à penser qu’être porteurs de la Parole de Dieu – que ce soit comme prophète ou comme Messie, et donc aussi comme chrétien – n’est pas sans danger… Jérémie se retrouve au fond du puits, enfoncé dans la boue, et Jésus est cloué en croix, voué à la mort. On nous fait entendre dans le psaume la supplication du juste dans l’épreuve et, dans l’Évangile, l’angoisse de Jésus à l’approche de son baptême – de sa passion. Le rédacteur de l’Épître aux Hébreux – c’est-à-dire les chrétiens d’origine juive – les invites à courir « avec endurance l’épreuve qui nous est proposée » ; il parle des persécutions.
Cependant, contrairement à ce que nous pourrions croire, ces lectures ne nous ont pas été proposées pour alimenter notre désespoir, mais elles nous rappellent la fidélité et la bonté de Dieu en toutes circonstances, pour que soient renforcées notre foi et notre espérance, en vue de la joie. Pour mieux comprendre cela, lisons attentivement l’Évangile selon saint Luc.
 
« Je suis venu apporter un feu. » Quand Jésus parle ici de feu, il ne parle ni des feux de forêt, ni du feu de l’enfer. Il parle du Saint-Esprit. Ce feu est celui que vit Moïse au buisson ardent : feu qui illumine le buisson sans le détruire pour signaler la Présence de Dieu. C’est le même feu qui, porté par le chandelier à sept branches, illumine le sanctuaire du Temple, que nous avons nous aussi dans l’église : ce sont les bougies qui clairent sur l’autel. Ce feu est aussi celui dont les disciples ont parlé : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant en chemin, tandis qu’il nous ouvrait les Écritures ? » Car, pour un araméen, c’est le même mot « nour » qui signifie le feu, et la passion de l’amour. Voilà le feu dont parle Jésus, qu’il est si impatient de voir allumé en nous : celui de l’amour de Dieu, le don de l’Esprit Saint.
 
Quand Jésus dit cela, il le dit en tant que Dieu : « Je suis venu apporter un feu sur la terre. » Mais quand il ajoute : « Je dois recevoir un baptême », il le dit en tant qu’homme. En fait, il répond à la promesse du feu d’amour divin par le cri de l’homme qui espère : « Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli. » Oui, nous sommes pressés et anxieux dans l’attente du baptême dans l’Esprit et le feu, par lequel nous accomplirons enfin totalement notre vocation à la communion d’amour, pour l’éternité. Jésus n’a pas peur du baptême pour lui-même, mais il est tendu dans l’attente de ce moment, comme des parents au moment d’une naissance, par exemple.
Voyez ce mouvement extraordinaire : en tant que Dieu Jésus dit qu’il est venu apporter un feu d’amour, et en tant qu’homme il répond qu’il est dans l’attente de cet accomplissement. Saint Irénée le disait si bien : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu. »
 
Maintenant, dit Jésus : « Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? » Ici il y a un petit piège, difficile à identifier si on ne sait pas. En araméen, il y a deux mots pour dire paix : « shyna », qui veut dire « terre cultivée », « tranquillité », prospérité » ; et « shelma », qui a donné « Shalom » ou « Jérusalem », qui est une paix intérieure profonde, une paix qui vient de Dieu. L’araméen fait donc la différence entre la paix humaine, la vie paisible sur la terre, et la paix qui vient de Dieu, une paix profonde. Or le grec ne connaît qu’un seul mot pour dire « paix » : « Eirenè », qui a donné les prénoms Irénée et Irène. Du coup, de quelle paix parle ici Jésus ? Non, il n’est pas venu apporter la paix humaine, la tranquillité et la prospérité de celui qui veut accumuler du blé dans ses greniers, mais oui, il est venu apporter la paix profonde de Dieu. C’est d’ailleurs le feu dont il vient juste de parler.
 
Par conséquent, on comprend mieux la suite : le feu d’amour – celui de la Pentecôte, le don de l’Esprit Saint, ne vient pas apporter une tranquillité humaine, une vie pépère, mais il a deux conséquences pour nous. D’un point de vue pratique, il va créer des divisions entre ceux qui ont la foi et ceux qui ne l’ont pas. Et d’un point de vue spirituel, il va purifier en nous ce qui est conforme à l’homme nouveau et brûler ce qui est de l’homme ancien. « Cinq personnes de la même famille », ce sont des gens qui vivent ensemble mais qui – du fait de la foi – ne vivent plus sur la même longueur d’onde ; et ce sont aussi nos dispositions intérieures, en chacun d’entre nous, qui se divisent lorsque nous sommes déjà attirés par la lumière de Dieu, mais encore tentés par les ténèbres, par les séductions diverses. Alors qu’avant nous ne le savions pas, et nous vivions entièrement dans les ténèbres, dans une fausse unanimité d’esprit en raison de notre aveuglement, la venue du feu d’amour nous révèle notre état réel de pécheur et en même temps nous attire vers la gloire lumineuse.
 
C’est ainsi, chers frères et sœurs, que lors de sa venue l’Esprit Saint sera comme un feu : il divisera les choses de ce monde, brûlera ce qui est péché et illuminera ce qui est justice, en donnant sa paix profonde. Nous pouvons être habités par la crainte devant les épreuves – Jésus est passé par là lui aussi –, mais nous devons être entraînés par l’impatience avec laquelle Dieu veut que nous soyons réconfortés. Derrière le feu, l’Esprit Saint se fait rosée.
  

vendredi 15 août 2025

15 août 2025 - BEAUJEU - Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie - Année C

Ap 11, 19a ; 12, 1-6a.10ab ; Ps 44 ; 1 Co 15, 20-27a ; Lc 1, 39-56
 
Chers frères et sœurs,
 
L’Apocalypse de saint Jean est un texte curieux, rempli d’images et de symboles. Pour une grande partie des gens, il annonce l’avenir de manière prophétique. Mais en réalité, il est plutôt un moyen crypté, compréhensible pour les chrétiens, incompréhensible pour les autres, pour évoquer et comprendre les difficultés, c’est-à-dire les persécutions du temps présent, à l’époque où vivait saint Jean.
 
Notre lecture commence de manière assez grandiose par l’ouverture du sanctuaire de Dieu, qui est dans le ciel, avec l’apparition de l’Arche d’Alliance. Nous devons savoir tout d’abord, que pour saint Jean la réalité est composée de la Terre – l’univers dans lequel nous vivons – et du Ciel, qui est le domaine de Dieu. Le temple de Jérusalem, comme toute église traditionnelle,  a été configuré selon cette distinction. Dans la première partie, la terre, se trouvent habituellement les prêtres, le grand candélabre, l’encens et les offrandes de pain. Derrière le rideau, dans la seconde partie appelée « Saint des Saints », le ciel, se trouve l’Arche d’Alliance qui contient les Tables de la Loi et sur laquelle repose la Présence de Dieu. Dans cette deuxième partie, seul le Grand Prêtre peut rentrer une fois par an pour la prière du Grand Pardon.
 
Justement, la vision de saint Jean, qui est un homme de la terre, n’est possible que par l’ouverture du rideau qui lui permet d’apercevoir l’Arche qui se trouve dans le sanctuaire du ciel. Cette ouverture ne se fait pas par hasard, mais sur la prière de louange des vingt-quatre anciens qui se trouvent devant le trône de Dieu, qui sont les vingt-quatre prophètes de l’Ancien Testament, en comptant parmi eux saint Jean-Baptiste. Ils rendent gloire à Dieu parce qu’il a décidé que l’heure de la Rédemption de l’humanité – l’heure de Jésus – était venue. Ces vingt-quatre anciens agissent donc comme des prêtres.
Ils voient donc, et saint Jean avec eux, l’Arche d’Alliance. Or saint Jean nous dit que cette Arche, c’est la bienheureuse Vierge Marie. De même que l’Arche qui se trouvait dans le Temple contenait les Tables de la Loi ; de même la Vierge Marie contient en son sein Jésus, la Parole de Dieu, source et accomplissement de la Loi. Sur l’Arche reposait la Présence de Dieu ; sur Marie repose l’Ombre de l’Esprit Saint, comme l’Ange Gabriel le lui a dit lors de l’Annonciation.
 
Nous voyons ensuite cette Vierge magnifique, comme était l’Arche d’Alliance, donner naissance à un enfant, qui est donc Jésus. C’est le mystère de Noël. Le Dragon qui veut dévorer l’enfant, humainement c’est Hérode, mais c’est surtout le Satan qui veut absolument empêcher Jésus de réussir sa mission.
Ce Dragon est fascinant : sur ses sept têtes se trouvent des diadèmes précieux. Ce sont les symboles de sa puissance. Le mal, de manière multiple, est puissant et attirant. Le dragon balaye le ciel et fait tomber le tiers des étoiles. Les étoiles sont les fils et les filles de Dieu. Chacun est libre de ses choix : être avec Jésus ou bien se soumettre, se livrer, aux puissances fascinantes du démon, et chuter.
Très vite saint Jean passe sur la vie de Jésus et même sur sa mort et sa résurrection. Il évoque seulement son Ascension au ciel : « L’enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son trône. » Ce que saint Jean veut nous enseigner, en effet, concerne plutôt ce qui se passe à ce moment et ensuite. Rappelons-nous ici, en passant, que seul celui qui peut entrer dans le sanctuaire du Temple est le Grand Prêtre, pour le rituel du Grand Pardon. Ainsi, lors de son Ascension au ciel, où il entre dans la gloire de Dieu, Jésus est le Grand Prêtre véritable.
 
Ici le texte de notre lecture est malheureusement coupé et, pour comprendre, il faut le lire en entier dans notre Bible. Nous apprenons alors que, pendant que la Femme – la Sainte Vierge Marie – s’enfuit au désert, le lieu où se réfugient habituellement les gens qui sont persécutés, il y a un immense combat dans le Ciel entre Saint Michel et le Dragon. Entre les anges et les démons. Mais le Satan est vaincu, c’est-à-dire que dans son Ascension au Ciel, accompagné de tous les anges, Jésus a vaincu non seulement le péché et la mort, mais surtout leur racine : le Diable et ses démons. Et c’est pourquoi, Jésus ayant rempli entièrement sa mission, on entend dans le ciel la voix forte qui proclame : « Maintenant, voici le salut, la puissance et le règne de notre Dieu, voici le pouvoir de son Christ. » Ce moment, c’est celui de la Pentecôte : le Démon est vaincu et l’Esprit Saint est répandu sur le monde. Ainsi le Grand Pardon est accordé par Dieu à Adam et à sa descendance, à toute l’humanité, à nous tous.
 
Mais que devient la Bienheureuse Vierge Marie ? Il faut continuer notre lecture dans la Bible. Le Dragon et ses démons, comme Adam autrefois, sont jetés hors du Ciel et chutent à leur tour sur la terre. Ils se lancent alors à la poursuite de la Femme. Saint Jean dit qu’elle est protégée par les ailes d’un grand aigle, c’est-à-dire par lui, comme Jésus le lui a demandé sur la croix. Et faute d’avoir pu la rattraper par ses puissances de mort, le Dragon et ses démons finissent par se retourner contre le reste des enfants de la Femme, c’est-à-dire contre les chrétiens, contre nous : « ceux qui obéissent aux ordres de Dieu et qui possèdent le témoignage de Jésus ». Ainsi s’expliquent les persécutions.
 
Voilà donc ce qui se trouve dans notre lecture de l’Apocalypse. Retenons que Marie est l’Arche d’Alliance qui contient la Parole de Dieu et sur qui repose l’Esprit du Seigneur. Retenons aussi que quand le Diable renonce à s’attaquer à elle, il se reporte sur nous. Mais qu’avons-nous à craindre ? Il a été vaincu par la prière de Jésus, par Saint Michel et ses anges, et jamais il n’a pu porter atteinte à la Vierge Marie. Si nous nous cachons dans le manteau de notre Reine du Ciel, nous ne craignons rien.

dimanche 10 août 2025

09-10 août 2025 - TINCEY - SOING - 19ème dimanche TO - Année C

 Sg 18, 6-9 ; Ps 32 ; He 11, 1-2.8-19 ; Lc 12, 32-48

Chers frères et sœurs,
 
Nous poursuivons notre lecture de l’évangile de Luc, où Jésus donne un enseignement sur la bonne manière de vivre en ce monde, dans l’attente de la vie future. Il préconise en premier lieu de se faire « un trésor inépuisable dans les cieux », en étant généreux en aumônes ici-bas. Non pas tant par le geste que par l’intention du cœur qui produit le geste. Cette intention manifeste autant un détachement des biens terrestres transitoires, qu’une générosité qui ne compte pas, comme Dieu donne toujours largement quand il fait grâce. Ainsi doit être l’homme généreux : bon comme Dieu est bon.
 
Cependant Jésus précise ensuite qu’un jour viendra à l’improviste, qui sera aussi un jour de jugement. Il invite pour cela son auditoire à veiller, à rester en tenue de service, la ceinture autour des reins, à garder sa lampe allumée, comme des serviteurs qui attendent leur maître à la fin des noces. Le jour où le Seigneur viendra, nous serons comme « flashés » dans l’état d’esprit et la disponibilité à servir où nous serons à ce moment-là. Autrement dit, il s’agit que l’état de veille et de service soit pour nous un état permanent, un mode de vie habituel, qu’on ne remet pas à demain, ou qu’on ne pratique pas seulement de 9h00 à 12h00 et de 14h00 à 18h00. L’homme que le Seigneur s’attend à trouver à son retour est un cœur qui l’attend dans une espérance vivante, en pratiquant humblement son service, à toute heure.
La surprise pour cet homme n’est pas tant qu’il aura à se mettre au service du Seigneur qui vient, mais plutôt que c’est le Seigneur lui-même qui le servira. Le maître de maison se fera lui-même le serviteur et il servira l’homme à sa table, pour un bon repas. Jésus veut dire ici que la récompense du juste dépasse toute attente ; elle est inimaginable pour un homme ; et sa part sera une communion de dignité avec son maître, une forme de divinisation : une participation au repas de Dieu. Pensons ici au moment où, dans l’Évangile de Jean, Jésus s’est lui-même ceint d’un linge pour laver les pieds de ses disciples : c’était lors du repas pascal, où pour la première fois il leur a partagé en communion son Corps et son Sang, la Vie divine.
 
Pierre s’interroge : si donc l’eucharistie, la communion des saints, est ouverte à tout homme juste tel qu’on vient de le décrire, qu’en sera-t-il pour un disciple ou un apôtre comme lui ? Aura-t-il une part supérieure, plus riche, plus importante ?
Peut-être que Jésus est surpris par la question ; il la reformule donc ainsi : « Que dire de l’intendant fidèle et sensé, à qui le maître confiera la charge de son personnel pour distribuer, en temps voulu, la ration de nourriture ? »
Nous avons déjà ici une définition de ce qu’est un apôtre tel que Pierre, un évêque : il est un intendant, à qui le personnel – c’est-à-dire tous les baptisés – est confié, pour lui distribuer la « ration de nourriture », c’est-à-dire la Parole de Dieu et les sacrements. Un évêque est un intendant : il n’est pas le Maître, mais il est au service du Maître en étant au service de ses serviteurs. Et tel est son service particulier, dans lequel Jésus s’attend à le trouver au moment de sa venue.
Cependant Jésus identifie la tentation terrible des serviteurs des serviteurs de Dieu : le découragement et l’abandon de l’espérance pour s’abîmer dans le relâchement et la dépravation. L’apôtre, ou l’évêque, a un devoir d’exemplarité d’autant plus qu’il connaît la Parole de Dieu : il sait quelle est la volonté du Maître. Sa responsabilité personnelle est donc d’autant plus importante en cas de faillite. « À qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage » dit Jésus. On peut prier ici pour nos évêques.
 
Remarquons ici que Jésus ne répond pas positivement à la question de Pierre. Il y répond négativement. A la question de savoir si l’apôtre où l’évêque recevra davantage dans le Royaume des cieux que le simple fidèle, Jésus répond à Pierre que ceux qui sont riches de la Parole de Dieu et des sacrements courent un bien plus grand risque d’être condamnés si ils perdent la foi, que celui qui mène une humble vie chrétienne en attendant la venue du Seigneur. Le critère du jugement n’est pas le degré d’ordination ou de la science de Dieu, mais la foi, l’espérance et la charité qui doivent habiter le cœur de tout homme aimé de Dieu.
On peut comprendre qu’il n’y a rien à gagner au ciel à être apôtre ou évêque sur la terre, sinon à prendre davantage de risques de ne pas pouvoir y entrer à cause de ses nombreux péchés ! Mais on sait aussi que les Apôtres sont appelés à siéger avec Jésus, sur Douze trônes pour y juger avec lui toutes les nations, c’est-à-dire à participer à sa royauté. Jésus y fait allusion, quand il dit, à propos de l'intendant: « Il l’établira sur tous ses biens. »   Il y aura donc une récompense particulière, une place particulière, mais qui ne dépend que de la fidélité de l’Apôtre d’une part, et de la grâce de Dieu d’autre part, car à la droite et à la gauche du Christ, les places sont réservées à ceux que le Père seul en aura jugé dignes. Et ce peut être n’importe qui ; même un larron !

dimanche 3 août 2025

03 août 2025 - GRAY - 18ème dimanche TO - Année C

Qo 1, 2 ; 2, 21-23 ; Ps 89 ; Col 3, 1-5.9-11 ; Lc 12, 13-21
 
Chers frères et sœurs,
 
L’évangile que nous venons d’entendre peut se comprendre de deux manières. La première nous vient à l’esprit spontanément, d’autant plus que les traductions successives tirent largement dans son sens. Il s’agirait ici d’un enseignement moral, où Jésus prend prétexte d’un différend familial à propos d’un héritage qu’il refuse de trancher, pour inviter son auditoire à ne pas s’attacher aux biens terrestres mais plutôt à se faire un trésor dans le ciel en donnant ses biens aux pauvres. Car « être riche en vue de Dieu », c’est mettre en pratique la parole suivante de Jésus : « Vendez ce que vous possédez et donnez-le en aumône. Faites-vous des bourses qui ne s’usent pas, un trésor inépuisable dans les cieux. » C’est aussi la réponse qu’il a faite au jeune homme riche : « Une seule chose te fait encore défaut : vends tout ce que tu as, distribue-le aux pauvres et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi. » A contrario, celui qui accumule les richesses n’emprunte pas un chemin qui conduit au ciel, mais plutôt au néant ou à l’absurde : « Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ? »
Les interlocuteurs de Jésus, et nous avec eux, seraient donc confrontés à une parole plutôt radicale, qui aurait pour effet paradoxal de condamner ceux qui ne la mettraient pas en pratique, alors que Jésus se défend tout d’abord de vouloir juger les hommes... Il y a quelque chose qui ne colle pas très bien. Peut-on comprendre cet épisode un peu différemment ? Il est à remarquer que celui-ci est propre à l’évangile de Luc ; il ne se retrouve pas dans les autres évangiles. Or saint Luc a la caractéristique de glisser dans son texte des expressions ou des mots-clés destinés à guider la compréhension de ses auditeurs.
 
La première expression est facile à trouver : il s’agit de la réponse de Jésus à l’homme qui l’interpelle : « Qui donc m’a établi pour être votre juge ? » Cette phrase-là, tous les Juifs en connaissent la référence dans le livre de l’Exode, lorsque le jeune Moïse, après avoir tué un Égyptien qui frappait un Hébreu, s’est fait apostropher alors qu’il tentait de séparer deux Hébreux qui se battaient entre eux : « Qui t’a institué chef et juge sur nous ? » La situation dans l’évangile est donc la suivante : un homme demande à Jésus de se faire juge entre lui et son frère. C’est un piège. Si il avait accédé à cette demande en s’instituant lui-même juge, immédiatement quelqu’un lui aurait renvoyé la réponse qui a été faite autrefois à Moïse. On l’aurait accusé d’usurpation ; on l’aurait disqualifié. Au contraire, Jésus renonce à toute prétention à se revendiquer comme juge, ou comme roi. Le piège a échoué.
 
Cependant, Jésus va se servir de cet échange pour donner une leçon à ceux qui voulaient l’attraper. Il raconte alors la parabole de l’homme riche. Nous nous souvenons de l’allusion à l’histoire de Moïse en Égypte. C’est également la clé de cette parabole. Quel est l’homme riche qui bénéficie d’une abondante récolte au point de devoir agrandir ses greniers ? Dans la Bible, il n’y en a qu’un : c’est Pharaon, au temps de Joseph. Mais aussi au temps de l’Exode, puisque le Pharaon de l’époque a fait construire par les Hébreux les deux villes-entrepôts de Pithom et de Ramsès. Pharaon a pour caractéristique de se prendre lui-même pour un dieu ; ce pour quoi il affirme ne pas connaître le vrai Dieu, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Or, dit Jésus, Dieu lui-même lui déclare : « tu es fou : cette nuit même, on va te redemander ta vie. » Cette nuit, où la vie est retirée d’Égypte, la vie des premiers-nés – c’est la nuit de la Pâque. C’est la nuit du jugement pour Pharaon et de la liberté pour les Hébreux ; c’est la nuit de la condamnation des idoles et des idolâtres, qui se fient à leurs biens matériels, et la nuit de la manifestation de Dieu et de sa puissance pour ceux qui ont foi en lui.
Dans la parabole de Jésus, Dieu a traité l’homme-pharaon de « fou » ; en araméen d’« insensé », celui qui « manque de raison ». Ceci est à mettre en rapport avec cette sentence du livre de Qohéleth, que nous avons justement entendue en première lecture : « Un homme s’est donné de la peine ; il est avisé, il s’y connaissait, il a réussi. Et voilà qu’il doit laisser son bien à quelqu’un qui ne s’est donné aucune peine. Cela aussi n’est que vanité, c’est un grand mal ! En effet, que reste-t-il à l’homme de toute la peine et de tous les calculs pour lesquels il se fatigue sous le soleil ? » On comprend que c’est folie de ne pas placer sa foi en Dieu, et c’est déraisonnable de se croire autosuffisant, de se prendre pour dieu.
 
Pourquoi Jésus a-t-il donc dit cela ? On aura bien compris qu’il vise ceux qui ont voulu le piéger avec l’histoire de l’héritage. Il leur dit, en somme : « Il n’y a pas de véritable quiétude sur la terre, que ce soit dans les biens dont on dispose par son travail ou par héritage, ou dans les actions dont on peut soi-même se gratifier, y compris les actions cultuelles. Car la vie terrestre est limitée : elle a une fin ; ses joies sont passagères ; et l’homme ne peut pas être sa propre mesure, sauf à vouloir se faire dieu de manière illusoire. Au contraire, le repos véritable – la paix réelle et la joie infinie – se trouvent dans la sagesse de Dieu, qui réside dans la foi en Dieu seul. C’est Dieu seul qui, par sa Pâque, peut libérer l’homme des contingences terrestres et lui donner accès à la terre de la liberté. »
Évidemment Jésus est celui-là même qui, par sa Pâque, c’est-à-dire sa croix et son baptême, donne accès au Royaume des cieux à tous ceux qui croient en lui. Jésus a résumé par ailleurs cet enseignement en une phrase : « Je ne suis pas venu juger le monde, mais le sauver. »

dimanche 27 juillet 2025

27 juillet 2025 - GRANDECOURT - 17ème dimanche TO - Année C

Gn 18, 20-32 ; Ps 137 ; Col 2, 12-14 ; Lc 11, 1-13
 
Chers frères et sœurs,
 
En voyant Jésus prier dans « un certain lieu », c’est-à-dire dans le Temple, un de ses disciples fut pris du désir de l’imiter et lui demande de lui apprendre à prier. Comme pour s’excuser d’avoir eu ce désir et d’avoir exprimé cette demande, il se cache derrière le fait que Jean-Baptiste a déjà donné un tel enseignement à ses propres disciples. On s’aperçoit ici que l’homme ne sait pas prier comme il faut : il a besoin qu’on lui apprenne ; cependant, il est capable de sentir intérieurement ce qu’est une vraie prière et même désirer la pratiquer. Au fond de lui-même, la prière existe déjà, mais elle est comme une rivière souterraine : elle lui demeure cachée, tant qu’il n’arrive pas à l’extérioriser.
Étonnamment, l’homme ressent un sentiment de honte à exprimer ce désir profond de prier : il n’ose pas demander, il n’ose pas parler, il n’ose pas faire. Sans doute parce que la prière est très intime : elle vient du cœur ; elle touche à l’essentiel de nos vies. C’est pourquoi Jésus désarme les préventions de ses disciples, et il leur dit : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. » Il ne doit pas y avoir de honte à désirer prier, à vouloir prier, à prier tout court, en paroles et en gestes. Jésus énumère trois verbes : « demandez », « cherchez » et « frappez » : la prière se fait en paroles, par le désir intime, et par des actes. Et à chaque fois, c’est pour nous autant d’obstacles intérieurs à surmonter ; ou comme des accouchements à accomplir – mais en vue d’une libération et d’une joie. Il y a de la joie à prier.
 
Lorsque Jésus donne sa leçon de prière, il enseigne le « Notre-Père ». Rien que dans ces deux premiers mots, il y a deux vérités sur la prière. La première est que l’on ne dit pas « Mon Père, qui est aux cieux… etc. » La prière est dite au nom de tous : toute la communauté des disciples et plus largement toute l’humanité. « Donne-nous… » La prière est dite au nom de tous et pour tous. On ne dit pas « Mon Père,… donne-moi… » Abraham priait déjà ainsi, puis qu’il priait le Seigneur non pas pour lui-même mais pour tous les justes de la ville de Sodome, et en fait pour l’ensemble des habitants de Sodome : « Pour dix, je ne détruirai pas. » dit le Seigneur, à la fin de sa prière.
La posture du priant est donc celle d’un prêtre qui prie pour un peuple, un peuple auquel il appartient. Il prie le Père commun à tous. En fait, c’est comme si il revêtait les vêtements du seul et véritable prêtre qui prie le Père pour tous les hommes, c’est-à-dire Jésus lui-même. Quand un homme prie, il prie dans le Christ, pour tous les hommes, et pour lui-même en communion avec tous les hommes. Ce n’est pas pour rien que nous avons été baptisés puis oints du Saint-Chrême qui a fait de nous des prêtres, des prophètes et des rois à l’image de Jésus. Quand nous prions, nous exerçons notre vocation sacerdotale de baptisés.
Jésus ne prie pas « en l’air », une sorte de « Dieu général » : non, il prie « son Père ». La prière s’adresse toujours au Père. On peut bien prier Jésus ou Marie, ou sainte Marie-Madeleine, mais en définitive, la prière aboutit toujours à la seule personne qui peut l’exaucer : le Père de Jésus, qui est aussi Notre Père. Les prières des saints sont des prières d’intercession, des relais en quelque sorte, auprès du Père. Nous pensons qu’avec leur aide, notre demande sera plus sûrement exaucée. De même Abraham ne prie pas « en l’air » ; il ne s’adresse pas à des arbres ou à des cailloux : il s’adresse au Seigneur qui le visite au chêne de Mambré. La prière va d’une personne à une autre : la prière est toujours personnelle. On ne prie jamais dans le vide : on s’adresse toujours à quelqu’un, quelqu’un de vivant. Ce pourquoi nous sommes certains que la prière est toujours entendue. Cependant, la réponse ne nous appartient pas : elle vient comme le Seigneur veut, et quand il veut, pour notre bien.
 
Avez-vous remarqué, chers frères et sœurs, que je n’ai pas encore parlé du Saint-Esprit ? Et pourtant, il est toujours là. C’est lui qui est la rivière souterraine qui coule dans nos cœurs et aspire à s’exprimer dans une prière en paroles, en désirs et en actes. C’est lui aussi qui est la réponse du Père : la joie de la prière exaucée. Et Jésus de dire à ses disciples : « Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! » Il dit ici qu’il n’y a rien de plus grand à demander dans la prière que l’Esprit Saint. Qui reçoit l’Esprit reçoit tout : le pardon, la justice, la paix, la joie, la vie, la communion... N’est-ce pas ce que dit le Notre-Père ? Que l’Esprit Saint sanctifie tous les hommes pour que le Nom de Dieu soit glorifié par eux, en eux ? Que le Règne de Dieu vienne, c’est-à-dire que l’univers entier soit ordonné et gouverné par la puissance de l’Esprit Saint ? Et le vrai pain dont nous avons besoin, n’est-il pas l’Esprit Saint vivificateur lui-même ? Et le pardon des péchés, n’est-il pas accordé dans la miséricorde de Dieu ? L’Esprit Saint n’est-il pas la vraie rosée de miséricorde et de paix ? « Ne nous laisse pas entrer en tentation » disons-nous : l’Esprit Saint est une force, une puissance invincible, car il est la vie elle-même, la vie divine, la vie éternelle.
 
Chers frères et sœurs, au fond de notre cœur, l’Esprit nous appelle à revêtir le Christ et, par lui, avec lui et en lui, à nous tourner vers notre Père afin que son même Esprit soit répandu dans le monde, et que le monde soit enfin totalement transfiguré dans la joie, la paix et la lumière.

dimanche 20 juillet 2025

19-20 juillet 2025 - VEREUX - VALAY - 16ème dimanche TO - Année C

 Gn 18, 1-10a ; Ps 14 ; Col 1, 24-28 ; Lc 10, 38-42
 
Chers frères et sœurs,
 
Comme d’habitude chez saint Luc, il y a au moins deux clés pour comprendre l’Évangile. D’abord, il s'agit de faire attention à ce qu’il se passe, aux lieux, aux gestes, autant qu’aux paroles. Dans ce sens, il faut observer que Jésus se rend dans la maison de Marthe. Mentionner une maison, dans l’Évangile, est une manière d’évoquer le Temple. Marthe est chez elle dans le Temple : elle figure le peuple d’Israël, le peuple fidèle qui sert Dieu – ici Jésus – dans son Temple, dans lequel Il vient demeurer. Retenons cela.
Ensuite – même si la traduction ne nous aide pas beaucoup – il faut remarquer que, la première, Marie vient près de Jésus ; elle s’assoit sans rien dire, et elle écoute Jésus parler. Elle écoute la Parole : elle écoute la Parole de Dieu. Ensuite Marthe vient à son tour près de Jésus ; elle reste debout et elle s’adresse à Jésus : elle lui coupe la parole ; elle empêche la Parole de Dieu de s’exprimer. Son attitude orgueilleuse ne lui permet pas d’écouter la Parole de Dieu.
On retrouve ici entre Marthe et Marie l’opposition que Jésus a déjà relevée entre le pharisien qui fait sa propre louange dans le Temple, et le publicain qui, écrasé par son péché, demande à Dieu son pardon. Jésus dit : « Quand ce dernier redescendit dans sa maison, c’est lui qui était devenu un homme juste, plutôt que l’autre. Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. » On se souviendra, que pour saint Jean, Marie de Béthanie est celle qui a répandu du parfum sur les pieds de Jésus et les a essuyés de ses cheveux, parce qu’elle était une grande pécheresse.
Aujourd’hui nous avons un conflit entre deux sœurs, dont Jésus est l’arbitre. Mais on l’a aussi déjà vu arbitrer entre deux frères : le fils prodigue et son frère aîné, qui se plaint à son père qu’on reçoive à grands frais son frère pécheur : « Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres ! » Et souvenez-vous de la réponse : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. » Le père dirait donc aujourd’hui à Marthe : « Pourquoi t’inquiètes-tu ? Je sais bien que tu me sers, que tu me sers bien, du mieux que tu peux ; et je suis toujours dans ta maison, avec toi, et toi avec moi, parce que c’est aussi ma maison. »
 
On voit apparaître ici un décalage entre ce que dit Marthe et ce que lui répond Jésus. La première, qui est dite accaparée, se plaint que Marie ne l’aide pas dans son service. Et Jésus lui répond qu’elle se disperse, tandis que Marie a choisi la meilleure part. Ils ne parlent pas de la même chose, ou plutôt, pas au même niveau. Pour comprendre, il faut employer la seconde clé qu’utilise habituellement saint Luc : les mots-clés, semés comme des petits cailloux dans le texte.
Le premier est le verbe traduit ici par « accaparé » qui, en araméen, n’a qu’une seule occurrence parallèle dans toute la Bible, dans le livre de Qohélet (l’Ecclésiaste), pour dire la vanité, en raison de son impossibilité, d’une recherche en vue de la connaissance totale de l’univers : « J’ai pris à cœur de rechercher et d’explorer, grâce à la sagesse, tout ce qui se fait sous le ciel ; c’est là une rude besogne que Dieu donne aux fils d’Adam pour les tenir en haleine. J’ai vu tout ce qui se fait et se refait sous le soleil. Eh bien ! Tout cela n’est que vanité et poursuite de vent ! » La quête de Marthe et sa dispersion la perdent dans du sable. Et le second mot-clé est mal traduit : Marie n’a pas choisi la « meilleure part », mais la « bonne part », c’est-à-dire la « part de Dieu » : Dieu lui-même ; la part des lévites.
Nous comprenons donc que la question réelle de cette histoire est celle de la manière dont il faut se comporter avec Dieu dans le temple de son cœur : soit on veut se justifier soi-même en faisant un mauvais usage de sa raison, de la sagesse, pour constater avec colère qu’on se perd dans des recherches sans fin, suscitant jalousie vis-à-vis de ses frères et sœurs, et orgueil vis-à-vis de Dieu ; soit on se présente simplement à lui, tel qu’on est, petit ou grand pécheur, avec grande humilité, pour le prier d’accorder sa Parole, son pardon, un peu de vie nouvelle. Et c’est là le culte véritable, le service véritable, attendu par Dieu dans le cœur de l’homme.
 
En définitive et pour conclure, dans une situation humaine concrète, Jésus – et saint Luc – discernent le véritable enjeu spirituel qui concerne l’amour de Dieu et celui de nos frères, et sœurs en l’occurrence : il n’y a pas de petits et grands moments dans notre relation à Dieu. Même des événements de vie courante ont de la valeur à ses yeux. Pour Marthe, qui a reçu une leçon, Jésus n’oublie pas qu’il est reçu chez elle pour y trouver le meilleur service possible – le grand souci de Marthe – et cela ne lui est pas retiré, cela ne lui est pas reproché. Jésus crée simplement dans sa maison une place nouvelle et particulière pour Marie, et à travers elle pour toutes les nations : une place pour les pécheurs qui aiment Dieu et son aimés de lui. Ainsi dit-il à leur propos : « Il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion », et : « Si vous aviez compris ce que signifie : “Je veux la miséricorde, non le sacrifice”, vous n’auriez pas condamné ceux qui n’ont pas commis de faute. »

dimanche 13 juillet 2025

12-13 JUILLET 2025 - CITEY - CHARENTENAY - 15ème dimanche TO - Année C

Dt 30, 10-14 ; Ps 18 ; Col 1, 15-20 ; Lc 10, 25-37
 
Chers frères et sœurs,
 
Dans l’évangile que nous venons d’entendre, nous avons l’impression que le docteur de la Loi fait passer deux examens à Jésus. Mais en réalité, c’est l’inverse : au premier examen, le docteur de la Loi obtient son bac, et au second il obtient sa licence. Et c’est Jésus qui examine.

Comprenons, en effet, que le système scolaire en Israël est composé de trois niveaux : au primaire, on apprend à lire et écrire l’hébreu, à connaître les bases de la Torah et de l’histoire d’Israël. Au secondaire,  le malpanâ, le maître, fait apprendre par cœur la Torah et les psaumes, avec quelques commentaires et explications. Notons ici que le docteur de la Loi appelle Jésus « maître » : il le prend donc au mieux pour un prof de lycée, c’est-à-dire pour lui un collègue, puisqu’un docteur de la Loi se situe à ce niveau. Son métier en effet est de connaître par cœur la Torah pour assister des rabbis quand ils enseignent. C’est pourquoi Jésus lui dit : « Dans la Loi, qu’y-a-t-il d’écrit ? Et comment lis-tu ? » ; il lui demande tout simplement de faire son métier. Et d’ailleurs, le docteur de la Loi lui répond parfaitement – ce que Jésus va souligner en lui donnant les félicitations : « Tu as répondu correctement. Fais ainsi et tu vivras. » Ainsi, la première partie de l’évangile correspond à un examen de niveau bac.
Fort de cette réussite, le docteur de la Loi s’enhardit et interroge Jésus : « Et qui est mon prochain ? » On passe alors au troisième niveau du système scolaire : celui des rabbis. Il s’agit ici d’approfondir et d’éclairer les enseignements du maître, notamment par le moyen du midrash, c’est-à-dire par un raisonnement fondé sur des citations tirées de la Torah, des psaumes, et des prophètes. On est à la fac. Et justement, la parabole du Bon samaritain est exactement un midrash : le récit est tissé de références aux Écritures pour exposer un profond enseignement spirituel. Ici, Jésus ne répond plus en malpanâ, en prof de lycée ; il répond en rabbi, en prof de fac. Il faut donc que le docteur de la Loi fasse appel à toutes ses connaissances pour pouvoir le suivre ! Essayons nous aussi de comprendre.
 
L’homme descend de Jérusalem à Jéricho : il part de la ville sainte, la ville de Dieu, pour descendre à la ville la plus basse du monde, sous le niveau de la mer. C’est un homme qui, comme Adam, chute du Paradis à l’enfer : c’est tout homme pécheur.
C’est la raison pour laquelle il est attaqué par les bandits, les démons, qui le laissent mourant sur le chemin. Telle est la condition humaine. Il demeure en nous toujours notre dignité car nous avons été créés à l’image de Dieu, mais nous avons été défigurés, blessés, par le péché : nous avons perdu la ressemblance d’avec Dieu. Il y a en nous une part de vie et une part de mort, et comme l’homme abandonné sur le chemin, nous attendons un secours, ce qu’on appelle « le salut ».

Arrivent alors successivement un prêtre et un lévite. Mais ils évitent l’homme. Jésus n’a pas besoin d’expliquer au docteur de la Loi pourquoi ils se comportent ainsi : il le sait très bien, comme tous les autres auditeurs de Jésus. C’est que le prêtre et le lévite obéissent à un précepte de la Loi, donné dans le Lévitique : « Le Seigneur dit à Moïse : « Parle aux prêtres, fils d’Aaron. Tu leur diras : Aucun de vous ne se rendra impur pour un mort de sa parenté » » - sauf si c’est quelqu’un de sa très proche parenté. En effet, prêtres et lévites sont consacrés au culte de Dieu, et ils doivent absolument se garder purs pour éviter de pervertir ce culte. N’oublions pas ici que le culte de Dieu, ce sont concrètement les sacrifices au Temple de Jérusalem. Si jamais un prêtre ou un lévite contracte une impureté, c’est-à-dire est contaminé par une bactérie, alors les sacrifices c’est-à-dire les viandes qui sont consommées par ceux qui les offrent, et tous les objets du Temple, et le Temple lui-même, deviennent eux-aussi contaminés. On comprend naturellement l’intransigeance de la Loi en cette matière. Par extension, on comprend que, selon la Loi, ce n’est pas la vocation des prêtres et des lévites qui sont spécialement consacrés à Dieu, de se consacrer aux hommes.

En attendant, notre homme blessé est toujours sur le chemin. Passe alors le Samaritain. En hébreu, la racine du mot « samaritain » signifie « gardien », comme un « ange gardien ». Mais en fait, et toutes les Écritures le disent : le « gardien d’Israël », le protecteur d’Israël, c’est Dieu lui-même. Le docteur de la Loi le sait. Et d’ailleurs le samaritain est « saisi de compassion ». Dans les Écritures, seul Dieu – ou Jésus – sont « saisis de compassion ». En deux mots, Jésus dit que c’est Dieu lui-même qui arrive sur le chemin, auprès de l’homme perdu.
Dieu n’a pas à observer les lois de pureté : il est lui-même pureté infinie. Il s’approche et panse les blessures de l’homme, y verse de l’huile et du vin. Il le lave, le cautérise avec le vin, il l’habille, il l’oint avec de l’huile : il le baptise pour le guérir de son mal et le rendre à la vie. Puis, il le charge sur son âne et le conduit à l’auberge où il prend « soin de lui » – c’est-à-dire qu’il le nourrit. Glorifié comme un roi assis sur son âne, en procession le baptisé est conduit au Temple, à l’Église, pour y recevoir l’Eucharistie, la communion. Cela est évident pour un chrétien, mais pour le docteur de la Loi, c’est une révélation, qu’il peut aussi comprendre car toutes les références sont bibliques.
Plus encore, « le lendemain », à l’aube, jour nouveau, jour de résurrection, le Gardien s’absente et demande à l’aubergiste de prendre soin de l’homme convalescent, « jusqu’à ce qu’il revienne ». Là aussi un chrétien comprend : à l’évêque, Jésus monté au Ciel a confié l’humanité sauvée par le baptême : il doit la nourrir et la fortifier dans son Église, jusqu’à ce qu’il revienne. Le Gardien-Jésus dit encore : « Tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rendrai. » En araméen, il ne s’agit pas simplement d’un remboursement, mais d’une récompense : d’un remboursement au centuple. La part des justes.

Alors Jésus conclut son midrash par une question-piège : « Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l’homme tombé aux mains des bandits ? » Or le docteur de la Loi avait demandé : « Qui est mon prochain ? » Jésus a inversé la question : il ne s’agit pas de juger les hommes pour savoir qui est celui dont je dois prendre soin ; mais il s’agit de se faire proche de tous les hommes pour devenir soi-même leur prochain. Alors le docteur de la Loi répond à Jésus en confessant que le Samaritain, c’est Dieu. Il dit :  « Celui – on ne prononce pas le Nom de Dieu – qui a fait preuve de pitié envers lui ». Il sait que Dieu seul peut faire miséricorde, peut pardonner les péchés. Alors Jésus donne au docteur de la Loi sa licence en théologie et sa vocation chrétienne : « Va, et toi aussi, fais de même. »

dimanche 6 juillet 2025

06 juillet 2025 - VALAY - 14ème dimanche TO - Année C

Is 66, 10-14c ; Ps 65 ; Ga 6, 14-18 ; Lc 10, 1-12.17-20
 
Chers frères et sœurs,
 
Jésus nous enseigne aujourd’hui ce qu’est l’évangélisation : la proclamation de la bonne nouvelle de sa résurrection et de l’ouverture du ciel à ceux qui sont baptisés en son nom. Il y a plusieurs choses à noter.
 
Tout d’abord, Jésus désigne 72 disciples, en plus des Douze apôtres, déjà appelés auparavant. Pour saint Luc, le nombre 72 n’est pas choisi au hasard. Il signifie que les disciples sont envoyés à toutes les générations – la généalogie de Jésus dans saint Luc compte 72 générations – de telle sorte que l’évangile soit annoncé à tous les âges jusqu’à la fin des temps, jusqu’au dernier jour, Jésus étant au centre de l’histoire du salut. C’est ainsi que saint Irénée de Lyon le comprend. Il note également que ce nombre représente aussi l’universalité des nations et des langues – toute l’humanité en somme.
 
Ensuite, Jésus enseigne que les disciples sont envoyés par lui, là où lui-même Jésus doit se rendre. Les disciples sont des ambassadeurs qui annoncent sa venue, la venue de son règne. Ils sont précurseurs pour les nations, comme saint Jean-Baptiste était lui-aussi précurseur pour Israël.
Cependant Jésus n’agit jamais seul, mais toujours avec le Père et l’Esprit Saint. Ainsi, lorsque les disciples annoncent la paix à une famille, à un pays, soit ceux-ci sont déjà amis de la paix – c’est-à-dire que le Père a déjà préparé leur cœur à recevoir la bonne nouvelle – et c’est l’illumination ; soit ce n’est pas le cas et la mission aboutit à l’échec.
Ainsi notre Père devance déjà les missionnaires dans le cœur des gens ; les missionnaires n’ont qu’à leur annoncer la paix au nom de Jésus : il suffit, par grâce, qu’ils l’accueillent et s’en réjouissent, pour que cette paix – c’est-à-dire l’Esprit Saint – vienne reposer sur eux, et qu’avec elle, Jésus lui-même vienne habiter dans leur cœur.
Relevons que, pour Jésus, nombreux sont ceux qui sont en attente de la bonne nouvelle : « la moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. »
 
D’un point de vue pratique, Jésus envoie ses disciples « comme des agneaux au milieu des loups », c’est-à-dire sans aucune agressivité, et ne répondant par la réciproque à aucune agressivité. Au contraire, il s’agit de faire preuve d’innocence et d’humilité. Jésus précise ensuite : « ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales ». On peut comprendre que les disciples ne doivent pas s’embarrasser de biens inutiles pour se confier plutôt à la Providence.
Cependant, le vocabulaire employé par saint Luc désigne des objets assez précis. La bourse dont il est question renvoie aux notions d’idolâtrie et de vol, au mauvais usage de l’argent. Le sac correspond plus à une sorte de carquois qu’à une besace : c’est dans ce type de sac que David avait placé les cinq pierres dont il allait frapper Goliath. Probablement Jésus veut-il dire ici que l’annonce de l’Évangile ne peut pas se faire sous forme de menace, de coercition. Il s’agit plutôt d’une libre bénédiction, ce pourquoi Jésus invite ensuite ses disciples à prendre soin des malades. La référence aux sandales est plus difficile à comprendre. Il s’agit de sandales de rechange. Certainement Jésus demande-t-il à ses disciples de se présenter en ayant renoncé à toutes les dignités mondaines, jusqu’à risquer de se retrouver un jour publiquement pieds nus, c’est-à-dire en totale humilité, dans la position d’esclave.
Tout cela nous donne un bon portrait-robot du chrétien, ambassadeur du Christ : innocent comme un agneau, il est humble et pauvre, doux et chaleureux, abandonné à la Providence. On pense aux Béatitudes ; on pense aussi à Jésus lui-même.
 
Pour terminer, attardons-nous à l’observation joyeuse des disciples : « Même les démons nous sont soumis en ton nom ! », ce dont Jésus se réjouit également. En effet, il se passe sur terre avec les missionnaires de l’Évangile, ce qui se passe au ciel avec Michel et ses anges, combattant Satan et ses démons. Comme si c’était le même combat sur la terre et dans le ciel, comme si l’armée des disciples correspondait à celle des anges. Mais c’est bien le cas ! Et si Jésus voit que ses disciples sont vainqueurs des démons, c’est qu’il en est de même au ciel pour Michel et ses anges. Alors c’est que, d’une part, le Jour de Dieu est proche, et d’autre part, que les noms des disciples sont déjà inscrits dans les tables des armées du ciel, dans le grand livre de la communion des saints.
 
Voilà, chers frères et sœurs, l’enseignement de Jésus sur l’évangélisation. Soyons conscients de notre dignité à ses yeux, tout en étant les plus humbles parmi les hommes. Combattons fermement les puissances du mal, mais soignons avec douceur ceux qui en souffrent. Ne nous reposons pas sur les biens terrestres, mais sur l’aide généreuse des personnes que le Seigneur a prédisposées à recevoir de nous la bonne nouvelle : ils sont en attente, et ils sont plus nombreux que nous l’imaginons. Et cela, jusqu’au Jour de la venue de Jésus. 

mardi 1 juillet 2025

29 juin 2025 - COURCUIRE - Saints Pierre et Paul - Année C

Ac 12, 1-11 ; Ps 33 ; 2Tm 4,6-8.17-18 ; Mt 16, 13-19
 
Chers frères et sœurs,
 
Les deux premières lectures ont été choisies pour la fête des saints Pierre et Paul parce qu’elles correspondent le mieux à la fin de leur séjour terrestre.

En effet, après sa libération de prison, le livre des Actes n’évoque plus la figure de Pierre. Et sa sortie de prison ressemble à une résurrection. Comme au tombeau de Jésus, telle que l’ont vue les saintes femmes, une lumière brillante illumine la cellule de Pierre. Et les chaînes tombent : celles de la mort pour Jésus, celles de fer pour Pierre. Si Jésus rejoint la gloire de Dieu – l’assemblée des anges et des saints – dans son ascension à la droite du Père, Pierre rejoint la communauté chrétienne de Jérusalem, l’Église réunie. Mais il s’agit de la même réalité, puise que l’Église sur la terre est inséparable de l’Église céleste : c’est la même assemblée. Du point de vue historique, il est possible que Pierre ait bénéficié d’une évasion par protection, ce pourquoi il a ensuite été exfiltré de Jérusalem vers Antioche puis à Rome, où finalement il a été martyrisé, sous le règne de Néron.
Dans sa seconde lettre à Timothée, Paul annonce qu’il est « déjà offert en sacrifice », c’est-à-dire qu’il est condamné à mort. Il s’attend d’ailleurs à recevoir bientôt la « couronne de justice », non pas lui seul, mais aussi les autres chrétiens également condamnés, certainement lors d’une persécution collective. Paul fait une belle confession de foi quand il dit que le Seigneur l’a « assisté », l’a « rempli de force » - c’est-à-dire qu’il avait conscience que l’Esprit Saint était avec lui. Il a foi dans le Seigneur face à la mort : « J’ai été arraché à la gueule du lion ; le Seigneur m’arrachera encore à tout ce qu’on fait pour me nuire. Il me sauvera et me fera entrer dans son Royaume céleste. » On ne peut pas être plus explicite. Comme Pierre, Paul était juif, bien sûr, mais il était aussi citoyen romain. C’est pourquoi il meurt décapité à l’extérieur de la ville, sans doute dans les mêmes années que le martyre de Pierre.
À travers ces deux témoignages, nous devons nous rappeler sans cesse la puissance de la résurrection de Jésus qui illumine tout homme par le baptême, et celle de l’Esprit Saint qui fortifie les croyants jusqu’au martyre – c’est-à-dire jusqu’au témoignage par l’offrande de leur vie par amour pour Dieu et pour les hommes. Le témoignage de Pierre fonde notre foi, celui de Paul la fortifie.
 
Justement, dans l’évangile, Jésus affirme en s’adressant à Simon-Pierre : « Tu es Pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon Église. » Je voudrais simplement vous donner quelques repères pour mieux comprendre cette affirmation.
La première est que la scène se passe dans la région de Césarée-de-Philippe, qui est une région païenne. Nous avons une indication chronologique un peu plus loin dans l’évangile, au moment de la Transfiguration de Jésus, qui nous indique que la confession de Pierre a lieu le jour du Yom Kippour, le jour du « Grand Pardon » où le Grand Prêtre entre dans le Saint-des-Saint du Temple pour accomplir le rite particulier de ce jour, en y prononçant notamment le Nom de Dieu.
Saint Pierre s’est-il rendu compte que le Saint-Esprit lui a fait prononcer sa confession de foi : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant », au moment où un autre « Pierre », le Grand Prêtre Caïphe, professait aussi le Nom de Dieu ? Car « Pierre », en araméen se dit « Képha », la même racine que « Caïphe ». Si Caïphe cependant confessait le Nom de Dieu dans le Temple, notre Pierre, lui, l’a fait en terre païenne : car avec Jésus ressuscité et l’effusion de l’Esprit, le Nom de Dieu est confessé de par toutes les nations, en tout lieu et en tout temps. Mais alors, quel est le Temple où notre Pierre officie-t-il ?
Jésus l’a dit : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. » Le Temple nouveau : c’est l’Église. D’ailleurs, en hébreu, les mots ont même racine pour désigner l’« Assemblée » du Peuple d’Israël au désert et la « Tente » de la Rencontre, où officiait Aaron, Tente qui deviendra par la suite le Temple de Jérusalem. Il est intéressant de constater que Aaron et les Grands Prêtres ont été choisis pour officier dans le Temple, tandis c’est Pierre qui sert de fondation à l’Église. C’est l’inverse en quelque sorte. Pour les premiers la foi est suggérée par le culte et le culte est toujours en un même lieu, tandis que pour nous le culte peut être démultiplié en des lieux différents pourvu qu’il soit fondé sur la foi de Pierre, la foi en la résurrection de Jésus. Et cela non pas seulement en Terre sainte, mais aussi dans les territoires païens où les gens adorent des idoles.
 
Pour finir, chers frères et sœurs, Jésus ajoute que les « Puissances de la mort » ne « prévaudront pas » contre l’Église et il confie à Pierre les « clés du royaume des Cieux ». Il faut comprendre que l’Église, c’est-à-dire l’Assemblée sainte qui assure le culte du vrai Dieu dans la foi en Jésus ressuscité avec la force que donne l’Esprit, cette Église sera confrontée à des puissances néfastes impressionnantes et dangereuses, mais la victoire est assurée pourvu qu’elle demeure fidèle à la foi de Pierre. C’est à Pierre et à ses successeurs qu’est confié le discernement des événements, le jugement des actions et des enseignements, pour confirmer l’Église dans la foi en tout lieu et en tout temps, et la garder dans l’unité de la charité, jusqu’au jour de la venue bienheureuse de notre Seigneur Jésus.

dimanche 22 juin 2025

21-22 juin 2025 - FRESNE-SAINT-MAMES - BEAUJEU - Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ

 Gn 14, 18-20 ; Ps 109 ; 1 Co 11, 23-26 ; Lc 9, 11b-17
 
Chers frères et sœurs,
 
La résurrection de Jésus et le don de l’Esprit Saint nous ont dévoilé les mystères de Dieu jusque-là restés cachés. C’est ainsi que dimanche dernier, la liturgie nous a fait entrer dans le mystère de la Sainte Trinité : Dieu est un en trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Comme nous avons été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, nous aussi nous sommes des personnes, et nous sommes appelés par grâce à entrer en communion dans ce mystère. Aujourd’hui, la liturgie nous fait connaître un autre mystère : celui de la réalité sacramentelle de l’Église, de sa parole et de son action, de ses membres, et même de certaines choses matérielles, comme l’eau et l’huile, le pain et le vin, quand ils sont consacrés. Cela mérite quelques explications : que veut-on dire quand on parle de « réalité sacramentelle », de « sacrement » ?
 
La chose la plus importante à comprendre est que, par ses paroles et ses actions, par le don de l’Esprit Saint, Jésus donne à des objets terrestres une réalité céleste. Par exemple, ayant pris du pain, Jésus dit : « Ceci est mon corps. » Ainsi, ce pain quoiqu’ayant toujours l’apparence du pain – il reste un objet terrestre – devient aussi son Corps : il est devenu une réalité céleste.
Ce qui vaut pour le pain et le vin, qui deviennent Corps et Sang de Jésus, vaut aussi pour chacun de nous, lorsque nous sommes baptisés. Lorsque le prêtre verse de l’eau sur la tête d’une personne en disant « Juliette, je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit », celle-ci n’est pas changée : elle demeure toujours la même Juliette. Mais elle reçoit en plus la réalité des fils et des filles de Dieu, participants à la vie éternelle et aptes à la communion dans la gloire de Dieu. C’est ainsi que Jésus peut dire à ses disciples : « Qui vous accueille m’accueille ; et qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé », parce que le baptisé est revêtu du Christ. Il est devenu ambassadeur du Christ ; et même plus : le Christ habite en lui ; il est comme un tabernacle dans lequel réside le Christ.
Ce qui vaut pour des personnes individuelles comme Juliette, vaut aussi pour l’assemblée des chrétiens. Juridiquement l’Église est une association de croyants en Jésus-Christ : cela c’est la situation terrestre, que tout le monde peut voir. Mais par l’Esprit Saint reçu à la Pentecôte, la réalité de l’Église est qu’elle est d’abord par Jésus, une communion des hommes avec le Père, dans sa gloire. L’Église est une réalité terrestre et céleste, humaine et divine, en même temps. Et cette réalité de l’Église, comme celle du Corps et du Sang de Jésus, comme celle du baptisé enfant de Dieu, n’est visible que par la foi en Jésus ressuscité et par le don de son Esprit Saint.
 
Comme vous le savez, nous avons peu de foi et nous avons besoin de toujours plus d’Esprit Saint pour croire et pour connaître les réalités célestes. C’est pour cette raison que nous matérialisons ces réalités par des symboles. Ainsi, nous prenons un pain différent du pain ordinaire pour l’Eucharistie : cela nous aide à comprendre qu’il s’agit d’un pain terrestre et céleste en même temps. De même, nous sommes attachés à ce que les baptisés portent une médaille de baptême autour du cou, pour leur rappeler tout le temps qu’ils sont enfants de Dieu. De même pour l’Église : quand elle se rassemble, elle se retrouve dans des lieux – des églises justement – dont l’architecture dit que nous sommes aussi bien au ciel que sur la terre, et nous nous habillons différemment, surtout les prêtres et les enfants de chœur, pour dire que la liturgie qui est célébrée est une action – terrestre certes – mais aussi et surtout céleste. La messe, comme tout sacrement, est une action, une réalité terrestre et céleste, humaine et divine en même temps.
Et j’ai lâché le mot technique qui exprime cette réalité très particulière, qui n’est connue que de ceux qui ont la foi et qui ont reçu l’Esprit Saint : le « sacrement ». Le pain et le vin consacré sont le sacrement du Corps et du Sang de Jésus ; Juliette est devenue enfant de Dieu par le sacrement du baptême ; et l’Église est le sacrement du royaume des cieux sur la terre, le sacrement de la communion des saints.
 
Quand on a compris cela, il y a une conclusion à en tirer, très importante pour nous : ce que le monde ne voit pas, nous nous le voyons. Le monde voit du pain et du vin ; il voit une personne qui reçoit de l’eau sur la tête ; il voit une association de personnes qui se réunissent le dimanche et essayent de faire du bien. Mais nous nous voyons les réalités célestes : nous vivons sur la terre comme tout le monde, et pas comme tout le monde, puisque nous y vivons en même temps déjà de la vie éternelle. C’est toute la différence entre un homme normal et un saint. Le saint regarde le monde avec les yeux de Dieu ; il y reconnaît les réalités célestes déjà présentes et à l’œuvre comme un ferment, et – avec l’aide de l’Esprit Saint – il tâche de s’y conformer par sa vie entière.
Voilà un bel appel pour la fête du Saint Sacrement du Corps et du Sang de Jésus ; comme dit l’évêque saint Augustin à ses fidèles, en parlant de la communion eucharistique : « Devenez ce que vous recevez ! »

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