Si
3, 17-18.20.28-29 ; Ps 67 ; He 12, 18-19.22-24a ; Lc 14, 1.7-14
Chers
frères et sœurs,
Dieu
s’est-il fait homme, est-il mort sur la croix et ressuscité, pour apprendre aux
hommes des leçons de savoir-vivre élémentaires ? D’une certaine façon,
oui, s’il s’agit du savoir-vivre de la Vie éternelle. Jésus semble profiter
d’une situation assez ridicule pour rappeler à ses disciples – ceux qui
écoutent l’évangile – que le commandement du service mutuel et celui de
l’attention aux pauvres sont des signes du Royaume qui vient. Une telle écoute
a pu donner la figure de saint Martin, par exemple, qui refusait absolument de
s’asseoir tant sur un trône épiscopal dans sa cathédrale, que dans un fauteuil
au cours d’une réunion officielle : il fallait toujours qu’on lui apporte
un tabouret ! Les premiers chrétiens étaient très attachés à cette
dimension morale de l’évangile, toute faite de service généreux et d’humilité,
qui les distinguait des païens en les impressionnant, et leur permettait ainsi de
faire rayonner l’Évangile.
Cependant,
l’affaire du repas de Jésus avec les pharisiens prend une autre dimension quand
on s’attache à lire le texte précisément. Jésus n’est pas entré chez un
pharisien pour y prendre un repas comme on entre dans une brasserie pour y
prendre un sandwich. Il a été invité par le pharisien : Jésus est l’invité
d’honneur, ce pour quoi il se permet de donner un enseignement ; et le
pharisien a également invité des collègues. Cependant, la situation est
extrêmement tendue. Il est dit que les pharisiens « observaient »
Jésus ; il faut comprendre qu’ils l’épiaient, le surveillaient, attendant
qu’il fasse le moindre faux-pas pour lui tomber dessus.
Justement,
nous sommes un samedi, un jour de sabbat, au cours duquel les activités sont
réglementées par la Loi de Moïse. Or il se trouve qu’il y a dans la salle un
homme malade d’hydropisie – cet épisode a été coupé dans notre lecture. Et Jésus
va guérir cet homme, en présence des pharisiens pour lesquels l’exercice de
cette activité pendant le sabbat est interdit par la Loi. Jésus leur rappelle alors
ce principe que la défense de la vie, fut-elle celle d’un animal, prime sur
tout autre précepte de la Loi en vertu du 5ème commandement :
« Tu ne tueras pas. » Profitant du fait que les pharisiens
sont décontenancés, il leur donne l’enseignement que nous avons entendu. Celui-ci
semble être sans aucun rapport avec ce qu’il vient de se passer. Pourtant il
s’en trouve un.
Pour
comprendre, il faut aller directement à la citation du prophète Ézéchiel que
cite Jésus : « Quiconque s’élève sera abaissé, et qui s’abaisse
sera élevé. » Cette citation fait référence à un conflit entre
Guédalia et Ismaël. Guédalia est le gouverneur nommé par Nabuchodonosor du
petit reste d’Israël resté à Jérusalem après la chute du dernier roi de Juda,
Sédécias, et la déportation à Babylone. Et Ismaël est un administrateur resté également
en Judée, de sang royal. Évidemment, Ismaël ne rêve que de renverser Guédalia
pour prendre sa place et restaurer la royauté en Israël. Or un jour Guédalia
offre un repas à ses officiers, dont Ismaël, qui en profite pour l’assassiner.
La fin de l’histoire est terrible parce que Ismaël est tué à son tour et le
petit reste d’Israël resté jusqu’alors à Jérusalem doit s’enfuir en Égypte :
il ne reste plus personne à Jérusalem. L’échec est total. Donc Jésus fait
référence à cette histoire lorsqu’il évoque, au cours du repas avec les
pharisiens qui en veulent à sa vie, la question des invités malséants et celle
du souci des pauvres.
Aux
pharisiens qui sont invités comme lui, il leur rappelle que Ismaël était lui
aussi un invité, mais que son désir de prendre la première place en tuant
Guédalia qui l’occupait, s’est soldé par la perte de sa propre vie. Plus
finement, Jésus leur rappelle qu’on ne s’attribue pas à soi-même une promotion,
mais que celle-ci doit venir de l’autorité supérieure. Et il y a plus de chance
de la recevoir quand on s’en montre un digne serviteur. Sans doute
Nabuchodonosor qui avait déjà permis à Ismaël de demeurer à Jérusalem, quoique
de sang royal, l’aurait grandi après Guédalia s’il s’en était montré digne – et
la royauté de David aurait peut-être été rétablie. Mais par son orgueil Ismaël
a perdu et la royauté, et la vie. Évidemment, dans l’esprit de Jésus, cette
histoire n’est qu’un prétexte pour parler du Royaume des cieux : l’orgueil
spirituel de ceux qui se croient des purs en matière religieuse au détriment de
ceux qui ont reçu de la part du Seigneur une fonction qu’ils tâchent de remplir
honorablement, risquent de perdre et leur couronne de sainteté, et la
béatitude. Le message de l’auteur est donc le suivant : « fuyons
l’orgueil ; attachons-nous à l’humilité ! »
Mais
Jésus se tourne ensuite vers le pharisien qui a lancé l’invitation à tous. Il le
met en garde contre ses confrères qui risquent de l’entraîner dans une voie
sans issue, sinon dangereuse. Jésus l’invite à choisir l’attitude de
Guédalia : celle de l’administration pleine de sagesse, de l’humble
service du petit reste d’Israël : les pauvres, les estropiés, les boiteux,
les aveugles ; tous ceux qui sont restés à Jérusalem parce qu’ils ne
valaient rien pour Babylone. Et le choix de les protéger, surtout contre les
zélotes orgueilleux qui veulent se lancer dans des aventures sans lendemains,
est préférable que d’emboîter le pas à ces derniers. Le message est donc double
ici. D’une part Jésus condamne la radicalité et met en garde contre les
familiarités qui compromettent – ceci vaut pour le pharisien que Jésus semble
apprécier pour lui avoir donné cette recommandation, mais aussi pour les
Apôtres, et les chefs d’Églises. Et d’autre part, le choix doit toujours être
fait de la protection des plus faibles, qui sont toujours le choix de Dieu. Pour
nous en convaincre, écoutons donc la Sainte Vierge Marie dans le chant de son Magnificat :
« Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom !
Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. Déployant la
force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs
trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les
riches les mains vides. Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son
amour, de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et sa descendance
à jamais. »