Is
66, 18-21 ; Ps 116 ; He 12, 5-7.11-13 ; Lc 13,22-30
Chers
frères et sœurs,
Qu’elle
est magnifique cette prophétie d’Isaïe ! Par sa bouche notre Seigneur
annonce qu’il va « rassembler toutes les nations » – ce
rassemblement, c’est l’Église – et qu’elles « verront sa gloire »,
la gloire de sa résurrection. Il mettra chez elles « un signe »,
le signe de la croix, celui du baptême. Du milieu d’elles, il enverra des
« rescapés » – c’est-à-dire les baptisés devenus missionnaires
– pour les envoyer « vers les nations les plus éloignées ».
« Ma gloire, dit-il, ces rescapés l’annonceront parmi les
nations. Et de toutes les nations, ils ramèneront tous vos frères. » Ainsi
de toute l’humanité, tous ceux qui ont entendu et vu la gloire du Seigneur, qui
sont marqués du signe du salut, ont pour vocation d’être rassemblés en un seul
peuple, l’Église.
La
suite n’est pas moins importante. Ce rassemblement se fait sur la montagne
sainte du Seigneur, Jérusalem. Les baptisés y seront portés comme des
offrandes, dans des vases purs, à la Maison, c’est-à-dire au Temple du
Seigneur. Nous retrouvons ici cette parole que nous disons dans la prière
eucharistique : « Que
l’Esprit Saint fasse de nous une éternelle offrande à ta gloire, pour que nous
obtenions un jour l’héritage promis, avec tes élus. » Comprenons que
la vie des baptisés est une vie offerte à Dieu en sacrifice d’action de grâce –
une vie eucharistique – qui leur donne accès à la communion des saints. Telle
est la vie chrétienne : une vie d’offrande. Cela a permis à l’évêque saint
Augustin de dire un jour à ses fidèles en parlant de la communion :
« Devenez ce que vous recevez. »
Nous
ne devons pas oublier cette prophétie lorsque nous réfléchissons aux paroles de
Jésus, dans l’évangile. Aujourd’hui un homme l’interroge : « Seigneur,
n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? » À cette question
Jésus ne donne pas de réponse : d’une part, seul son Père sait ce qu’il en
est du jugement ; lui Jésus, vient pour sauver. D’autre part, la réponse
dépend aussi en grande partie de chaque homme pour lui-même. Et c’est ce que
Jésus explique.
Il
évoque d’abord brièvement trois situations qui correspondent aussi à trois
enseignements qu’on trouve à différents endroits de l’évangile de saint
Matthieu. Premièrement : « Efforcez-vous d’entrer par la porte
étroite. » On devrait lire « Luttez pour entrer par la
porte étroite », car saint Luc emploie ce même verbe pour l’agonie de
Jésus. La lutte dont il s’agit n’est pas une épreuve de force, de pouvoir ou de
puissance, mais tout l’inverse : d’humilité et de dépouillement.
Deuxièmement, cette lutte est temporaire : il y a un terme. Le temps sera
compté lorsque « le maître de la maison se sera levé pour fermer la
porte ». Pour la génération qui écoute Jésus, le temps est écoulé
lorsque Jésus ressuscite. Mais pour toute l’humanité, le temps sera écoulé
lorsqu’il se manifestera à la fin des temps. Alors il sera trop tard pour se
convertir : on aura été flashés dans l’état où nous serons à cet instant. Il
s’agit donc de se trouver prêt à toute heure : que ce soit pour nous une
habitude permanente d’attendre la venue du Seigneur. Et troisièmement, si on a
été flashé, on aura beau essayer de faire valoir qu’on a croisé Jésus un jour
au resto ou au supermarché, cela ne marchera pas. Plus sérieusement, Jésus vise
ici les deux formes de culte de Dieu : les repas rituels – repas de
communion avec Dieu – et l’écoute de la Loi, de la Parole de Dieu. Le culte comme
tel ne constitue pas un passeport suffisant pour le ciel, surtout s’il n’est pour
celui qui l’exerce qu’une formalité extérieure.
Car,
pour finir, Jésus donne la clé de la bonne attitude, surtout pour le
culte : « Éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez
l’injustice. » Il s’agit d’une citation directe du psaume 6, verset
9 : ils s’éloignent eux-mêmes de Dieu ceux qui, par leurs actes, ne
mettent pas la Loi en pratique. Ce que Jésus exige donc comme passeport pour le
ciel, pour être veilleur, pour passer la porte étroite, c'est la pratique de la
Loi : l’amour de Dieu de toute son âme, de tout son cœur et de toute sa
force, et l’amour du prochain comme soi-même. Il faut que cet amour soit pour
nous une vertu intérieure et pratiquée de manière permanente. Elle se demande
dans la prière.
La
seconde partie de la réponse de Jésus semble concerner en priorité les Juifs,
qui sont menacés, s’ils n’entrent pas réellement dans le commandement de
l’amour, soit d’être séparés de leurs pères, les patriarches et les prophètes
déjà entrés dans le Royaume de Dieu, soit d’y être doublés par les païens
convertis – ceux dont parlait la prophétie d’Isaïe – qui seront rassemblés de
toutes les nations à Jérusalem, à la Maison du Seigneur. La mention « et
que vous-mêmes, vous serez jetés dehors » n’est pas dans tous les
manuscrits ; elle provient peut-être d’un traducteur chrétien un peu trop
zélé. Jésus ne dit pas que les Juifs sont exclus du Royaume, mais qu’en
n’observant pas l’esprit de la Loi, ils perdent leur droit d’aînesse en quelque
sorte : de premiers, ils deviennent derniers – ce qui ne veut pas dire
qu’ils soient exclus. Cependant, soyons nous-mêmes bien conscients que Jésus
ici ne parle pas seulement à l’homme qui l’a interrogé ou aux Juifs en général,
mais à tous, y compris ses disciples, c’est-à-dire aussi à nous. Son
enseignement vaut pour tous. Si notre baptême et nos célébrations
eucharistiques, les sacrements que nous célébrons, ne sont que des rituels
extérieurs, sans vie spirituelle intérieure selon l’amour de Dieu et du
prochain ; si nous ne veillons pas en tout temps ; si nous ne vivons
pas humbles et pauvres, alors nous serons certainement relégués en troisième
division.
Jésus
nous appelle aujourd’hui à faire mieux. Ensemble, par la force de son Esprit
Saint, nous pouvons faire mieux – pour qu’à la fin nous entrions dans sa joie.