dimanche 3 août 2025

03 août 2025 - GRAY - 18ème dimanche TO - Année C

Qo 1, 2 ; 2, 21-23 ; Ps 89 ; Col 3, 1-5.9-11 ; Lc 12, 13-21
 
Chers frères et sœurs,
 
L’évangile que nous venons d’entendre peut se comprendre de deux manières. La première nous vient à l’esprit spontanément, d’autant plus que les traductions successives tirent largement dans son sens. Il s’agirait ici d’un enseignement moral, où Jésus prend prétexte d’un différend familial à propos d’un héritage qu’il refuse de trancher, pour inviter son auditoire à ne pas s’attacher aux biens terrestres mais plutôt à se faire un trésor dans le ciel en donnant ses biens aux pauvres. Car « être riche en vue de Dieu », c’est mettre en pratique la parole suivante de Jésus : « Vendez ce que vous possédez et donnez-le en aumône. Faites-vous des bourses qui ne s’usent pas, un trésor inépuisable dans les cieux. » C’est aussi la réponse qu’il a faite au jeune homme riche : « Une seule chose te fait encore défaut : vends tout ce que tu as, distribue-le aux pauvres et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi. » A contrario, celui qui accumule les richesses n’emprunte pas un chemin qui conduit au ciel, mais plutôt au néant ou à l’absurde : « Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ? »
Les interlocuteurs de Jésus, et nous avec eux, seraient donc confrontés à une parole plutôt radicale, qui aurait pour effet paradoxal de condamner ceux qui ne la mettraient pas en pratique, alors que Jésus se défend tout d’abord de vouloir juger les hommes... Il y a quelque chose qui ne colle pas très bien. Peut-on comprendre cet épisode un peu différemment ? Il est à remarquer que celui-ci est propre à l’évangile de Luc ; il ne se retrouve pas dans les autres évangiles. Or saint Luc a la caractéristique de glisser dans son texte des expressions ou des mots-clés destinés à guider la compréhension de ses auditeurs.
 
La première expression est facile à trouver : il s’agit de la réponse de Jésus à l’homme qui l’interpelle : « Qui donc m’a établi pour être votre juge ? » Cette phrase-là, tous les Juifs en connaissent la référence dans le livre de l’Exode, lorsque le jeune Moïse, après avoir tué un Égyptien qui frappait un Hébreu, s’est fait apostropher alors qu’il tentait de séparer deux Hébreux qui se battaient entre eux : « Qui t’a institué chef et juge sur nous ? » La situation dans l’évangile est donc la suivante : un homme demande à Jésus de se faire juge entre lui et son frère. C’est un piège. Si il avait accédé à cette demande en s’instituant lui-même juge, immédiatement quelqu’un lui aurait renvoyé la réponse qui a été faite autrefois à Moïse. On l’aurait accusé d’usurpation ; on l’aurait disqualifié. Au contraire, Jésus renonce à toute prétention à se revendiquer comme juge, ou comme roi. Le piège a échoué.
 
Cependant, Jésus va se servir de cet échange pour donner une leçon à ceux qui voulaient l’attraper. Il raconte alors la parabole de l’homme riche. Nous nous souvenons de l’allusion à l’histoire de Moïse en Égypte. C’est également la clé de cette parabole. Quel est l’homme riche qui bénéficie d’une abondante récolte au point de devoir agrandir ses greniers ? Dans la Bible, il n’y en a qu’un : c’est Pharaon, au temps de Joseph. Mais aussi au temps de l’Exode, puisque le Pharaon de l’époque a fait construire par les Hébreux les deux villes-entrepôts de Pithom et de Ramsès. Pharaon a pour caractéristique de se prendre lui-même pour un dieu ; ce pour quoi il affirme ne pas connaître le vrai Dieu, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Or, dit Jésus, Dieu lui-même lui déclare : « tu es fou : cette nuit même, on va te redemander ta vie. » Cette nuit, où la vie est retirée d’Égypte, la vie des premiers-nés – c’est la nuit de la Pâque. C’est la nuit du jugement pour Pharaon et de la liberté pour les Hébreux ; c’est la nuit de la condamnation des idoles et des idolâtres, qui se fient à leurs biens matériels, et la nuit de la manifestation de Dieu et de sa puissance pour ceux qui ont foi en lui.
Dans la parabole de Jésus, Dieu a traité l’homme-pharaon de « fou » ; en araméen d’« insensé », celui qui « manque de raison ». Ceci est à mettre en rapport avec cette sentence du livre de Qohéleth, que nous avons justement entendue en première lecture : « Un homme s’est donné de la peine ; il est avisé, il s’y connaissait, il a réussi. Et voilà qu’il doit laisser son bien à quelqu’un qui ne s’est donné aucune peine. Cela aussi n’est que vanité, c’est un grand mal ! En effet, que reste-t-il à l’homme de toute la peine et de tous les calculs pour lesquels il se fatigue sous le soleil ? » On comprend que c’est folie de ne pas placer sa foi en Dieu, et c’est déraisonnable de se croire autosuffisant, de se prendre pour dieu.
 
Pourquoi Jésus a-t-il donc dit cela ? On aura bien compris qu’il vise ceux qui ont voulu le piéger avec l’histoire de l’héritage. Il leur dit, en somme : « Il n’y a pas de véritable quiétude sur la terre, que ce soit dans les biens dont on dispose par son travail ou par héritage, ou dans les actions dont on peut soi-même se gratifier, y compris les actions cultuelles. Car la vie terrestre est limitée : elle a une fin ; ses joies sont passagères ; et l’homme ne peut pas être sa propre mesure, sauf à vouloir se faire dieu de manière illusoire. Au contraire, le repos véritable – la paix réelle et la joie infinie – se trouvent dans la sagesse de Dieu, qui réside dans la foi en Dieu seul. C’est Dieu seul qui, par sa Pâque, peut libérer l’homme des contingences terrestres et lui donner accès à la terre de la liberté. »
Évidemment Jésus est celui-là même qui, par sa Pâque, c’est-à-dire sa croix et son baptême, donne accès au Royaume des cieux à tous ceux qui croient en lui. Jésus a résumé par ailleurs cet enseignement en une phrase : « Je ne suis pas venu juger le monde, mais le sauver. »

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