Jr
38, 4-6.8-10 ; Ps 39 ; He 12, 1-4 ; Lc 12, 49-53
Chers
frères et sœurs,
Le
choix des lectures de ce dimanche nous conduit à penser qu’être porteurs de la
Parole de Dieu – que ce soit comme prophète ou comme Messie, et donc aussi comme
chrétien – n’est pas sans danger… Jérémie se retrouve au fond du puits, enfoncé
dans la boue, et Jésus est cloué en croix, voué à la mort. On nous fait
entendre dans le psaume la supplication du juste dans l’épreuve et, dans
l’Évangile, l’angoisse de Jésus à l’approche de son baptême – de sa passion. Le
rédacteur de l’Épître aux Hébreux – c’est-à-dire les chrétiens d’origine
juive – les invites à courir « avec endurance l’épreuve qui nous est
proposée » ; il parle des persécutions.
Cependant,
contrairement à ce que nous pourrions croire, ces lectures ne nous ont pas été
proposées pour alimenter notre désespoir, mais elles nous rappellent la
fidélité et la bonté de Dieu en toutes circonstances, pour que soient
renforcées notre foi et notre espérance, en vue de la joie. Pour mieux comprendre
cela, lisons attentivement l’Évangile selon saint Luc.
« Je
suis venu apporter un feu. » Quand Jésus parle ici de feu, il ne parle
ni des feux de forêt, ni du feu de l’enfer. Il parle du Saint-Esprit. Ce feu
est celui que vit Moïse au buisson ardent : feu qui illumine le buisson
sans le détruire pour signaler la Présence de Dieu. C’est le même feu qui, porté
par le chandelier à sept branches, illumine le sanctuaire du Temple, que nous
avons nous aussi dans l’église : ce sont les bougies qui clairent sur
l’autel. Ce feu est aussi celui dont les disciples ont parlé : « Notre
cœur n’était-il pas tout brûlant en chemin, tandis qu’il nous ouvrait les
Écritures ? » Car, pour un araméen, c’est le même mot « nour »
qui signifie le feu, et la passion de l’amour. Voilà le feu dont parle Jésus,
qu’il est si impatient de voir allumé en nous : celui de l’amour de Dieu,
le don de l’Esprit Saint.
Quand
Jésus dit cela, il le dit en tant que Dieu : « Je suis venu
apporter un feu sur la terre. » Mais quand il ajoute : « Je
dois recevoir un baptême », il le dit en tant qu’homme. En fait, il
répond à la promesse du feu d’amour divin par le cri de l’homme qui
espère : « Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la
mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli. » Oui, nous sommes pressés et
anxieux dans l’attente du baptême dans l’Esprit et le feu, par lequel nous
accomplirons enfin totalement notre vocation à la communion d’amour, pour
l’éternité. Jésus n’a pas peur du baptême pour lui-même, mais il est tendu dans
l’attente de ce moment, comme des parents au moment d’une naissance, par
exemple.
Voyez
ce mouvement extraordinaire : en tant que Dieu Jésus dit qu’il est venu
apporter un feu d’amour, et en tant qu’homme il répond qu’il est dans l’attente
de cet accomplissement. Saint Irénée le disait si bien : « Dieu s’est
fait homme pour que l’homme devienne Dieu. »
Maintenant,
dit Jésus : « Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la
terre ? » Ici il y a un petit piège, difficile à identifier si on
ne sait pas. En araméen, il y a deux mots pour dire paix : « shyna »,
qui veut dire « terre cultivée », « tranquillité »,
prospérité » ; et « shelma », qui a donné
« Shalom » ou « Jérusalem », qui est une paix intérieure
profonde, une paix qui vient de Dieu. L’araméen fait donc la différence entre
la paix humaine, la vie paisible sur la terre, et la paix qui vient de Dieu,
une paix profonde. Or le grec ne connaît qu’un seul mot pour dire
« paix » : « Eirenè », qui a donné les prénoms
Irénée et Irène. Du coup, de quelle paix parle ici Jésus ? Non, il n’est
pas venu apporter la paix humaine, la tranquillité et la prospérité de celui
qui veut accumuler du blé dans ses greniers, mais oui, il est venu apporter la
paix profonde de Dieu. C’est d’ailleurs le feu dont il vient juste de parler.
Par
conséquent, on comprend mieux la suite : le feu d’amour – celui de la
Pentecôte, le don de l’Esprit Saint, ne vient pas apporter une tranquillité
humaine, une vie pépère, mais il a deux conséquences pour nous. D’un point
de vue pratique, il va créer des divisions entre ceux qui ont la foi et ceux
qui ne l’ont pas. Et d’un point de vue spirituel, il va purifier en nous ce qui
est conforme à l’homme nouveau et brûler ce qui est de l’homme ancien. « Cinq
personnes de la même famille », ce sont des gens qui vivent ensemble
mais qui – du fait de la foi – ne vivent plus sur la même longueur d’onde ;
et ce sont aussi nos dispositions intérieures, en chacun d’entre nous, qui se
divisent lorsque nous sommes déjà attirés par la lumière de Dieu, mais encore
tentés par les ténèbres, par les séductions diverses. Alors qu’avant nous ne le
savions pas, et nous vivions entièrement dans les ténèbres, dans une fausse
unanimité d’esprit en raison de notre aveuglement, la venue du feu d’amour nous
révèle notre état réel de pécheur et en même temps nous attire vers la gloire
lumineuse.
C’est
ainsi, chers frères et sœurs, que lors de sa venue l’Esprit Saint sera comme un
feu : il divisera les choses de ce monde, brûlera ce qui est péché et
illuminera ce qui est justice, en donnant sa paix profonde. Nous pouvons être
habités par la crainte devant les épreuves – Jésus est passé par là lui aussi –,
mais nous devons être entraînés par l’impatience avec laquelle Dieu veut que
nous soyons réconfortés. Derrière le feu, l’Esprit Saint se fait rosée.