Nb
21, 4b-9 ; Ps 77 ; Ph 2, 6-11 ; Jn 3, 13-17
Chers
frères et sœurs,
Nicodème,
comme le dit saint Jean au début de son récit, est un pharisien et un notable
parmi les Juifs. Il est membre du Sanhédrin, qui est en même temps une sorte
d’Assemblée nationale et de Conseil constitutionnel des Judéens. Là, il défendra
courageusement le droit de Jésus à se défendre à son procès. Il est aussi une
des trois plus grosses fortunes de Jérusalem. C’est lui qui finance le mélange de
45 kilos de myrrhe et d’aloès pour la mise au tombeau de Jésus ; des
funérailles de roi. Donc la rencontre entre Jésus et Nicodème est de la plus
haute importance, et on aurait tort de penser que leur échange concerne des
banalités. Ils vont à l’essentiel : ce qu’il en est de Dieu et du salut de
l’homme.
Nicodème
cherche à comprendre le message de Jésus, dont il sait déjà qu’il est prophète.
Jésus lui répond que pour voir le royaume de Dieu – c’est-à-dire y entrer, y
participer –, il faut naître d’en haut, de l’eau et de l’Esprit. Nicodème
demande alors comment naître du souffle de l’Esprit ? On entend la même
question dans la bouche de la Bienheureuse Vierge Marie quand l’ange Gabriel
lui annonce qu’elle va concevoir et enfanter un fils : « Comment
cela peut-il se faire ? » Jésus reproche alors à Nicodème – qui
est un maître en Israël – de ne pas connaître « ces choses-là », et
il lui répond qu’il est nécessaire de croire en sa parole. Parce que lui, Jésus
– qui est descendu du Ciel – parle de ce qu’il connaît et il témoigne de ce
qu’il a vu – c’est-à-dire de la réalité du Royaume des cieux. Donc Jésus dit
que, pour naître du souffle de l’Esprit et voir le Royaume, il faut d’abord
croire en lui, en son enseignement et en son témoignage, c’est-à-dire toute sa
vie, c’est-à-dire l’Évangile.
À
ce moment, nous retrouvons le passage que nous avons entendu aujourd’hui, dont
nous ne savons pas très bien, en réalité, si les paroles sont prononcées par
Jésus à l’attention de Nicodème, où s’il s’agit d’un commentaire de saint Jean
à l’attention de ses lecteurs. Mais l’argument central est le même : la
foi en Jésus mort sur la croix pour le salut des hommes, et ressuscité, est la
clé du don de Dieu : du souffle de l’Esprit, de la vie éternelle. Saint
Jean donne un premier argument, tiré du livre des Nombres, que nous
avons entendu en première lecture : « De même que le serpent de
bronze fut élevé par Moïse dans le désert – pour sauver le peuple mordu par
les serpents, c’est-à-dire les démons ou les péchés – ainsi faut-il que le
Fils de l’homme soit élevé. » Dieu, donc, sauve les hommes pécheurs et
leur accorde la vie par la croix de Jésus.
Mais
ce faisant, Dieu a sacrifié son fils, son unique – dit l’évangile. Deuxième
argument. La référence au sacrifice d’Isaac, dans le livre de la Genèse,
est évidente : « Dieu dit : « Prends ton fils, ton unique,
celui que tu aimes, Isaac, va au pays de Moriah, et là tu l’offriras en
holocauste sur la montagne que je t’indiquerai. » Nous savons qu’Isaac sera
sauvé par l’ange du Seigneur au moment ultime, et qu’il sera remplacé par un
bélier. Par la suite, le sacrifice au Temple pour le pardon des péchés était
celui d’un agneau, l’agneau pascal, en substitution du sacrifice des
premiers-nés en Égypte. Mais avec Jésus, la situation est inversée : c’est
Dieu lui-même qui autorise le sacrifice de son fils, son unique, un premier-né,
comme véritable Agneau pascal, une fois pour toutes et pour un pardon véritable
de tous les hommes – pour que quiconque croit en lui ait la vie éternelle et
que par lui le monde soit sauvé.
Nicodème,
et nous-mêmes avec lui, qui sommes versés dans les Écritures et la foi
d’Israël, sommes placés au cœur de la mission de Jésus : donner sa vie
pour la multitude, pour que tout homme qui a foi en lui – y compris ceux qui
dorment au fond des enfers, comme dit saint Paul – puisse recevoir le don de
Dieu, la vie éternelle, et voir le Royaume des cieux. La croix est donc comme
une porte entre le monde présent et le royaume des cieux. Vu d’en bas, d’un
point de vue matérialiste, c’est un instrument de supplice, un obstacle. Mais
vu d’en haut, avec la foi, c’est un passage, le passage : la porte étroite
– la seule porte – qui conduit à la vraie liberté et à la vraie vie. Il n’y en
a pas d’autres. Et c’est Jésus qui l’a ouverte pour nous. C’est pourquoi, pour
un chrétien, la croix est une croix glorieuse. Parce que, par elle, la lumière
du ciel illumine les ténèbres de toute la terre et même des enfers.
Il
reste un dernier point important pour finir. La traduction est ambiguë :
on a l’impression qu’il y a pour l’homme un délai entre sa confession de foi en
Jésus et l’obtention de la vie éternelle. Dans l’araméen ou l’hébreu, le verbe
avoir n’existe pas. Cela signifie que pour l’homme qui croit en Jésus, la vie
éternelle est à lui. C’est immédiat, il n’y a pas de délai. L’homme qui
a foi en Jésus mort et ressuscité vit déjà maintenant du Don de Dieu, de la vie
éternelle, et il voit le Royaume des cieux. Cela paraît étonnant ? Mais
non, il faut comprendre que la réalité du Royaume n’est pas contrainte par
notre espace-temps. On peut distinguer dans le temps des étapes : le
sacrifice d’Isaac, le serpent de bronze, la Pâque en Égypte, les sacrifices du
Temple, la crucifixion de Jésus, mon baptême, ma mort, avant mon entrée dans la
vie éternelle, avec la grâce de Dieu ! Mais dans la réalité du Royaume éternel,
c’est un seul instant, un flash, où par la foi en Jésus qui s’est donné pour
nous, enfin libérés du péché et de la mort, nous entrons à jamais dans la
communion d’amour de Dieu, avec tous les saints. Comprenez, frères et
Sœurs : par la foi en Jésus mort pour nous et ressuscité, la vie éternelle
nous est donnée, maintenant. Tel est le sens de la fête de la croix glorieuse.