dimanche 29 décembre 2024

28-29 décembre 2024 - CUGNEY - LAVONCOURT - Sainte Famille - Année C

1 S 1, 20-22.24-28 ; Ps 83 ; 1 Jn 3, 1-2.21-24 ; Lc 2, 41-52
 
Chers frères et sœurs,
 
En dehors des récits de sa naissance et de la fuite en Égypte, nous n’avons pas, dans les évangiles, de témoignages sur la jeunesse de Jésus, sauf ce passage de saint Luc, qui raconte son escapade au Temple. Il ne faut pas s’étonner de trouver dans Luc cette histoire, car il est bien connu qu’une part de ses informations provient directement de la Vierge Marie, ce pourquoi il dit : « sa mère gardait dans son cœur tous ces événements. »
Cependant si la Vierge Marie attachait de l’importance à cette histoire et si saint Luc l’a jugée également importante pour nous la rapporter, c’est qu’elle contient un enseignement remarquable. En fait, on peut distinguer deux niveaux d’enseignement. Le premier niveau est celui du souvenir de la Vierge Marie, et le second est celui de l’interprétation qu’en donne saint Luc, en faisant comme à son habitude, des liens avec des mots ou des expressions clés.
 
Marie a eu peur, quand avec Joseph, ils ont cherché Jésus pendant trois jours. Dans le texte araméen, le terme qui évoque la souffrance de Marie et de Joseph est le même que celui qui est employé pour dire la souffrance des disciples à Gethsémani, alors que Jésus est entré dans sa Passion. Ainsi, pour les parents de Jésus, le soulagement arrive lorsqu’ils le retrouvent au Temple, au milieu des docteurs de la Loi ; pour les disciples, le soulagement arrive lorsqu’ils le retrouvent au Cénacle, et qu’il apparaît au milieu d’eux.  Déjà, en faisant ce parallèle, on comprend que, pour saint Luc, le Temple nouveau est l’Église réunie au Cénacle, dont les nouveaux docteurs, sont les Apôtres. Et Jésus est présent au milieu d’eux.

Mais Marie reproche à son fils : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant ! » Et Jésus de lui répondre : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? » Il y a deux remarques à faire sur cet échange.
La première est que Marie parle de Joseph quand elle dit : « Vois comme ton père et moi, nous avons souffert » ; mais Jésus lui, parle de son Père qui est aux Cieux quand il répond : « il me faut être chez mon Père ». Ici, Jésus marque clairement une rupture avec sa famille charnelle, comme il le fera plus tard en d’autres occasions, par exemple lorsqu’on l’a interpellé : « Ta mère et tes frères sont là dehors, qui veulent te voir. » À quoi il a répondu : « Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique. »
La seconde remarque est qu’il s’agit de la dernière mention de Joseph dans l’évangile, et de la toute première parole de Jésus. Il y a une forme d’entrée dans l’âge adulte pour Jésus, qui a alors douze ans. Pour les Juifs, c’est justement à partir de cet âge qu’on doit pratiquer tous les commandements de la Loi.
En somme Jésus, semble s’affirmer en rupture avec ses parents mais aussi son clan, qui voyageait avec eux depuis Nazareth. Je dis « semble » car Jésus n’ignorait pas ce commandement de la Loi : « Tu honoreras ton père et ta mère », et c’est pourquoi il revient avec eux, « soumis », à Nazareth. Il ne s’agit pas d’une crise d’ados de la part de Jésus, mais à l’occasion de sa maturité, l’affirmation de son origine divine, de par la référence à son Père qui est aux cieux. Et cela correspond bien au fait que les gens s’extasiaient sur son intelligence et sur ses réponses concernant l’interprétation de la Loi. Jésus, comme Verbe de Dieu est Maître de la Loi.
 
Cependant, saint Luc, discrètement, fait un pas de plus dans la compréhension de l’événement du Temple, et c’est pourquoi nous avons lu un passage du livre de Samuel en première lecture. En effet la phrase « Quant à Jésus, il grandissait en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les hommes » est pratiquement une citation du premier livre de Samuel : « Quant au jeune Samuel, il continuait de grandir en taille, aussi agréable au Seigneur qu’aux hommes. »
Nous devons donc comprendre ici que Jésus est comme un nouveau Samuel, qui a été consacré à Dieu par sa mère, du fait qu’elle l’ait eu en réponse à sa prière. Samuel, comme Jésus, était un premier-né et, par conséquent, il devait être consacré à Dieu. Mais si Marie pouvait bien se comparer à Anne du fait qu’elle est devenue mère de manière inespérée, et son Magnificat ressemble beaucoup, justement, à celui d’Anne, saint Luc, lui, voit probablement davantage que Samuel a succédé au prêtre Eli et à ses fils, au sanctuaire national de Silo. Il lui a succédé parce que les fils d’Eli, tous deux prêtres, se comportaient mal aux yeux du Seigneur, et pour cette raison, ils sont morts. Ainsi, pour saint Luc, Jésus apparaît comme le véritable Samuel, prêtre du Seigneur, qui succède et remplace l’ancienne dynastie sacerdotale.
 
Pour conclure, on doit retenir que, dans notre évangile, Jésus se manifeste comme Fils de Dieu, Maître de la Loi nouvelle dans le Temple de Dieu, l’Église, entouré de ses Apôtres. Nouveau Samuel, il est le aussi prêtre de la nouvelle alliance, celui qui intercède pour son peuple, pour nous, auprès de notre Père.

mercredi 25 décembre 2024

25 décembre 2024 - AUTREY-lès-GRAY - Nativité du Seigneur - Messe du jour

Is 52, 7-10 ; Ps 97 ; He 1, 1-6 ; Jn 1, 1-18
 
Chers frères et sœurs,
 
Le Prologue de saint Jean est comme un résumé très condensé de l’histoire du salut. Il fonctionne exactement comme un Credo, qui est l’exposition de l’histoire du Salut et – ce faisant – se présente comme maître-étalon de tout témoignage chrétien authentique.
On peut le résumer ainsi : Au commencement, avant que le monde soit créé, il y a Dieu. Dieu est créateur, de l’univers et de l’homme, et il se fait connaître à l’homme, il se révèle à lui : tout cela est consigné dans les Écritures, l’Ancien Testament. Le sommet de cette révélation est l’Incarnation de Dieu dans sa création, en Jésus fils de Dieu et fils d’homme. Cette révélation ultime est authentifiée par les Écritures, et elle les accomplit. Ainsi tous ceux qui ont foi en Jésus reçoivent de lui la grâce de Dieu qui les fait entrer dans la connaissance du Père, c’est-à-dire qu’elle fait entrer les croyants dans la vie de la Sainte Trinité, dans la vie du Dieu créateur.
Ainsi, pour résumer, Dieu a créé l’homme de sorte que l’homme puisse demeurer en lui, dans sa communion de vie et d’amour éternels. C’est la volonté de Dieu et la vocation de l’homme.
 
Nous retrouvons ce mouvement dans le Prologue de saint Jean. Le premier paragraphe qui va de « au commencement était le Verbe » jusqu’à « la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée » évoque ce Dieu éternel, dont la vie intérieure nous est voilée.
Derrière le voile se trouvent Dieu le Père et sa Parole – le Verbe de Dieu – c’est-à-dire son Fils Jésus ; et les deux ne sont qu’un seul Dieu : « le Verbe était Dieu. » Or celui qui rend cette unité divine possible, tout en distinguant les personnes différentes que sont le Père et le Fils, c’est l’Esprit Saint. Les verbes sont à l’imparfait, mais la conjugaison en araméen qui n’existe pas en français, veut dire qu’il en était ainsi autrefois, depuis le commencement, mais aussi actuellement, maintenant et toujours : Dieu est un Dieu vivant aujourd’hui.
Dieu a voulu être créateur, et tout ce qu’il a créé et qu’il crée encore maintenant, à chaque seconde, l’a été et l’est toujours par sa Parole. Dieu crée en parlant. Et sa Parole unique est son Fils Jésus. C’est très important pour la troisième étape. Il n’y a rien ; il n’existe rien en dehors de Jésus : il est la vie et la lumière des hommes, que les ténèbres ne peuvent pas arrêter. Car les ténèbres n’ont aucune consistance : c’est du néant. Voilà donc le premier paragraphe : Dieu Trinité, et sa création à laquelle il communique la vie et la lumière – l’intelligibilité.
 
On peut se demander si, au deuxième paragraphe, « l’homme envoyé par Dieu », dont le nom est « Jean », n’est pas le rédacteur de l’évangile lui-même. Il y a une ambiguïté : on pourrait comprendre qu’il s’agit déjà de Jean Baptiste, mais celui-ci n’apparaît nommément qu’au quatrième paragraphe. Dans l’ordre de l’histoire du salut, on doit considérer que derrière ce nom de « Jean », se cachent en réalité les Patriarches et les Prophètes dont le plus important d’entre eux est Moïse. Car tous ont été envoyés par Dieu et ont été reconnus comme des témoins fidèles. L’affirmation de l’évangéliste ici est que tous ces témoins rendaient témoignage à la Lumière, c’est-à-dire déjà au Fils de Dieu, pour que tous croient par lui. Aucun d’entre eux n’était la Lumière, ils n’étaient pas divins – aucun ne s’est prétendu divin. Mais ils étaient là pour rendre témoignage à la Lumière. Et pour cette raison, leur témoignage demeure éternellement valable. « Jean » s’en proclame l’héritier.
 
La chose la plus extraordinaire et en même temps la plus dramatique est que le monde étant créé par la Parole de Dieu, porte en lui la trace de cette Parole ; mais il n’a pas été capable de la reconnaître. Même ceux qui étaient dépositaires du témoignage des Patriarches et des Prophètes n’ont pas été capables de reconnaître la Lumière. Elle leur demeurait voilée. Seuls ceux qui, par grâce particulière, ont reçu la Parole, la Lumière, sont vraiment enfants de Dieu. Déjà ils sont re-nés de Dieu. Ainsi les Écritures ouvrent à la vraie connaissance de Dieu. Mais encore faut-il avoir reçu la grâce de savoir les lire.
Accomplissant les Écritures, le « Verbe s’est fait chair », c’est-à-dire que le Fils de Dieu s’est fait homme. Lui qui était à l’origine de tout et présent en tout, quoique de manière invisible, s’est rendu visible et palpable, accessible à nos sens. L’évangéliste dit qu’il a vu sa gloire, c’est-à-dire non pas seulement sa lumière, mais surtout la communion divine que celle-ci exprime.
Dans la lignée des Patriarches et des Prophètes, de ceux qui sont devenus enfants de Dieu, et les récapitulant, se trouve Jean Baptiste, dans un rôle très particulier, unique : celui de désigner ce Verbe de Dieu fait homme, l’authentifier. Mais du coup, de devoir en même temps s’effacer devant lui : car les images sont toujours moins parfaites que le modèle.
 
Arrive enfin le dernier paragraphe : « Tous nous avons eu part à sa plénitude. » C’est le don de l’Esprit Saint. Oui, la Loi, les Écritures ont été données par Moïse, par les Prophètes – et en elles se trouve déjà la lumière. Mais celle-ci était voilée. Elle est maintenant pleinement dévoilée – en grâce et en vérité – par Jésus Christ, le Verbe fait chair. Et tel est le message de Jean, de l’Évangile : si par grâce et par vérité, par l’Esprit Saint, nous avons accès à la Lumière, à la Parole de Dieu, alors, nous avons aussi accès à Dieu lui-même : à notre Père. Et non seulement le voir, mais le connaître : entrer dans sa communion. C’est la Pentecôte, l’accomplissement en Église, de notre vocation humaine et divine.


mardi 24 décembre 2024

25 décembre 2024 - DAMPIERRE-SUR-SALON - Nativité du Seigneur - Messe de la nuit

 Is 9, 1-6 ; Ps 95 ; Tt 2, 11-14 ; Lc 2, 1-14
 
Chers frères et sœurs,
 
Dans notre tradition chrétienne, nous avons deux très grandes fêtes : Pâques, d’abord, et Noël, ensuite. Pâques est la fête de la résurrection de Jésus et Noël celle de sa naissance. Ces deux fêtes, vous l’aurez remarqué, sont célébrées de nuit. À Pâques, dans la nuit nous allumons un feu, puis le grand cierge pascal qui représente Jésus ressuscité et vivant, puis toutes nos petites lumières et enfin celles de l’église entière, au moment du « Gloire à Dieu ». La résurrection est contagieuse comme l’annonce de la joie de Noël ! À Noël, justement, nous sommes au plus profond de l’hiver, quand les nuits sont longues, et nous fêtons la naissance de Jésus, lumière d’espérance et de joie dans les ténèbres de vies humaines parfois très sombres ou très douloureuses. Elle annonce leur inconcevable renouveau : leur résurrection.
 
En effet, pour comprendre vraiment la nuit de Pâques, il faut penser à la nuit de Noël ; et pour comprendre la nuit de Noël, il faut penser à celle de Pâques.
Ainsi, à Pâques, il faut comprendre la résurrection de Jésus comme une nouvelle naissance. Jésus qui était Dieu s’est fait homme, et comme homme, il est mort sur la croix. Mais par sa résurrection, il a rendu possible que l’homme mortel puisse renaître comme Dieu, immortel. Et notre Dieu réalise cela par le don de l’Esprit Saint, l’Esprit de Pentecôte. Donc Pâques, c’est une naissance de l’homme de la terre, au ciel.
Et à Noël, c’est l’inverse : la naissance de Dieu sur la terre est une nouvelle étape de la création : la vie du ciel vient ensemencer la terre. Chose impensable pour le philosophe, mais réalité aussi extraordinaire que celle de la résurrection, par la même puissance créatrice de Dieu, par l’Esprit Saint qui a recouvert Marie de son ombre, comme il a recouvert les Apôtres de son feu, lors de la Pentecôte.
Noël et Pâques sont le côté pile et le côté face d’un même événement extraordinaire, qu’on appellera un miracle, mais qui est d’abord une nouvelle création. Pourquoi interdirait-on à Dieu de créer du neuf, s’il le veut ? Que Dieu se fasse homme pour que l’homme devienne Dieu : c’est ce qu’il a fait à Noël et à Pâques, par la puissance de son Esprit.
 
Maintenant, regardez bien comment saint Luc joue entre le mystère de Noël et le mystère de Pâques : dans les deux cas, la naissance ou la résurrection ont lieu dans une grotte, dans la nuit. Dans les deux cas, Jésus repose dans des langes ou dans des linges. Ici il vient de naître, et là, il ne reste plus que les linges, car il est ressuscité. Dans les deux cas, l’ange du Seigneur apparaît aux premiers témoins de la naissance ou de la résurrection. Ici, il dit : « Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle ! », et là il dit : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité. »
Dans, les deux cas, les bergers ou les femmes sont éblouis, saisis de crainte. Car la gloire de Dieu est éblouissante et ce que leurs yeux voient est en même temps très ordinaire et très extraordinaire, pour celui qui croit. Ici : un enfant dans une mangeoire, là des draps qui reposent à plat dans un tombeau vide – voilà pour l’ordinaire. Et ici Dieu qui s’est fait homme – Emmanuel – Dieu avec nous, et là l’homme-Dieu Jésus qui était mort et qui maintenant est ressuscité et vivant dans une vie nouvelle, éternelle – voilà pour l’extraordinaire.
À Bethléem, nous avons Marie et Joseph, la famille de Jésus, puis les bergers qui font paître les brebis ; à Jérusalem, nous avons Marie et les saintes femmes – qui sont de la famille de Jésus – puis les Apôtres, les bergers des brebis que nous sommes. Finalement, ce sont les mêmes. D’abord le petit cercle familial des intimes de Jésus – et notamment des femmes – puis le cercle des Apôtres et des disciples, et tout d’un coup « il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable, qui louait Dieu en disant : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime. » Voilà que le Ciel s’est approché de la terre et qu’il chante la bonne nouvelle de Noël pour tous les hommes de toute la terre et de tous les temps, les hommes que Dieu a créés par amour et qu’il est venu sauver par amour.
Mais il s’est passé la même chose en miroir, lors de la résurrection de Jésus, lorsque la terre s’est approchée du ciel, dans l’ascension de Jésus au-dessus des anges, et que les Apôtres redescendaient à Jérusalem en grande joie, dans l’attente de la Pentecôte, signal de l’annonce de la bonne nouvelle de la résurrection et de la vie nouvelle à tous les hommes de toute la terre et de tous les temps, ces hommes que Dieu a créé par amour, a sauvé par amour et veut retrouver dans sa communion d’amour, pour toujours.
 
Voilà chers frères et sœurs le mystère de Noël. C’est le mystère de l’amour de Dieu pour nous. Sommes-nous dans les ténèbres ? Voilà la lumière qui brille. Elle annonce que bientôt nous allons nous aussi devenir lumière. Sommes-nous malades, épuisés, fatigués ? Voilà Dieu qui se fait homme, prenant notre chair mortelle, pour que celle-ci ressuscite avec la sienne, et que nous soyons transfigurés, plus vivants et plus jeunes que jamais. Sommes-nous seuls ? Voilà un enfant qui naît, entre sa mère et son père adoptif, bientôt entouré par des bergers, puis des mages étrangers, puis par tout le peuple d’Israël. Il annonce que si nous demeurons avec lui, bientôt, nous serons en communion avec tous les anges et tous les saints du monde entier et de tous les temps, immense communion d’amour qui, pour notre plus grand bonheur, ne finira jamais. Joyeux Noël !

dimanche 22 décembre 2024

22 décembre 2024 - AUTREY-lès-GRAY - 4ème dimanche TO - Année C

 Mi 5, 1-4a ; Ps 79 ; He 10, 5-10 ; Lc 1, 39-45
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous pourrions commenter l’évangile de la Visitation pendant des heures, mais je vais me limiter à deux observations.
 
La première ne concerne pas seulement les deux femmes et leurs enfants, mais nous aussi, à 2000 ans d’intervalle. Il y a en effet, dans l’évangile, un jeu entre « celui qui parle » et « celui qui écoute », où « celui qui parle » n’est pas tout à fait celui qu’on croit. Commençons par Marie. Comblée de grâce, l’Esprit Saint l’ayant couverte de son ombre, elle porte en elle le Fils de Dieu. Remplie de cette puissance divine, elle salue Élisabeth.
Élisabeth est une femme normale, même si elle porte un elle un germe de puissance de Dieu, mais qui jusqu’à présent est comme endormi. Justement ce germe, Jean-Baptiste, se met à tressaillir lorsqu’à travers la salutation de Marie, il identifie la présence en elle du Fils de Dieu, de la Parole de Dieu. C’est alors seulement qu’Élisabeth est remplie d’Esprit Saint, qu’elle devient elle-même remplie de la grâce de Dieu.
Si je m’arrête là une seconde, je peux déjà observer que toute personne qui porte en elle un germe de puissance de Dieu – les anciens appelaient cela la « semence du Verbe » – cette personne est en attente d’une parole évangélique qui porte en elle la Parole de Dieu, laquelle a le pouvoir de réveiller le germe, le faire réagir, et provoquer le don de l’Esprit sur cette personne. Tous, nous portons en nous un germe de Dieu, même si nous n’en avons pas conscience, et nous attendons qu’une parole évangélique vienne le réveiller.
En regard, celui ou celle qui peut prononcer cette parole évangélique, comme Marie pour Elisabeth, doit être remplis d’Esprit Saint, porteur de la Parole de Dieu qui seule a la capacité de réveiller le germe en attente. Pour nous, il s’agit de l’Église ou de chacun de ses membres, chaque baptisé. Comme la salutation de Marie, il faut évidemment que la Parole de Dieu soit annoncée de manière joyeuse, claire, droite et forte. On n’allume pas un feu avec des allumettes mouillées.
Mais une fois que le feu a pris, la personne qui était en attente devient à son tour celle qui annonce, comme si Élisabeth devenait Marie. Cela est d’autant plus vrai qu’une fois Élisabeth devenue à son tour remplie d’Esprit Saint, elle se met à parler. Mais ce n’est pas tant Elisabeth qui parle que l’Esprit Saint qui parle en elle, ce que saint Luc indique en disant qu’Elisabeth « s’écria d’une voix forte » : « le fruit de tes entrailles est béni » ; « d’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? » ; « heureuse celle qui a cru ». Comprenons bien ici qu’en réalité c’est Dieu lui-même qui par l’Esprit Saint parle par Élisabeth à Marie : Dieu confirme Marie dans sa maternité bienheureuse.
 
Évidemment, l’Esprit Saint a dit quelque chose de très important, et c’est ma seconde observation : « le fruit de tes entrailles est béni. » Tout le monde aura compris qu’il veut dire que Jésus est béni, qu’il est le Fils de Dieu. Mais, ce que nous ne voyons pas, c’est qu’il dit exactement en même temps qu’il est aussi Fils de l’homme. Marie n’est pas seulement une couveuse de vie divine, elle est vraiment la mère charnelle de Jésus. Comment cela ?
En fait, « le fruit de tes entrailles » est pratiquement un extrait du psaume 131, que je vais vous citer selon la traduction liturgique (qui est fausse, et c’est vraiment nul) : « Le Seigneur l'a juré à David, et jamais il ne reprendra sa parole : « C'est un homme issu de toi que je placerai sur ton trône. » » En réalité, aussi bien en hébreu qu’en grec, nous avons « Le Seigneur l'a juré à David, et jamais il ne reprendra sa parole : « C'est un fruit issu de tes entrailles que je placerai sur ton trône. » La mention des « entrailles », vous l’avez compris, est absolument déterminante. Nous apprenons ici trois choses, dont une est assez subtile, mais extrêmement importante.
La première est que la Vierge Marie est une descendante de David. De manière cohérente, le protévangile de Jacques dit que son papa, Joachim, est de la tribu de Juda, descendant de la lignée David. Sa maman Anne, elle, est de famille sacerdotale, de la tribu de Lévi.
Deuxième point, puisque Marie est légitimement fille de David, c’est par elle que Jésus aussi peut être dit « Fils de David », à condition… qu’il n’y ait pas intervention d’un géniteur humain appartenant à une autre lignée. Jésus peut être dit « fils de David » par Joseph aussi, par adoption, mais il l’est d’abord charnellement, par Marie seule.
Et le troisième point, plus subtil, confirme l’ensemble. Avez-vous remarqué ce que le Seigneur a dit à David ? Que c’est « un fruit issu de tes entrailles que je placerai sur ton trône ». Mais… ce n’est pas possible ! Car dans les Écritures, d’un homme peut venir une descendance de ses « reins », ou de sa « semence », mais pas de ses « entrailles ». Seule une femme peut donner une descendance issue de ses « entrailles ». Donc le Psaume dit que le roi attendu, qui sera descendant de David, ne viendra pas d’un homme de sa lignée, mais d’une femme de sa lignée. Or depuis quand, dans un monde où les lignées sont patriarcales, une femme peut-elle produire une descendance légitime par elle-même, seule ? Le Psaume indique donc que cette femme est très particulière, et c’est normal, puisque cela ne peut être que la Vierge Marie. Ce n’est pas moi qui ait inventé cet enseignement… il nous a été transmis par saint Irénée de Lyon.
 
Donc, quand saint Luc rapporte que, par la bouche d’Élisabeth, l’Esprit Saint a dit à Marie que « le fruit de tes entrailles est béni », il l’a confirmée comme la fille de David, celle qui doit donner au monde le « fils de David » annoncé par les prophètes, par le psaume 131, et que Jésus, qu’elle porte en elle, est bien ce Roi tant attendu, qui est en même temps vraiment Dieu, don de l’Esprit, et vraiment homme, fils de David, fils de Marie.
« Le fruit de tes entrailles est béni »… tout cela en sept mots. On peut s’en souvenir, quand nous récitons le « Je vous salue, Marie ».

dimanche 15 décembre 2024

15 décembre 2024 - GY - 3ème dimanche de l'Avent - Année C

So 3, 14-18a ; Is 12, 2-3, 4bcde, 5-6 ; Ph 4, 4-7 ; Lc 3, 10-18
 
[en présence des enfants du CM1, se préparant à la première communion]
 
Chers frères et sœurs,
 
Avant de communier, on prépare toujours son cœur à recevoir Jésus, en écoutant sa Parole : la Parole de Dieu.
C’est exactement ce que font les enfants ce matin. Ils se préparent à la première communion, en vivant un certain nombre d’étapes, et aujourd’hui c’est celle de la « Parole de Dieu », par laquelle ils apprennent à mieux connaître Jésus et à préparer leur vie pour pouvoir le rencontrer réellement dans l’eucharistie.
Au fond, c’est aussi exactement ce que font les juifs qui viennent trouver Jean le Baptiste. Ils viennent écouter son enseignement, ils veulent savoir ce qu’il faut faire pour changer leur vie en bien, et se faire baptiser par lui dans le Jourdain, dans l’eau, pour acter leur décision de se convertir. Car ils pressentent que Jean Baptiste est un prophète : à travers son enseignement, à travers ses actes, à travers lui s’exprime la Parole de Dieu.
Ainsi, à travers Jean Baptiste, cette Parole de Dieu les appelle à se convertir, à préparer leur cœur à la venue du Messie, du sauveur, du libérateur, de Jésus, celui qu’ils attendent depuis si longtemps afin de trouver ou retrouver la joie, la paix et la lumière, c’est-à-dire la communion. En effet, c’est bien de la communion dont Jean Baptiste parle quand il dit de Jésus : « Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. »
 
Ici, Jean-Baptiste parle déjà de la Pentecôte, quand l’Esprit Saint descend sous la forme d’un feu sur tous les Apôtres et les disciples de Jésus réunis.
Car celui qui fait l’unité au sein de Dieu, entre le Père et le Fils, et qui fait l’unité entre Dieu et les hommes, et aussi entre les hommes, entre eux, c’est l’Esprit Saint. L’Esprit Saint est celui qui réalise l’unité, mais pas une unité où tout le monde serait pareil, comme des playmobils : on appellerait cela une « fusion » ; mais il réalise une unité où chacun est relié par amour les uns avec les autres, tout en mettant en valeur la propre personnalité de chacun. Ainsi le Père n’est pas le Fils ; Jésus n’est pas Pierre, ni Jean, ni Marie, ni Jean-Baptiste : mais avec l’Esprit Saint, chacun est lui-même, complètement lui-même et véritablement lui-même, tout en étant réellement uni aux autres dans un unique amour : et on appelle cela la « communion ».
 
Mais pourquoi « le feu » ? Mes chers amis, nous devons comprendre que notre Dieu est un amour pur ; il n’y a en lui aucune division, aucune infidélité, aucun péché. Cela veut dire qu’il ne peut pas recevoir en lui, dans sa communion, tous ceux qui sont atteints par ces maladies de la vie humaine. Vous savez bien que nous les hommes, nous sommes tous, un peu ou beaucoup, malades des divisions, des infidélités et des péchés. Or l’Esprit Saint joue un rôle guérisseur, un rôle purificateur préalable à la communion : il est en même temps un désinfectant et une pommade. Le désinfectant, ça brûle et ça pique ; et la pommade, cela soulage et cela répare.
Ainsi donc, pour que nous soyons prêts pour la communion de Dieu, nous devons d’abord nous préparer à la recevoir en écoutant sa Parole, qui déjà purifie notre cœur, en la mettant en pratique par une vie honnête, une vie sainte. Et quand nous sommes prêts, nous pouvons entrer dans la communion de Dieu, où l’Esprit Saint en même temps nous purifie de la racine de tout mal qui est en nous, et nous donne la lumière, la paix et la joie des amis de Dieu, des enfants de Dieu, avec tous les saints. C’est le baptême « dans l’Esprit Saint et le feu », et c’est en même temps la communion.
 
Chers frères et sœurs, lorsque nous célébrons l’eucharistie, nous commençons par confesser nos péchés. Puis nous écoutons les lectures à travers lesquelles la Parole de Dieu prépare nos cœurs. Puis nous prononçons la prière eucharistique, qui nous fait vivre la mort et la résurrection de Jésus. Soyons bien conscients qu’à ce moment, nous sommes entrés dans le feu qui purifie. C’est pourquoi la prière eucharistique est dite dans l’Esprit Saint, où tout est consacré par Lui : le pain et le vin qui deviennent le Corps et le Sang de Jésus, mais aussi nous tous qui sommes sanctifiés pour pouvoir recevoir la communion. C’est dans l’Esprit Saint que nous pouvons dire le Notre-Père, la prière des fils de Dieu, la prière de Jésus. Et nous savons que cette prière est exaucée lorsque nous recevons la communion. Nous pouvons recevoir le Corps très saint et le Sang très saint de Jésus parce qu’à ce moment-là, nous aussi nous sommes devenus des saints, avec tous les saints du ciel, au-dessus des anges, dans la communion de Dieu. Voilà la Bonne Nouvelle !

dimanche 8 décembre 2024

08 décembre 2024 - CHAMPLITTE - 2ème dimanche de l'Avent - Année C

 Ba 5, 1-9 ; Ps 125 ; Ph 1, 4-6.8-11 ; Lc 3, 1-6

[en présence de l'Harmonie de Champlitte, venue fêter sainte Cécile] 

Chers frères et sœurs,
 
L’évangile que nous avons entendu s’ouvre comme un livre, où deux pages se trouvent face à face.
 
Sur la première, nous avons la terre. La terre, c’est-à-dire l’espace et le temps où vivent les hommes. L’espace, c’est l’Empire romain, la Judée, la Galilée, l’Iturée, la Traconitide, Abilène, et par défaut Jérusalem où se trouve le Temple de Dieu. Mais la Parole de Dieu est adressée à Jean, dans le désert.  Et le temps, c’est le calendrier déterminé par le règne de l’Empereur de Rome, le temps des hommes. Mais aujourd’hui est un jour nouveau puisque – arrêtant le cours du temps – aujourd’hui, la Parole de Dieu fut sur Jean.
Vous savez bien que sur la ligne du temps, il suffit d’une date pour identifier un événement. Vous savez aussi que sur un plan, il faut deux coordonnées : l’abscisse et l’ordonnée. Et dans l’espace, il en faut trois : trois dimensions. Mais aujourd’hui, dans le désert, pour préciser que la Parole de Dieu s’est fait entendre, saint Luc a donné sept coordonnées. La parole de Dieu est à sept dimensions – la perfection. Et pour cela il a donné sept noms : Tibère, Pilate, Hérode, Philippe, Lysanias, Hanne et Caïphe. Telle est la première page : la réalité spatiale et temporelle du monde des hommes dans laquelle – tout à coup – aujourd’hui, Dieu parle.
 
Sur la seconde page, qui fait face à la première, c’est le ciel. Ou plus exactement le ciel qui prend possession de la terre et la transfigure : l’Esprit de Dieu qui transforme tout en harmonie lumineuse, en communion d’amour. À écouter la prophétie d’Isaïe, on a l’impression qu’il s’agit surtout de travaux titanesques de tractopelles et de bulldozers : « toute montagne et toute colline seront abaissées […] les chemins rocailleux seront aplanis. » Mais, nos pères les Hébreux ne parlaient pas comme nous, avec des concepts, comme les philosophes grecs, mais ils utilisaient des images pour parler des réalités de Dieu. Il faut donc traduire leur langage, pour les comprendre.
Pour ce faire, je vais moi aussi utiliser une image. Prenez… la musique. La musique se donne à voir d’abord dans une partition, feuille couverte de notes et de signes, qui seuls ne donnent aucun son. C’est le désert : tout est en attente. On n’entend que le silence. Il faut « préparer le chemin du Seigneur » : il faut que la musique s’entende.
Pour cela on appelle des musiciens, avec leurs instruments. Les musiciens représentent tous les hommes, des plus pécheurs aux plus souffrants : les plaines, dans la Bible sont aussi bien le lieu de Babel et de Sodome et Gomorrhe que le lieu où Jésus prononça les Béatitudes. Les instruments sont comme les ravins, le lit des rivières qui, asséchés attendent qu’en eux coule une eau vive : les instruments attendent de servir, ils attendent le souffle, ils attendent le mouvement, la vie.
Mais si chaque musicien joue sa propre partition, sans direction, sans rythme, c’est la dissonance, la cacophonie. Ce sont les montagnes, les collines, qui doivent être abaissées, dirigées par la seule véritable montagne légitime, la montagne de Sion, où se tient la présence de Dieu : Jérusalem ; c’est-à-dire le chef d’orchestre, pour rythmer, pour diriger, pour donner l’harmonie à l’ensemble.
Mais cela ne suffit pas. Vous le savez bien : il ne suffit pas qu’un musicien soit bon, qu’il soit bien dirigé et dispose d’un bon instrument pour jouer de la musique. Je veux dire, pas des notes, mais de la musique, dans laquelle passe un esprit : quand le musicien lui-même, et tout l’auditoire avec lui, est emporté par la Musique dans la beauté qui élève l’âme et qui, parfois fait remonter du plus profond de soi des larmes. C’est quand les « passages tortueux deviennent droits » ; quand les rigidités, les froideurs, sont évincées par la souplesse et la chaleur de la Musique, quand ce n’est plus le corps qui dirige l’instrument, mais l’âme à travers le corps. Quand l’âme, le corps et l’instrument ne font plus qu’un.
Alors « tout être vivant verra le salut de Dieu ». C’est quand on est au sommet de la Musique ; quand grâce à Esprit qui l’anime, la communion s’est faite entre tous ; que les musiciens et les instruments lui obéissent, et les notes sur les partitions ne sont plus des commandements, mais des empreintes, des signes, faible témoignage d’un instant de beauté tout aussi éternel au ciel, que fugitif sur la terre.
 
Voilà chers frères et sœurs, les deux pages de l’évangile de ce jour : d’un côté, le monde des hommes, de tous les hommes, est en attente de la Musique qui vient de Dieu, la musique de l’âme habitée par l’Esprit, qui conduit à la communion, de l’autre. Et voilà qu’aujourd’hui, dans le désert, Jean le Baptiste, le fils de Zacharie, vient briser le grand silence et commence à battre la mesure, « en proclamant un baptême de conversion pour le pardon des péchés », en appelant les musiciens de toute la terre, de tous les temps, de tout l’univers, à préparer leur instrument, leur vie, et leur âme, à se laisser guider par l’Esprit, à entrer dans la Musique, la Musique de Dieu.
L’exercice de cette Musique, chers frères et sœurs, dans une Église qui en est comme l’instrument, c’est la liturgie. À nous de jouer maintenant, sous la conduite de l’Esprit Saint, pour qu’Il nous conduise au point d’orgue : la sainte communion.

dimanche 1 décembre 2024

30 novembre - 01 décembre 2024 - SOING - VAUCONCOURT - 1er dimanche de l'Avent - Année C

Jr 33, 14-16 ; Ps 24 ; 1 Th 3, 12-4, 2 ;  Lc 21, 25-28.34-36
 
Chers frères et sœurs,
 
Il y a deux semaines, nous avons déjà entendu dans l’évangile de Marc cet enseignement donné par Jésus à ses Apôtres. Aujourd’hui, nous sommes dans l’évangile de Luc, qui rapporte les mêmes propos de Jésus, mais en insistant sur des points différents. Saint Luc est le spécialiste des petits cailloux, des mots choisis et placés avec soin dans son texte, pour nous renvoyer à d’autres passages, que ce soit de son évangile ou bien aux Écritures, à l’Ancien Testament. C’est alors, quand on fait le lien avec les autres textes, qu’on peut vraiment comprendre ce qu’il a voulu nous dire. Il faut donc partir à la recherche des petits cailloux.
 
Dans la première partie de notre évangile, j’en ai trouvé au moins deux. Le premier est le mot « flots » : « les nations seront affolées et désemparées par le fracas de la mer et des flots. » Déjà, nous pouvons observer qu’il y a un redoublement de la même image : la mer et les flots. Pourquoi avoir ajouté les « flots » ? Dans l’évangile de Luc, nous retrouvons les « flots » au chapitre 8, lorsqu’il est question de la tempête apaisée. Souvenez-vous : « Les disciples s’approchèrent et le réveillèrent en disant : « Maître, maître ! Nous sommes perdus ! » Et lui, se réveillant, menaça le vent et les flots agités. Ils s’apaisèrent et le calme se fit. » Les deux évangiles de la tempête apaisée et de la fin du monde doivent donc se comprendre ensemble. La tempête apaisée est une annonce de la passion, de la mort et de la résurrection de Jésus ; la fin du monde ressemblera donc aussi à une passion, une mort et une résurrection.
Et cela est tellement vrai que saint Luc nous le précise avec le deuxième caillou : « Quand ces événements commenceront, redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche » Le mot-cailloux est « redressez-vous ». Celui-là est bien caché, il faut le dire ! Mais la traduction française n’est pas si mauvaise. Dans la vieille version syriaque, le verbe employé est très rare ; ce n’est pas « redressez-vous » mais « regardez ». Il n’est employé que dans le Cantique des Cantiques pour la rencontre amoureuse du bien-aimé et de la bien-aimée, et dans l’évangile de Luc, pour la résurrection de Jésus : «  mon bien-aimé, pareil à la gazelle, au faon de la biche. Le voici, c’est lui qui se tient derrière notre mur : il regarde aux fenêtres, guette par le treillage. Il parle, mon bien-aimé, il me dit : Lève-toi, mon amie, ma toute belle, et viens… » ; et dans l’évangile de Luc, au chapitre 24 : « Alors Pierre se leva et courut au tombeau ; mais en se penchant, il regarda les linges, et eux seuls. Il s’en retourna chez lui, tout étonné de ce qui était arrivé. » Ainsi, saint Luc veut nous dire que, si d’un côté tout s’écroule dans le vacarme des flots, par la foi nous sommes invités à porter un regard particulier, un regard amoureux même, sur Jésus ressuscité qui vient, comme le bien-aimé auprès de sa bien-aimée, car notre rédemption, notre libération, est proche. Saint Marc avait dit presque la même chose : il avait aussi fait allusion au Cantique des Cantiques ; il avait fait le lien avec le bien-aimé qui frappait à la porte.
Devant les épreuves, au milieu des épreuves, les chrétiens sont donc invités à poser un regard particulier sur la réalité, un regard marqué par la foi – une foi amoureuse. Comme on discerne les bourgeons sur le figuier pour se réjouir, déjà, de la venue prochaine du printemps.
 
Cependant, Jésus poursuit son enseignement car il sait très bien que l’attente, la veille, sera difficile : l’homme sera partagé entre le désespoir et l’abandon qui conduisent à l’indignité, d’un côté ; et la foi et l’espérance, de l’autre. Jésus met en garde ses disciples contre l’alourdissement du cœur. Celui qui a le « cœur lourd », c’est Pharaon. Il endurcit son cœur, s’enferme sur lui-même et devient aveugle à la réalité de Dieu. Pour les Hébreux, le cœur est le lieu de l’intelligence : celui qui a le « cœur lourd », est un aveugle : il a l’intelligence obscurcie – il ne « regarde » pas, il ne « voit » pas, il ne « comprend » pas. La conséquence de cet athéisme, de ce désespoir, conduit l’homme aux « beuveries » – on devrait plutôt traduire par « orgies », quand on se livre à toutes les passions charnelles ; à « l’ivresse » – les addictions multiples qui font oublier la réalité ; et, pas tant les « soucis de la vie » que les « séductions du monde » – la dispersion dans mille affaires au détriment de l’unique nécessaire. Abandon aux passions, déconnexion du réel, dispersion de soi ; voilà les risques encourus par celui qui perd le regard de la foi.
Inversement, celui qui reste éveillé et qui prie aura la force d’échapper au malheur et de se tenir debout devant le Fils de l’homme, c’est-à-dire devant Jésus ressuscité. Il y a ici deux points à souligner pour bien comprendre Jésus ou saint Luc :
Le premier n’est pas évident pour une question de traduction. Il y a dans l’évangile une opposition entre les habitants de la terre qui ont le « cœur lourd » – ceux-ci sont assis sur la terre – et ceux qui sont éveillés et qui prient : ceux-là pourront se tenir debout devant le Fils de l’homme. Ceux qui se tiennent debout sont les baptisés, les ressuscités. C’est pourquoi par exemple, on prie toujours le Notre-Père debout.
Le second point est aussi lié à une question de traduction : « Priez en tout temps, ainsi vous aurez la force » ; on peut aussi traduire : « priez afin d’être dignes ». Dans les deux cas, ce qui donne la force ou qui rend digne de se trouver debout devant le Fils de l’homme, c’est-à-dire devant Dieu, c’est l’Esprit Saint. L’objectif de la prière est l’acquisition de l’Esprit Saint, qui rend fort et digne de se présenter les mains pures, le cœur pur, le cœur léger, l’intelligence éclairée, debout, devant Dieu, pour recevoir de lui la vie éternelle.
 
Chers frères et sœurs, contre toutes les passions, addictions, ou dispersions mortelles, nous pouvons acquérir l’Esprit Saint qui rend fort et digne, en portant un regard amoureux, un regard de foi, sur Jésus ressuscité et en le priant de jour comme de nuit sans nous lasser. Alors, le jour venu, nous le verrons et nous serons tels que nous le verrons, dans la paix, la joie et la lumière.
 

dimanche 24 novembre 2024

24 novembre 2024 - PESMES - 34ème dimanche TO - Solennité du Christ roi de l'univers

Dn 7, 13-14 ; Ps 92 ; Ap 1, 5-8 ; Jn 18, 33b-37
 
Chers frères et sœurs,
 
Lorsque Dieu a créé l’homme, il n’a pas voulu que celui-ci soit seul. Avec Adam, il a aussi créé Ève, la mère des vivants. C’est-à-dire que Dieu a voulu une multitude d’hommes et de femmes : il a voulu l’humanité, avec la vocation que celle-ci demeure dans son amour, dans sa communion, dans sa gloire.
Nous savons que l’humanité n’a pas compris cette vocation et s’est éloignée de Dieu. Mais Dieu lui a conservé son amour et a suscité en son sein un peuple particulier : le peuple d’Israël comme peuple prophétique pour toutes les nations. La prophétie consiste en une alliance entre Dieu et son peuple qui deviendra une alliance nouvelle entre Dieu et l’humanité, où Dieu sera l’époux et l’humanité l’épouse.
La royauté est aussi une prophétie. Car, du point de vue humain, il n’y a pas de peuple s’il n’y a pas de roi, comme il n’y a pas de roi sans peuple. Avant Saül le premier roi d’Israël, Dieu se considérait lui-même comme le roi de son peuple. Pour le guider, il lui donnait des prophètes comme Moïse, ou des juges comme Samson. Mais pour faire comme tous les autres peuples de la terre, Israël a voulu avoir un roi visible, un roi humain. Dieu a acquiescé. C’est ainsi que Saül, puis David, puis Salomon sont devenus rois.
Après la chute de son royaume, l’exil, la dispersion, la mise sous tutelle par l’Empire romain, ont demeuré la nostalgie et l’attente pour le peuple d’Israël d’un roi libérateur. C’est ainsi que le Messie attendu devait être un roi, pour que reprenne, pour que continue, la royauté de Dieu sur son peuple, sa bénédiction d’âge en âge.
Or voilà l’ambiguïté de la royauté de Jésus : il était attendu par les Juifs comme roi libérateur qui régnerait sur Israël comme autrefois David ou Salomon. Par conséquent il était suspecté par les Romains d’apparaître effectivement comme tel, comme rebelle au pouvoir de l’Empereur, et donc voué à une condamnation à mort.  Mais pour Jésus, sa royauté n’est pas celle d’un pouvoir temporel, mais du seul pouvoir réel et véritable : celui du règne de Dieu, dans l’amour et la vérité.
Le peuple dont Jésus est le roi est celui des élus : le peuple d’Israël, pour lequel l’alliance avec Dieu est irrévocable, les chrétiens qui lui sont greffés par le baptême, et les justes que Dieu seul connaît. Telle est la royauté de Jésus : une royauté du ciel, réalisation de la volonté première de Dieu : qu’une multitude d’hommes et de femmes demeure dans son amour, dans sa communion, dans sa gloire. Et remarquons qu’alors Jésus – qui est Dieu et homme – est en même temps Dieu lui-même qui règne sur son peuple, et un roi humain selon le souhait de l’ancien Israël. Car Dieu tient sa parole.
 
Nous mesurons donc l’incompréhension qu’il y a entre Pilate et Jésus, dans l’évangile d’aujourd’hui. Pilate soupçonne Jésus de se prétendre « roi des Juifs » puisque c’est ainsi qu’on le lui a présenté ou plutôt dénoncé. Mais Jésus le prend à contre-pieds, en lui demandant si il croit lui-même à cette accusation ? Mesurons bien la profondeur de l’échange. Pilate cherche à savoir qui est vraiment Jésus et s’il est coupable de lèse-majesté, tandis que Jésus cherche à toucher l’âme de Pilate, comme Dieu cherche l’âme de tout homme, sa créature depuis l’origine.
Pilate esquive la question : « Est-ce que je suis Juif, moi ? » Il revendique une forme de liberté : il n’est pas dépendant de la Loi de Moïse ; il ne reconnaît pas à Jésus d’autorité sur lui, mais il revendique l’autonomie de son tribunal : « Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi, qu’as-tu donc fait ? » Voilà la République romaine qui juge Dieu, porté au tribunal par les siens.
Jésus décline alors son identité, et récuse toute tentative de prise de pouvoir : il est roi du ciel ; il n’exerce aucune puissance sur la terre : « Mon royaume  n’est pas de ce monde ; si il était de ce monde, j’aurais des gardes  qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, mon royaume  n’est pas d’ici. »
Pilate relève l’information sur l’identité de Jésus : « Alors, tu es roi. » Cette fois-ci Jésus constate que Pilate ne raisonne plus par ouï-dire, mais que l’affirmation vient de lui-même : « C’est toi-même qui dis que je suis roi. » L’homme a fait un pas : il reconnaît une possible royauté de Dieu ; et Dieu aussi fait un pas : il reconnaît la liberté personnelle de l’homme à croire ou à ne pas croire. En fait, il lui ouvre une porte, d’où l’explication qui suit : « Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. » La vérité dont parle Jésus est l’adéquation entre ce que l’on pense et ce que l’on fait, soit l’inverse de l’hypocrisie ou de la dissimulation. Dieu est vérité en ce qu’il dit ce qu’il fait, et qu’il fait ce qu’il dit. Or Dieu est un Dieu d’amour : la vérité consiste donc à vouloir la communion avec l’humanité et à la réaliser dans le don de soi-même, fût-ce dans le pardon. Tout homme, croyant ou non, qui est mû par sa conscience et veut mener une vie droite, est normalement sensible à cette vérité de Dieu ; c’est pourquoi Jésus ajoute : « Quiconque appartient à la vérité  écoute ma voix. »
Dramatique instant, où en Pilate l’homme est seul face à son Dieu, qui lui parle le langage de la vérité à travers sa conscience, et l’appelle à la foi. En réalité, devant la lumière, c’est l’homme qui se juge lui-même : va-t-il se laisser éclairer ? ou choisir de se retirer dans les ténèbres ? Le tribunal de Pilate n’est pas tant le jugement de Dieu par l’homme que le jugement de l’homme par lui-même, en présence de Dieu qui lui offre son amour en vérité, et son pardon. La suite appartient à chacun.
 

dimanche 17 novembre 2024

16-17 novembre 2024 - SAVOYEUX - LAVONCOURT - 33ème dimanche TO - Année B

Dn 12, 1-3 ; Ps 15 ; He 10, 11-14.18 ; Mc 13, 24-32
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous arrivons à la fin de l’année liturgique, qui est un résumé de l’histoire de l’univers. Cette histoire avait débuté au commencement – la Genèse du monde et de l’homme ; la chute d’Adam et Eve ; l’espérance d’un Sauveur. Elle avait continué par l’histoire de ce Sauveur, Jésus, de sa naissance à sa résurrection, et son ascension ; et elle se termine par l’Apocalypse : le jugement de l’univers et la venue du Seigneur en gloire, dans la communion des saints. Aujourd’hui, Jésus enseigne à ses disciples ce qu’il en sera du jour de sa venue.
Ces derniers temps, il se tenait dans le temple. Il y avait débattu avec les autorités d’Israël sur la manière de porter du fruit pour Dieu, en aimant Dieu et son prochain, en donnant toute sa vie pour eux. Maintenant, Jésus est sorti du temple et on lui a fait remarquer combien celui-ci était beau, impressionnant. De fait, à l’époque, le temple de Jérusalem est le plus grand temple du monde. Et l’on vient de partout pour les grandes fêtes, notamment pour Pâques. C’est un lieu de pèlerinage considérable.
Or Jésus indique à ses disciples que de ce temple, il ne restera pas pierre sur pierre. Ceux-ci sont interloqués, et ils lui demandent quand et comment cela arrivera. Et Jésus de leur répondre en évoquant des rumeurs de guerre, des faux messies, des persécutions, des trahisons dans les familles, tandis que l’Évangile sera porté à toutes les nations. À un moment « l’Abomination de la désolation sera installée là où elle ne doit pas être » – c’est un peu mystérieux – et il faudra fuir aussitôt dans les montagnes, sans rien emporter, sans se retourner. Ce sera un moment de grande détresse, où surgiront de faux messies, de faux prophètes, pour égarer les élus, c’est-à-dire les baptisés.
Et nous arrivons à l’évangile de ce dimanche. L’enseignement de Jésus est presque mot pour mot un condensé de l’Ancien Testament, où l’on retrouve des citations de nombreux prophètes : Joël, Isaïe, Ézéchiel, Daniel, Zacharie, Amos, Sophonie… Quand Jésus parle, ses auditeurs voient remonter dans leur esprit tout leur catéchisme en quelque sorte. Jésus n’invente rien : il explique que ces « jours-là », annoncés par les prophètes vont se réaliser.
 
Il y a deux manières de concevoir cette réalisation. La première est tout simplement la mort, la résurrection et la glorification de Jésus : sa Pâque. La seconde est la fin du monde elle-même, à la fin des temps, la naissance du monde nouveau. Mais la Pâque de Jésus renvoie à la fin des temps : elles s’expliquent l’une par l’autre.
 
Pour la Pâque, il faut se souvenir que, dans Ézéchiel, quand il est question de l’obscurcissement du soleil et de la lune, il s’agit d’une complainte adressée au Pharaon d’Égypte où le fils de l’homme lui annonce sa destitution et sa perte. Et vous vous souvenez qu’au moment où Jésus meurt en croix, il y a une éclipse de soleil et l’on entre dans la nuit. Pâque a lieu durant la nuit. Les étoiles qui tombent du ciel et les puissances célestes qui sont ébranlées, ce sont Pharaon et ses armées, mais ce sont aussi Satan et ses anges, les démons, qui sont vaincus et chassés des cieux.
Voilà ce que dit Jésus : de même que Pharaon et son armée ont été vaincus dans la nuit de Pâque, de même le Fils de l’homme – c’est-à-dire lui-même – va vaincre Satan et ses anges dans ce moment de grande détresse où le soleil est obscurci et où la lune ne donne plus sa clarté. Cela, Jésus le fait lors de sa propre Pâque, et notamment durant son Ascension au ciel, tandis que les Apôtres sont perclus de peur, au Cénacle.
Et justement, « on verra le Fils de l’homme venir dans les nuées avec grande puissance et avec gloire ». C’est la vision de Jésus ressuscité, dont le corps n’obéit plus aux lois physiques de la création, et qui se présente comme un corps de communion. La gloire de Dieu, c’est la communion des saints, dans la paix, la joie et la lumière. Voir Jésus ressuscité, vainqueur de la mort, c’est constater qu’il a vaincu le Pharaon de ce monde. Alors « il enverra ses anges pour rassembler ses élus des quatre vents » : en effet, c’est la Pentecôte où Jésus envoie ses apôtres, ses disciples, évangéliser par toute la terre, pour rassembler les élus – les baptisés – en un seul peuple, dans sa communion, dans sa gloire.
Nous voyons bien que Jésus voit au-delà du temple matériel qu’il a sous les yeux, car il pense toujours au temple de son corps : le jour de détresse, c’est le jour de sa Pâque, la Pâque qui conduit à la Pentecôte. C’est ainsi que Jésus peut facilement dire que « cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive », puisqu’en effet, la Pâque de Jésus est toute proche.

Cependant, ce que dit Jésus peut aussi s’appliquer à la fin du monde en tant que tel. Dans ce cas, le temple qui sera détruit, le corps de Jésus qui sera défait avant d’être relevé transfiguré, c’est l’Église. Le corps n’échappera pas au sort qui est celui de la tête, et les tribulations que vivront les élus seront terribles. Mais le Seigneur frappera à la porte à l’improviste, comme l’époux du Cantique des Cantiques frappe lui-même à la porte de sa bien-aimée, pour lui porter son amour. C’est pourquoi Jésus insistera tellement pour que les élus, les baptisés, demeurent éveillés pour attendre sa venue, comme un époux qui vient dans la nuit, car alors il sera leur délivrance et leur vie. C’est la Pâque, hier, aujourd’hui et demain. Dieu est toujours le Dieu de la vie.
 

dimanche 10 novembre 2024

10 novembre 2024 - GRAY - 32ème dimanche TO - Année B

 1 R 17, 10-16 ; Ps 145 ; He 9, 24-28 ; Mc 12, 38-44
 
Chers frères et sœurs,
 
Comment lisons-nous l’Évangile ? Il y a une lecture qui consiste à s’insurger contre le cléricalisme insupportable des scribes et à s’apitoyer sur le sort de la pauvre veuve, injustement exploitée. Et Jésus de glorifier victorieusement cette dernière après avoir condamné lourdement les premiers. De fait, la leçon ne vaut pas seulement pour les scribes de Jérusalem d’hier, elle est aussi un avertissement sévère pour ceux de l’Église d’aujourd’hui. D’ailleurs, en attirant leur attention sur le geste généreux de la pauvre veuve, c’est bien à ses disciples seuls, et non à la foule en général, que Jésus s’adresse. Les voilà prévenus, et moi aussi !

Cependant, si on s’arrête à ce niveau de lecture, après qu’il ait reproché aux scribes, grands-prêtres et pharisiens, de vivre vissés dans l’observance de la Loi et d’y enfermer tout le monde – sans que personne ne puisse vraiment y vivre en conformité – on a tôt fait de Jésus un « père-la-morale » qui surenchérit dans l’échelle de la moralité. Comme l’observent souvent les disciples avec stupeur, dans bien des cas, l’évangile paraît à ce point exigeant qu’il en est humainement impraticable. Par extension, une telle approche transforme également tous les évangélisateurs et les prédicateurs en moralistes, prêchant un nouvel ordre moral. On ne voit pas très bien, alors, où est la bonne nouvelle ?

Mais on peut faire une lecture différente de notre évangile, où la morale de l’histoire n’est pas tout à fait la même. Au lieu de nous enfermer dans une culpabilité malsaine, elle nous ouvre au contraire une porte vers le ciel. En tous cas, je l’espère.

La première chose à faire quand on lit un passage de l’évangile est de se demander où et quand exactement la scène se passe. Ici, Jésus après avoir franchi le Jourdain, a guéri Bartimée à Jéricho, puis est monté à Jérusalem, y est entré en triomphe assis sur un âne et a pénétré dans le temple pour en chasser les marchands. C’est alors qu’il est entré en débat avec les autorités d’Israël. Comprenez que, tel Josué, Jésus est entré en Terre promise et en a entrepris la libération, puis la purification jusqu’en son cœur, pour y faire entrer en possession son peuple, le peuple des sauvés, des baptisés. Dans le temple où se trouve Jésus, l’objet des débats est donc le cœur de la foi, la nature même de la relation de l’homme avec Dieu. C’est essentiel de comprendre cela.
 
Dans notre évangile, il y a une opposition construite entre les scribes d’un côté et les veuves de l’autre. Les scribes sont les représentants d’une religion faite d’apparence extérieure, qui n’exprime pas un besoin vital, mais seulement une activité sociale somme toute accessoire : on va au temple comme on va au théâtre, pour se faire bien voir. En aucun cas, la vie des scribes ou des riches donateurs ne semble menacée, et même, par leurs dons généreux ils peuvent se targuer de permettre au temple de fonctionner. Au contraire, les veuves sont l’expression d’une religion où la relation avec Dieu est un enjeu vital : le devenir du temple ne dépend pas du don de la veuve, en revanche le devenir de la veuve dépend bien de la bénédiction de Dieu qui habite dans le temple. On voit donc que Jésus désigne quelle doit être la nature de la religion entre l’homme et Dieu : c’est une relation vitale.

Mais on peut faire un pas de plus. Pourquoi une veuve ? Et pourquoi pas un veuf ? Ou une Galiléenne ? Ou un samaritain ?... Jésus a vu une veuve, et c’est bien une veuve qui l’a impressionné. Ce n’est pas un hasard. La veuve, dans l’Évangile, c’est la femme qui a perdu son époux, qui a la nostalgie de son époux, qui espère et qui attend de le retrouver dans la vie éternelle. Cette veuve, pour un chrétien : c’est l’Église. Et même, si on veut donner plus d’intensité ou de chair à cette figure de l’Église, c’est la Bienheureuse Vierge Marie. Jésus est toujours sensible aux veuves parce qu’à travers elles, il voit la figure de sa mère. Il ne faut jamais l’oublier. Et c’est pourquoi dès les débuts les veuves ont toujours eu une place très particulière dans l’Église, et même un statut en particulier. Parce qu’elles sont la figure-même de l’Église qui attend son époux, le Christ Jésus, son Seigneur.

Donc, en désignant la veuve qui fait son offrande, Jésus enseigne à ses apôtres quelle est la religion attendue par le Père, la religion de l’Église : dans l’humilité, et même dans une grande pauvreté de moyens, l’Église honore son Dieu, verse deux piécettes dans le trésor du temple, fait avec foi l’offrande d’elle-même en sacrifice, dans l’attente, dans l’espérance, de la bénédiction du Seigneur, de son retour. On voit, à la lumière de l’histoire de la veuve de Sarepta que l’offrande du pain qui lui est demandée, qui vaut pour elle offrande de toute sa vie – et celle de son fils – est non seulement une offrande agréée mais elle est aussi une offrande inépuisable jusqu’au retour de la pluie – c’est-à-dire jusqu’au jour de la bénédiction de Dieu. Comprenons que l’offrande de l’eucharistie – si peu de choses en pratique – mais qui doit signifier pour nous toute notre vie, est non seulement l’offrande attendue par Dieu, mais qu’elle nous est donnée en nourriture jusqu’au retour de Jésus, Pentecôte définitive.
 
Chers frères et sœurs, Jésus est assis dans le temple : il est assis parce qu’il est en train d’exercer le jugement. Ainsi donc, nous serons jugés à la manière dont nous vivons notre relation avec le Seigneur. Ou bien, nous le traitons en valet, auquel nous accordons avec condescendance l’accessoire de notre vie, tout en affectant d’être les plus pieux des hommes – et nous serons sévèrement jugés ; ou bien nous le regardons comme la source unique de toute notre vie, pour laquelle nous ne savons et ne pouvons offrir que notre pauvre indigence, ou un peu de pain et un peu de vin, pour qu’ils les transforment et nous transfigure avec, dans sa vie éternelle, dans sa communion.

dimanche 3 novembre 2024

02-03 novembre 2024 - CHARCENNE - NEUVELLE-lès-LA CHARITE - 31ème dimanche TO - Année B

Dt 6, 2-6 ; Ps 17 ; He 7, 23-28 ; Mc 12, 28b-34
 
Chers frères et sœurs,
 
Lorsque Jésus a la discussion que nous avons entendue avec le scribe, il se trouve dans le temple de Jérusalem. En effet, il a quitté Jéricho – c’est l’évangile de dimanche dernier – et il est monté à Jérusalem. Il y est entré assis sur un âne, comme on fait pour les rois à leur intronisation, puis il a chassé les marchants du temple. Il est alors entré en discussion avec les grands prêtres, les partisans d’Hérode, les pharisiens, les saducéens et maintenant un scribe. Évidemment, les discussions tournent autour de l’identité et de l’autorité de Jésus, et de son rapport à la Loi de Moïse.
 
Même si Marc, Matthieu et Luc, qui rapportent la même discussion entre Jésus et le scribe, la traitent différemment, l’idée de fond demeure la même : quel est le véritable culte que l’homme doit rendre à Dieu ? La question est importante, car de la réponse qu’on lui apporte dépendent non seulement la bénédiction d’une vie heureuse ici-bas, mais surtout l’assurance de la vie éternelle, dans la communion de Dieu. Évidemment, il n’est pas anodin de poser la question sur le vrai culte que l’homme doit rendre à Dieu alors que Jésus et le scribe se trouvent justement dans le temple.
 
Comme le scribe est un bon rabbin, il va directement à l’essentiel : toute question religieuse doit trouver sa solution dans la Torah, dans la Loi donnée par Dieu à Moïse. D’où la question : « Quel est le premier de tous les commandements ? » Naturellement Jésus, qui est aussi un bon rabbin, répond par la Torah. Il cite le « Shema Israël », le « Credo des juifs » pour faire court : « Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. » Il s’agit d’une citation du Deutéronome. N’importe quel Juif connaît le Shema Israël depuis son enfance et on le récite pour lui à sa mort. Donc le vrai culte de Dieu, c’est d’aimer Dieu, avant toute chose.
Mais Jésus ajoute un second commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Il s’agit d’une citation du Lévitique. On est toujours dans la Torah. Jésus affirme ici que le vrai culte attendu par Dieu n’est pas seulement de l’aimer lui seul, mais aussi que les hommes s’aiment les uns les autres. En fait, ce second commandement définit comment on doit aimer, aussi bien Dieu que les autres. On n’aime vraiment que lorsqu’on est au service les uns des autres, qu’on est prêt à donner sa vie les uns pour les autres, pas seulement en intention, mais aussi en pratique.
 
Le second commandement donné par Jésus est un test de vérification du premier commandement, sur la manière d’aimer Dieu de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute son âme, de tout son esprit, de toute sa force – donc en se donnant soi-même tout entier, en s’offrant soi-même en sacrifice.
Ce n’est donc pas pour rien que le scribe avalise la double réponse de Jésus et ajoute son propre commentaire : aimer Dieu et aimer son prochain « vaut mieux que toute offrande d’holocauste et de sacrifices ». En effet, l’offrande de soi-même par amour est bien supérieure à toute offrande rituelle de biens matériels ou d’animaux.
La réponse à la question sur le véritable culte à rendre à Dieu pour obtenir de lui ses bénédictions, et la vie éternelle, se trouve donc dans l’affirmation de la Loi sur l’amour de Dieu et du prochain, que Jésus formalisera autrement par cette parole : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. »
 
Cela invalide-t-il les sacrifices du temple et tout rite religieux en général ? Non. Cela les invalide si ils sont pratiqués pour eux-mêmes, juste pour le rite, pour la forme. Mais si ils sont bien des rites voulant exprimer le don soi par amour, en offrant des biens précieux pour signifier autant que possible cet amour, et dans un esprit d’amour pour Dieu et pour les hommes, alors ils sont non seulement légitimes, mais ils sont une manière juste d’exprimer le mystère de l’amour.
Pensez au rituel du mariage, où l’homme et la femme se donnent l’un à l’autre par amour. Ce rituel n’a pas de sens si il n’y a pas l’intention première de l’amour mutuel. Et pourtant il n’y a pas de plus beau rituel pour exprimer l’amour, si ce n’est celui de la messe où Jésus s’offre lui-même à son Père par amour pour nous.
Ainsi, si Jésus a chassé les marchands du temple, s’il a reproché aux grands prêtres de mal s’occuper de la vigne d’Israël, s’il a donné sa bénédiction au scribe, s’il a dit aux apôtres lors de la Cène : « Vous ferez cela en mémoire de moi », ce n’est pas pour invalider les rites, mais c’est pour rappeler leur sens profond qui est l’expression du vrai culte qu’il faut rendre à Dieu.
 
Ainsi donc, Jésus et le scribe sont d’accord sur la question essentielle du rapport de l’homme avec Dieu, qui est une offrande, un don de soi par amour. C’est d’ailleurs ce que Dieu lui-même a fait le premier à notre égard, puisque Jésus a donné sa vie sur la croix par amour pour nous. Dieu nous a fait don de lui-même, pour que nous soyons réconciliés avec Lui ; pour que nous vivions avec Lui dans sa vie éternelle. En définitive, ce que nous faisons ici, à la messe, ce n’est que rappeler à Dieu le geste qu’il a lui-même fait pour nous, en ayant foi que par ce rite, Dieu reconnaisse, et son amour pour nous, et notre amour pour lui, pour que nous aussi – et ceux que nous aimons – puissions accéder à la vie éternelle, à la communion, demain et déjà aujourd’hui.

vendredi 1 novembre 2024

01 novembre 2024 - GY - Solennité de Tous les Saints - Année B

 Ap 7, 2-4.9-14 ; Ps 23 ; 1 Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12a
 
Chers frères et sœurs,
 
Un épisode évangélique, un sacrement, tout événement spirituel est toujours à trois dimensions : le passé, le présent, et l’avenir, où le présent est caché dans le passé, et l’avenir est caché dans le présent. Voici comment.
 
Dans l’évangile d’aujourd’hui, l’attitude de Jésus qui monte sur la montagne, s’assied et ouvre la bouche pour enseigner les Béatitudes rappelle évidemment à tous l’épisode de Moïse qui monte sur la montagne pour y entendre la Parole de Dieu qui lui enseigne les dix commandements de la Loi. C’est le rappel du passé.
Nous tous, qui comme les foules sommes rassemblés dans cette église comme sur la montagne pour y écouter l’évangile proclamé au nom de Jésus, nous rendons actuelle cette Parole de Dieu. Nous voilà devenus contemporains des foules de Galilée. Les Béatitudes nous sont données à nous aussi, aujourd’hui : c’est le présent.
Ce que le livre de l’Apocalypse nous apprend, c’est qu’à notre mort, nous monterons au ciel, avec les hommes de tous les lieux et de tous les temps, tous les baptisés, pour être réunis autour du trône de l’Agneau pour y connaître le Seigneur, pour entrer dans sa communion et en vivre. Alors la Loi, commandements extérieurs et les Béatitudes appels intérieurs, seront comme intégrés à tout nous-mêmes par l’Esprit Saint, comme une nouvelle nature, la nature divine qui nous habitera : c’est l’avenir.
Un épisode évangélique comme une célébration liturgique ne sont donc pas laissés à notre libre interprétation, ou à notre créativité, car ils sont mémoire, action actuelle efficace, et prophétie de l’avenir. La Parole de Dieu agit hier, aujourd’hui et demain, portant le même message mais en l’approfondissant, jusqu’à nous conduire jusqu’à l’intérieur d’elle-même, ou d’habiter elle-même en nous, pour faire une communion.
 
Ainsi, dans l’évangile des Béatitudes, Jésus révèle à ses disciples ce qui est caché à l’intérieur de la Loi de Moïse. La Loi formulait plutôt des interdits : « tu ne tueras pas » ; « tu ne voleras pas »… ces interdits sont comme la clôture d’un jardin : si tu passes outre, tu sors du jardin et tu te perds.
Les Béatitudes indiquent au contraire ce qu’il y a dans le jardin : ce sont des affirmations. Elles disent qu’il y a un arbre de bonheur, un arbre de vie, dans le jardin : « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des cieux est à eux » ; « Heureux ceux qui pleurent car ils seront consolés ». Pour ceux qui sont dans le jardin, et qui ne pensent même pas à en sortir, en transgressant la Loi de Moïse, il est proposé un arbre de vie qui donne plusieurs fruits : les pauvres de cœurs sont ceux qui sont innocents comme des agneaux ; ceux qui pleurent sont ceux qui sont contrits par leur péché, meurtris par le mal et les souffrances qui traversent le monde ; les doux sont si humbles et si abandonnés que, ne possédant rien, en réalité, ils sont libres de tout ; les cœurs purs – le cœur étant chez les Hébreux le siège de l’intelligence – ont des pensées droites et pures, et sont donc en capacité de voir Dieu ; les artisans de paix sont habités d’une paix profonde, le repos, qui rayonne de manière apaisante autour d’eux. Voilà les fruits de l’arbre de vie qui est dans le jardin délimité par la Loi. Mais évidemment, cette vie qui irrigue l’arbre semble demeurer cachée aux yeux des disciples qui écoutent parler Jésus sur la montagne. Jésus leur donne envie de vivre de cette vie qui rend innocent, priant, humble, intelligent, paisible… qui rend saint, qui rend comme Jésus, qui rend comme Dieu lui-même. En effet, que sont les Béatitudes sinon les traits de la personnalité de Jésus, les traits du visage de Dieu ? Dieu personne ne l’a jamais vu ? Mais Jésus nous en a donné le portrait !
Or, le troisième secret qui est caché dans les Béatitudes, c’est que cette vie qui vient de Dieu, qui peut nous transformer en Dieu, nous rendre comme Dieu, c’est l’Esprit Saint. À l’intérieur donc de la Loi de Moïse, il y a les Béatitudes, comme l’arbre dans un jardin. Et la vie de l’arbre c’est l’Esprit Saint. Or l’Esprit Saint nous a été acquis par la mort, la résurrection et l’ascension de Jésus au ciel et nous a été donné à la Pentecôte. L’Esprit Saint, nous l’avons reçu à notre baptême et il s’est répandu en nous à notre confirmation. Rien ne nous empêche de nous abandonner à lui jour après jour pour le laisser nous transformer jour après jour en rayonnement de sainteté, à la ressemblance de Dieu.
 
Chers frères et sœurs, lorsque Moïse reçut la Loi sur la montagne puis ordonna la liturgie du temple à l’image de ce dont il avait eu la vision au ciel, il reçut un jardin dans lequel il y avait un arbre de vie et la vision de ce que vit saint Jean dans l’Apocalypse.
Ensuite, Jésus révéla à ses disciples quels étaient les fruits de l’arbre de vie, les Béatitudes, et il dévoila le cœur de la liturgie du temple qui est à l’image de la liturgie céleste : le sacrifice de sa vie par amour pour son prochain, comme un pain rompu et partagé, et un sang d’agneau répandu. Et il leur a dit : « Vous ferez cela en mémoire de moi. »
Et finalement à sa prière, notre Père nous donna tout, c’est-à-dire la vie qui féconde l’arbre et qui irrigue le jardin, son Esprit de sainteté qui nous fait entrer et vivre dans la communion de Dieu, à sa ressemblance, avec tous les saints, cette communion de l’avenir, que nous allons déjà recevoir maintenant.

dimanche 27 octobre 2024

27 octobre 2024 - CHAMPLITTE - 30ème dimanche TO - Année B

Jr 31, 7-9 ; Ps 125 ; He 5,1-6 ; Mc 10, 46b-52
 
Chers frères et sœurs,
 
Il y a quelques dimanches, Jésus a franchi le Jourdain pour entrer dans le territoire de la Judée. De là, il a gagné Jéricho avant d’en repartir pour monter à Jérusalem – c’est l’évangile d’aujourd’hui. Ce parcours n’est pas du tout anodin, puisque c’est exactement le parcours réalisé par Josué et les Hébreux au moment de conquérir la Terre promise et Jérusalem, après les quarante années passées au désert. Et vous connaissez l’histoire fameuse des murailles de Jéricho qui se sont écroulées après que les Hébreux aient processionné autour au son des trompettes. À sa manière Jésus fait un pèlerinage sur les pas de Josué, ou plutôt il réalise la prophétie de Josué, puisque Jésus est le véritable Josué – c’est le même prénom.
 
Jéricho n’est donc pas une ville signalée par l’évangile par hasard : c’est la ville qui est en même temps la porte de la Terre sainte – il faut la prendre pour pouvoir ensuite monter à Jérusalem, et en même temps c’est la ville du mal et des ténèbres, qu’il faut détruire pour pouvoir monter saintement à Jérusalem. Ainsi Bartimée, habitant Jéricho, est-il un homme marqué par le mal et qui vit dans les ténèbres : c’est pourquoi il est aveugle. D’ailleurs, Bartimée, le Fils de Timée, signifie en hébreu : « le fils de l’impur ». Bartimée a besoin de devenir Zachée – qui signifie « le pur ». Souvenez-vous, dans l’évangile de Luc, Zachée était aussi un habitant de Jéricho – et ce n’est pas un hasard.
 
Donc cet homme, Bartimée, prisonnier du mal et des ténèbres, apprend que Jésus de Nazareth – celui dont tout le monde dit qu’il est le Messie Sauveur – est en train de passer par Jéricho : il l’appelle de toutes ses forces : « Fils de David, Jésus, prends pitié de moi ! » Comprenez que c’est le cri d’Adam au plus profond des enfers, le cri de tous les hommes désespérés qui espèrent un secours de la part de Dieu ; c’est un cri qui vient du plus profond du cœur de l’humanité.
Ce cri de Bartimée est repris de tout temps et aussi de nos jours au début de la messe, quand nous prions le Seigneur : « Seigneur prend pitié ; Ô Christ prend pitié ; Seigneur prend pitié » ; mais aussi dans la fameuse prière du cœur des moines et des pèlerins orientaux : « Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur ! », que l’on répète sans cesse ; ou plus brièvement dans les offices orthodoxes : « gospodi pomiluj ! » ; « Seigneur, prends pitié ! » C’est le cri des pécheurs qui espèrent leur rédemption.
 
Justement, c’est pour eux que Jésus est venu. C’est pour Bartimée que Jésus est venu à Jéricho. Car il faut que Bartimée monte avec lui à Jérusalem ; il faut qu’Adam et tout homme pécheur montent avec lui auprès de notre Père, qui est aux cieux. « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » dit Jésus. Et l’homme pécheur répond : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! »
Dans cette réponse, il y a deux choses remarquables. La première est l’appellation « Rabbouni ». Elle est encore plus évidente en Syriaque : « Rabbuli ». Il n’y a que Bartimée et Marie-Madeleine qui emploient ce terme, au moment où l’un va voir Jésus, et l’autre va revoir Jésus ressuscité. « Que je retrouve la vue » - c’est-à-dire : « Que je re-voie ; que je voie à nouveau, comme autrefois ». C’est cela : comme aux premiers temps, où Adam et Ève voyaient Dieu dans le jardin du Paradis, avant de se cacher puis d’en être exclus. Imaginez-vous de revoir enfin un paysage, ou mieux un visage, que vous espérez tant revoir, par-delà l’océan du temps ou de la mort. Voilà ce que veut Bartimée, ce qu’il espère. Et il croit – il a foi – que Jésus de Nazareth peut réaliser cela pour lui. Cela tombe bien, c’est aussi ce que Jésus veut pour lui.
 
Car il faut maintenant monter à Jérusalem. Monter à Jérusalem est un précepte de la Loi de Moïse : « Trois fois par an – à la fête des Pains sans levain, à la fête des Semaines et à la fête des Tentes –, tous les hommes paraîtront devant la face du Seigneur ton Dieu, au lieu qu’il aura choisi » (Dt 16,16) – c’est-à-dire au Mont Moriah, le Mont du temple, à Jérusalem. Tous les fils d’Israël ont vocation à monter à Jérusalem pour voir la face de Dieu ou être vus par Dieu, dans son temple. Vous comprenez bien que pour que cela soit réalisable il faut que les hommes en question ne soient pas boiteux – s’il faut monter à Jérusalem – et ne soient pas aveugles – s’il faut voir la face de Dieu. Et c’est pourquoi Jésus vient d’abord guérir les boiteux et les aveugles, pour qu’ils soient en capacité de monter à Jérusalem. Jésus vient pardonner les péchés qui handicapent, et libérer des ténèbres de la mort, les hommes nouveaux, les baptisés, qui ont vocation à entrer dans la communion sainte et lumineuse de Dieu.
Et c’est ainsi que Bartimée, guéri et devenu « Zachée », se met à suivre Jésus qui monte à Jérusalem, pour entrer avec lui dans sa gloire.

dimanche 20 octobre 2024

13 octobre 2024 - Désert Sainte-Roseline - 28ème dimanche TO - Année B

Sg 7,7-11 ; Ps 89 ; Hb 4,12-13 ; Mc 10,17-30
 
[Homélie donnée sans notes, retranscrite de mémoire]
 
Chères sœurs,
 
L’Évangile que nous avons entendu nous est familier, comme à tous ceux qui ont tout quitté pour suivre le Christ. « Va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. » : c’est la parole qu’a entendue saint Antoine, avant de partir au désert, inaugurant ainsi toute la vie religieuse, la vie monastique, à sa suite.
 
Lorsque nous lisons l’Évangile de Marc, nous devons toujours chercher à quel passage il est fait référence dans l’Ancien Testament. Dans notre évangile d’aujourd’hui, la référence est donnée dès le départ : « un homme accourut et, tombant à ses genoux… » Qui est cet homme ? C’est Abraham, qui court et se prosterne devant les trois anges, au chêne de Mambré. Ainsi, nous devons comprendre notre Évangile à la lumière de l’histoire du chêne de Mambré où le Seigneur annonce à Abraham que sa femme Sarah va engendrer un fils.
 
L’homme demande la vie éternelle « en héritage ». L’héritage, c’est la Terre Promise. Il faut avoir à l’esprit ici que Jésus a traversé le Jourdain et se trouve maintenant en Judée, où il guérit et il enseigne. Il accomplit la prophétie de Josué qui entre en Terre Sainte pour la conquérir, pour conquérir Jérusalem. C’est ce que les gens attendent de Jésus et c’est ce que sont venu lui demander les pharisiens dimanche dernier : « Un homme peut-il répudier sa femme ? » ; c’est-à-dire : « Est-ce que Dieu va être fidèle la fille de Sion, à son alliance avec elle ? » ; « Est-ce que le Messie de Dieu va bien sauver son peuple et le faire entrer en Terre Promise ? » Car bien sûr, Jésus ne veut pas d’une conquête de la Terre Sainte au sens territorial du terme, mais il est là pour la conquête de la Terre Sainte véritable : la vie éternelle.
 
Or, l’homme d’aujourd’hui est le parfait Israélite – comme Barthélémy – car non seulement il obéit parfaitement à la Loi depuis sa jeunesse (c’est le rêve du Bon Dieu – et le sommet pour les pharisien) mais il a parfaitement compris pourquoi Jésus est là : pour la vie éternelle.
C’est pourquoi Jésus « posa son regard sur lui et il l’aima ». Il s’agit d’un regard qui descend dans le cœur, qui scrute le cœur, qui l’illumine. L’homme est transfiguré par le regard du Christ, mais en même temps il découvre son péché : ici sa richesse. Il lui faut quitter cela, que ce soient des biens matériels ou même des relations – comme nous le voyons lorsque Jésus détaille à ses disciples : « maison, frères, sœurs, mère, père, enfant ou terre. »
 
À ce moment l’homme devient « sombre » - il est en colère, et il part, triste. Sa réaction est à l’opposé de celle de Sarah, qui elle, se met à rire. En effet, Jésus explique « comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu » ; le mot important ici est « difficile », en hébreu, il s’agit des « douleurs de l’enfantement ». Il s’agit en réalité d’un engendrement, et c’est douloureux. On retrouve la discussion qu’a Jésus avec Nicodème : « Peut-on naître à nouveau ? » Jésus insiste en disant à ses disciples : « Mes enfants, comme il est difficile… » Il les appelle « ses enfants » ; car il les a déjà engendrés. Mais pour l’homme cela reste encore à faire. Les disciples sont dans l’incompréhension totale, et Jésus conclue : « Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. » C’est exactement ce que l’Ange de Dieu avait dit à Sarah, qui riait : « Rien n’est impossible à Dieu »
 
Saint Pierre observe que les disciples ont déjà tout quitté pour suivre Jésus, comme tous les baptisés et comme nous tous ici. Et effectivement Jésus explique : « nul n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre, sans qu’il reçoive, en ce temps déjà le centuple ». Ici le mot important est « en ce temps » : « Ce coup-ci » ; c’est comme un clapet anti-retour. C’est fait ; c’est donné, c’est acté. Déjà la vie éternelle leur est acquise. Bien sûr, Jésus ajoute « avec des persécutions » car il s’agit d’un chemin où il y a plusieurs choses à quitter, par étapes. Saint Grégoire de Nysse disait qu’on va « de gloire en gloire » ; saint Augustin dirait qu’on va de « croix en croix », mais il vaut mieux voire les choses positivement : on avance de « gloire en gloire », jusqu’à la vie éternelle qui déjà nous est promise.
 

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