Dt
26, 4-10 ; Ps 90 ; Rm 10, 8-13 ; Lc 4,1-13
Chers
frères et sœurs,
Par
son jeûne au désert, Jésus rejoint la condition de tout homme : dans la
détresse, dans la pauvreté, il se révèle sensible aux tentations. L’homme moyen
y succombe facilement, ce qui fait rapidement de lui un pécheur. Au contraire, Jésus
surmonte les tentations par l’obéissance à la Parole de Dieu : à chaque
fois, il cite en réponse au tentateur un verset des Écritures, un verset
du Deutéronome. Tout le monde sait bien qu’il ne suffit pas de lire un
passage des Écritures pour résister aux tentations, mais en écoutant et
en mettant en pratique la Parole de Dieu qui inspire les Écritures, il
est possible d’exprimer sa foi dans ce Dieu qui a parlé en elles, d’avoir foi
en Dieu lui-même en tant qu’il est le seul Dieu et qu’il n’y en a pas d’autre, et
qu’il est Tout-puissant. C’est-à-dire qu’il peut faire arriver ce qui est
humainement inconcevable, au moment et de la manière dont il est le seul juge. Avec
lui, le diable peut être vaincu. Ainsi, nous voyons apparaître au désert la foi
pure de Jésus en son Père, qui ne donne prise à aucune tentation. Le diable
chauffe pourtant Jésus « à blanc », si je puis dire, pour tenter de
le séparer de son Père. Ce faisant, il mène une attaque directe contre l’Esprit
Saint qui unit le Père et le Fils. Et cela est impardonnable. Le combat que
mène Jésus au désert est donc pour lui existentiel, comme pour le diable
d’ailleurs.
Peut-on
faire quelques pas de plus dans notre compréhension de cet épisode de la vie de
Jésus ? Je voudrais faire quelques observations.
La
première est que, d’un côté l’épisode renvoie à la querelle des Hébreux contre
Dieu, dans le désert après la sortie d’Égypte, où ils mettent Dieu à l’épreuve.
En effet, les Hébreux avaient faim et soif et ils s’interrogeaient – ils
doutaient : « Le Seigneur est-il au milieu de nous, oui ou
non ? » Mais on peut aussi lire l’inverse, où c’est Dieu qui met
les Hébreux à l’épreuve, en les laissant entrer en tentation : « Ont-ils
foi en lui, oui ou non ? » Et Dieu répond, dans le livre de
l’Exode : « Si tu écoutes bien la voix du Seigneur ton Dieu, si tu
fais ce qui est droit à ses yeux, si tu prêtes l’oreille à ses commandements,
si tu observes tous ses décrets, je ne t’infligerai aucune des maladies que
j’ai infligées aux Égyptiens, car je suis le Seigneur, celui qui te
guérit. » Le Seigneur est le protecteur de son peuple, avec qui il a
fait alliance.
Donc
pour saint Luc, d’un côté nous avons dans les tentations de Jésus un rappel des
tentations des Hébreux au désert. Mais, d’un autre côté nous avons aussi la
Passion de Jésus. D’ailleurs, Luc écrit que « le diable s’éloigna de
Jésus jusqu’au moment fixé », c’est-à-dire la Passion.
Lors
de sa Passion, la première tentation de Jésus se produit à Gethsémani, où il
est angoissé : « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ;
cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. » La
tentation consiste à faire sa volonté plutôt que celle de son Père. « Ordonne
à cette pierre de devenir du pain » lui suggère le diable… Mais Jésus
vit de l’obéissance à la volonté de son Père.
La
seconde tentation de Jésus a lieu quand il est confronté aux Grands prêtres et
aux anciens, et à Pilate. La question est de savoir s’il est réellement le
Christ, c’est-à-dire pour les uns le Fils de Dieu, et pour l’autre le Roi des
Juifs. Aux premiers, face à leurs accusations et à leur refus de croire Jésus
répond que « désormais le Fils de l’homme sera assis à la droite de la
Puissance de Dieu », et au second : « C’est toi-même qui
le dis » – qui dit que je suis Roi. Jésus assume complètement son
identité. Et justement, il refuse de « lécher les babouches » de ceux
qui lui proposent de se renier pour sauver sa vie : « Toi donc, si
tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela », lui dit le diable.
Mais « Quel avantage un homme aura-t-il à gagner le monde entier, si
c’est au prix de sa vie ? » a dit Jésus. Ainsi donc, devant la
seconde tentation de tout lâcher, de se renier, Jésus réaffirme la seule chose
essentielle : « C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te
prosterneras, à lui seul tu rendras un culte. » Et il faut entendre
ici aussi cette réponse de Jésus à Pilate : « Tu n’aurais aucun
pouvoir sur moi si tu ne l’avais reçu d’en haut. » Il en va de même
aussi pour le diable.
Enfin,
troisième tentation, tandis que Jésus est élevé en croix : « Il en a
sauvé d’autres : qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu, l’Élu !
» lui crient les chefs du peuple ; « N’es-tu pas le Christ ?
Sauve-toi toi-même, et nous aussi ! » lui reproche un larron. « Si
tu es Fils de Dieu, d’ici jette-toi en bas… » lui suggère une dernière
fois le diable. La réponse de Jésus est souveraine : alors qu’il est le
dernier des hommes, rejeté, condamné, crucifié comme un paria, il répond :
« Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. » Mais…
frères et sœurs, Jésus est la Parole de Dieu : il parle de lui-même quand
il dit cela : « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton
Dieu. »
Alors
que peut-on dire pour conclure, qui nous soit profitable ? Retenons que
Jésus a toujours choisi l’obéissance à son Père seul, contre toute autre
sollicitation. Pour cela, il s’est toujours appuyé sur les Écritures où
s’exprime la Parole de Dieu. Et pour cause, comme la Parole de Dieu c’est
lui-même, désobéir à sa propre parole aurait été se renier lui-même. Il en va
de même pour nous : si nous sommes entrés en Alliance avec Dieu, baptisés
au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, alors nous sommes fils et filles
de Dieu. Renoncer à notre foi, à notre obéissance à la Parole de Dieu, serait
aussi renoncer à nous-mêmes, à notre identité la plus profonde.
Enfin,
retenons que la lutte avec le diable, finalement, est toujours de même
nature : que ce soit les Hébreux au désert, que ce soit Jésus après son
baptême ou lors de sa Passion, le diable prend des visages différents, mais ce
sont toujours les mêmes tentations. Et la réponse est toujours la même :
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ta force,
et de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même. »