Gn 15,5-12.17-18 ;
Ps 26 ; Ph 3,17-4,1 ; Lc 9, 28b-36
Chers
frères et sœurs,
La
Transfiguration de Jésus est l’un des épisodes parmi les plus impressionnants
de l’Évangile. Il se situe à la croisée des chemins. D’un côté, nous avons, les
Écritures – La Loi et les Prophètes – qui nous rapportent des événements
similaires vécus par Abraham, mais aussi Jacob, ou Moïse et Élie, où Dieu s’est
fait connaître à eux, s’est révélé à eux. De l’autre, nous avons la Gloire de
Dieu, cette communion lumineuse dans l’amour, où se retrouvent face au Père,
dans le Christ et par l’Esprit, les hommes de toutes les générations, qu’ils
aient ou non déjà franchit la mort. Ainsi, avec Jésus, se trouvent Moïse et Élie,
Pierre, Jacques et Jean – tous ensemble dans la même Gloire de Dieu. Nous avons
donc le temps et l’éternité. Mais nous avons aussi la terre et le Ciel. En
effet, Jésus qui est homme, se révèle aussi Fils de Dieu, lorsque l’aspect de
son visage change et que ses vêtements deviennent éblouissants. En réalité, Jésus
ne change pas au cours de cet épisode : il est toujours le même. Ce qui
change, c’est le regard de Pierre, Jacques et Jean, pour qu’ils puissent voir
la réalité glorieuse de Jésus, fils de l’homme et fils de Dieu.
Nous
comprenons ici qu’en Jésus, Dieu s’est fait homme, et il a été reconnu homme à
son aspect par tous ceux qui l’ont rencontré. Et inversement, si Pierre,
Jacques et Jean ont pu voir la Gloire de Dieu, s’ils ont pu même y entrer, en
compagnie de Moïse et d’Élie, c’est que eux – qui sont des hommes comme vous et
moi – ont été revêtus de la divinité. Par l’Esprit Saint qui les a couverts de
son ombre, ces hommes ont eu part à la Gloire de Dieu. Ils sont devenus eux
aussi fils de Dieu. Ils ont connu la résurrection à l’avance. Et c’est
pourquoi, quand Jésus est ressuscité, ils ont pu le reconnaître, l’identifier,
l’authentifier. Parce qu’ils l’avaient déjà vu glorieux avant.
Comment
cela s’est-il passé ? Il est important de noter qu’il y a eu quatre
étapes. La première est celle où Jésus monte dans la montagne pour prier.
L’aboutissement de sa prière, son objectif, est la Gloire de Dieu. Au sommet de
sa prière, son visage a donc changé et ses vêtements apparaissent éblouissants.
Cela veut dire que son corps réel est un corps lumineux et que la réalité de la
matière qui l’environne est également lumière. Dans la Gloire de Dieu, il en
sera de même pour nos corps et pour toute la création : tout sera irradié de
lumière. Plus encore, la Gloire de Dieu n’est pas qu’une modification d’état
physique, c’est surtout une communion : dans la Gloire, on retrouve les
Patriarches et les Prophètes, et les Apôtres – on retrouve tous les saints, les
justes et tous les hommes de bonne volonté. Le but de la prière de Jésus – qui
est aussi la prière de l’Église – est que tous les hommes puissent se retrouver
dans cette Gloire de Dieu. Et cela ne peut se faire que par la Passion et la
résurrection de Jésus, par la Croix, par le passage de la mort à la vie, par le
baptême qui libère et sauve l’homme pécheur. Ce dont Jésus parle avec Moïse et Élie.
Justement
– deuxième étape – avec Pierre, Jacques et Jean – qui sont comme nous – nous
sommes avec des hommes pécheurs. La Gloire de Dieu ne leur est pas
immédiatement accessible. Sinon, ils en mourraient, car nul homme ne peut se
tenir en présence de Dieu, du fait de son péché. Le sommeil et les songes sont
des moyens pour Dieu de montrer aux hommes sa Gloire sans qu’ils ne meurent.
C’est pourquoi il endormit Adam, Abraham et Jacob. Moïse et Élie sont montés sur
la montagne dans les ténèbres – les ténèbres ont la même fonction que le sommeil.
Car il faut d’abord passer par la nuit – par la Passion – pour accéder au jour,
à la Gloire de Dieu. D’ailleurs, avez-vous remarqué que la Transfiguration de
Jésus se passe aussi de nuit ?
Pierre
est en même temps comblé par la vision qu’il a – elle est fascinante :
« Maître, il est bon que nous soyons ici ! » s’écrie-t-il.
Mais Luc note qu’« il ne savait pas ce qu’il disait » : c’est
beaucoup, beaucoup trop grand pour lui. Il a accès à la Gloire de Dieu, et il
n’en reste pas moins un petit homme pécheur : il est terrassé. Il en va
toujours ainsi quand un homme se trouve en présence de Dieu : il ne peut
pas faire autrement que de se prosterner face contre terre.
Cependant
Pierre a dit quelque chose d’important : « Faisons trois
tentes : une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. » En
effet, il a bien compris qu’il n’y a rien de plus grand, rien de plus désirable,
que la Gloire de Dieu. Et donc, il veut y habiter pour toujours. Mais quel est
l’homme qui bâtirait une maison pour le Seigneur ? C’était le désir du saint
roi David, qui voulait bâtir un Temple pour l’Arche de Dieu. Et Dieu lui a
répondu : « C’est moi qui te bâtirai une maison. » C’est
exactement ce qu’il se passe à la troisième étape.
La
nuée survient et les couvre de son ombre. Le langage de saint Luc est sans
équivoque : la nuée les couvre de son ombre comme les ailes des chérubins
couvrent de leur ombre le propitiatoire de l’Arche d’Alliance où repose la
Présence du Seigneur. C’est-à-dire qu’à ce moment précis non seulement ils
entrent dans la Gloire de Dieu quand ils entrent dans la nuée, mais aussi
qu’étant couverts par l’ombre de la nuée, Dieu vient faire reposer sa Présence
sur eux, en eux : dans leur cœur. Dieu vient habiter leur cœur comme dans
son Temple. Et là il dit : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai
choisi : écoutez-le ! »
Bien entendu, il s’agit de Jésus. À ce moment Pierre, Jacques et Jean sont
comme Moïse au Sinaï, à la différence qu’au lieu de recevoir la Loi à écouter
et à mettre en pratique, ils reçoivent Jésus à écouter et à mettre en pratique.
Cette Loi nouvelle, Jésus, la Parole de Dieu, l’Évangile, est donc ici inscrite
non pas sur des tables de pierre, mais directement dans leur cœur, où elle est
conservée comme dans un Temple. Par l’Esprit Saint, le Seigneur a fait de leur
cœur son Temple, où repose son Évangile.
Alors,
quatrième et dernière étape, quand Dieu eut fini de parler, que l’Esprit Saint
s’est retiré en quelque sorte, ils se retrouvent avec Jésus seul, dans son
aspect humain, un peu sonnés par ce qu’il s’est passé. Cela a été tellement
impressionnant, presque irréel, qu’ils n’en parlent pas. Ils ne peuvent pas.
Déjà, parce qu’ils n’ont pas tout compris. Ils ne comprendront vraiment que le
jour de Pâques, quand Jésus se montrera à eux ressuscité. Dès lors, comme nous
tous, ils n’attendront plus qu’une chose : retrouver la Gloire de Dieu, y
habiter, tout en sachant qu’à chaque messe nous recevons cette même Gloire dans
la communion. Là, c’est elle qui vient, déjà, nous habiter.