vendredi 7 mars 2025

05 mars 2025 - MEMBREY - Mercredi des Cendres

 Jl 2, 12-18 ; Ps 50 ; 2 Co 5,20-6,2 ; Mt 6,1-6.16-18
 
Chers frères et sœurs,
 
La liturgie d’aujourd’hui nous fait entrer en carême. Nous associons souvent le carême à un temps de pratique religieuse plus radicale, où il est question d’aumône, de prière et de jeûne. En réalité ces pratiques devraient nous être parfaitement habituelles. D’ailleurs, même hors carême le vendredi est au moins un jour d’abstinence de viande, et les premiers chrétiens jeûnaient habituellement le mercredi et le vendredi. Pour ce qui est de la prière, tous ceux qui ont reçu un catéchisme savent qu’il faut faire quotidiennement sa prière du matin et du soir. Et nous savons que la prière de l’Église – qui est dans le bréviaire des évêques, des prêtres et des diacres, et de tous les moines et religieux – cette prière est composée de plusieurs temps chaque jour : matines, laudes, tierce, sexte, none, vêpres et complies, sans oublier la messe, bien sûr. La prière de l’Église est par définition celle de tout chrétien : il devrait y être attaché autant que possible. Quant à l’aumône, elle devrait être pour nous tous une seconde nature, un geste habituel, car dans le regard du pauvre nous devrions reconnaître celui de notre Jésus souffrant.
Alors qu’y a-t-il donc de si particulier durant le carême, pour que nous insistions à ce point sur ces actions normales d’une vie chrétienne normale ? Je voudrais souligner trois choses.
 
La première est l’insistance de Jésus, dans l’évangile, pour que ces pratiques – l’aumône, le jeûne et la prière – soient accomplies « dans le secret ». Jésus vilipende les hypocrites qui agissent avec un panneau publicitaire sur la tête. C’est que – comme l’a enseigné Ben Sira le Sage, dans la lecture d’hier à la messe : « C’est présenter de multiples offrandes que d’observer la Loi. » Il veut dire – et il le détaille même – que faire des actes d’aumône, de jeûne et de prière, cela équivaut à présenter à Dieu des offrandes, exactement comme le prêtre présente des offrandes à Dieu « dans le secret » du Temple du Seigneur. Et le plus secret du secret est le Saint des Saints, où se trouve l’Arche d’Alliance sur laquelle repose la Présence de Dieu. Vivre une vie sainte – toute faite d’aumône, de prière et de jeûne – « dans le secret » équivaut à présenter cette vie en offrande à Dieu pour obtenir sa bénédiction, non pas tant pour soi-même, mais aussi et surtout pour les autres.
Tous ici, nous avons été baptisés, prêtres, prophètes et rois, à l’image de Jésus. Agir en secret en vue du bien, c’est donc exercer notre sacerdoce de baptisés. Le Seigneur attend de nous que nous accomplissions la vocation que nous avons reçue de lui au baptême. Et cela vaut le coup de s’en rappeler au moins quarante jours par ans.
 
Justement, nous sommes ainsi faits que nous sommes portés à l’oubli : la mémoire des hommes est défaillante. Parfois, il est aussi bien que nous oubliions les heures sombres, autant que possible. Mais parfois, nous ne sommes vraiment pas très reconnaissants. Nous oublions facilement les dons et les pardons de Dieu, même les miracles. Et nous croyons que tout ou presque nous est dû. La liturgie de l’Église a pour fonction de nous empêcher d’oublier ; oublier que nous avons été créés par amour, oublier que nous sommes pécheurs et mortels, oublier que Dieu nous a donné un repère et un guide pour vivre saintement, dans la Loi de Moïse, oublier que Dieu nous a parlé par les patriarches et les prophètes pour nous préparer à recevoir son Fils, notre véritable rédempteur, notre véritable sauveur.
La liturgie de l’Église nous empêche aussi d’oublier de remercier Jésus pour son sacrifice sur la croix, pour la porte du Ciel qu’il nous a ouverte, et pour le don de son Esprit Saint, le don de la vie éternelle. Voilà pourquoi l’Église prie, les chrétiens prient, plusieurs fois par jour : pour ne pas oublier d’où viennent la vie et la Vie véritable ; pour ne jamais perdre de vue la source de la Vie.
Un téléphone portable ne fonctionne que connecté une antenne et, quand il la perd, immédiatement il en recherche une de nouveau. Un chrétien devrait être pareil : la prière ne devrait jamais le quitter. Elle est pour lui vitale. C’est ainsi que fait l’Église : elle prie, elle célèbre, pour ne jamais oublier le Seigneur son Dieu, Jésus-Christ son Sauveur, et l’Esprit de Vie. Par conséquent, notre carême est un rappel pressant à nous souvenir de Dieu, de son action pour nous ; de notre baptême, et de la vocation sacerdotale que nous y avons reçue en tant que fils de Dieu, à l’image de Jésus.
 
En définitive – et c’est mon dernier point – il ne s’agit pas tant d’agir toujours plus ou mieux que d’habitude – bien sûr qu’il faut le faire – mais il s’agit surtout de changer de mentalité. C’est ce que nous dit l’Esprit Saint par la bouche du prophète Joël : « Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements. » La vraie conversion n’est pas d’abord dans les actes extérieurs, mais elle est d’abord dans notre âme intérieure – et c’est bien le plus difficile à réaliser.
Nécessairement, cette conversion ne peut se faire que « dans le secret », dans le secret de notre conscience. Voilà le vrai Temple du Seigneur auquel nous avons accès, pour lequel chacun est son propre et son seul Grand Prêtre. Il n’y en a pas d’autres. Quand nous venons dans le secret de notre conscience, dans le Temple de notre cœur, qu’avons-nous de notre vie à offrir au Seigneur, pour nous et pour les autres ?
Voilà la vraie question du carême. Pour ne pas l’oublier, et puisqu’elle est si importante, il faut bien se la poser un peu de temps en temps ! 

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