Ac
1, 1-11 ; Ps 46 ; He 9,24-28 ; 10,19-23 ; Lc 24, 46-53
Chers frères et sœurs,
Comment comprendre l’Ascension de Jésus ? Factuellement, il s’agit de la fin des apparitions de Jésus ressuscité ; c’est en quelque sorte sa dernière disparition, avant son retour dans la gloire. Mais il disparaît où ? Saint Luc l’affirme : Jésus a cessé d’apparaître en ce monde pour s’élever au « ciel ». Nous voilà bien avancés : comment comprendre ce qu’est le « ciel » ?
Les Écritures – c’est-à-dire l’Ancien Testament – nous l’apprennent. Tout d’abord, le ciel est un sanctuaire : c’est l’espace sacré d’un temple. Ainsi comprenons-nous que notre monde et le ciel forment ensemble un seul temple, dont le ciel est le sanctuaire. Quand Moïse a construit la Tente de la Rencontre dans le désert, qui est devenu par la suite le Temple de Jérusalem, il a bien défini deux espaces : le « saint » dans lequel pouvaient entrer les prêtres pour les offrandes habituelles, et le « Saint des Saints » qui n’était accessible qu’au seul grand-prêtre, une fois par an, pour la célébration du Grand Pardon – le Yom Kippour. De la même manière, toutes les églises sont construites sur le même modèle : il y a la nef où se trouvent les baptisés, pour la prière habituelle, et le sanctuaire où officie l’évêque ou le prêtre. C’est ainsi que dans son Ascension Jésus quitte ce monde pour entrer dans le sanctuaire du Ciel, comme faisait le grand prêtre dans le Temple, comme fait encore aujourd’hui l’évêque ou le prêtre dans l’église.
Notons au passage que notre monde et le ciel sont séparés par ce que je vais appeler un « voile ». La Lettre aux Hébreux évoque le « rideau du sanctuaire » en précisant qu’il s’agit de la « chair » de Jésus. De fait, dans le Temple de Jérusalem, il y avait un rideau entre le « Saint » et le « Saint des Saints », où le grand prêtre ne pouvait pénétrer qu’en s’étant purifié, sanctifié. Dans les Actes des Apôtres, la séparation entre le monde et le ciel est constituée par la nuée, qui soustrait Jésus aux yeux des disciples, et par deux hommes en vêtements blancs – c’est-à-dire par les anges. Les anges sont comme des douaniers : ils interdisent l’entrée du sanctuaire du ciel et à tous les hommes dont la chair est obscurcie par le péché, aux impies, mais ils autorisent le passage à celui qui est le pur et le saint par excellence, l’innocent dont la chair est sans péché, celui dont le corps est lumière, Jésus et lui seul. Le psaume 46 est exactement le chant des anges acclamant l’entrée de Jésus dans le ciel. Dans les églises, le voile est matérialisé par la marche et le banc de communion qui séparent la nef du sanctuaire.
Que trouve-t-on dans le ciel ? On y trouve le trône où siège le Père, à la droite duquel vient s’asseoir le Fils. Il y a les trônes des douze fils d’Israël et des douze Apôtres. C’est ce que nous retrouvons dans nos églises : le siège du président, et ici les stalles des chanoines. Et au milieu du ciel se trouve l’autel, qui est le Christ. Vous savez que Jésus entrant au ciel est à la foi le prêtre – ce que nous avons vu – mais il est aussi l’offrande faite à Dieu son Père : il offre son corps et son sang – c’est-à-dire nous, l’humanité qu’il partage avec nous, le corps et le sang des martyrs et des saints, nos vies, nos joies et nos souffrances, nos intentions de messe. Il les présente à son Père en offrande. Et Jésus est aussi l’autel sur lequel reposent ces offrandes. Jésus cumule en lui-même tout le culte de Dieu. Et pourquoi ?
Moïse l’a déjà dit, en parlant du grand prêtre qui fait l’offrande une fois par an dans le Saint des Saints : pour le Grand pardon. Jésus s’offre lui-même et nous avec, pour nous obtenir le pardon de son Père, sa grâce, le don de son Esprit Saint. De même, dans l’église, l’évêque accueille le pain et le vin, fruits de la terre et du travail des hommes – tout ce qui fait notre monde, et nous-mêmes, et nos prières. Et par ordre de Jésus, par la prière eucharistique et l’action de l’Esprit Saint, il en fait Corps et Sang de Jésus. Alors seulement, accomplissant ici et maintenant, ce que Jésus fait au ciel et toujours, il offre ce Corps et ce Sang de Jésus – et nous-mêmes avec lui – à Dieu notre Père : « Par lui, avec lui et en lui, à toi, Dieu le Père tout puissant, tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles. » Et avec les anges, et tous les saints, le peuple de Dieu accompagne cette offrande avec force : « Amen ! » Alors, dans les ultimes prières, comme les Apôtres au Cénacle attendant la Pentecôte, nous espérons de notre Père qu’il nous accorde sa grâce, le don de l’Esprit, la sainte communion.
Car, chers frères et sœurs, l’enseignement des apôtres n’est pas terminé : « Frères, c’est avec assurance que nous pouvons entrer dans le véritable sanctuaire grâce au sang de Jésus : nous avons là un chemin nouveau et vivant qu’il a inauguré en franchissant le rideau du Sanctuaire ; or, ce rideau est sa chair. Et nous avons le prêtre par excellence, celui qui est établi sur la maison de Dieu. Avançons-nous donc vers Dieu avec un cœur sincère et dans la plénitude de la foi, le cœur purifié de ce qui souille notre conscience, le corps lavé par une eau pure. » Le corps lavé par l’eau pure du baptême, le cœur purifié de la souillure du péché par le don de l’Esprit Saint, nous pouvons avancer pour la procession de communion jusqu’au sanctuaire du ciel, où le passage n’est plus interdit par les anges, mais ouvert grâce au sacrifice de Jésus. Là, en communiant à son Corps et à son Sang, nous lui somme unis, ainsi qu’à son Père, dans la communion de l’Esprit Saint, et nous participons ici et maintenant à la vie éternelle qui est celle du ciel.
Voilà, chers frères et sœurs ce qui est voilé dans le mystère de l’Ascension de Jésus : c’est la messe, qui est en même temps sacramentellement et réellement notre propre ascension dans la gloire de Dieu, au ciel. Amen !