Sg
11,22-12,2 ; Ps 144 ; 2Th 1,11-2,2 ; Lc 19,1-10
Chers
frères et sœurs,
En
montant à Jérusalem, Jésus est passé par Jéricho, où s’est trouvé Zachée,
personnage assez important, mais mal aimé en raison de sa richesse, de ses compromissions
politiques, et de ses abus financiers. Jésus s’est invité chez lui au grand
scandale de tout le monde, mais cette visite a entraîné la conversion de
Zachée. Pour certains Pères de l’Église, il s’agissait en réalité de Matthieu
l’Évangéliste, devenu par la suite évêque de Césarée. Il aurait été surnommé
Zachée, nom qui signifie « celui qui est pur », qui est « sans
tache », en raison de sa conversion et du pardon reçu de Jésus. De fait, si
saint Luc nous raconte cette histoire, c’est qu’elle a beaucoup marqué les
gens, à l’époque.
Mais
pour lui, à travers cette histoire concrète, se présente une histoire bien plus
importante : la nôtre, celle de toute l’humanité. Comme d’habitude, chez
Luc, des mots-clés sont semés dans le texte : ici par exemple Jéricho et
le sycomore.
Jéricho,
pour un Juif, n’est pas une ville banale : c’est la première ville
conquise par Josué et le Peuple d’Israël, après le passage du Jourdain, au
moment d’entrer en Terre Promise, après l’Exode. Or cette ville – dont il a
fallu faire le tour au son des trompettes pour que ses murs s’écroulent – était
la ville du péché et de la mort. Vaincre Jéricho, c’est vaincre le péché et la
mort. Nous comprenons que quand Jésus vient dans cette ville, il y vient comme
Josué, pour la conquérir et la vaincre : pour ouvrir le chemin de la vraie
Terre Promise : la vie éternelle.
Dans
cette ville se trouve le sycomore sur lequel va monter Zachée. Qu’est-ce qu’un
sycomore ? C’est un « ficus morae », un figuier sauvage
avec peu de feuilles et qui donne de mauvais fruits. Voilà ce qui pousse à
Jéricho. Dieu espérait voir grandir son Peuple comme un beau figuier, qui donne
de bons fruits – le figuier étant le symbole de la connaissance et de
l’observance de la Loi de Moïse, pour mener une vie sainte, bénie et généreuse.
Or Israël s’est bientôt retrouvé à l’état de sycomore, rabougri et stérile. C’est
la raison pour laquelle, puisque le Peuple de Dieu – et par extension toute
l’humanité – ressemble à un Zachée perché sur un sycomore à Jéricho, que Jésus,
par son incarnation, est venu le chercher et le sauver : « Zachée,
hâte-toi et descends : aujourd’hui, il faut que j’aille demeurer dans ta
maison ! »
C’est
peut-être Jésus lui-même qui a donné au publicain Matthieu son surnom : en
l’appelant publiquement « celui qui est pur ! » Imaginez sa
surprise, alors qu’il est considéré par tout le monde (et par lui-même) comme
un escroc ! « Hâte-toi » : Je traduis ici
exactement, car cette « hâte » est la même que celle des Hébreux qui
doivent manger l’agneau « à la hâte » avant de sortir d’Égypte, dans
la nuit de la Pâque, et c’est la même « hâte » avec laquelle Marie est
montée voir sa cousine Elisabeth, après l’Annonciation. « Hâte-toi »
car non seulement Dieu va passer dans ta maison, dans ton cœur, dans ta vie,
mais surtout il veut y « demeurer ». Or saint Luc et saint Jean sont
très proches : l’usage du verbe « demeurer » n’est pas ici un
hasard ; il faut le prendre au sens fort : Dieu va habiter dans le
cœur de Matthieu et c’est pourquoi il devient Zachée. On comprend pourquoi,
aussitôt il se hâte de descendre et de recevoir Jésus avec joie.
« Recevoir »… saint Luc n’emploie pas ce verbe non plus par
hasard : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis
seulement une parole et je serai guéri ». Ici la parole qui guérit lui
a déjà été dite par Jésus, comme à chacun de nous : « Zachée »
- « à mes yeux, aux yeux de Dieu, tu es pur ».
Ainsi
donc, Jésus qui est Dieu est venu à Jéricho, ville du péché et de la mort, pour
y chercher l’humanité réduite à l’état de sycomore, rabougrie et stérile, pour
lui annoncer qu’il la voit pure et innocente, qu’il va passer dans son cœur
comme au soir de la Pâque, pour le purifier, et y demeurer, pour y faire sa
maison, son Temple ! Les habitants de Jéricho ne comprennent pas :
« tous ils récriminaient », comme les Hébreux au désert, qui récriminent
contre Dieu, parce qu’ils ne comprennent pas sa volonté. Face à cette
situation, Zachée annonce les fruits de sa conversion, de sa libération :
il va faire des dons aux pauvres et réparer ses torts.
Certains
s’étonnent : pourquoi la moitié de ses biens et non pas tous ses biens ?
Parce qu’il est publicain : il doit garantir l’impôt annuel collecté sur
sa fortune personnelle. Le publicain est comme une banque, il doit avoir un
fonds propre, sans quoi, lors de mauvaises années où les impôts ont du mal à
rentrer, il risque d’être mis en faillite. Le fait de donner tous ses biens
l’enverrai directement en prison. D’autre part, comment pourrait-il réparer ses
torts au quadruple, s’il n’a pas de quoi le faire ? Ainsi donc cet homme,
en réalité, a donné tout ce qui lui appartenait – sauf le fonds de roulement de
son entreprise – dont les bénéfices lui permettront de réparer le tort qu’il a
fait. Voilà la réponse de l’homme qui a bénéficié de la grâce de Dieu : il
cherche à tout rendre, en action de grâce, à son Seigneur.
Jésus
conclut que le salut – ou la vie éternelle – est arrivé pour Zachée,
c’est-à-dire à travers lui, à tous les hommes, car – dit Jésus – il est « lui
aussi un fils d’Abraham », c’est-à-dire qu’il est « lui aussi un
fils de Dieu », un saint du ciel, tout simplement.
Pour
finir, interrogeons-nous : qui cherchait qui ? Comme nous tous,
Zachée cherchait péniblement à voir, depuis son sycomore, qui était Jésus ;
mais Jésus, lui, était venu chercher Zachée à Jéricho, pour le sauver, le
libérer, et lui rendre la vie éternelle, la vie des saints et des saintes de
Dieu.