Is
61,1-3a ; Ps 88 ; Mt 25,31-40
Chers
frères et sœurs,
Lorsqu’a
été écrite la prophétie d’Isaïe que nous avons entendue, le Peuple d’Israël
était en exil à Babylone, l’autorité royale avait été anéantie, le Temple de
Jérusalem était détruit, et il n’y avait aucune raison que cette situation
puisse s’améliorer. Pourtant, au fond du puits où Israël se trouvait, Isaïe
proclamait : « Le Seigneur m’a envoyé annoncer la bonne
nouvelle ; proclamer une année de bienfaits ; consoler tous ceux qui
sont en deuil, mettre le diadème sur la tête, l’huile de joie et un habit de
fête ».
De
fait, quelques années plus tard, après la prise de Babylone par les Perses,
Israël a été autorisé à revenir en Terre Sainte et à reconstruire le Temple de
Jérusalem. Un vrai prophète se reconnaît au fait qu’il ose dire la réalité
avant l’heure et à ce que ses prophéties se réalisent. Mais entre-temps, comme
son discours est à contre-courant pour son époque, il aura généralement terminé
sa vie de manière assez abrupte. D’après un apocryphe chrétien du IIe siècle,
Isaïe est mort scié en deux.
Aujourd’hui,
il n’y a pas besoin d’être un grand prophète pour se rendre compte que notre
monde ne va pas bien, y compris en France. Il suffit d’allumer sa télé pour
constater que l’Église est en feu, que l’autorité de l’État s’écroule depuis la
rue jusque dans les écoles, et on constate que les grandes décisions
géopolitiques qui nous concernent, qui concernent l’Europe, se prennent plus à
Washington qu’à Bruxelles ou à Paris. Autrement dit, notre situation est presque
comparable à celle du Peuple d’Israël : tout s’effondre ou presque, et nous
nous interrogeons : sur quel appuis allons-nous pouvoir fonder notre
espérance, celle des enfants, pour demain ?
Il
y a une chose que savent le soldat et le chrétien, qui les réunit profondément
dans ces moments de grave incertitude, de danger mortel même, ce qui justement
a pu faire l’unité nationale dans les tranchées entre catholiques et
anticléricaux qui se déchiraient depuis des années. Cette chose qui les a
réunis, paradoxalement, c’est la foi.
Bien
sûr, pour les chrétiens la foi est consubstantielle. Elle est une vertu
théologale partagée avec l’espérance et la charité. Tous les chrétiens savent
trouver leur force, y compris jusqu’au martyre, dans la foi en Dieu. Mais les
anticléricaux, les athées, qui se trouvaient avec eux dans les tranchées ?
Ils avaient la foi du soldat, c’est-à-dire la foi en leur général pour la
victoire et le général avait foi en eux, en leur capacité d’obéissance et de
sacrifice, pour le combat. La foi – la fides – est une vertu militaire,
la vertu par excellence de la Légion romaine, celle dont Jésus lui-même a dit,
en ayant entendu parler le centurion romain à ce sujet : « Je n’ai
jamais vu une telle foi en Israël ». Et ce n’est pas pour rien que
l’engagement vital partagé entre le soldat romain et son général – dont le
terme exact est « sacramentum » - est devenu le terme
technique dans l’Église pour désigner le baptême chrétien. Le général des
chrétiens, aux ordres duquel ils sont prêts à obéir jusqu’à y sacrifier leur
vie, mais qui leur garantit la victoire, n’est pas l’évêque, ni même le pape,
c’est Jésus-Christ lui-même.
Ainsi,
dans la nuit et l’horreur des tranchées, dans la terreur et l’horreur du
combat, tous combattaient et se sacrifiaient avec foi. Foi dans le général pour
les uns, foi aussi en Jésus-Christ pour les autres.
Mais
la foi ne suffit pas pour combattre. Comme je l’ai évoqué, il faut aussi
pouvoir se sacrifier. Or, pour tous, on ne peut sacrifier sa vie que par
amour : amour de son pays, amour de sa famille, de son village, de sa
terre, mais aussi amour de Dieu et amour de son prochain.
Qui
ne connaît des actes héroïques pour sauver la vie d’un homme ou d’une femme
inconnus en danger ? On se souviendra ici, pour mieux comprendre, du
sacrifice du colonel Beltrame, qui a su toucher tout le monde, justement. Mais
je peux aussi me souvenir de mon arrière-grand-père Galmiche qui a reçu une
décoration parce qu’il allait porter la popotte sous les obus aux premières
lignes dans les tranchées, à Verdun. Il ne risquait pas sa vie pour porter de
la soupe : il allait porter à manger et à boire à des hommes qu’il ne
connaissait pas, mais qui avaient faim et soif, au beau milieu du danger. Comment ?
Parce qu’il avait la foi. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de plus grand
amour ni de plus grand honneur que de donner sa vie pour ses amis.
Alors,
revenons à nous aujourd’hui. Si nous voulons que l’effondrement général ne
passe pas par nous, nous n’avons pas d’autre choix que celui de retrouver la foi
et le sens du sacrifice.
C’est
exactement ce que saint Martin a vécu, lui qui était soldat de Rome puis soldat
du Christ. Qu’il demeure pour nous un bon exemple et un bon protecteur. Alors,
comme lui, moine puis évêque contre vents et marées, et comme le prophète Isaïe
à Babylone, comme le coq de nos clochers qui annonce le jour tandis qu’il fait
nuit encore, nous pourrons malgré tout et déjà proclamer la victoire du
Seigneur en chantant !