Ml
3,19-20a ; Ps 97 ; 2Th 3,5-12 ; Lc 21,5-19
Chers frères et sœurs,
L’évangile de ce dimanche est un champ de bataille pour exégètes. La majorité d’entre eux considère que – puisque saint Luc met dans la bouche de Jésus que le Temple sera détruit – son évangile a donc été écris après 70, date de la destruction du Temple. Par conséquent, on ne peut pas considérer comme historique le fait que Jésus ait prophétisé cette destruction, mais c’est plutôt un moyen pour Luc de traiter de ce problème contemporain aux premières communautés chrétiennes. La difficulté, dans ce cas, est qu’on ne sait plus si dans l’évangile c’est vraiment Jésus qui parle ou bien si c’est saint Luc. Et c’est quand même embêtant.
Or, un détail est passé sous silence par tous ces exégètes modernes : ce sont les ex-voto qui décoraient le Temple. En grec, il s’agit d’anathemata : des offrandes consacrées à un dieu. Évidemment, du point de vue Juif, les anathemata sont des offrandes saintes quand elles sont consacrées au Dieu d’Israël, mais quand elles sont consacrées à des idoles, ce sont des abominations. En français nous dirions que les bonnes offrandes sont des dons, et les mauvaises des anathèmes, justement.
Alors que voient Jésus et ses disciples quand ils sont devant le Temple ? Voient-ils des ex-voto comme on en voit dans nos églises ? Jamais personne n’a dit qu’il y en avait sur le Temple de Jérusalem, et il est très probable que ce soit strictement interdit, de peur de souiller le Temple. Alors que voient-ils ? Ils voient des anathèmes, c’est-à-dire des objets qu’ils considèrent comme blasphématoires.
Et justement, nous savons par deux écrivains Juifs du Ier siècle, Philon d’Alexandrie et Flavius Josèphe, que Pilate s’est illustré à Jérusalem par sa volonté d’installer soit des images de l’Empereur, soit des boucliers d’or à son nom dans le Temple de Jérusalem ou juste à côté. Cela a créé un tollé et il a fallu des manifestations et des protestations à Rome auprès de l’Empereur pour que ces anathemata soient retirées. Il est intéressant que saint Éphrem le Syrien, au IVème siècle, ait commenté ce détail de l’évangile de la même manière que je viens de le faire. Mais nos exégètes modernes n’en parlent jamais. Parce que saint Luc n’aurait jamais mentionné ce détail quarante ans après les faits sans au moins expliquer de quoi il était question. Au contraire, tous les contemporains de Jésus savaient de quoi on parlait quand on parlait d’anathemata au Temple de Jérusalem. C’était tellement évident que le simple emploi du mot suffisait. Et donc, quand Luc a écrit son évangile, c’était bien avant la chute du Temple de Jérusalem. Par conséquent, quand Jésus parle, c’est bien lui qui parle et non pas saint Luc à travers lui. Nous pouvons faire confiance aux évangiles : ils nous racontent au plus près, du mieux qu’ils peuvent qui était Jésus, ce qu’il a dit et ce qu’il a fait, tout ce qui lui est arrivé. Et cela fait du bien.
Alors que dit Jésus, sachant qu’il est devant les anathemata de Pilate ? Il se souvient de la prophétie de Daniel, au chapitre 9 :
Et après les soixante-deux semaines, un messie sera supprimé.
Le peuple d’un chef à venir détruira la ville et le Lieu saint.
Puis, dans un déferlement, sa fin viendra.
Jusqu’à la fin de la guerre, les dévastations décidées auront lieu.
Durant une semaine, ce chef renforcera l’alliance avec une multitude ;
pendant la moitié de la semaine, il fera cesser le sacrifice et l’offrande,
et sur une aile du Temple il y aura l’Abomination de la désolation (les anathemata),
jusqu’à ce que l’extermination décidée fonde sur l’auteur de cette désolation.
Jésus constate donc que le moment est venu pour que la prophétie de Daniel se réalise. D’ailleurs, le Messie annoncé – lui-même – entrera bientôt dans sa Passion.
Et cela est si vrai, que Jésus, s’adressant à ses disciples, leur annonce des persécutions. Avez-vous remarqué qu’il commence par décrire sa propre Passion : on vous livrera aux synagogues – le Sanhédrin et aux prisons – dans la maison du Grand-Prêtre, on vous fera comparaître devant des rois – Hérode – et des gouverneurs – Pilate ? C’est-à-dire que les chrétiens persécutés entreront dans la Passion de Jésus, avec lui, et lui avec eux.
La traduction « Cela vous amènera à rendre témoignage » n’est pas exacte. Car nous n’aurons rien de particulier à dire : c’est la Passion elle-même qui est le témoignage : « Ce sera alors pour vous un témoignage ». C’est pourquoi nous n’avons pas à nous préoccuper de notre défense, car c’est l’Esprit Saint qui parlera et agira en nous, nous rendant semblables à Jésus.
Le fait d’être disciple de Jésus, d’être baptisé, n’est pas une « assurance-vie » ni une garantie de tranquillité pour le monde présent : la haine qui s’est abattue sur Jésus pendant sa Passion s’abattra aussi sur ses disciples. Nous aussi, nous connaîtrons des trahisons de Judas – et c’est tellement douloureux ! Mais « pas un cheveu de votre tête ne sera perdu » : le Seigneur nous fera justice.
Vient alors la recommandation finale de Jésus, qui est malheureusement mal traduite. On devrait plutôt l’entendre ainsi : « C’est par votre patience que vous entrerez en possession de votre vie ». Le mot patience est difficile à traduire : il s’agit tout en même temps d’endurance, d’espérance et de patience dans l’adversité. Et il ne s’agit pas de vouloir « garder sa vie », mais d’acquérir l’héritage qui nous est promis, celui de la Vie éternelle.
Ainsi, entrons dans la prière et disposons-nous à recevoir le don de l’Esprit Saint.