Tribune
de Mgr Michel Aupetit, archevêque de Paris, à propos de la loi bioéthique, parue dans Le Figaro du
vendredi 4 octobre :
Certains
pourront s’étonner qu’un évêque prenne la parole sur des sujets politiques.
Est-ce vraiment son rôle? Un évêque de l’Église catholique se doit d’annoncer
l’Évangile, de permettre à chacun de rencontrer Dieu et de proposer à tous
d’entrer dans la Vie éternelle que le Christ a ouverte par sa résurrection.
Justement,
par son incarnation, le Christ, le Fils de Dieu, est venu transfigurer notre
vision de l’homme en lui conférant une dignité indépassable et ceci quelle que
soit son origine ethnique, sa situation sociale, son sexe, sa culture ou son
âge. Saint Paul l’explique très bien quand il écrit aux chrétiens de Galatie :
« Il n’y a plus ni juifs ni païens, ni esclaves ni hommes libres, ni l’homme ni
la femme, car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus » (Galates 3, 28).
Cette unité de l’humanité qui doit réaliser une fraternité universelle est un
travail essentiel de l’Église. Voilà pourquoi les évêques s’autorisent à
prendre la parole sur des sujets de société qui touchent à la dignité humaine
quand celle-ci est gravement attaquée.
Le
projet de loi bioéthique en discussion touche aux fondements les plus
essentiels sur lesquels sont bâties nos sociétés humaines : la filiation, la
non-marchandisation du corps humain, le respect de toute vie de sa conception
jusqu’à sa mort naturelle, l’intérêt supérieur de l’enfant, une médecine
philanthropique et non marchande, une écologie humaine où le corps n’est pas un
instrument mais le lieu de l’édification de la personnalité.
Le
président de la République souhaitait un débat apaisé et consensuel. Il y eut
des états généraux, de nombreuses consultations par le Conseil d’État, l’avis
du Comité consultatif national d’éthique, de nombreuses interventions
d’experts. Qu’est-il sorti de tout cela ? Au final, très peu de choses. Les
participants aux états généraux, après avoir approfondi la question, se sont
clairement déterminés contre l’extension de la PMA hors du champ proprement
médical sans que cela n’ait eu le moindre effet sur les rédacteurs du projet de
loi. Nous avons été largement consultés et, il faut le dire, écoutés avec
courtoisie. Écoutés mais pas entendus. Les seules réponses que nous avons
obtenues de Mme la ministre de la Santé aux arguments présentés et fondés en
raison sont des arguments d’autorité.
Le
Comité d’éthique avait pourtant révélé les faiblesses méthodologiques des
études portant sur les enfants élevés par les mères célibataires ou des couples
de femmes. Beaucoup d’experts pédopsychiatres confirment que ces études, la
plupart anglo-saxonnes, commettent toutes des fautes quant à la rigueur
scientifique de la méthode. Là encore, aucune réponse.
Les
questions graves soulevées par des philosophes non suspects d’idéologie et se
rapportant à la filiation, en particulier la privation pour l’enfant d’une
filiation bilatérale sans recours possible, ont aussi reçu une fin de
non-recevoir. L’Académie de médecine qui vient de se prononcer avec des
arguments scientifiques très sérieux a été balayée d’un revers de main par la
ministre de la Santé qui, sans honte, les a qualifiés de « datés » et de «
peut-être idéologiques » sans apporter le moindre argument rationnel. De même
pour la Convention internationale des droits de l’enfant signée par notre pays
dont Mme Buzyn a dit pourtant qu’elle n’obligeait pas la France.
Cette
attitude dédaigneuse, voire arrogante, est caractéristique de ce que l’on
observe depuis le début de cette consultation. Une écoute en apparence
bienveillante, mais une inflexibilité qui, elle, traduit une attitude
idéologique tristement dépourvue de fondements anthropologiques réalistes.
Pourtant, personne n’est maître de la vie, même pas de ses propres enfants. On
transmet la vie, elle ne nous appartient pas. Mon enfant vient de moi, mais il
n’est pas « mon bien ». Je ne peux pas revendiquer un droit à l’enfant comme un
droit au logement. Un enfant est toujours un don qu’il faut accueillir sans en
faire un produit manufacturé dû à la technologie de l’homme et soumis au
pouvoir de l’argent. Il faut apprendre à être fils, c’est-à-dire à comprendre
que notre vie ne vient pas de nous-mêmes, que nous la recevons, que nous devons
apprendre à l’habiter. À cette condition nous pouvons être de vrais parents
assez humbles pour transmettre la vie et faire advenir une personne qui se
saisisse de sa propre liberté. Il n’est pas possible d’instrumentaliser un
enfant au prétexte de combler un désir individuel. Si la frustration entraîne
une souffrance qu’il faut savoir accompagner, elle ne peut justifier en aucun
cas une revendication parentale.
Les
autres points du projet de loi sont aussi dramatiquement ordonnés au mépris de
toute vie humaine. Les embryons humains sont une fois encore et de plus en plus
traités comme un matériau utilisable. Les cellules embryonnaires posent la
question éthique de la destruction de l’embryon humain. La possibilité de
fabriquer des embryons OGM par modification génétique est une dangereuse
dérive. En outre, les expérimentations qui permettraient la création d’embryons
animaux dans lesquels seraient intégrées des cellules embryonnaires humaines
sont une véritable monstruosité qui n’effraie plus personne et qui montre une
anesthésie abyssale de la conscience.
Je
salue le courage de ceux qui résistent aux fausses évidences d’un apparent
progressisme qui constitue une profonde régression de notre humanité. Non, la
loi n’est pas pliée d’avance. Une parole qui s’appuie sur la vérité de notre
condition humaine ne s’arrête pas à l’immédiateté de son effet. Elle s’inscrit
dans l’avenir, quand la conscience commune saura en évaluer les plus
effrayantes conséquences qui sont du même ordre que celles que l’écologie met à
jour aujourd’hui. Il y a un lien intime entre le délire technologique qui
conduit à détruire notre planète au nom du progrès et la folie des techniciens
du désir qui bouleverse l’anthropologie et la nature profonde de notre
humanité.
Il
ne m’appartient pas d’emporter l’adhésion de tous. Il m’appartient certainement
de le dire.