Si
3, 2-6.12-14 ; Ps 127 ; Col 3, 12-21 ; Mt 2, 13-15.19-23
Chers
frères et sœurs,
En
préparant mon homélie, je m’interroge toujours : « Pourquoi
l’évangéliste a-t-il choisi de nous raconter tel épisode, ou tel détail de la
vie de Jésus ? Quelle était son intention ? » Aujourd’hui, la
fuite en Égypte permet à saint Matthieu de montrer comment la Loi et les
prophètes annonçaient Jésus de manière prophétique. Je ne peux pas ici tous les
donner, mais les liens sont très nombreux : le texte est comme tissé de
références à l’Ancien Testament. Donc le message premier pour saint Matthieu
est de nous prouver, prophéties à l’appui, que Jésus est bien le Messie annoncé
et attendu.
Lorsqu’on
creuse un peu le texte, en essayant de s’adapter à la mentalité antique et
orientale de l’évangéliste, on découvre encore d’autres détails significatifs.
Par exemple, il faut avoir l’œil exercé pour s’apercevoir que le nom d’Hérode
est cité à neuf reprises, autant de fois que le mot « enfant » pour
parler de Jésus. Autrement dit, saint Matthieu met en concurrence les deux
royautés et, bien sûr, c’est la royauté de Jésus qui est la seule légitime.
Ceci est d’autant plus vrai que si l’on ajoute la mention des « enfants
de Rachel », qui se trouve dans le petit passage supprimé par notre édition
liturgique… – on se demande pourquoi. Si donc, on ajoute les « enfants
de Rachel », cela monte le nombre de citations à 10, qui est le
chiffre de Dieu. Jésus est donc non seulement le roi légitime, mais il est
aussi Dieu.
Faisons
un pas de plus avec la mention de l’enfant. En araméen, « enfant » se
dit « t.àlyâ’ ». Ce que nous se savons pas, ordinairement, c’est que
ce mot est aussi employé pour dire « agneau ». Un enfant est un petit
agneau : c’est bien connu, tous les parents le savent ! Mais bien
sûr, pour nous chrétiens, ce lien entre « enfant Jésus » et
« agneau » nous renvoie à la Pâque, où Jésus est l’Agneau de Dieu
offert en sacrifice pour le pardon des péchés. Il y a là un jeu mystérieux
entre les agneaux – la multitude des saints innocents – sacrifiés par Hérode
pour tenter de sauvegarder son pouvoir en voulant en réalité tuer Jésus, qui
est Dieu ; et d’autre part Jésus, le véritable Agneau pascal, qui sera
sacrifié pour le pardon des péchés de la multitude des hommes. On voit à
l’œuvre le mouvement du démon qui veut tuer les innocents pour garantir son
pouvoir usurpé et factice, et le mouvement de Dieu qui donne lui-même sa vie,
par amour pour ceux qu’il aime.
Saint
Joseph s’inscrit parfaitement dans le mouvement de Dieu. En définitive, il
sacrifie tout ce qu’il a pour l’accueil, la protection et l’éducation de Jésus.
Il sacrifie d’abord son bien-être personnel et même son orgueil en
reconnaissant comme sien Jésus, fils de Marie et fils de Dieu. Cela n’avait
rien d’évident, comme l’intervention de l’ange l’a montré. Mais Joseph qui
était juste a obéi à la parole de l’ange. Un ange dit toujours la Parole de
Dieu. Ensuite, Joseph, qui devait bien avoir quelques affaires professionnelles
en cours, doit s’enfuir en Égypte. Certes, la nécessité d’aller à Bethléem pour
le recensement était un contre-temps, mais cela n’a rien à voir avec le devoir
de refaire sa vie à l’étranger. Là encore, l’ange intervient pour avertir
Joseph du danger et de la nécessité de fuir. Et là encore, Joseph écoute la
Parole de Dieu. Enfin, c’est encore l’ange qui dans un songe l’invite à quitter
l’Égypte et à remonter en Israël. Il faudra un second songe, pour préciser le
lieu, qui sera Nazareth, selon l’antique prophétie d’Isaïe. À chaque fois,
Joseph écoute la Parole et la met en pratique. Et pourtant, cela voulait dire
qu’il lui fallait tout recommencer... Mais il le fait.
Il
y a une particularité dans la version syriaque de l’évangile. Dans notre
édition, nous avons : « Averti en songe, il se retira dans la
région de Galilée », quand le syriaque dit : « Et il vit
en songe qu’il devait aller dans un lieu de Galilée. » La
particularité est l’emploi du mot « lieu », qui signifie en
fait « sanctuaire ». Il n’y a pas de Temple à Nazareth, mais nous
savons qu’il y a une synagogue importante. Le choix de Nazareth est motivé
d’une part parce qu’il s’agit d’un village où réside un rameau du clan de David
– on est donc en famille – et d’autre part, parce que c’est manifestement un
lieu, qui est comme un sanctuaire, où l’on peut faire de bonnes études
religieuses. Voilà qui explique les conflits rencontrés ultérieurement par
Jésus à Nazareth, tant avec sa parenté qu’avec ses maîtres. Ceci dit, Joseph a
choisi de s’installer dans un lieu qui assure aussi bien la sécurité de Jésus
que son éducation, sa formation religieuse.
Ainsi
nous est donnée à travers ces évocations de Joseph, la figure d’un merveilleux
père de famille qui, par obéissance à la Parole de Dieu, a donné sa vie et tout
ce qu’il avait pour ceux qu’il aime : Marie et Jésus.
Bien
sûr, on pourrait continuer notre exploration de l’évangile : il y a tant
de choses à dire, notamment sur le fait que Joseph est guidé par les anges. Il
est donc lui aussi un prophète. Mais je crois que je vais m’arrêter là, en me
souvenant que si Hérode a maintenu son pouvoir en tuant des enfants – y compris
les siens à une certaine époque – Joseph au contraire a donné sa vie pour son
enfant, qui est aussi son Seigneur et son Dieu.