Is
7, 10-16 ; Ps 23 ; Rm 1, 1-7 ; Mt 1, 18-24
Chers
frères et sœurs,
Au
Ier siècle comme aujourd’hui, on s’interroge sur l’identité réelle de Jésus.
Pour certains, il est un homme exceptionnel que ses disciples ont indûment
élevé au rang de Dieu. Dans ce cas, Marie sa mère l’a enfanté comme le font
toutes les femmes. Elle l’a naturellement conçu de Joseph, son époux, ou bien
elle l’a eu d’un autre homme, avec toutes les insinuations malveillantes
possibles. Pour d’autres, Jésus est Dieu et, à ce titre, il est impossible
qu’il ait été en contact d’une manière ou d’une autre avec la chair humaine,
nécessairement mauvaise. Ainsi, certains en ont conclu que l’humanité de Jésus
n’était qu’apparente, qu’il n’était pas réellement homme. Par conséquent, Marie
n’était au mieux qu’une couveuse, et certainement pas sa mère charnelle.
Nous
voyons, dans ces deux conceptions extrêmes – Jésus entièrement homme et
non pas Dieu, ou Jésus entièrement Dieu et non pas homme – des positions soit
rationalistes, soit gnostiques, qui toutes deux ne correspondent pas à la
réalité du mystère annoncé par les prophètes et dont témoignent les Apôtres et les
évangélistes. Il aurait été plus facile pour eux d’adopter une des deux
positions précédentes, mais non, ils ont annoncé et témoigné de
l’extraordinaire naissance de Jésus, fils de l’homme et fils de Dieu.
Le
mystère a d’abord été annoncé par le prophète Isaïe qui, comme nous l’avons
entendu en première lecture, répond au roi Acaz en disant : « Voici
que la vierge est enceinte, elle enfantera un fils, qu’elle appellera Emmanuel
(c’est-à-dire : Dieu-avec-nous). » Dans cette prophétie, l’enfant est
appelé « Dieu avec nous », c’est-à-dire qu’il est Dieu – Dieu
est son père. Pour garantir et authentifier cette paternité divine, la mère de
l’enfant est vierge. Pour autant, l’enfant qui naît d’elle naturellement, de sa
chair, est aussi entièrement humain. Nous avons dans cette prophétie qui date
du VIIIe siècle avant Jésus toutes les indications correspondant exactement à
son cas particulier.
C’est
ainsi que l’Ange du Seigneur qui se manifeste à Joseph reprend exactement cette
prophétie d’Isaïe. Il explique à Joseph que son épouse demeurée vierge porte en
son sein l’enfant qui vient de Dieu, qui est Dieu. L’impensable – la
réalisation de la prophétie – lui est tombé dessus. Humainement, Joseph se
plaçait dans la première conception qui consistait à penser que Marie avait
forcément conçu d’un homme inconnu. Mais en même temps – parce qu’il était
juste – il savait que ce n’était pas la vérité : il savait Marie
innocente. Ce pourquoi il avait voulu la renvoyer dans sa famille. Mais l’ange
l’oblige à assumer la vérité et la réalité : il doit – pour que les
prophéties s’accomplissent entièrement – reconnaître la paternité de l’enfant
afin qu’il soit reconnu par tous comme « fils de David ». La
maternité de Marie, également de la lignée de David, n’aurait pas suffi aux
yeux des légistes.
Que
peut-on en conclure au XXIe siècle, à l’heure de la physique quantique et de la
biochimie ? Pas plus qu’au Ier siècle, on n’aura l’explication
scientifique de la réalisation physique de ce mystère. Nous sommes obligés de
considérer le phénomène comme appartenant à celui de la création : il
s’agit d’un acte créateur de Dieu. De la même manière que la résurrection de
Jésus d’entre les morts est aussi un acte créateur. Et que le pain et le vin
deviennent le Corps et le Sang de Jésus dans la célébration eucharistique est
encore un acte créateur.
Ne
serait-il pas incohérent, pour un croyant, d’interdire au Dieu créateur du Ciel
et de la Terre d’exercer son pouvoir créateur où, quand, et comment il le
veut ? Si au contraire nous croyons en Dieu tout-puissant, créateur du
ciel et de la terre, alors ne pouvons-nous pas lui accorder cet espace
mystérieux où, tout en demeurant Dieu, il agit dans l’univers que lui-même a
créé ? Et qui peut lui interdire de s’y manifester lui-même, en réalisant
le signe donné au roi Acaz ? Cette reconnaissance de la toute-puissance de
Dieu correspond exactement à la réponse de la Vierge Marie faite à l’archange
Gabriel : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon
ta parole. »
Le
rationaliste nie la réalité de Dieu et le gnostique nie la réalité de l’homme.
Le signe donné à Acaz réconcilie Dieu et l’homme, grandit Dieu dans son
abaissement jusqu’à l’homme pour sa rédemption, et grandit l’homme dans son
élévation à la dignité de Dieu, par son humble accueil de la grâce.
Ceci
signifie, chers frères et sœurs, que non seulement le chemin entre terre et
ciel ouvert par Dieu en la Vierge Marie, ne l’est pas uniquement pour Jésus
mais aussi pour nous tous, et encore que ce chemin est actuel : dans nos
vies – qui que nous soyons – Dieu peut intervenir réellement contre toute
logique humaine, en vertu de sa toute-puissance divine, lui qui est créateur du
ciel et de la terre. La naissance de Jésus ouvre une brèche dans l’impossible
qui enferme trop souvent nos vies, nos conceptions, nos représentations, nos
mentalités, qui ressemblent parfois à des prisons ou à des tombeaux. Dans les
ténèbres diverses qui sont les nôtres, la naissance de Jésus est la lumière qui
change tout. Puissions-nous la reconnaître avec joie en nous exclamant avec
saint Thomas touchant de ses doigts le corps de Jésus vivant : « Mon
Seigneur et mon Dieu ! »