Si
3, 17-18.20.28-29 ; Ps 67 ; He 12, 18-19.22-24a ; Lc 14,1.7-14
Chers frères et sœurs,
Nous voici avec Jésus dans la maison du chef des pharisiens. Saint Luc a rédigé son évangile avec précision : il a noté que les pharisiens « observaient » Jésus, après avoir placé devant lui une personne malade, pour voir comment il réagirait – cet épisode où Jésus guérit le malade a malheureusement été supprimé pour raccourcir la lecture – mais plus loin saint Luc nous dit que Jésus a « remarqué » comment les pharisiens choisissaient les premières places au moment de s’installer pour le repas. Les pharisiens « observent » et Jésus « remarque ».
Pour nous, en français, la différence entre les deux mots n’est pas très significative, mais en hébreu c’est très différent : les pharisiens « épient, surveillent » Jésus, avec l’intention de le prendre au piège ; tandis que Jésus « applique son cœur » : il cherche à mieux connaître, à mieux comprendre ces hommes qu’il voit s’égarer ici dans leur orgueil insensé.
À travers ces deux attitudes, nous percevons l’abîme qu’il y a entre la mentalité des hommes, qui vivent dans une méfiance parfois maladive les uns des autres et surtout à l’égard de Dieu, et inversement la mentalité de Dieu qui part d’un regard bienveillant envers les hommes, qu’ils soient justes ou pécheurs. Ainsi Jésus donne un enseignement aux pharisiens comme un bon père à ses fils, pour qu’ils puissent reprendre le bon chemin. Jésus donne ici deux leçons : la première aux invités, la seconde à celui qui invite. Mais en fait, dans les deux cas, il s’adresse à tous les hommes et à nous parmi eux.
La première leçon se résume à l’adage suivant : « Quiconque s’élève sera abaissé ; et qui s’abaisse sera élevé. » En fait, personne n’a besoin de Jésus pour recevoir ce type de leçon : on n’a pas besoin d’être chrétien pour avoir un minimum de savoir-vivre et de prudence. C’est donc qu’à travers sa parabole Jésus veut dire quelque chose de plus important. Pour comprendre, il faut se souvenir que, dans la Bible, quand une autorité parle ou agit sans qu’elle soit nommée, il s’agit généralement de Dieu : « Quand tu es invité… » dit Jésus. Mais par qui ? Par Dieu lui-même. Il faut donc comprendre : « Quand tu es appelé par Dieu à son banquet, dans son Royaume… ne te crois pas déjà couronné de gloire ou de sainteté… » Car – dit Jésus – il y a peut-être quelqu’un d’autre qui pourrait être plus saint que toi, et qui n’en sera que davantage glorifié dans le Royaume. Nous avons bien raison de nous réjouir de notre baptême, d’avoir fait notre première communion, et d’être appelés enfants bien-aimés de Dieu – car nous le sommes – mais, ne nous reposons pas sur nos lauriers : la place la plus élevée reviendra à celui qui parmi nous sera le plus humble, celui qui se fera le serviteur des autres, dans l’ordre de la charité, en donnant sa vie par amour pour eux : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » C’est la clé de tout.
La seconde leçon concerne le chef des pharisiens qui invite. À lui, qui a les moyens d’offrir un grand banquet à de nombreuses personnes, Jésus l’appelle à faire comme Dieu lui-même fait pour tous les hommes : Dieu invite dans son Royaume les pauvres, les estropiés, les boiteux et les aveugles – tous les malheureux laissés au bord du chemin, à l’image de ceux qui se débattent comme ils peuvent dans une vie difficile et souvent malheureuse, en raison de leurs propres faiblesses, ou parce qu’ils sont les jouets des autres, tous ceux qui n’espèrent même plus, ou si peu, de pouvoir un jour rejoindre la gloire de Dieu, le Royaume des cieux. Justement, ce que veut notre Dieu – dit Jésus – c’est qu’ils soient présents avec lui et avec tous les saints à son grand banquet, sans aucune contrepartie, par pure grâce, par pur amour. La place est gratuite parce qu’elle a été achetée par Jésus sur sa croix, en offrant sa propre vie. Ainsi donc, le chef des Pharisiens est appelé à faire de même : il deviendra ainsi prophète de Dieu et sera reconnu par lui comme Juste et glorifié éternellement comme tel.
Or, chers frères et sœurs, c’est exactement ce qu’a fait saint Louis, tout puissant roi de France qu’il était. Non seulement Louis était généreux avec les pauvres, mais il l’était en s’abaissant plus qu’eux. Ainsi, à Compiègne, le roi est descendu de cheval pour aller dans la boue du chemin apporter lui-même son offrande à un pauvre lépreux, et lui embrasser la main. Car il considérait tous les hommes – y compris ses propres sujets – comme ses frères : « Les serfs appartiennent à Jésus-Christ, comme nous, et dans un royaume chrétien, nous ne devons pas oublier qu’ils sont nos frères », disait-il. Plus encore, Louis aimait servir les malades : il leur préparait leur nourriture et « étant à genoux devant eux et portant les morceaux à leur bouche » – dit son biographe – il leur donnait lui-même à manger. D’ailleurs à l’occasion des grandes fêtes de l’Église, il aimait recevoir beaucoup de pauvres à sa table, et après les avoir servis, il mangeait le dernier. Une fois, voyant qu’un vieil homme avait du mal à terminer son écuelle, il en fit apporter les restes, qu’il mangea lui-même. Comme tous les Jeudi saint, chaque samedi, le roi Louis lavait les pieds à trois pauvres : agenouillé devant eux, il les essuyait et les embrassait. Car pour lui, en chacun de ces pauvres frères qu’il honorait, c’était son Dieu qu’il adorait.
Voilà pourquoi le roi de France, Louis IX, est aujourd’hui glorifié dans l’Église comme saint. Et – faut-il le préciser – c’était là le secret de sa joie rayonnante.