samedi 6 août 2022

30-31 Juillet 2022 - CHOYE - GRAY - 18ème dimanche TO - Année C

Qo 1,2 ; 2,21-23 ; Ps 89 ; Col 3,1-5.9-11 ; Lc 12, 13-21
 
Chers frères et sœurs,
 
Voilà donc un homme qui demande à Jésus de faire appliquer son droit d’héritage auprès de son frère, qui ne veut pas partager avec lui. On est dans un problème très concret d’injustice. Jésus va-t-il laisser faire ? La difficulté est que si l’homme lui accorde naturellement l’autorité d’un roi pour juger du litige, Jésus ne veut pas tomber dans le piège : il n’a pas cette autorité dans ce monde, mais dans l’autre. Et si jamais il usait de son autorité divine pour régler des litiges humains, non seulement il donnerait raison aux scribes, aux grands prêtres et aux pharisiens qui l’accusent de vouloir prendre le pouvoir en Israël, mais surtout, il séculariserait, pasteuriserait, énerverait, sa mission. Sa justice n’est pas celle des hommes mais celle de Dieu. Elle n’est pas au même niveau.
Pour autant, après lui avoir fait une réponse de jésuite – en lui répondant par une question, Jésus va-t-il laisser tomber ce pauvre homme ? Non, il répond en disant : « Gardez-vous bien de toute avidité, car la vie de quelqu’un, même dans l’abondance, ne dépend pas de ce qu’il possède. » Avec cette sentence, aussi bien cet homme que son frère peuvent s’interroger sur le sens, et même l’intérêt de leur litige, et faire leur examen de conscience. Ce que Jésus dit d’important ici est qu’il n’y a pas de plus haute richesse que la vie – et il s’agit ici certainement de la vraie vie : la vie éternelle. Et là, pour le coup, Jésus est un juge compétent puisque c’est par lui que nous avons cette vie. Jésus élève donc cet homme et les autres auditeurs à une compréhension d’eux-mêmes et du sens de leur vie – de leur vocation – bien au-delà de questions de propriétés sur la terre.
 
Reconnaissons que cela n’est pas facile, et d’ailleurs la question demeure un peu obscure pour les auditeurs. Jésus éclaire donc ses propos en racontant la parabole du riche et de ses greniers. Ici, il faut être un peu subtil, car Jésus ne condamne pas le riche sur le fait qu’il soit riche, qu’il ait bien travaillé pour avoir de bonnes récoltes, ni même qu’il ait eu l’idée de les conserver dans des greniers et même d’agrandir les greniers. Car c’est exactement ce qu’a fait le patriarche Joseph, en Égypte, en prévision de plusieurs années de famine. N’importe quel homme sage et responsable aurait fait de même. Au contraire, on blâmerait un homme qui aurait jeté le blé par la fenêtre ou l’aurait laissé pourrir. Mais alors, quel est le problème ?
Le problème réside dans le fait que l’homme croit que l’abondance de biens dont il bénéficie, il en est l’unique propriétaire. Or c’est faux. Dans sa parabole Jésus fait parler l’homme, qui dit : « ma récolte, mes greniers, mon blé, mes biens. » Cet homme ne voit que lui-même, il ne se parle qu’à lui-même : il ne voit ni Dieu ni les autres hommes. Et c’est là le problème. Il ne se rend pas compte que si Dieu lui a fait la grâce d’être riche, d’avoir une bonne récolte, de pouvoir construire de grands greniers, ce n’est pas pour lui, mais c’est pour tout le monde ! Sa grande erreur est de vouloir s’assoir sur son tas de blé en oubliant le reste du monde et sa vie éternelle, au lieu de rendre grâce à Dieu et de faire fructifier sa richesse pour qu’elle serve au bien de tous, pour que la bénédiction de Dieu ne s’arrête pas à lui tout seul, mais que par lui et le bien qu’il fera, cette bénédiction puisse rayonner autour de lui. Or cette bénédiction, c’est justement déjà la vie éternelle.
L’homme est donc triplement fou : d’abord parce qu’il croit qu’il est autosuffisant et que sa vie se limite à sa vie terrestre ; ensuite, alors qu’il est justement déjà bénéficiaire de la vie qui vient de Dieu à travers de nombreuses richesses, par son attitude il en coupe le robinet : il perd la vie éternelle ; et enfin parce que le propre de la vie est de vivre, de s’écouler, de déborder, mais certainement pas de rester bloquée inutilement dans des greniers : c’est impossible. Elle les fait exploser, d’une manière ou d’une autre.
 
Nous voyons donc que Jésus répond bien à l’homme qui est venu le trouver, car tout son discours est en pratique un bon sermon pour son frère. Mais aussi pour lui-même. A-t-il vraiment besoin de sa part d’héritage ? Pourquoi faire ? On sait ce qu’en a fait le fils cadet qui avait demandé sa part d’héritage à son père, et qui finalement est revenu à la maison… pas très fier.
Mais par-delà les questions de propriété matérielles, il y a aussi les richesses spirituelles. À travers l’homme riche, Jésus ne visait-il pas plutôt les grand-prêtres et les scribes, et même tout le Peuple élu de Dieu, qui ont reçu la Loi et les Alliances ? Et la critique pourrait même s’étendre aux Apôtres, qui ont reçu l’Évangile comme un trésor, et à nous-mêmes. N’avons-nous pas reçu la bénédiction de Dieu, la vie de Dieu ? Pourquoi faire ? Pour nous reposer dessus et n’en vivre que d’un point de vue terrestre ? Ou bien pour louer Dieu de sa bonté et la faire fructifier – afin que la vie éternelle en elle rayonne autour de nous et ne se tarisse pas en nous ? Ainsi, dirait saint Paul, nous nous renouvellerons sans cesse dans la ressemblance de Dieu – c’est-à-dire dans la sainteté – en vue de la pleine connaissance : la communion de vie éternelle. Telle est la vocation des riches qui sont appelés à la bonté, selon la sagesse de Dieu. 

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