Jr
38,4-6.8-10 ; Ps 39 ; Hb 12,1-4 ; Lc 12,49-53
Chers
frères et sœurs
Les
lectures de ce jour nous rappellent que les bons serviteurs de Dieu ne sont pas
différents des autres hommes : ils sont fragiles et pécheurs. Mais la
fidélité de Dieu à leur égard, et sa promesse de vie, demeurent quoi qu’il
arrive : Jérémie a été retiré de son puit ; saint Paul nous encourage
à garder les yeux fixés sur Jésus quand nous sommes tentés de nous décourager
dans les épreuves ou face à notre péché. Parce que Jésus a donné sa vie humaine
pour que nous recevions sa vie éternelle.
Il
reste que l’évangile de ce dimanche est un peu curieux. On ne comprend pas
bien : Jésus est-il venu détruire la création par le feu ? Est-il
angoissé par ce qu’il va arriver ? Est-il venu semer la division sur la
terre, alors qu’il nous a enseigné de nous aimer les uns les autres, comme il
nous a aimé ? Que la belle-mère et la belle-fille se disputent, ce n’est
pas nouveau… mais est-il vraiment venu détruire les relations familiales, lui
qui a fait inscrire dans la Loi de Moïse : « Honore ton père et ta
mère, afin d’avoir longue vie sur la terre que te donne le Seigneur ton
Dieu » ?
Si
l’on veut comprendre ce que nous dit vraiment Jésus, il faut lire correctement
au moins deux mots. De quoi parle-t-il quand il parle de feu ? Et de
quelle paix parle-t-il ?
« Je
suis venu apporter un feu. » Quand Jésus parle ici de feu, il ne parle
ni des feux de forêt, ni du feu de l’enfer. Il parle du Saint-Esprit. Ce feu
est celui que vit Moïse au buisson ardent : feu qui illumine le buisson
sans le détruire pour signaler la présence de Dieu. C’est le même qui illumine
le sanctuaire du Temple, le chandelier à sept branches, que nous avons-nous
aussi : ce sont les bougies qui illuminent l’autel. Ce feu est aussi celui
dont les disciples ont parlé : « Notre cœur n’était-il pas tout
brûlant en chemin, tandis qu’il nous ouvrait les Écritures ? »
Car, pour un araméen, c’est le même mot « nour » qui signifie
le feu, et la passion de l’amour. Voilà le feu dont parle Jésus, qu’il est si
impatient de voir allumé en nous : celui de l’amour de Dieu, le don de
l’Esprit Saint.
Quand
Jésus dit cela, il le dit en tant que Dieu : « Je suis venu
apporter un feu sur la terre. » Mais quand il ajoute : « Je
dois recevoir un baptême », il le dit en tant qu’homme. En fait, il
répond à la promesse du feu d’amour divin par le cri de l’homme qui
espère : « Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la
mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli. » Oui, nous sommes pressés et
anxieux dans l’attente du baptême dans l’Esprit et le feu, par lequel nous
accomplirons enfin totalement notre vocation à la communion d’amour, pour
l’éternité. Jésus n’a pas peur du baptême pour lui-même, mais il est tendu dans
l’attente de ce moment, comme des parents au moment d’une naissance par
exemple.
Voyez
ce mouvement extraordinaire : en tant que Dieu Jésus dit qu’il est venu
apporter un feu d’amour, et en tant qu’homme il répond qu’il est dans l’attente
de cet accomplissement. Saint Irénée le disait si bien : « Dieu s’est
fait homme pour que l’homme devienne Dieu. »
Maintenant,
dit Jésus : « Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la
terre ? » Ici il y a un petit piège, difficile à identifier si on
ne sait pas. En araméen, il y a deux mots pour dire paix :
« shyna », qui veut dire « terre cultivée », « tranquillité »,
prospérité » ; et « shelma », qui a donné
« Shalom » ou « Jérusalem », qui est une paix intérieure
profonde, une paix qui vient de Dieu. L’araméen fait donc la différence entre la
paix humaine, la vie paisible sur la terre, et la paix qui vient de Dieu, une
paix immense. Or le grec ne connaît qu’un seul mot pour dire
« paix » : « Eirenè », qui a donné les prénoms Irénée
et Irène. Du coup, de quelle paix parle ici Jésus ? Non, il n’est pas venu
apporter la paix humaine, la tranquillité et la prospérité de celui qui veut
accumuler du blé dans ses greniers, mais oui, il est venu apporter la paix profonde
de Dieu. C’est d’ailleurs le feu dont il vient juste de parler.
Par
conséquent, on comprend mieux la suite : le feu d’amour – celui de la
Pentecôte, le don de l’Esprit Saint, ne vient pas apporter une tranquillité
humaine, une vie pépère, mais il aura deux conséquences pour nous. D’un
point de vue pratique, il va créer des divisions entre ceux qui ont la foi et
ceux qui ne l’ont pas. Et d’un point de vue spirituel, il va purifier en nous
ce qui est conforme à l’homme nouveau et brûler ce qui est de l’homme ancien.
« Cinq personnes de la même famille », ce sont des gens qui vivent
ensemble mais qui – du fait de la foi – ne vivent plus sur la même longueur
d’onde, et ce sont aussi nos dispositions intérieures à chacun d’entre nous,
qui se divisent lorsque nous sommes déjà attirés par la lumière de Dieu, mais
encore tentés par les ténèbres, par les séductions des démons. Alors qu’avant,
nous ne le savions pas et nous vivions entièrement dans les ténèbres, la venue
du feu d’amour, nous révèle notre état réel de pécheur et en même temps nous
attire vers la gloire lumineuse.
Voilà
donc chers frères et sœurs quel est l’enseignement de Jésus aujourd’hui. Retenons
que Dieu est impatient que nous soyons embrasés par le feu de son Esprit Saint,
et c’est bien pourquoi, nous qui sommes chrétien, malgré les épreuves du temps,
nous sommes tendus dans l’attente de ce jour de joie.