Sg
9, 13-18, Ps 89 ; Phm 9b-10.12-17 ; Lc 14,25-33
Chers
frères et sœurs,
Parce
qu’elle vient de Dieu, la foi est tout autant une bonne nouvelle pour les
hommes qu’une difficulté. Difficulté parce que, pour eux, la foi n’est pas
évidente : il faut recevoir l’Esprit Saint pour entrer dans sa logique. Mais
elle est une bonne nouvelle parce qu’elle annonce un monde nouveau : celui
du royaume des cieux.
Ainsi, saint Paul explique à Philémon que si Onésime est
– d’un point de vue humain – son esclave, d’un point de vue spirituel, divin,
il est son frère. Ainsi vivent les hommes habités par l’Esprit Saint, avec la
Sagesse qui vient de Dieu : ils portent un double regard sur le monde. Justement,
pour comprendre l’enseignement de Jésus dans l’Évangile de ce dimanche, il faut
le lire avec cette sagesse, en premier lieu grâce aux Écritures où elle s’est
en quelque sorte sédimentée.
Jésus
est suivi par la foule qui le reconnaît comme Messie et veut le faire roi.
Paradoxalement elle est vraiment poussée par l’Esprit à suivre Jésus jusqu’à ce
qu’il prenne possession de son règne, mais elle en est restée à des vues
humaines : pour elle, le règne est terrestre et non pas céleste. Du coup
Jésus doit l’avertir de son erreur et expliquer ce qu’est « être vraiment
son disciple ».
Avertissement :
« Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa
femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut
pas être mon disciple. » À première vue, c’est plutôt radical. Mais Jésus
fait référence ici à un passage du Livre du Deutéronome où ceux qui n’ont pas
vu leur père et leur mère, ni reconnu leurs frères ou leurs fils, sont les lévites,
ceux qui en Israël sont consacrés à l’enseignement de la Loi et au culte de
Dieu. Ainsi être disciple de Jésus, c’est être lévite : être imprégné de
la Loi de Dieu – celle de la charité – et le servir par le culte. Il ne s’agit
donc pas d’une activité politique, mais une vocation. Nous autres, chrétiens,
nous avons reçu cette qualité de disciple, cette vocation de lévite, à notre
baptême.
Les
choses étant posées, Jésus donne ensuite deux explications, qui pourrait être
inspirées de ce passage du livre des Proverbes : « Avec la sagesse
on se bâtit une maison, avec l’intelligence on la rend solide, avec du
savoir-faire on remplit les pièces de mille biens précieux et beaux. Au sage
appartient la force, celui qui a l’expérience augmente son pouvoir. C’est en
bon stratège que tu dois mener la guerre : élargis ton conseil et tu réussiras
! » La sagesse, c’est bien sûr l’Esprit de Dieu, sans lequel on ne
peut ni bâtir ni mener une guerre avec succès.
Première
explication de Jésus : la construction d’une tour. Comme d’habitude, saint
Luc a semé quelques mots-clés. Ici, c’est le mot « dépense ».
Il ne renvoie qu’à deux mentions dans les Écritures, qui toutes les deux
concernent la construction du Temple de Jérusalem. En fait, ici Jésus parle de
quelqu’un qui veut construire un Temple nouveau, une tour. Or, pour qui connaît
les textes des premiers chrétiens, où l’Église est comparée à une tour, l’image
est évidente. En fait Jésus est en train de parler de lui, qui veut bâtir le
Temple nouveau de l’Église. La question est de savoir s’il peut aller jusqu’au
bout de sa mission, s’il peut « achever » sa construction, au risque
des moqueries. Or, si Jésus a bien été moqué au moment de sa Passion, voici ce
qu’il s’est passé à la fin, selon saint Jean :
« Après cela,
sachant que tout, désormais, était achevé pour que l’Écriture s’accomplisse
jusqu’au bout, Jésus dit : « J’ai soif. » Il y avait là un récipient
plein d’une boisson vinaigrée. On fixa donc une éponge remplie de ce vinaigre à
une branche d’hysope, et on l’approcha de sa bouche. Quand il eut pris le
vinaigre, Jésus dit : « Tout est accompli. » Puis, inclinant la tête,
il remit l’esprit. »
Ainsi donc, Jésus est en train d’expliquer à la
foule qu’il marche vers sa Passion, et il aura achevé la construction de la
Tour – c’est-à-dire de l’Église – uniquement quand il aura été jusqu’à la
remise de l’Esprit. A travers cela, il pose à la foule la même question qu’il
avait posée à Jacques et Jean, qui voulaient être assis à sa droite et à sa
gauche dans son Royaume : « Pouvez-vous boire la coupe que je vais
boire ? » C’est exactement le même enseignement.
Seconde
explication de Jésus : le roi qui part à la guerre. Ici aussi, il y a
quelques mots-clés : ce sont les nombres des hommes : 10.000 et
20.000. Il se trouve qu’avec la foi en Dieu Judas Macchabée a été vainqueur
avec 10.000 hommes contre Lysias qui en avait 60.000, mais que face aux 20.000
hommes de Démétrios, les 3.000 hommes du même Judas, ayant perdu la foi et
ayant pris peur, dans son orgueil et contre tous les conseils, Judas voulut
engager la bataille. Il fut vaincu et il mourut. Le message de Jésus est
clair : sans la sagesse et la puissance donnés par Dieu, sans la foi, les
combats humains sont vains, quelle que soit la puissance de l’ennemi. La
question posée à la foule est donc : êtes-vous certains d’être animés par
la Sagesse de Dieu ? Sinon, soyez patients : un disciple n’a pas à
enseigner son maître, mais plutôt le maître son disciple.
Et
justement, pour finir, Jésus demande à la foule de renoncer à ce qui lui
appartient. Il ne s’agit pas de choses matérielles, mais que chacun renonce à
son orgueil et à ses ambitions humaines : être disciple, c’est être à
l’école de Dieu. C’est se faire capacité, comme une jarre, pour que Dieu puisse
la remplir du bon vin de sa Sagesse, de son Esprit Saint. Et c’est pourquoi,
priorité des priorités, Jésus recommande à la foule de « s’assoir »,
c’est-à-dire de se mettre à son écoute, à l’écoute de la Loi, à l’écoute des Écritures,
comme Nathanaël, dont le cœur était « sans ruse » et qui était
« assis sous le figuier », lui dont Jésus a dit qu’il était un
« vrai Israélite », c’est-à-dire un vrai disciple.