Am
6,1a.4-7 ; Ps 145 ; 1Tm 6,11-16 ; Lc 16,19-31
Chers
frères et sœurs,
Si
nous prenons la parabole de Jésus au pied de la lettre, nous comprenons
qu’après la mort il y a un jugement qui conduit, soit au paradis – pour les
pauvres ; soit en enfer – pour les riches, au moins ceux qui n’auront pas
pris soin des pauvres quand ils en avaient la possibilité. La séparation du
paradis et de l’enfer ressemble à une vitre blindée : on peut se voir et
se parler, mais il est impossible de passer d’un côté à l’autre. Nous
comprenons aussi que la résurrection ne concerne pas que notre âme, mais aussi
notre corps : tout notre être, puisqu’on peut se reconnaître et se parler.
C’est ainsi que Juifs et chrétiens accordent une grande importance au corps et
en prennent soin, notamment au moment de la mort, autant que possible, en vue
de la résurrection.
À
la fin de la parabole, Abraham répète deux fois qu’il est nécessaire d’écouter
« Moïse et les prophètes » ; la première fois quand le
riche veut que ses frères soient prévenus. Or, pour les Juifs comme pour nous,
les écrits de Moïse et des prophètes – l’Ancien Testament – c’est-à-dire les
Écritures, sont parfaitement disponibles, y compris sur Amazon, à 15 €.
Personne n’a d’excuse. Mais cela ne suffit pas. Pour que ses frères soient
convaincus, le riche explique qu’il faudrait que « quelqu’un de chez
les morts » vienne les trouver, ce qui est le cas de Jésus ressuscité,
par exemple. Mais Abraham répond que si les hommes ne mettent pas en relation
les Écritures (Moïse et les prophètes) avec Jésus ressuscité, alors ils ne
pourront pas croire. Ceci est une leçon aussi bien pour les Juifs que pour les
chrétiens : il faut les deux : les Écritures et l’Évangile. Si on
avance que sur un pied, on ne peut pas avoir la foi et mener une vie droite en
vue de la joie éternelle : il faut les deux.
Cependant
la lecture que nous venons de faire, si elle n’est pas fausse et déjà assez
consistante, elle demeure néanmoins quand même un peu courte. Jésus dit
beaucoup plus que cela dans sa parabole.
Jésus
commence par décrire l’homme riche, « vêtu de pourpre et de lin fin »,
qui fait « chaque jour » des « festins somptueux ».
C’est exactement une photo des grands-prêtres. C’est de « Pourpre et de
lin fin » que sont fait les tissus et linges du Temple, et c’est
« chaque jour » que sont faits les sacrifices, qui donnent
lieu à des repas. N’oublions jamais qu’il n’existe pas de boucheries dans
l’Antiquité : les boucheries et les temples, y compris les temples païens,
sont exactement la même chose, car le sang est sacré et donc on ne tue pas un
animal sans que ce soit en même temps un sacrifice religieux. Bref, le riche de
la parabole, c’est un grand prêtre. Nous ne connaissons pas son nom.
En
revanche, nous connaissons celui du pauvre : « Lazare », nom
qui signifie « aide, secours ». C’est un comble que le riche, qui
connaît le nom du pauvre, ne lui apporte ni aide ni secours ! C’est
pourtant comme s’il avait un panneau publicitaire sur la tête. Mais le riche ne
veut pas le voir.
Jésus
dit que Lazare est « devant le portail » du riche, or c’est
symboliquement la place réservée en Israël aux lévites, aux prêtres. Lazare est
un lévite, et même – peut-être est-ce une provocation de la part de Jésus – il
porte le nom de famille des anciens Grand-prêtres, ceux qui ont été écartés par
les Romains au profit de la famille de Anne et de Caïphe. Cette idée que Lazare
soit un prêtre – et peut-être même le Grand prêtre légitime – est reconnue par
le riche, quand il dit à Abraham : « Envoie Lazare tremper le
bout de son doigt dans l’eau pour me rafraîchir la langue ». Ce geste est
en effet celui que doit faire le Grand prêtre pour sanctifier, purifier, ce qui
doit être consacré. Ainsi, le riche, qui était lui-même Grand prêtre sur la
terre, demande à être absous de son péché par la bénédiction du véritable Grand
prêtre du ciel, qui est donc Lazare.
Arrêtons-nous
ici deux secondes. Dans sa parabole Jésus fait la différence entre les actuels
Grands prêtres, qui semblent avoir pouvoir et richesse, et donc apparemment la
bénédiction de Dieu, et le véritable Grand prêtre, qui a le pouvoir de pardonner
les péchés, mais qui est sur la terre considéré comme un pouilleux, dont les
chiens viennent jusqu’à « lécher les ulcères », c’est-à-dire
qu’ils viennent se moquer de son indigence. Or Lazare, à sa mort, a été emporté
par les anges « auprès d’Abraham ». Ici la traduction est
défectueuse : il a été emporté « dans le flanc d’Abraham »,
c’est-à-dire que lors du festin céleste, lorsque tout le monde est semi allongé
pour manger, Lazare se trouve positionné dans le flanc, c’est-à-dire à la
droite, d’Abraham.
Maintenant,
vous avez compris : dans la parabole, Abraham, c’est le Père, et Lazare,
c’est Jésus, qui est le Grand prêtre véritable qui pardonne les péchés – avec
de l’eau, c’est-à-dire l’eau du baptême, ou l’Esprit Saint, qui rafraîchit ceux
qui sont assoiffés de justice.
Ainsi
donc, avec une « certaine dose » de provocation à l’égard des Grands
prêtres – ici le riche, et des pharisiens – ici les chiens qui lèchent les
ulcères, Jésus se cache sous l’identité de Lazare, le véritable Grand prêtre en
capacité de pardonner les péchés, qui est appelé à être élevé au ciel par les
anges après sa mort, et dans la résurrection à siéger à la droite du Père, bien
qu’il apparaisse sur terre, pour le moment, comme un paria dont on se moque et
qu’on laisse dépérir.
La
leçon ne vaut pas seulement pour les Juifs, elle vaut aussi pour les chrétiens :
seuls ceux qui sont attachés aux Écritures – à la parole de Moïse et des
prophètes – et à l’Évangile, c’est-à-dire à la résurrection de Jésus, peuvent le
comprendre ; et grâce à sa bénédiction, grâce au don de l’Esprit Saint, demeurer
dans la joie éternelle.