Is
52,13 – 53,12 ; Ps 30 ; Hb 4,14-16 ; 5,7-9 ; Jn 18,1 –
19,42
Chers
frères et sœurs,
Aujourd’hui, Jésus est passé en jugement. Grâce
à saint Jean, nous avons pu suivre l’essentiel de ce qui s’est passé et cela
nous permet de nous interroger. Et nous, dans cette histoire, où serions-nous ?
Je voudrais m’arrêter ce soir sur la figure de Pilate et celle de Nicodème.
Pilate n’était pas de grande famille romaine,
mais certaines traditions rapportent que sa femme aurait été une petite fille
de l’Empereur Auguste. Ceci peut expliquer sa promotion comme préfet de Judée. Comme
pour toute nomination de ce type, la durée du mandat dépend de celui qui est à
Rome. Or, deux ans avant le procès de Jésus, Séjan le protecteur de Pilate
avait été assassiné. C’est alors que pour acquérir les bonnes grâces de Tibère,
le nouvel homme fort, le préfet de Judée avait fait placer à Jérusalem des
boucliers d’or à son nom. Les Juifs se plaignirent à l’empereur de ce blasphème
qui souillait la ville sainte, et ils menacèrent de se révolter. Finalement, Tibère
avait ordonné à Pilate de retirer les boucliers. Depuis, le préfet était donc
fragilisé.
Ainsi, lors du procès de Jésus, Pilate s’est
retrouvé écartelé entre sa conscience et la peur de perdre son poste. D’un
côté, il voyait bien que Jésus ne représentait pas de menace contre l’ordre
romain : ses revendications royales n’étaient que religieuses. Et d’ailleurs
Jésus suscitait un malaise en lui. Il ressentait son autorité divine :
« Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi
si tu ne l’avais reçu d’en haut » lui avait répondu Jésus. « Et dès lors – dit saint Jean – Pilate cherchait à le relâcher ».
Mais d’un autre côté, Pilate a en face de lui
la foule et les grands prêtres. La foule n’a pas de nom : un jour elle
acclame Jésus avec des rameaux, le lendemain elle réclame sa mort, quelques
jours après, elle pleure parce qu’elle s’est faite complice : la foule ne
sait pas ce qu’elle veut. En fait, elle ne s’est pas aperçue qu’elle s’était fait
manipuler par les grands prêtres, par ceux qui disent ce qu’il faut penser. Et
là il fallait penser mettre Jésus à mort. Les grands prêtres, eux, avancent
masqués : ils ne disent pas ouvertement la vraie raison pour laquelle ils
veulent la mort de Jésus. Ils ne l’avoueront que par inadvertance, en
disant : « Il s’est fait Fils
de Dieu ».
Pilate n’a pas peur de la foule ; il l’a
déjà rudoyé en d’autres circonstances pour la disperser. Mais il a peur que les
grands prêtres le dénoncent encore une fois à Rome. Et cette-fois-ci, il n’y
aura plus de protecteur. Le dilemme de Pilate est donc le suivant : vérité
et innocence pour Jésus, contre perversion de la justice et sauvegarde de son
poste de préfet... « Qu’est-ce que
la vérité ? » dit-il. Quand on ne croit à rien, on finit par tout
lâcher : la justice et l’honneur. Pilate se lave les mains, geste rituel
qui signifie qu’il vient de prononcer une sentence de mort. Jésus est condamné.
Nicodème est un homme qui apparaît trois fois
dans l’évangile de Jean. C’est un docteur de la Loi, membre du Sanhédrin.
D’après les écrits Juifs anciens, il est un des trois personnages les plus
riches de Jérusalem. Autrement dit, localement c’est un personnage considérable.
Nicodème est aussi un disciple de Jésus mais
en secret. Il était venu l’interroger en cachette, de nuit, et Jésus lui avait
dit : « Amen, amen, je te le
dis : nul – s’il ne naît de l’eau et de l’Esprit – ne peut entrer dans le
Royaume de Dieu ». Lorsque les grands prêtres avaient voulu, il y a un
an déjà, condamner Jésus, il s’y était courageusement opposé : « Notre loi condamne-t-elle un homme sans que,
d’abord, on l’entende, et que l’on sache ce qu’il a fait ? ».
Mais il s’était durement fait remettre en place par les collègues. Et
aujourd’hui, devant la perversion flagrante de la justice, il est impuissant.
La Passion de Jésus a dû être aussi la
passion de la conscience de Nicodème devant un tel déni de justice. « Qu’est-ce que la vérité ? »
avait dit Pilate. Et Nicodème savait que la Vérité était justement en face de
lui. Pilate avait étouffé sa conscience devant Jésus, et lui, Nicodème, avait
sa conscience crucifiée avec Jésus.
La seule chose que Nicodème pourra faire,
c’est – avec Joseph d’Arimathie – de procéder aux funérailles du Maître. Il
fournit les aromates nécessaires, en abondance. Ce furent des funérailles de
roi, où Nicodème ne transigea pas sur les dépenses. Mince consolation, mais l’honneur
est sauf : Nicodème porte bien son nom qui veut dire :
« Innocent du Sang ».
Chers frères et sœurs, devant Jésus, devant
la vérité, où sommes-nous ? Sommes-nous Pilate, prêts à toutes les
compromissions pourvu qu’on ne perde pas notre situation ? Sommes-nous
Nicodème, parfois impuissants, mais malgré tout présents quand le témoignage de
la vérité l’exige ?
Chers frères et sœurs, le procès de Jésus
dure toujours et encore aujourd’hui. Demandons au Seigneur la grâce d’agir toujours
selon notre conscience et d’être en toutes circonstances fidèles à Jésus.