Jo
2,12-18 ; Ps ; 2Co 5,20-6,2 ; Mt 6,1-6.16-18
Chers
frères et sœurs,
Nous voici à l’entrée du carême. Beaucoup de
gens regardent ce temps comme un temps d’épreuve et de pénitence, un temps triste,
presque mortifère et inhumain. Mais je voudrais vous montrer qu’ils se
trompent. Le temps du carême est un temps de libération. Il est une bouffée
d’oxygène pour notre corps, pour notre âme et pour notre esprit. Le temps du
carême est un temps qui fait du bien.
Le carême est un temps de libération parce
qu’il nous ramène à notre humanité réelle. Nous vivons dans un monde où nous
sommes incités soit à idéaliser l’homme – en faire un dieu immortel ; soit
à le mépriser – effacer jusqu’aux traces de son corps après sa mort. Dans les deux
cas nous sommes malheureux.
Or, le premier jour du carême est un jour où
nous recevons les cendres. Elles nous rappellent que nous sommes des créatures,
tirées de la terre et qui retourneront à la terre, mais aussi et surtout des
créatures modelées à l’image et à la ressemblance de Dieu. Nous avons été créés
librement et par amour : nous sommes des êtres libres dont le principe de
vie est l’amour. Ainsi, ces cendres que nous allons recevoir, nous rappellent
en même temps nos limites humaines, contre l’idolâtrie de nous-mêmes, et en
même temps, la trace du feu de l’amour de Dieu, contre la tentation de nous
mépriser.
Recevoir les cendres, c’est se situer à la
juste place : humilité et sainteté de l’homme devant Dieu et devant ses
frères humains. En nous resituant au bon endroit dans l’univers, dans la
création de Dieu, la célébration du mercredi des cendres nous libère des
illusions sur nous-mêmes.
A l’invitation de Jésus, le carême se
poursuit, par l’aumône, la prière et le jeûne. Lorsqu’un homme n’est pas à sa
place dans la création et se fait des illusions idolâtriques ou mortifères sur
lui-même, il s’autodétruit : corps, âme et esprit. Or justement Jésus nous
donne des indications pour vivre.
Prenons le corps : le jeûne est un moyen
pour exercer son corps mais aussi pour vérifier si l’on a une juste relation
vis-à-vis de lui. L’effet n’est pas seulement que l’âme maîtrise le corps, mais
nous savons bien aussi que l’âme se porte mieux dans un corps qui est sain. On
a meilleur moral. Maîtriser son corps, c’est aussi pacifier sa relation par
rapport à la création, à la nature, mais aussi à notre prochain et en
définitive à Dieu.
Parlons de l’âme : la prière est un
excellent moyen pour mesurer quelle est notre véritable orientation de
vie : sommes-nous tournés vers la terre ou bien vers le ciel ? Est-ce
que la juste maîtrise de nous-mêmes, avec l’aide de l’Esprit Saint, nous permet
de vivre corps et âme, saintement ? La prière n’est pas seulement une
pensée fugitive vers Dieu de temps en temps, elle suppose aussi un temps
d’arrêt dans nos occupations. Quand elle est à heures régulières, elle devient
une véritable respiration pour notre âme, et du coup aussi pour notre corps.
Et l’esprit ? L’aumône est un test dont
Jésus nous a déjà parlé : on ne peut pas aimer en même temps Dieu et
l’argent. Avec l’aumône, qui est parfois un geste réfléchi, parfois un geste
réflexe, quand on rencontre une personne pauvre dans la rue, c’est la fine
pointe de notre âme qui est mise à l’épreuve. La question est : est-ce que
tu aimes Dieu ? Est-ce que tu as foi en lui ? Est-ce que tu espères
toujours en lui ? Si la réponse est oui, je suis libre vis-à-vis de l’argent,
qui n’est pour moi qu’un simple moyen de vivre et de faire du bien. Mais si je
réponds non, alors j’ai besoin de
l’argent comme d’une assurance-vie et je m’enferme moi-même dans mon
coffre-fort.
Voilà pourquoi l’aumône, la prière et le
jeûne ne sont pas à prendre comme des pénitences mais plutôt comme des tests
pour vérifier si nous sommes libres, si nous vivons libres dans la lumière de
Dieu ou bien si nous sommes prisonniers de nous-mêmes. Ce sont des tests ou plutôt
des exercices, pour nous libérer, pour nous oxygéner.
Voilà donc, chers frères et sœurs, le bon
temps du carême, où réellement hommes et femmes, créés dans la liberté et
l’amour de Dieu, libres et aimants, dans notre corps, notre âme et notre esprit,
nous allons cheminer vers la joie de Pâques. Là le Seigneur nous précède et
nous attend dans la communion de son amour qui est éternel.