Ex
12,1-8.11-14 ; Ps 115 ; 1Co 11,23-26 ; Jn 13, 1-15
Chers frères et sœurs,
Comme les autres apôtres, Pierre était monté à Jérusalem avec Jésus, pour y célébrer la Pâque. La Pâque est cette grande fête des Juifs, où l’on fait mémoire de la libération du peuple de Dieu retenu en esclavage par le Pharaon d’Égypte. Le rituel de cette mémoire est le sacrifice de l’agneau pascal et sa consommation lors d’un repas. À l’époque de Jésus, lorsqu’on habitait en Israël, on montait au Temple de Jérusalem, où étaient sacrifiés les agneaux, le jour de la Pâque, à l’heure de midi. Pour pouvoir accéder au Temple, il fallait se purifier entièrement, c’est-à-dire prendre un bain. Comme il y avait beaucoup de monde, les pèlerins prenaient leur bain quelques jours avant Pâques et, le jour-même, ils se lavaient simplement les pieds pour pouvoir entrer dans le Temple. Telle était donc l’ambiance générale dans laquelle Pierre comprenait les événements.
C’est ainsi que, voyant Jésus retirer son vêtement, puis se mettre à laver les pieds de ses disciples, Pierre a compris que Jésus s’abaissait au rang d’esclave et, bien sûr, il ne pouvait pas l’accepter. Est-ce qu’il n’avait pas l’habitude de l’appeler « Maître et Seigneur » ? – ce qui convient à un prince de sang royal. D’ailleurs, Jésus ne le conteste pas : « Vraiment, je le suis », dit Jésus. Vous savez que « Je suis » est la révélation du Nom de Dieu, faite à Moïse au Mont Sinaï. Il y a là un point de bascule pour la compréhension du geste de Jésus. Jusqu’à présent Pierre voyait en lui le Messie d’Israël, qui allait libérer le peuple de la tutelle des Romains, est c’est pourquoi il ne comprenait pas que – tout à coup – son roi, s’abaissant comme un esclave, veuille lui laver les pieds. Mais Jésus lui répond que celui qui se fait esclave pour lui, ce n’est pas son roi… c’est son Dieu ! Du coup, le geste du lavement des pieds prend encore une tout autre dimension.
Jésus donne son enseignement de manière prophétique, c’est-à-dire par des gestes et des paroles. Tous les détails comptent, et les mots dans l’évangile, ont un sens précis. Par exemple, nous lisons ceci : « [Jésus] se lève de table, dépose son vêtement et prend un linge qu’il se noue à la ceinture, puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture. »
D’abord, précisons qu’à l’époque de Jésus, à Jérusalem, on ne prend pas son repas assis sur une chaise autour d’une table, mais semi-couché sur des coussins comme les Romains dans Astérix. C’est pourquoi Jésus peut facilement laver les pieds des convives. Mais voyons ce qui suit : « il dépose son vêtement. » On retrouve cette expression un peu avant dans l’évangile quand il est écrit : « il dépose sa vie », « il donne sa vie ». Puis Jésus « prend un linge »… mais ce n’est pas une serviette ; en syriaque, c’est un « drap de lin fin », qui sert à confectionner les vêtements des prêtres ou les linceuls. Jésus le noue « à ses reins » – les reins pour un hébreu, c’est là où réside la vie. Puis Jésus verse de l’eau « dans un bassin ». Là encore, il ne s’agit pas d’une cuvette en plastique… Le mot employé désigne les bassins d’ablution en bronze qui se trouvent dans le Temple pour purifier Aaron et ses fils, les prêtres, au cours du rituel des sacrifices. Enfin, Jésus « essuie » les pieds des disciples avec le linge attaché à ses reins – Jean insiste, il évoque les reins une seconde fois. En grec, nous avons bien le verbe « essuyer », mais en syriaque, c’est le verbe « orner » : Jésus « embellit » les pieds de ses disciples, il les « brique » comme de l’argenterie !
Vous avez bien saisi, chers frères et sœurs, que le lavement des pieds a donc une signification assez mystérieuse, que l’on peut comprendre ainsi : Jésus, qui est Dieu, a revêtu le vêtement de l’humanité en se faisant homme. Lors de la Pâque, il quitte ce vêtement : il meurt sur la croix. Puis il se revêt du drap de lin fin : c’est en même temps son linceul, mais c’est aussi son habit de prêtre. De fait Jésus est en même temps le grand prêtre qui offre le sacrifice pour le pardon des péchés, et aussi le sacrifice lui-même : il est le véritable Agneau de Pâques. Avec ce sacrifice qui donne la vie – celle qui vient de ses reins – c’est-à-dire l’Esprit Saint – il lave les pieds de ses disciples dont il fait des prêtres comme Aaron et ses fils. Alors seulement ceux-ci peuvent avoir « part » avec lui. Là encore, « avoir part » avec Jésus renvoie à la promesse faite aux fils de la tribu de Lévi, les prêtres, d’« avoir part » directement avec Dieu, puisque contrairement aux autres tribus d’Israël, ils n’ont pas de territoire en Terre Promise. Les Apôtres sont donc établis comme prêtres, dont la « part » est de partager le sacerdoce et le sacrifice de Jésus, son repas pascal, son Eucharistie.
Trois leçons pour finir : premièrement, ce lavement des pieds est à la fois un baptême et une ordination. Baptisés dans la mort et la résurrection de Jésus, ayant reçu le don de l’Esprit Saint, les Apôtres sont faits prêtres à l’image de Jésus pour participer avec lui à son Eucharistie. On ne peut pas communier, si d’abord on n’est pas baptisé et si on n’a pas reçu l’Esprit Saint.
Deuxièmement, Jésus a dévoilé le secret du sacerdoce : c’est un sacrifice du prêtre lui-même, qui quitte son vêtement d’humanité pour se revêtir du drap de lin fin, et qui l’ayant attaché à ses reins peut communiquer la vie. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » Telle est la vocation du prêtre. Vous me direz : pour le mariage c’est pareil, puisque les époux, pour exprimer leur amour, se donnent mutuellement l’un à l’autre. C’est tout à fait exact. Le secret du mariage, c’est le sacerdoce. Et le secret du sacerdoce, c’est le mariage. L’un ne va pas sans l’autre.
Et pour finir, vous aurez compris, chers frères et sœurs, que ce sacerdoce d’amour qui trouve son accomplissement dans l’Eucharistie, est la part divine réservée aux baptisés. Mais on est toujours prêtre pour un peuple : le peuple de l’évêque, ce sont les habitants du diocèse ; le peuple du curé, ce sont les habitants de la paroisse. Et le peuple de chaque baptisé ? C’est sa famille, ses amis, ses collègues, son village. Notre vocation baptismale et sacerdotale, chers frères et sœurs, est de donner notre vie par amour pour notre prochain, afin que lui aussi puisse avoir part à la résurrection et à la vie de Jésus, pour l’éternité.