dimanche 30 mars 2025

29-30 mars 2025 - RENAUCOURT - SEVEUX - 4ème dimanche de carême - Année C

 Jos 5, 9a.10-12 ; Ps 33 ; 2 Co 5, 17-21 ; Lc 15, 1-3.11-32
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous sommes toujours touchés par la compassion du père pour son fils perdu, et nous regrettons l’attitude du frère aîné qui demeure dans l’incompréhension. En effet, la justice du père – qui est l’amour parfait – dépasse la justice des deux frères. Celle du premier, qui revient repentant en se condamnant lui-même au dernier rang, au rang d’esclave de la maisonnée. Et celle du second, qui ne comprend pas les gestes de son père, alors que lui-même n’a pas pu en bénéficier jusqu’alors. Mais la sagesse du Père dépasse la sagesse des hommes. La sagesse du père est son amour inconditionnel pour ses fils – les deux, inséparablement.
 
Il faut dire que ces gestes ont de quoi surprendre le fils aîné. Et en effet, la parabole de Jésus est assez provocante pour qui veut bien comprendre à qui il parle et de quoi il parle réellement.
Voyons ce qui concerne la bague. Une simple recherche dans toute la Bible nous montre qu’il n’est jamais question de bague, sauf dans la parabole et la Lettre de Jacques, où celui-ci oppose un homme au vêtement rutilant, portant une bague en or, et un pauvre au vêtement sale. Ici, la bague est signe de richesse. Mais cela ne nous aide pas beaucoup à comprendre.
En réalité, dans les versions anciennes de l’Évangile de Luc, il ne s’agit pas d’une bague, mais d’un anneau. Le père passe donc un anneau au doigt de son fils cadet. D’anneau, il n’est jamais question dans le Nouveau Testament (sauf dans la parabole) mais seulement dans l’Ancien Testament, et c’est toujours pour désigner quelqu’un qui possède le pouvoir, le pouvoir royal. Citons donc ce passage de la Genèse : 
« Alors, Pharaon dit à Joseph : « Dès lors que Dieu t’a fait connaître tout cela, personne ne peut être aussi intelligent et aussi sage que toi. C’est toi qui auras autorité sur ma maison ; tout mon peuple se soumettra à tes ordres ; par le trône seulement, je serai plus grand que toi. » Pharaon dit à Joseph : « Vois ! Je t’établis sur tout le pays d’Égypte. » Il ôta l’anneau de son doigt et le passa au doigt de Joseph ; il le revêtit d’habits de lin fin et lui mit autour du cou le collier d’or. Il le fit monter sur son deuxième char et on criait devant lui : « À genoux ! » Et ainsi il l’établit sur tout le pays d’Égypte. »
Voilà qui est intéressant, car Joseph était justement objet de la jalousie de ses frères aînés. N’avait-il pas reçu une tunique de grand prix de la part de son père Jacob, ce qui faisait murmurer ses frères ? Ainsi, en arrière-fond de la parabole de Jésus, il y a vraisemblablement l’histoire de Joseph. Remarquez qu’au moment où il parle, Jésus s’adresse à des publicains et des pécheurs, tandis que les pharisiens et les scribes murmuraient contre lui en disant : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! » On croirait entendre le fils aîné...
Alors que dit Jésus, en réalité ? Il dit aux publicains et aux pécheurs : « soyez comme le fils prodigue, rentrez en vous-mêmes et convertissez-vous, et revenez au Père. Alors le Père, qui vous attend, vous recevra comme Jacob aimait Joseph, en le revêtant de la plus belle tunique, et comme Pharaon a partagé son pouvoir avec lui, en lui passant l’anneau royal au doigt. Et il sacrifiera le veau gras pour un repas de fête. Vous serez donc fils de Dieu et vous partagerez sa royauté ; vous goûterez sa communion, dans la joie. » On comprend la stupeur des scribes et des pharisiens, qui réagissent comme des frères aînés. Dieu ne leur retire rien, mais ils ont l’impression d’être dépossédés, tellement les publicains et les pécheurs repentants, comme le fils cadet ou Joseph, sont comblés de bénédictions. Mais encore une fois, l’amour du père est le même pour ses deux fils, inséparablement.
 
J’attire votre attention pour finir, sur les rites du baptême. Un chrétien est baptisé dans l’eau, plongé dans la mort et avant d’être relevé dans la vie nouvelle, de la même manière que le fils cadet s’était perdu dans la soue à cochons, avant de remonter à la maison du père. Et là, à la maison, le baptisé a reçu un vêtement blanc, le saint chrême et la lumière provenant du Cierge pascal, pour veiller dans l’attente de la venue du Seigneur. Le vêtement blanc, voilà la tunique de grand prix, le plus beau vêtement. Le saint Chrême, c’est le signe de l’Esprit qui fait du baptisé un fils, le purifiant de la racine de tout péché, en établissant entre Dieu et lui une alliance nouvelle : c’est l’anneau, ou la bague. Le don de l’Esprit, c’est également le partage de la sagesse de Dieu, le véritable pouvoir du Royaume des cieux. Enfin, le baptisé n’a pas reçu des sandales, mais un cierge pour veiller. En réalité, les deux signes se rejoignent. Dans les Actes des Apôtres, nous lisons cet ordre donné par l’Ange du Seigneur à Pierre : « Mets ta ceinture et chausse tes sandales. » Ce que fit Pierre. L’ange ajouta : « Enveloppe-toi de ton manteau et suis-moi. » Si donc, le père donne des sandales à son fils, c’est pour qu’il marche, qu’il marche à sa suite. C’est ce que font les baptisés : en sandales, ils marchent à la suite du Christ, tout en attendant son retour, avec un cierge allumé à la main. Pensez à une procession : marcher avec un cierge à la main, c’est une attitude typiquement chrétienne.
Alors, chers frères et sœurs, si par le baptême nous avons reçu les mêmes dons que le patriarche Joseph ou le que fils prodigue, alors nous sommes devenus fils de Dieu, héritiers du Royaume et nous partageons la gloire de notre Père qui est aux Cieux. Alors, c’est que le temps du repas des noces de l’Agneau, et de la joie, est venu.
 

dimanche 23 mars 2025

23 mars 2025 - GRAY - 3ème dimanche de Carême - Année C

 Ex 3, 1-8a.10.13-15 ; Ps 102 ; 1 Co 10, 1-6.10-12 ; Lc 13, 1-9
 
Chers frères et sœurs,
 
L’enseignement que nous donne aujourd’hui Jésus prend place dans une série de leçons et de paraboles qui invitent à veiller en attendant le jour de la manifestation de Dieu, le jour du jugement, et à s’y préparer. Le premier échange sur la répression des Galiléens par Pilate et sur les victimes de la chute de la tour de Siloé s’inscrit parfaitement dans ce contexte. Outre le fait que des meurtres commis à l’aveugle, ou des accidents naturels, ne peuvent pas être considérés comme des punitions divines – ce qu’enseignait déjà le Livre de Job – Jésus indique cependant que l’Heure du jugement peut arriver à tout moment pour chacun, quel que soit son degré de péché ou de justice. Et il convient donc de se tenir prêt.

Je voudrais m’attarder un peu plus ce matin sur le second enseignement de Jésus : la parabole du figuier stérile. Nous en avons trois commentaires très anciens, à peu près de la même époque, dans les années 150-200.

Je citerai d’abord celui de Tertullien, chrétien issu d’une famille païenne d’Afrique du Nord, résidant à Carthage – c’est-à-dire à Tunis. Pour Tertullien, l’interprétation est assez tranchée : le figuier représente Israël, c’est-à-dire les Juifs, lesquels – malgré le temps et les soins apportés par le vigneron qui est le Christ –  ne cessent pas d’être stériles : ils n’ont pas la foi, ils ne produisent pas de fruits. De ce fait, le Maître de la Vigne, qui est le Père, les retranche pour que le sol ne soit pas épuisé. Avec Tertullien, nous avons la condamnation sans appel du judaïsme, dont nous connaissons les conséquences malheureuses pour ne pas dire dramatiques. Notez ici que si Tertullien est un témoin très précieux de la vie chrétienne au second siècle, et même le premier théologien en langue latine, il n’a pas pour autant été canonisé par l’Église. Il est donc à consommer avec modération.
 
Le second commentaire est celui de saint Irénée de Lyon, figure bien plus recommandable et chaleureusement recommandée. Saint Irénée, grec d’origine païenne, tient à peu près le même discours que Tertullien. Il explique en parlant de Jésus : « Cette parabole indiquait clairement sa venue par les prophètes, par lesquels il était venu maintes fois chercher chez eux – les Juifs – le fruit de la justice sans le trouver ; elle indiquait aussi que le figuier serait coupé pour la raison qui vient d’être dite. » Pour Irénée, le figuier est également coupé, mais il ne s’agit pas tant d’Israël ou des Juifs dans leur ensemble que de la part récalcitrante du peuple dans l’obéissance à la Loi, la part rétive à la prédication des prophètes comme à celle de Jésus. Car il précise un peu plus loin qu’Abraham, Isaac et Jacob et les prophètes appartiennent au Royaume des cieux. On comprend que les Juifs qui s’inscrivent vraiment dans la Loi et les Prophètes sont justes aux yeux de Dieu : ils produisent des fruits. Irénée est porté à garder ouverte la possibilité d’un salut pour les Juifs du fait que lui-même a reçu la foi d’une communauté composée de judéo-chrétiens, dont saint Polycarpe son maître était. Les judéo-chrétiens, rappelons-le, continuaient d’observer la Loi de Moïse tout en ayant la foi en Jésus. Irénée prit d’ailleurs leur défense contre le Pape Victor, qui voulait les exclure de l’Église. On peut donc comprendre qu’avec Irénée le figuier est davantage émondé que déraciné. Il n’y a qu’un seul figuier de Dieu, appelé à porter du fruit, et une bonne part en donne.
 
Mon troisième et dernier commentaire est celui de l’Apocalypse de Pierre. Il s’agit d’un texte autrefois lu dans l’Église, mais qui finalement a été rangé parmi les apocryphes. De fait, il a été écrit par un judéo-chrétien originaire de Jérusalem. Évidemment pour ce commentateur, il est impossible d’affirmer simplement que le figuier représente tout Israël. Sinon, il couperait lui-même la branche sur laquelle il est assis, puisqu’il est juif ! En fait, pour lui, le figuier est bien Israël – jusque-là il est d’accord avec Tertullien et Irénée – mais les fruits du figuier sont les chrétiens martyrisés pour leur foi. Surprise ! Tout d’un coup, le figuier a été baptisé : il était juif, et maintenant – tout en restant Juif – il est devenu chrétien. Ce commentaire est très intéressant, parce qu’il lit la parabole de Jésus avec une grande confiance dans la parole du Vigneron, qui est Jésus. Le judéo-chrétien a compris et il sait que ce vigneron qui va bêcher la terre et mettre du fumier, va faire en sorte que ce figuier stérile va porter du fruit. Car le Christ est venu pour les pécheurs, les convertir et qu’ils portent du fruit.

Pourquoi ce commentateur peut-il affirmer cela ? Comme il est judéo-chrétien, il connaît par cœur son Livre du Lévitique, où on lit le commandement suivant, au chapitre 19 : « Lorsque vous serez entrés dans ce pays et que vous aurez planté n’importe quel arbre fruitier, vous considérerez ses fruits comme interdits. Pendant trois ans, ils seront pour vous chose interdite, on n’en mangera pas. La quatrième année, tous ses fruits seront consacrés dans une fête de louange au Seigneur. La cinquième année, vous pourrez manger ses fruits et profiter de ses produits. Je suis le Seigneur votre Dieu. » 
Nous reconnaissons la chronologie de la parabole de Jésus, qui est donc un commentaire de ce passage du Lévitique. Et cela est d’autant plus vrai que saint Luc nous dit que le Maître parle non pas à son « vigneron », mais très exactement à son « cultivateur de la vigne » - où le terme « cultivateur » évoque en hébreu aussi bien l’« agriculteur » que « celui qui rend un culte ». Dans la parabole le viti-culteur intervient justement pour la quatrième année, celle où les fruits attendus doivent être consacrés et offerts à Dieu en culte d’action de grâce. Et ensuite seulement, les fruits qui seront donnés par l’arbre pourront être consommés ou employés comme semences, avec la promesse d’une grande fécondité. Notre commentateur judéo-chrétien évidemment sait cela ; mais ce n’est pas évident pour Irénée, et encore moins pour Tertullien, qui ne sont pas juifs.
 
Finalement, que retenir de la parabole de Jésus ? Jésus dit que le peuple d’Israël est semblable à un figuier. D’une certaine façon, qu’il donne des fruits ou qu’il n’en donne pas pendant trois ans, n’est pas déterminant, puisque selon la Loi, durant cette période, le Maître ne peut pas les exiger. En revanche il peut déjà s’inquiéter de ce que le figuier demeure stérile. Arrive la quatrième année, qui est celle de l’offrande. Là, il est nécessaire que le figuier donne du fruit. Jésus, qui est le Viticulteur, va labourer la terre, la fumer et son action rédemptrice va porter du fruit – pour le judéo-chrétien, c’est évident – de sorte que l’offrande prescrite par la Loi puisse être faite par lui. Cette offrande, c’est d’abord celle de lui-même, de sa propre humanité en tant que Fils de David, puis avec lui ce sont les chrétiens, et en premier lieu les judéo-chrétiens, bien sûr. C’est ainsi que le figuier donne de nombreux fruits : les justes qui étant juifs vivent dans l’obéissance à la Loi, les patriarches et les prophètes, et ceux qui n’étant pas juifs vivent par la foi au Christ, les saints et les martyrs. Le figuier qui est Israël, est aussi devenu l’Église, inséparablement, par l’action de grâce du Viticulteur ; ainsi porte-t-il du fruit en abondance, pour la plus grande joie du Maître.

dimanche 16 mars 2025

15-16 mars 2025 - VELLEXON - DAMPIERRE - 2ème dimanche de Carême - Année C

Gn 15,5-12.17-18 ; Ps 26 ; Ph 3,17-4,1 ; Lc 9, 28b-36
 
Chers frères et sœurs,
 
La Transfiguration de Jésus est l’un des épisodes parmi les plus impressionnants de l’Évangile. Il se situe à la croisée des chemins. D’un côté, nous avons, les Écritures – La Loi et les Prophètes – qui nous rapportent des événements similaires vécus par Abraham, mais aussi Jacob, ou Moïse et Élie, où Dieu s’est fait connaître à eux, s’est révélé à eux. De l’autre, nous avons la Gloire de Dieu, cette communion lumineuse dans l’amour, où se retrouvent face au Père, dans le Christ et par l’Esprit, les hommes de toutes les générations, qu’ils aient ou non déjà franchit la mort. Ainsi, avec Jésus, se trouvent Moïse et Élie, Pierre, Jacques et Jean – tous ensemble dans la même Gloire de Dieu. Nous avons donc le temps et l’éternité. Mais nous avons aussi la terre et le Ciel. En effet, Jésus qui est homme, se révèle aussi Fils de Dieu, lorsque l’aspect de son visage change et que ses vêtements deviennent éblouissants. En réalité, Jésus ne change pas au cours de cet épisode : il est toujours le même. Ce qui change, c’est le regard de Pierre, Jacques et Jean, pour qu’ils puissent voir la réalité glorieuse de Jésus, fils de l’homme et fils de Dieu.
Nous comprenons ici qu’en Jésus, Dieu s’est fait homme, et il a été reconnu homme à son aspect par tous ceux qui l’ont rencontré. Et inversement, si Pierre, Jacques et Jean ont pu voir la Gloire de Dieu, s’ils ont pu même y entrer, en compagnie de Moïse et d’Élie, c’est que eux – qui sont des hommes comme vous et moi – ont été revêtus de la divinité. Par l’Esprit Saint qui les a couverts de son ombre, ces hommes ont eu part à la Gloire de Dieu. Ils sont devenus eux aussi fils de Dieu. Ils ont connu la résurrection à l’avance. Et c’est pourquoi, quand Jésus est ressuscité, ils ont pu le reconnaître, l’identifier, l’authentifier. Parce qu’ils l’avaient déjà vu glorieux avant.
 
Comment cela s’est-il passé ? Il est important de noter qu’il y a eu quatre étapes. La première est celle où Jésus monte dans la montagne pour prier. L’aboutissement de sa prière, son objectif, est la Gloire de Dieu. Au sommet de sa prière, son visage a donc changé et ses vêtements apparaissent éblouissants. Cela veut dire que son corps réel est un corps lumineux et que la réalité de la matière qui l’environne est également lumière. Dans la Gloire de Dieu, il en sera de même pour nos corps et pour toute la création : tout sera irradié de lumière. Plus encore, la Gloire de Dieu n’est pas qu’une modification d’état physique, c’est surtout une communion : dans la Gloire, on retrouve les Patriarches et les Prophètes, et les Apôtres – on retrouve tous les saints, les justes et tous les hommes de bonne volonté. Le but de la prière de Jésus – qui est aussi la prière de l’Église – est que tous les hommes puissent se retrouver dans cette Gloire de Dieu. Et cela ne peut se faire que par la Passion et la résurrection de Jésus, par la Croix, par le passage de la mort à la vie, par le baptême qui libère et sauve l’homme pécheur. Ce dont Jésus parle avec Moïse et Élie.
 
Justement – deuxième étape – avec Pierre, Jacques et Jean – qui sont comme nous – nous sommes avec des hommes pécheurs. La Gloire de Dieu ne leur est pas immédiatement accessible. Sinon, ils en mourraient, car nul homme ne peut se tenir en présence de Dieu, du fait de son péché. Le sommeil et les songes sont des moyens pour Dieu de montrer aux hommes sa Gloire sans qu’ils ne meurent. C’est pourquoi il endormit Adam, Abraham et Jacob. Moïse et Élie sont montés sur la montagne dans les ténèbres – les ténèbres ont la même fonction que le sommeil. Car il faut d’abord passer par la nuit – par la Passion – pour accéder au jour, à la Gloire de Dieu. D’ailleurs, avez-vous remarqué que la Transfiguration de Jésus se passe aussi de nuit ?
Pierre est en même temps comblé par la vision qu’il a – elle est fascinante : « Maître, il est bon que nous soyons ici ! » s’écrie-t-il. Mais Luc note qu’« il ne savait pas ce qu’il disait » : c’est beaucoup, beaucoup trop grand pour lui. Il a accès à la Gloire de Dieu, et il n’en reste pas moins un petit homme pécheur : il est terrassé. Il en va toujours ainsi quand un homme se trouve en présence de Dieu : il ne peut pas faire autrement que de se prosterner face contre terre.
Cependant Pierre a dit quelque chose d’important : « Faisons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. » En effet, il a bien compris qu’il n’y a rien de plus grand, rien de plus désirable, que la Gloire de Dieu. Et donc, il veut y habiter pour toujours. Mais quel est l’homme qui bâtirait une maison pour le Seigneur ? C’était le désir du saint roi David, qui voulait bâtir un Temple pour l’Arche de Dieu. Et Dieu lui a répondu : « C’est moi qui te bâtirai une maison. » C’est exactement ce qu’il se passe à la troisième étape.
 
La nuée survient et les couvre de son ombre. Le langage de saint Luc est sans équivoque : la nuée les couvre de son ombre comme les ailes des chérubins couvrent de leur ombre le propitiatoire de l’Arche d’Alliance où repose la Présence du Seigneur. C’est-à-dire qu’à ce moment précis non seulement ils entrent dans la Gloire de Dieu quand ils entrent dans la nuée, mais aussi qu’étant couverts par l’ombre de la nuée, Dieu vient faire reposer sa Présence sur eux, en eux : dans leur cœur. Dieu vient habiter leur cœur comme dans son Temple. Et là il dit : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi  : écoutez-le ! » Bien entendu, il s’agit de Jésus. À ce moment Pierre, Jacques et Jean sont comme Moïse au Sinaï, à la différence qu’au lieu de recevoir la Loi à écouter et à mettre en pratique, ils reçoivent Jésus à écouter et à mettre en pratique. Cette Loi nouvelle, Jésus, la Parole de Dieu, l’Évangile, est donc ici inscrite non pas sur des tables de pierre, mais directement dans leur cœur, où elle est conservée comme dans un Temple. Par l’Esprit Saint, le Seigneur a fait de leur cœur son Temple, où repose son Évangile.
 
Alors, quatrième et dernière étape, quand Dieu eut fini de parler, que l’Esprit Saint s’est retiré en quelque sorte, ils se retrouvent avec Jésus seul, dans son aspect humain, un peu sonnés par ce qu’il s’est passé. Cela a été tellement impressionnant, presque irréel, qu’ils n’en parlent pas. Ils ne peuvent pas. Déjà, parce qu’ils n’ont pas tout compris. Ils ne comprendront vraiment que le jour de Pâques, quand Jésus se montrera à eux ressuscité. Dès lors, comme nous tous, ils n’attendront plus qu’une chose : retrouver la Gloire de Dieu, y habiter, tout en sachant qu’à chaque messe nous recevons cette même Gloire dans la communion. Là, c’est elle qui vient, déjà, nous habiter. 

dimanche 9 mars 2025

09 mars 2025 - PESMES - 1er dimanche de carême - Année C

Dt 26, 4-10 ; Ps 90 ; Rm 10, 8-13 ; Lc 4,1-13
 
Chers frères et sœurs,
 
Par son jeûne au désert, Jésus rejoint la condition de tout homme : dans la détresse, dans la pauvreté, il se révèle sensible aux tentations. L’homme moyen y succombe facilement, ce qui fait rapidement de lui un pécheur. Au contraire, Jésus surmonte les tentations par l’obéissance à la Parole de Dieu : à chaque fois, il cite en réponse au tentateur un verset des Écritures, un verset du Deutéronome. Tout le monde sait bien qu’il ne suffit pas de lire un passage des Écritures pour résister aux tentations, mais en écoutant et en mettant en pratique la Parole de Dieu qui inspire les Écritures, il est possible d’exprimer sa foi dans ce Dieu qui a parlé en elles, d’avoir foi en Dieu lui-même en tant qu’il est le seul Dieu et qu’il n’y en a pas d’autre, et qu’il est Tout-puissant. C’est-à-dire qu’il peut faire arriver ce qui est humainement inconcevable, au moment et de la manière dont il est le seul juge. Avec lui, le diable peut être vaincu. Ainsi, nous voyons apparaître au désert la foi pure de Jésus en son Père, qui ne donne prise à aucune tentation. Le diable chauffe pourtant Jésus « à blanc », si je puis dire, pour tenter de le séparer de son Père. Ce faisant, il mène une attaque directe contre l’Esprit Saint qui unit le Père et le Fils. Et cela est impardonnable. Le combat que mène Jésus au désert est donc pour lui existentiel, comme pour le diable d’ailleurs.
Peut-on faire quelques pas de plus dans notre compréhension de cet épisode de la vie de Jésus ? Je voudrais faire quelques observations.
 
La première est que, d’un côté l’épisode renvoie à la querelle des Hébreux contre Dieu, dans le désert après la sortie d’Égypte, où ils mettent Dieu à l’épreuve. En effet, les Hébreux avaient faim et soif et ils s’interrogeaient – ils doutaient : « Le Seigneur est-il au milieu de nous, oui ou non ? » Mais on peut aussi lire l’inverse, où c’est Dieu qui met les Hébreux à l’épreuve, en les laissant entrer en tentation : « Ont-ils foi en lui, oui ou non ? » Et Dieu répond, dans le livre de l’Exode : « Si tu écoutes bien la voix du Seigneur ton Dieu, si tu fais ce qui est droit à ses yeux, si tu prêtes l’oreille à ses commandements, si tu observes tous ses décrets, je ne t’infligerai aucune des maladies que j’ai infligées aux Égyptiens, car je suis le Seigneur, celui qui te guérit. » Le Seigneur est le protecteur de son peuple, avec qui il a fait alliance.
Donc pour saint Luc, d’un côté nous avons dans les tentations de Jésus un rappel des tentations des Hébreux au désert. Mais, d’un autre côté nous avons aussi la Passion de Jésus. D’ailleurs, Luc écrit que « le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé », c’est-à-dire la Passion.
 
Lors de sa Passion, la première tentation de Jésus se produit à Gethsémani, où il est angoissé : « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. » La tentation consiste à faire sa volonté plutôt que celle de son Père. « Ordonne à cette pierre de devenir du pain » lui suggère le diable… Mais Jésus vit de l’obéissance à la volonté de son Père.
La seconde tentation de Jésus a lieu quand il est confronté aux Grands prêtres et aux anciens, et à Pilate. La question est de savoir s’il est réellement le Christ, c’est-à-dire pour les uns le Fils de Dieu, et pour l’autre le Roi des Juifs. Aux premiers, face à leurs accusations et à leur refus de croire Jésus répond que « désormais le Fils de l’homme sera assis à la droite de la Puissance de Dieu », et au second : « C’est toi-même qui le dis » – qui dit que je suis Roi. Jésus assume complètement son identité. Et justement, il refuse de « lécher les babouches » de ceux qui lui proposent de se renier pour sauver sa vie : « Toi donc, si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela », lui dit le diable. Mais « Quel avantage un homme aura-t-il à gagner le monde entier, si c’est au prix de sa vie ? » a dit Jésus. Ainsi donc, devant la seconde tentation de tout lâcher, de se renier, Jésus réaffirme la seule chose essentielle : « C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte. » Et il faut entendre ici aussi cette réponse de Jésus à Pilate : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi si tu ne l’avais reçu d’en haut. » Il en va de même aussi pour le diable.
Enfin, troisième tentation, tandis que Jésus est élevé en croix : « Il en a sauvé d’autres : qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu, l’Élu ! » lui crient les chefs du peuple ; « N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi ! » lui reproche un larron. « Si tu es Fils de Dieu, d’ici jette-toi en bas… » lui suggère une dernière fois le diable. La réponse de Jésus est souveraine : alors qu’il est le dernier des hommes, rejeté, condamné, crucifié comme un paria, il répond : « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. » Mais… frères et sœurs, Jésus est la Parole de Dieu : il parle de lui-même quand il dit cela : « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »
 
 Alors que peut-on dire pour conclure, qui nous soit profitable ? Retenons que Jésus a toujours choisi l’obéissance à son Père seul, contre toute autre sollicitation. Pour cela, il s’est toujours appuyé sur les Écritures où s’exprime la Parole de Dieu. Et pour cause, comme la Parole de Dieu c’est lui-même, désobéir à sa propre parole aurait été se renier lui-même. Il en va de même pour nous : si nous sommes entrés en Alliance avec Dieu, baptisés au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, alors nous sommes fils et filles de Dieu. Renoncer à notre foi, à notre obéissance à la Parole de Dieu, serait aussi renoncer à nous-mêmes, à notre identité la plus profonde.
Enfin, retenons que la lutte avec le diable, finalement, est toujours de même nature : que ce soit les Hébreux au désert, que ce soit Jésus après son baptême ou lors de sa Passion, le diable prend des visages différents, mais ce sont toujours les mêmes tentations. Et la réponse est toujours la même : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ta force, et de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même. »

vendredi 7 mars 2025

05 mars 2025 - MEMBREY - Mercredi des Cendres

 Jl 2, 12-18 ; Ps 50 ; 2 Co 5,20-6,2 ; Mt 6,1-6.16-18
 
Chers frères et sœurs,
 
La liturgie d’aujourd’hui nous fait entrer en carême. Nous associons souvent le carême à un temps de pratique religieuse plus radicale, où il est question d’aumône, de prière et de jeûne. En réalité ces pratiques devraient nous être parfaitement habituelles. D’ailleurs, même hors carême le vendredi est au moins un jour d’abstinence de viande, et les premiers chrétiens jeûnaient habituellement le mercredi et le vendredi. Pour ce qui est de la prière, tous ceux qui ont reçu un catéchisme savent qu’il faut faire quotidiennement sa prière du matin et du soir. Et nous savons que la prière de l’Église – qui est dans le bréviaire des évêques, des prêtres et des diacres, et de tous les moines et religieux – cette prière est composée de plusieurs temps chaque jour : matines, laudes, tierce, sexte, none, vêpres et complies, sans oublier la messe, bien sûr. La prière de l’Église est par définition celle de tout chrétien : il devrait y être attaché autant que possible. Quant à l’aumône, elle devrait être pour nous tous une seconde nature, un geste habituel, car dans le regard du pauvre nous devrions reconnaître celui de notre Jésus souffrant.
Alors qu’y a-t-il donc de si particulier durant le carême, pour que nous insistions à ce point sur ces actions normales d’une vie chrétienne normale ? Je voudrais souligner trois choses.
 
La première est l’insistance de Jésus, dans l’évangile, pour que ces pratiques – l’aumône, le jeûne et la prière – soient accomplies « dans le secret ». Jésus vilipende les hypocrites qui agissent avec un panneau publicitaire sur la tête. C’est que – comme l’a enseigné Ben Sira le Sage, dans la lecture d’hier à la messe : « C’est présenter de multiples offrandes que d’observer la Loi. » Il veut dire – et il le détaille même – que faire des actes d’aumône, de jeûne et de prière, cela équivaut à présenter à Dieu des offrandes, exactement comme le prêtre présente des offrandes à Dieu « dans le secret » du Temple du Seigneur. Et le plus secret du secret est le Saint des Saints, où se trouve l’Arche d’Alliance sur laquelle repose la Présence de Dieu. Vivre une vie sainte – toute faite d’aumône, de prière et de jeûne – « dans le secret » équivaut à présenter cette vie en offrande à Dieu pour obtenir sa bénédiction, non pas tant pour soi-même, mais aussi et surtout pour les autres.
Tous ici, nous avons été baptisés, prêtres, prophètes et rois, à l’image de Jésus. Agir en secret en vue du bien, c’est donc exercer notre sacerdoce de baptisés. Le Seigneur attend de nous que nous accomplissions la vocation que nous avons reçue de lui au baptême. Et cela vaut le coup de s’en rappeler au moins quarante jours par ans.
 
Justement, nous sommes ainsi faits que nous sommes portés à l’oubli : la mémoire des hommes est défaillante. Parfois, il est aussi bien que nous oubliions les heures sombres, autant que possible. Mais parfois, nous ne sommes vraiment pas très reconnaissants. Nous oublions facilement les dons et les pardons de Dieu, même les miracles. Et nous croyons que tout ou presque nous est dû. La liturgie de l’Église a pour fonction de nous empêcher d’oublier ; oublier que nous avons été créés par amour, oublier que nous sommes pécheurs et mortels, oublier que Dieu nous a donné un repère et un guide pour vivre saintement, dans la Loi de Moïse, oublier que Dieu nous a parlé par les patriarches et les prophètes pour nous préparer à recevoir son Fils, notre véritable rédempteur, notre véritable sauveur.
La liturgie de l’Église nous empêche aussi d’oublier de remercier Jésus pour son sacrifice sur la croix, pour la porte du Ciel qu’il nous a ouverte, et pour le don de son Esprit Saint, le don de la vie éternelle. Voilà pourquoi l’Église prie, les chrétiens prient, plusieurs fois par jour : pour ne pas oublier d’où viennent la vie et la Vie véritable ; pour ne jamais perdre de vue la source de la Vie.
Un téléphone portable ne fonctionne que connecté une antenne et, quand il la perd, immédiatement il en recherche une de nouveau. Un chrétien devrait être pareil : la prière ne devrait jamais le quitter. Elle est pour lui vitale. C’est ainsi que fait l’Église : elle prie, elle célèbre, pour ne jamais oublier le Seigneur son Dieu, Jésus-Christ son Sauveur, et l’Esprit de Vie. Par conséquent, notre carême est un rappel pressant à nous souvenir de Dieu, de son action pour nous ; de notre baptême, et de la vocation sacerdotale que nous y avons reçue en tant que fils de Dieu, à l’image de Jésus.
 
En définitive – et c’est mon dernier point – il ne s’agit pas tant d’agir toujours plus ou mieux que d’habitude – bien sûr qu’il faut le faire – mais il s’agit surtout de changer de mentalité. C’est ce que nous dit l’Esprit Saint par la bouche du prophète Joël : « Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements. » La vraie conversion n’est pas d’abord dans les actes extérieurs, mais elle est d’abord dans notre âme intérieure – et c’est bien le plus difficile à réaliser.
Nécessairement, cette conversion ne peut se faire que « dans le secret », dans le secret de notre conscience. Voilà le vrai Temple du Seigneur auquel nous avons accès, pour lequel chacun est son propre et son seul Grand Prêtre. Il n’y en a pas d’autres. Quand nous venons dans le secret de notre conscience, dans le Temple de notre cœur, qu’avons-nous de notre vie à offrir au Seigneur, pour nous et pour les autres ?
Voilà la vraie question du carême. Pour ne pas l’oublier, et puisqu’elle est si importante, il faut bien se la poser un peu de temps en temps ! 

dimanche 2 mars 2025

02 mars 2025 - BEAUJEU - 8ème dimanche TO - Année C

 Si 27, 4-7 ; Ps 91 ; 1 Co 15, 54-58 ; Lc 6, 39-45
 
Chers frères et sœurs,
 
Avec saint Luc, comme dimanche dernier et celui d’avant, nous continuons d’être à l’écoute de Jésus, qui enseigne à ses disciples la manière d’être chrétien, c’est-à-dire la manière de lui ressembler et de devenir ainsi fils et filles de Dieu. C’est bien ce que dit Jésus : « Le disciple n’est pas au-dessus du maître ; mais une fois bien formé, chacun sera comme son maître. »
L’objectif étant connu, il convient de s’interroger sur le moyen. Jésus parle de nous « former », mais comment ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Nous pouvons bien sûr nous rappeler ce que Jésus nous a dit dimanche dernier sur l’amour des ennemis. Humainement, c’est une chose qui nous est difficile, voire impossible, car nous attendons une justice rapide, à l’échelle humaine, et nous pensons que la personne qui nous a offensé ne peut pas changer. Or Jésus nous rappelle qu’au commencement Dieu nous a créés par amour. C’est-à-dire que l’amour est créateur, et recréateur autant qu’il en faut. Ainsi, un homme pécheur peut-il être recréé, pardonné, et rendu juste par amour. De même Jésus nous enseigne que le jugement appartient à Dieu : nous ne sommes pas de justes juges. Le disciple du Christ qui a foi en lui, remets au Père le fardeau des offenses reçues pour lesquelles il demande justice. Et il laisse Dieu rendre la sentence, à son heure et de la manière qu’il juge bonne. Alors le disciple reçoit la paix de l’Esprit Saint, qui lui permet de regarder son prochain autrement qu’en ennemi irréductible.
 
Nous arrivons maintenant au point que Jésus souligne aujourd’hui à son auditoire : le regard qu’il porte sur la réalité. « Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? » ; « Enlève d’abord la poutre de ton œil, alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère. » Comment avoir, non pas une bonne vue, mais le regard éclairé ? La réponse est dans l’invective que Jésus lance à celui qui croit voir, tout en étant aveugle : « Hypocrite ! » Ce mot est intéressant, parce qu’il est difficile à traduire. En araméen, on dirait qu’il s’agit d’un « preneur de visage », c’est-à-dire de quelqu’un qui prend plusieurs masques, qui s’adapte aux circonstances : c’est une girouette, un caméléon. Le « preneur de visage » est aussi celui qui est partial et qui juge les autres sur les apparences. En fait, il est en permanence en dehors de la réalité, il est dans le cinéma ; il est dans la fiction. Par conséquent, celui qui a un œil pour voir, c’est celui qui est enraciné dans le réel. Et pour Jésus comme pour tous les Juifs qui l’écoutent, c’est celui qui est fondé dans l’obéissance à la Parole de Dieu et qui la met en pratique. Cela rejoint le mot hébreu qui désigne l’« impiété ». Dans un certain nombre de cas, ce mot a été traduit en grec par « hypocrisie ». Est « hypocrite » celui qui est « impie », celui qui n’adore pas Dieu, qui n’aime pas Dieu, et par conséquent n’aime pas non plus son prochain en vérité. Nous retrouvons ce que nous disions tout à l’heure : seul l’Esprit Saint permet à l’homme d’aimer Dieu et son prochain en vérité, parce que seul l’Esprit Saint illumine les yeux et permet de voir la réalité.
 
Jésus compare enfin l’homme à un arbre qui donne du bon fruit, ou pas, selon ce qu’il tire du fond de lui-même. Notre traduction malheureusement, a tendance à nous entraîner dans un piège. Jésus dit clairement : « Un homme bon, du bon trésor de son cœur, fait sortir de bonnes choses. » Trois points sont à souligner.
 
Premièrement, le cœur de l’homme est neutre : il n’est pas bon ou mauvais au départ. Mais dans ce cœur, il y a un bon trésor et un mauvais trésor.
Dans un premier temps, l’homme peut accumuler et faire fructifier de bonnes choses dans son cœur – c’est le bon trésor. Mais il peut aussi accumuler avec rancœur, amertume ou malignité, de mauvaises choses – c’est le mauvais trésor. On peut déjà choisir de n’avoir dans son cœur qu’un seul trésor, le bon, et réduire autant que possible le mauvais : ce serait déjà un grand pas.
Ensuite, dans un second temps, l’homme peut choisir ce qu’il va tirer de l’un ou l’autre trésor. Si l’homme a un bon jugement, il va puiser dans le bon trésor pour en sortir de bonnes choses, et si son jugement est mauvais, alors il sera tenté d’aller puiser dans le mauvais trésor, et ce qu’il en sortira est déplorable.
 
Deuxièmement, justement, le cœur de l’homme pour un hébreu, pour Jésus et ses disciples, pour saint Luc, n’est pas l’affectivité de l’homme, comme pour nous, mais l’intelligence qui éclaire le jugement. Ainsi, l’homme dont l’intelligence est illuminée par l’Esprit Saint, qui a l’œil ouvert, qui a un bon jugement, peut naturellement exprimer des choses bonnes qu’il va savoir tirer du bon trésor de lui-même. Mais celui qui est aveugle, qui a un cœur aveugle et un jugement défaillant, va en sortir autant de bonnes choses que de mauvaises. C’est un canard sans tête !
 
Enfin, troisièmement, l’homme ne tire pas le « bien » ou le « mal » de son cœur, mais il sort de « bonnes choses » ou de « mauvaises choses » du bon trésor ou du mauvais trésor de son cœur. De l’homme ne sort pas le bien absolu, ou le mal absolu. Nous ne sommes ni Dieu ni démons : nous disons ou nous faisons des bonnes choses – des choses illuminées par l’Esprit de Dieu ; et nous disons et faisons des mauvaises choses – quand nous sommes sans discernement. C’est plus modeste dans les deux cas, mais c’est aussi plus salutaire pour nous... ! Nous ne sommes pas Dieu ; nous sommes simplement humains.
 
Ce que Jésus attend de nous, c’est que nous écoutions sa Parole, que nous la mettions en pratique, et que nous laissions l’Esprit Saint illuminer notre cœur, notre intelligence. Et ainsi, que nous vivions en paix en tirant, par un bon jugement, le meilleur de nous-mêmes, en aimant Dieu et nos frères – qu’ils soient bons ou mauvais, amis ou ennemis. 

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