Sg
2, 12.17-20 ; Ps 53 ; Jc 3, 16 – 4, 3 ; Mc 9, 30-37
Chers
frères et sœurs,
Dimanche
dernier, nous avons entendu Jésus annoncer sa passion prochaine, sa mort et sa
résurrection. Ce programme n’avait pas vraiment plu à saint Pierre qui s’était rebellé
et Jésus avait dû le rembarrer publiquement. On comprend aujourd’hui pourquoi –
tandis que Jésus renouvelle ses propos : « Le Fils de l’homme est
livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il
ressuscitera » – cette fois-ci les disciples… « avaient peur
de l’interroger ».
En
réalité, le malentendu entre les gens et Jésus est profond, et même entre ses
disciples et lui : « ils ne comprenaient pas ses paroles. »
Pour eux, en effet, Jésus était le Christ, le Messie, envoyé et consacré par
Dieu pour être le sauveur d’Israël, qui devait donc faire advenir le royaume du
ciel sur la terre.
Et
c’est la raison pour laquelle, les disciples discutent – ou plutôt se
disputent – pour savoir lequel d’entre eux sera le plus grand dans le
futur royaume de Jésus. Ils ne sont certes pas ni les premiers ni les derniers
à vouloir faire partie d’un gouvernement ! Mais bon, autant tout à l’heure
les disciples n’osaient pas questionner Jésus par peur, autant maintenant ils
se taisent, par honte… Jésus va essayer de leur faire comprendre quelque chose.
Il
doit répondre à leur deux inquiétudes : d’une part qu’il ne faut pas avoir
peur, et d’autre part il faut expliquer qui est grand dans le royaume. Les deux
choses vont ensemble. Jésus agit alors comme un prophète : il accomplit un
signe tout en l’accompagnant d’une parole.
Le
signe est celui de l’enfant. Si on lit cette phrase sans réfléchir : « Prenant
alors un enfant, il le plaça au milieu d’eux, l’embrassa et leur dit… »
alors on ne comprend pas le signe. On voit que Jésus est attentionné et
affectueux pour les enfants, et nous nous attendrissons d’avoir un bon pasteur
bienveillant et protecteur pour les petits. On en déduit qu’il faut être
fragiles et innocents comme des enfants pour être de bons disciples. C’est
assez juste, mais si on en reste là, on manque la leçon de Jésus.
Pour
comprendre, il faut s’arrêter sur chaque mot. Jésus prend un enfant : il
le choisit ; il l’appelle. Ensuite, il le place au milieu des disciples.
Quand on colle au texte grec ou hébreu sous-jacent, on doit lire que Jésus
« se fait tenir debout » l’enfant, « entre eux », entre les
disciples. Ce vocabulaire-là n’est pas du tout innocent : il désigne la
pierre d’autel qu’on dresse – qu’on fait se tenir debout – sur laquelle on va
offrir un sacrifice d’alliance « entre eux », par exemple entre Jacob
et Dieu, sur la pierre dressée à Béthel. Et la suite est parfaitement
cohérente. Notre évangile dit que Jésus « embrassa »
l’enfant ; la traduction est aussi un peu neutralisée : en fait Jésus
soit « regarda en lui » en syriaque – il le scrute, soit il « le
prit dans ses bras » en grec, ce qui correspond plus à notre traduction.
L’idée qui est derrière est la même : il y a une action de l’Esprit Saint,
soit qui vient habiter dans l’enfant, soit qui vient l’envelopper, le protéger.
Dans tous les cas, il s’agit d’une bénédiction, d’une onction. On sait qu’une
onction d’huile sur une pierre pénètre aussi bien dans la pierre qu’elle
ruisselle tout autour.
Donc,
cet enfant, pour Jésus n’est pas n’importe quel enfant. C’est un enfant qu’il a
mis debout – en langage chrétien, qui l’a ressuscité ; il en a fait un
autel consacré à Dieu par l’Esprit Saint, au moyen duquel est conclue une
alliance entre lui et ses disciples. Comprenez bien : cela veut dire que
Jésus a établi une alliance nouvelle entre lui et les hommes, qui sont ses
disciples, et que celui qui est ressuscité et qui a reçu l’onction de l’Esprit
Saint en est le témoin. Une pierre d’autel est toujours une pierre de
témoignage. Et le sacrifice qui sera offert à Dieu sur cet autel, c’est celui
de Jésus lui-même.
Voilà
pourquoi Jésus dit : « Quiconque accueille en mon nom un enfant comme
celui-ci » - « comme celui-ci », qui est très particulier
puisque qu’il est témoin de l’alliance nouvelle – ce n’est pas n’importe quel
enfant. C’est un baptisé ; c’est un chrétien.
Aussi
bien on comprend ce propos : « Quiconque accueille en mon nom un
baptisé, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ce n’est pas
moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé » - c’est-à-dire le
Père. C’est normal puis qu’il y a alliance entre le baptisé et le Père, par
l’intermédiaire de Jésus.
Par
conséquent, Jésus dit à ses disciples que, certes, sa passion, sa mort et sa
résurrection se présentent comme un sacrifice qui fait peur. Mais il s’agit du
sacrifice de la nouvelle alliance entre Dieu et l’humanité. Les disciples en
seront les témoins : ils seront des pierres qui se tiendront debout,
consacrées par l’Esprit Saint – comme cet enfant, qui est là au milieu d’eux et
que Jésus a béni. Étant devenus les pierres d’autel de la nouvelle alliance,
les Apôtres ne seront certainement pas dévalorisés dans le royaume des
cieux : au contraire, ils sont les pierres de fondation de l’Église, parce
qu’ils sont les pierres d’autel, les pierres du témoignage.
Ainsi
nous comprenons, nous qui sommes baptisés et confirmés par le don de l’Esprit,
que nous sommes aussi des pierres de témoignage de la nouvelle alliance. Il est
certain que Dieu nous voit comme des pierres très précieuses et qu’il veut
prendre de nous un soin tout particulier. Il n’y a donc pas lieu d’avoir peur,
ni de savoir si on est ou sera petits ou grands. Grands, nous le sommes… avec
humilité !