Angirey,
80ème anniversaire de la bataille
Chers
frères et sœurs, chers amis,
Lorsqu’on
entend un évangile bien connu, on passe facilement à côté de sa véritable
signification. De la même manière qu’on passe rapidement en voiture dans un
village sans prêter attention à ses maisons, ses monuments et ses
symboles : on ignore et on finit par oublier son histoire. De la même
manière, on peut venir ici dans cette église, comme chaque année depuis 80 ans,
avec les drapeaux, sans plus vraiment comprendre, au fond, pourquoi on est là. Nous
sommes ici, dans l’église d’Angirey, pour y célébrer un rituel, qui est une
messe, en mémoire de ceux qui ont donné leur vie, certains pour leurs actes de
résistance, d’autres en toute innocence, et pour le village martyrisé.
En
effet, il est dans la nature de l’homme que faire mémoire de quelqu’un ou d’un
événement, en célébrant un rituel, est nécessaire à la construction et la
préservation de son identité dans le temps. Ceux qui n’ont pas de rituels,
n’ont pas de mémoire et perdent leur identité. Au contraire, ceux qui veulent
transmettre leur identité à leur jeunesse, doivent lui apprendre leur mémoire
au moyen de rituels. Mémoire, rituel et identité sont inséparables : ils
vont toujours ensemble.
Ainsi,
par exemple, un homme se souvient de son origine, de sa naissance, par la fête
de son anniversaire. À la Toussaint, il va au cimetière, fleurir la tombe de
ses ancêtres. Il se souvient des grands moments de sa vie, par des objets qu’il
conserve, qui lui ont été offert en souvenir, à telle date anniversaire. Sa
médaille de baptême, son alliance, ou ses décorations, par exemple. Et au
final, tous ces objets, ces anniversaires, ces lieux de pèlerinage, disent
quelque chose de son identité : « tout cela, c’est lui ».
Il
en va de même pour une société, une communauté. On ne peut pas séparer Angirey
de l’événement du 10 septembre 1944. Il explique l’architecture si particulière
des maisons et bien sûr, le monument au souvenir de ceux qui ont été assassinés.
Et cette date du 10 septembre est inséparable du rituel de la messe célébrée
ici et de la cérémonie qui suivra. C’est la mémoire et l’identité d’Angirey. C’est
tout un.
Mais
pourquoi une messe ? Après-tout, peut-être que la cérémonie au monument
aurait pu suffire pour constituer le rituel nécessaire à la mémoire ? Mais
non, on vient d’abord à l’église. Et plus encore à l’église pour y célébrer une
messe. Qu’y a-t-il donc dans la messe pour qu’elle soit nécessaire à la mémoire
des événements d’Angirey ?
La
messe, chers frères et sœurs, chers amis, c’est le sacrifice de Jésus :
c’est la vie qu’il a donné librement sur la croix pour la liberté et la vie
éternelle, la paix et la joie, de toute l’humanité. Souvenez-vous de cette
parole qui est le cœur de la messe : « Ceci est mon corps, livré
pour vous. » Jésus dit en quelque mots cet enseignement qu’il a donné
ailleurs : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie
pour ses amis. » Et vous le savez bien, Jésus qui a été condamné par
Pilate et les Grands prêtres, était innocent. Voilà pourquoi il faut célébrer
la messe pour comprendre les événements d’Angirey : parce que des
résistants et des innocents ont donné leur vie pour leurs familles, leurs amis,
et leurs compatriotes, dans l’espoir qu’il seraient épargnés ou libres et
puissent vivre heureux, paisiblement dans leur maison, dans leur pays.
Mais
cela ne suffit pas pour comprendre jusqu’au bout. Et c’est le plus secret, le
plus caché, le plus difficile aussi. Vous le savez comme moi. Les événements
d’Angirey ne se limitent pas seulement au sacrifice de ceux qui ont été
fusillés. Tout le village, pris dans la bataille, a été martyrisé. Il en a été
ainsi pour Jésus, qui fut mis en croix, mais aussi pour tous ses apôtres :
les Douze eux aussi sont morts martyrs. Et même les premiers chrétiens, jusqu’à
Rome, ont payé le prix du sang d’avoir été des disciples du Christ, par
vengeance.
Et
voilà le secret de la messe : en donnant sa vie par amour pour ses amis,
Jésus a dit à propos de ses ennemis, en s’adressant à son Père : « Père,
pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. » La messe n’est
pas seulement la mémoire du sacrifice d’un innocent par lequel on est sauvé,
libéré : on l’est parce qu’il s’agit d’un grand pardon : le pardon de
Dieu pour tous les péchés du monde. Ne doit-on pas considérer ainsi ceux qui
ont fusillé sur ordre, puis qui ont brûlé sur ordre, comme les soldats romains ont
crucifié Jésus sur ordre et ont martyrisés des centaines d’innocents sur ordre ?
Jésus savait, les martyrs savaient, et nous tous aussi nous savons, qu’il n’y a
de vraie vie possible, de vraie paix possible, que si ceux-ci sont pardonnés.
Et de laisser le juste juge, notre Père, qui connaît les cœurs et les reins de
tous, de rendre à chacun à la fin, la justice qui lui est due.
Chers
frères et sœurs, chers amis, je crois qu’on a été aussi loin que possible pour
comprendre pourquoi nous sommes ici aujourd’hui. Le rituel de la messe rappelle
à notre mémoire le sacrifice des résistants et des innocents, et le pardon
secret qui est nécessaire à la vie nouvelle. Cela participe à l’identité
d’Angirey, village qu’on peut vraiment appeler martyr s’il n’oublie pas son
rituel et sa mémoire.
On
comprendra, pour finir, que tout homme qui donne sa vie pour ses amis, tout en
ne maudissant pas ses ennemis, de quelque manière qu’il la donne (mais on pense
particulièrement à nos soldats) trouve dans le rituel de la messe la mémoire de
son propre sacrifice et du pardon secret qui lui est associé. Pour un homme
chrétien, il n’y a rien de plus sacré que la messe, parce qu’il y trouve sa
véritable mémoire et sa véritable identité, à l’image de Jésus-Christ, son
Seigneur et son Dieu.