Is
50, 5-9a ; Ps 114 ; Jc 2, 14-18 ; Mc 8, 27-35
Chers
frères et sœurs,
Dans
l’évangile de Marc, il y a trois affirmations explicites de Jésus comme
« Christ » ou « Messie ». La citation d’aujourd’hui est la
seconde, ou plutôt celle du milieu : nous sommes au cœur de l’Évangile de
Marc. De fait, il se produit un basculement pour Jésus et les Apôtres.
Jusqu’à
présent Jésus était pris par les gens, tantôt comme un messie politique, un
homme providentiel qui sauverait Israël de la tutelle des Romains et de
l’emprise culturelle grecque ; tantôt comme un prophète d’autrefois –
comme Jean-Baptiste ou Élie – homme de Dieu et guérisseur tout à la fois. Avec
une pointe d’inquiétude cependant, car Jean-Baptiste annonçait la venue
imminente du Royaume des cieux, et tout Israël attendait, et attend encore
aujourd’hui, le retour d’Élie comme signe annonciateur de la venue de ce
Royaume.
Mais
Jésus n’est ni un messie comme l’attendaient les gens, ni un prophète, ni Élie
lui-même : il est différent. Il pose la question à ses disciples :
« Et vous que dites-vous ? Pour vous, qui je suis ? »
Je fais exprès ici de traduire exactement la formulation grecque, qui évoque
immédiatement le Nom de Dieu : « Je suis celui qui suit. »
Comme toujours, en mathématique, quand un problème est bien formulé, il s’y
trouve toujours la solution. Je ne sais pas s’il était bon en maths, mais saint
Pierre, bon pêcheur, attrape immédiatement le poisson et répond : « Tu
es le Christ. » Même s’il ne sait pas exactement quel Christ ou quel Messie
Jésus va être ni comment il va remplir sa mission, il sait qu’il l’est – et
c’est le plus important. Sa réponse s’apparente à celle de la Vierge Marie à
l’ange de l’Annonciation : « Voici la servante du Seigneur ;
que tout m’advienne selon ta parole. »
Après
leur avoir expressément interdit de le dévoiler, Jésus peut donner à ses
disciples et à eux seuls, le programme prévu : « Il commença à
leur enseigner. » En fait, il s’agit d’un condensé des Écritures. En
trois phrases, il y a trois références : « que le Fils de l’homme
souffre beaucoup » - Isaïe chapitre 53 qui annonce le Serviteur
soufrant pour la rédemption des hommes pécheurs : « Broyé par la
souffrance, il a plu au Seigneur. S’il remet sa vie en sacrifice de réparation,
il verra une descendance, il prolongera ses jours : par lui, ce qui plaît au
Seigneur réussira » ; ensuite « qu’il soit rejeté par les
anciens, les prêtres et les scribes » - Psaume 117 : « La
pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d'angle » -
car Jésus est la pierre angulaire sur laquelle est bâtie l’Église, la nouvelle
création ; et enfin : « qu’il soit tué, et que, trois jours
après, il ressuscite » - Osée chapitre 6 : « Après
deux jours, il nous rendra la vie ; il nous relèvera le troisième jour : alors,
nous vivrons devant sa face. »
Il
est donc très clair que le programme annoncé par Jésus, d’une part, est fait de
souffrance – c’est sa Passion ; d’un jugement qui se retournera contre ses
juges – c’est sa mort et sa résurrection ; et d’un renouveau autant pour
lui-même que pour ses disciples – les apparitions et le don de l’Esprit saint,
l’Esprit de Vie éternelle ; et d’autre part que ce programme est
prophétisé par les Écritures : il est le programme caché, voilé, du Messie
sauveur d’Israël et de toute l’humanité, que Jésus vient dévoiler et réaliser
par lui-même.
Évidemment,
le menu n’est pas tout à fait au goût de Pierre, qui s’attendait plutôt à la
libération de Paris ou à un triomphe d’Empereur à Rome. Sa réaction est
intéressante. Dans notre texte, nous avons un Pierre qui prend Jésus à part et
lui passe un savon – pour être poli. Mais dans les vieilles versions syriaques
de l’Évangile, Pierre au contraire a pitié de Jésus et prie que tout cela,
cette Passion, ce jugement et cette mort, lui soient épargnés.
Cependant
dans les deux cas, Jésus lui répond publiquement – car il sait bien que Pierre
dit tout haut ce que les autres pensent tout bas : « Passe
derrière moi, Satan ! » Cette exclamation n’est pas simple à
traduire, car on peut penser que Jésus dit aussi : « va ! marche
derrière moi, Satan ! », comme si d’un côté il rejetait Pierre violemment,
et de l’autre il l’appelait à marcher à sa suite, à lui obéir. Peut-être est-ce
en deux mots un appel à se convertir : renoncer au mal pour choisir le
bien. C’est tout à fait possible.
Mais
Jésus traite aussi saint Pierre de « Satan ». « Satan » est
un verbe ou un mot hébreu qui signifient « attaquer, accuser » ou
« adversaire, ennemi, accusateur ». On a le choix, mais on voit bien
ce que Jésus veut dire : il reproche à Pierre de se faire la voix du
tentateur, que ce soit par une opposition orgueilleuse au programme annoncé,
soit par une pitié déplacée qui invite au découragement, au renoncement. Au
contraire, Jésus ne s’oppose pas à la volonté du Père et ne se décourage pas
devant l’épreuve : car il a foi. En réalité, ce que Jésus reproche au Satan,
ici à Pierre, c’est de ne pas avoir la foi, de désobéir et de distiller la peur.
Ainsi,
Jésus après avoir parlé à ses disciples, appelle maintenant la foule à marcher
à sa suite et à renoncer à soi-même, c’est-à-dire justement à faire la volonté
du Père, comme lui, en y mettant tout son courage, en se dépassant soi-même
avec l’aide de l’Esprit Saint, comme lui.
Bien
évidemment, l’épreuve annoncée pour Jésus est aussi celle de ses disciples –
Pierre l’avait bien compris, intuitivement – mais ceux qui perdront leur vie à
cause de Jésus seront sauvés par lui.
Ainsi,
nous comprenons que si le programme du Messie nous fait un peu peur, il demeure
cependant lui-même notre protecteur, pourvu que nous placions en lui notre foi,
que nous obéissions à ses commandements et que nous ne nous abandonnions pas à
la peur. Et nous pouvons dire, avec le papa de l’enfant malade, qui vient voir
Jésus pour le guérir : « Seigneur, je crois ! Viens au
secours de mon manque de foi ! »