dimanche 15 septembre 2024

15 septembre 2024 - CHAMPLITTE - 4ème dimanche TO - Année B

Is 50, 5-9a ; Ps 114 ; Jc 2, 14-18 ; Mc 8, 27-35
 
Chers frères et sœurs,
 
Dans l’évangile de Marc, il y a trois affirmation explicites de Jésus comme « Christ » ou « Messie ». La citation d’aujourd’hui est la seconde, ou plutôt celle du milieu : nous sommes au cœur de l’Évangile de Marc. De fait, il se produit un basculement pour Jésus et les Apôtres.
Jusqu’à présent Jésus était pris par les gens, tantôt comme un messie politique, un homme providentiel qui sauverait Israël de la tutelle des Romains et de l’emprise culturelle grecque ; tantôt comme un prophète d’autrefois – comme Jean-Baptiste ou Élie – homme de Dieu et guérisseur tout à la fois. Avec une pointe d’inquiétude cependant, car Jean-Baptiste annonçait la venue imminente du Royaume des cieux, et tout Israël attendait, et attend encore aujourd’hui, le retour d’Élie comme signe annonciateur de la venue de ce Royaume.
Mais Jésus n’est ni un messie comme l’attendaient les gens, ni un prophète, ni Élie lui-même : il est différent. Il pose la question à ses disciples : « Et vous que dites-vous ? Pour vous, qui je suis ? » Je fais exprès ici de traduire exactement la formulation grecque, qui évoque immédiatement le Nom de Dieu : « Je suis celui qui suit. » Comme toujours, en mathématique, quand un problème est bien formulé, il s’y trouve toujours la solution. Je ne sais pas s’il était bon en maths, mais saint Pierre, bon pêcheur, attrape immédiatement le poisson et répond : « Tu es le Christ. » Même s’il ne sait pas exactement quel Christ ou quel Messie Jésus va être ni comment il va remplir sa mission, il sait qu’il l’est – et c’est le plus important. Sa réponse s’apparente à celle de la Vierge Marie à l’ange de l’Annonciation : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole. »
 
Après leur avoir expressément interdit de le dévoiler, Jésus peut donner à ses disciples et à eux seuls, le programme prévu : « Il commença à leur enseigner. » En fait, il s’agit d’un condensé des Écritures. En trois phrases, il y a trois références : « que le Fils de l’homme souffre beaucoup » - Isaïe chapitre 53 qui annonce le Serviteur soufrant pour la rédemption des hommes pécheurs : « Broyé par la souffrance, il a plu au Seigneur. S’il remet sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours : par lui, ce qui plaît au Seigneur réussira » ; ensuite « qu’il soit rejeté par les anciens, les prêtres et les scribes » - Psaume 117 : « La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d'angle » - car Jésus est la pierre angulaire sur laquelle est bâtie l’Église, la nouvelle création ; et enfin : « qu’il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite » - Osée chapitre 6 : « Après deux jours, il nous rendra la vie ; il nous relèvera le troisième jour : alors, nous vivrons devant sa face. »
Il est donc très clair que le programme annoncé par Jésus, d’une part, est fait de souffrance – c’est sa Passion ; d’un jugement qui se retournera contre ses juges – c’est sa mort et sa résurrection ; et d’un renouveau autant pour lui-même que pour ses disciples – les apparitions et le don de l’Esprit saint, l’Esprit de Vie éternelle ; et d’autre part que ce programme est prophétisé par les Écritures : il est le programme caché, voilé, du Messie sauveur d’Israël et de toute l’humanité, que Jésus vient dévoiler et réaliser par lui-même.
 
Évidemment, le menu n’est pas tout à fait au goût de Pierre, qui s’attendait plutôt à la libération de Paris ou à un triomphe d’Empereur à Rome. Sa réaction est intéressante. Dans notre texte, nous avons un Pierre qui prend Jésus à part et lui passe un savon – pour être poli. Mais dans les vieilles versions syriaques de l’Évangile, Pierre au contraire a pitié de Jésus et prie que tout cela, cette Passion, ce jugement et cette mort, lui soient épargnés.
Cependant dans les deux cas, Jésus lui répond publiquement – car il sait bien que Pierre dit tout haut ce que les autres pensent tout bas : « Passe derrière moi, Satan ! » Cette exclamation n’est pas simple à traduire, car on peut penser que Jésus dit aussi : « va ! marche derrière moi, Satan ! », comme si d’un côté il rejetait Pierre violemment, et de l’autre il l’appelait à marcher à sa suite, à lui obéir. Peut-être est-ce en deux mots un appel à se convertir : renoncer au mal pour choisir le bien. C’est tout à fait possible.
Mais Jésus traite aussi saint Pierre de « Satan ». « Satan » est un verbe ou un mot hébreu qui signifient « attaquer, accuser » ou « adversaire, ennemi, accusateur ». On a le choix, mais on voit bien ce que Jésus veut dire : il reproche à Pierre de se faire la voix du tentateur, que ce soit par une opposition orgueilleuse au programme annoncé, soit par une pitié déplacée qui invite au découragement, au renoncement. Au contraire, Jésus ne s’oppose pas à la volonté du Père et ne se décourage pas devant l’épreuve : car il a foi. En réalité, ce que Jésus reproche au Satan, ici à Pierre, c’est de ne pas avoir la foi, de désobéir et de distiller la peur.
 
Ainsi, Jésus après avoir parlé à ses disciples, appelle maintenant la foule à marcher à sa suite et à renoncer à soi-même, c’est-à-dire justement à faire la volonté du Père, comme lui, en y mettant tout son courage, en se dépassant soi-même avec l’aide de l’Esprit Saint, comme lui.
Bien évidemment, l’épreuve annoncée pour Jésus est aussi celle de ses disciples – Pierre l’avait bien compris, intuitivement – mais ceux qui perdront leur vie à cause de Jésus seront sauvés par lui.
Ainsi, nous comprenons que si le programme du Messie nous fait un peu peur, il demeure cependant lui-même notre protecteur, pourvu que nous placions en lui notre foi, que nous obéissions à ses commandements et que nous ne nous abandonnions pas à la peur. Et nous pouvons dire, avec le papa de l’enfant malade, qui vient voir Jésus pour le guérir : « Seigneur, je crois ! Viens au secours de mon manque de foi ! »

dimanche 8 septembre 2024

08 septembre 2024 - ANGIREY - 80ème anniversaire de la bataille d'Angirey

 Angirey, 80ème anniversaire de la bataille
 
Chers frères et sœurs, chers amis,
 
Lorsqu’on entend un évangile bien connu, on passe facilement à côté de sa véritable signification. De la même manière qu’on passe rapidement en voiture dans un village sans prêter attention à ses maisons, ses monuments et ses symboles : on ignore et on finit par oublier son histoire. De la même manière, on peut venir ici dans cette église, comme chaque année depuis 80 ans, avec les drapeaux, sans plus vraiment comprendre, au fond, pourquoi on est là. Nous sommes ici, dans l’église d’Angirey, pour y célébrer un rituel, qui est une messe, en mémoire de ceux qui ont donné leur vie, certains pour leurs actes de résistance, d’autres en toute innocence, et pour le village martyrisé.
 
En effet, il est dans la nature de l’homme que faire mémoire de quelqu’un ou d’un événement, en célébrant un rituel, est nécessaire à la construction et la préservation de son identité dans le temps. Ceux qui n’ont pas de rituels, n’ont pas de mémoire et perdent leur identité. Au contraire, ceux qui veulent transmettre leur identité à leur jeunesse, doivent lui apprendre leur mémoire au moyen de rituels. Mémoire, rituel et identité sont inséparables : ils vont toujours ensemble.
Ainsi, par exemple, un homme se souvient de son origine, de sa naissance, par la fête de son anniversaire. À la Toussaint, il va au cimetière, fleurir la tombe de ses ancêtres. Il se souvient des grands moments de sa vie, par des objets qu’il conserve, qui lui ont été offert en souvenir, à telle date anniversaire. Sa médaille de baptême, son alliance, ou ses décorations, par exemple. Et au final, tous ces objets, ces anniversaires, ces lieux de pèlerinage, disent quelque chose de son identité : « tout cela, c’est lui ».
Il en va de même pour une société, une communauté. On ne peut pas séparer Angirey de l’événement du 10 septembre 1944. Il explique l’architecture si particulière des maisons et bien sûr, le monument au souvenir de ceux qui ont été assassinés. Et cette date du 10 septembre est inséparable du rituel de la messe célébrée ici et de la cérémonie qui suivra. C’est la mémoire et l’identité d’Angirey. C’est tout un.
 
Mais pourquoi une messe ? Après-tout, peut-être que la cérémonie au monument aurait pu suffire pour constituer le rituel nécessaire à la mémoire ? Mais non, on vient d’abord à l’église. Et plus encore à l’église pour y célébrer une messe. Qu’y a-t-il donc dans la messe pour qu’elle soit nécessaire à la mémoire des événements d’Angirey ?
La messe, chers frères et sœurs, chers amis, c’est le sacrifice de Jésus : c’est la vie qu’il a donné librement sur la croix pour la liberté et la vie éternelle, la paix et la joie, de toute l’humanité. Souvenez-vous de cette parole qui est le cœur de la messe : « Ceci est mon corps, livré pour vous. » Jésus dit en quelque mots cet enseignement qu’il a donné ailleurs : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » Et vous le savez bien, Jésus qui a été condamné par Pilate et les Grands prêtres, était innocent. Voilà pourquoi il faut célébrer la messe pour comprendre les événements d’Angirey : parce que des résistants et des innocents ont donné leur vie pour leurs familles, leurs amis, et leurs compatriotes, dans l’espoir qu’il seraient épargnés ou libres et puissent vivre heureux, paisiblement dans leur maison, dans leur pays.
 
Mais cela ne suffit pas pour comprendre jusqu’au bout. Et c’est le plus secret, le plus caché, le plus difficile aussi. Vous le savez comme moi. Les événements d’Angirey ne se limitent pas seulement au sacrifice de ceux qui ont été fusillés. Tout le village, pris dans la bataille, a été martyrisé. Il en a été ainsi pour Jésus, qui fut mis en croix, mais aussi pour tous ses apôtres : les Douze eux aussi sont morts martyrs. Et même les premiers chrétiens, jusqu’à Rome, ont payé le prix du sang d’avoir été des disciples du Christ, par vengeance.
Et voilà le secret de la messe : en donnant sa vie par amour pour ses amis, Jésus a dit à propos de ses ennemis, en s’adressant à son Père : « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. » La messe n’est pas seulement la mémoire du sacrifice d’un innocent par lequel on est sauvé, libéré : on l’est parce qu’il s’agit d’un grand pardon : le pardon de Dieu pour tous les péchés du monde. Ne doit-on pas considérer ainsi ceux qui ont fusillé sur ordre, puis qui ont brûlé sur ordre, comme les soldats romains ont crucifié Jésus sur ordre et ont martyrisés des centaines d’innocents sur ordre ? Jésus savait, les martyrs savaient, et nous tous aussi nous savons, qu’il n’y a de vraie vie possible, de vraie paix possible, que si ceux-ci sont pardonnés. Et de laisser le juste juge, notre Père, qui connaît les cœurs et les reins de tous, de rendre à chacun à la fin, la justice qui lui est due.
 
Chers frères et sœurs, chers amis, je crois qu’on a été aussi loin que possible pour comprendre pourquoi nous sommes ici aujourd’hui. Le rituel de la messe rappelle à notre mémoire le sacrifice des résistants et des innocents, et le pardon secret qui est nécessaire à la vie nouvelle. Cela participe à l’identité d’Angirey, village qu’on peut vraiment appeler martyr s’il n’oublie pas son rituel et sa mémoire.
On comprendra, pour finir, que tout homme qui donne sa vie pour ses amis, tout en ne maudissant pas ses ennemis, de quelque manière qu’il la donne (mais on pense particulièrement à nos soldats) trouve dans le rituel de la messe la mémoire de son propre sacrifice et du pardon secret qui lui est associé. Pour un homme chrétien, il n’y a rien de plus sacré que la messe, parce qu’il y trouve sa véritable mémoire et sa véritable identité, à l’image de Jésus-Christ, son Seigneur et son Dieu.

07 septembre 2024 - VEZET - 23ème dimanche TO - Année B

Is 35, 4-7a ; Ps 145 ; Jc 2, 1-5 ; Mc 7, 31-37
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous retrouvons Jésus quittant la région de Tyr et de Sidon – villes qui se situent au sud de Beyrouth, pour se rendre en Décapole, région située à l’est du Jourdain peuplée de colonies grecques, aujourd’hui en Syrie. Dans les deux cas, ce sont des territoires païens, où il guérit, là-bas, la fille d’une Cananéenne, et ici, un sourd-muet. Le message de saint Marc est assez clair : Jésus est venu d’abord pour les juifs, mais aussi pour les païens. L’Évangile a une portée universelle.
Mais enfin, pour les juifs qui apprennent cette nouveauté du Messie universel, il ne suffit pas de le dire, il faut aussi le prouver par la seule autorité qui fait foi : la Loi et les prophètes. Alors, conformément à l’enseignement des Apôtres dont il est le porte-parole, saint Marc montre comment ces guérisons accomplissent les Écritures.
 
Pour le sourd-muet, il s’appuie sur le Livre d’Isaïe, au chapitre 35, que nous avons lu en première lecture, justement. Il y a deux références très claires : d’abord, la mention du sourd-muet lui-même, avec un terme qu’on ne retrouve dans toutes les Écritures que dans ce chapitre ; et ensuite cette parole : « il fait entendre les sourds et parler les muets » qui rappelle ces versets du même chapitre : « Alors se dessilleront les yeux des aveugles, et s’ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie. »
Isaïe répète : « Alors », c’est-à-dire quand le Seigneur viendra sauver son Peuple ; qu’une « voie sacrée » sera tracée, sur laquelle ceux qui sont rachetés et libérés marcheront jusqu’à Sion, avec des cris de fête, et où ils seront couronnés d’éternelle joie. Pour les disciples de Jésus, la prophétie est très claire : les païens, sourds à la Parole de Dieu, incapables de chanter les louanges de Dieu, et d’annoncer sa Bonne Nouvelle, seront sauvés par Dieu. La « voie sacrée » du Christ et de ses commandements d’amour, leur sera accessible puisqu’ils auront été rachetés par sa mort et sa résurrection et libérés de leurs péchés par les eaux du baptême. Dès lors, ils pourront monter au ciel en chantant les louanges de Dieu, pour y recevoir la couronne de la sainteté, qui est en même temps la vie et la joie éternelles.
Voilà pourquoi, les gens sont « extrêmement frappés » et disent que Jésus a « bien fait toutes choses », parce qu’ils comprennent que la sainteté du Peuple de Dieu est offerte aux païens, et que c’est un acte divin créateur, car seul Dieu peut faire bien ou « de manière bonne » toute chose nouvelle, car seul Dieu est bon.
 
Cependant, il faut bien comprendre que le prophète Isaïe lui-même se faisait commentateur d’un des cinq livres de la Torah, de la Loi, qui est la référence première, la « constitution » donnée par Dieu au peuple de Dieu. Quand Isaïe évoque « l’eau qui jaillira dans le désert, les torrents dans le pays aride. La terre brûlante qui se changera en lac, et la région de la soif, en eaux jaillissantes », il fait référence au Livre de l’Exode, plus particulièrement à l’épisode de Massa et Mériba, quand affamé et assoiffé le peuple récrimine et se plaint à Dieu de l’avoir mené au désert. Alors Dieu fait pleuvoir la Manne et Moïse frappe de son bâton le rocher pour y faire sortir de l’eau vive.
Si on met bout à bout cet épisode, la prophétie d’Isaïe et la guérison du sourd-muet, on comprend d’une part que Dieu condamne tous ceux qui récriminent et se plaignent de leur liberté parce qu’ils manquent de foi en Dieu, et de l’autre que lui-même Dieu demeure toujours la vraie source de la vie, non seulement pour son peuple, mais aussi pour toute l’humanité. Et cela, les juifs attachés à la Torah, pouvaient aussi le comprendre et l’accepter.
 
Mais on peut faire un pas de plus. Comment Jésus a-t-il guéri l’homme sourd-muet, l’homme païen ? Jésus l’emmène d’abord à l’écart. Il lui fait quitter son monde ancien, renoncer à ses idoles. Puis il met ses doigts dans ses oreilles : il les débouche ! C’est par son doigt que Dieu a écrit sur les Tables de la Loi. Ainsi, cet homme conduit au désert, Dieu le « débouche » et écrit dans son cœur sa Loi. Il lui reste à pouvoir la mettre en pratique. Mais Jésus lui touche aussi la langue : il libère sa parole, pour le rendre capable de louer Dieu.
Maintenant que la mécanique est prête, il ne manque plus qu’à la mettre en mouvement : Jésus lève les yeux au ciel : il prie son Père. En fait, à travers ce regard, c’est de sa mort, de sa résurrection et de son ascension qu’il est question. Car, il se met à soupirer : il donne et envoie son Esprit saint, la vie qui manquait à cet homme pour être en mouvement. Alors, pour pouvoir accueillir en lui ce souffle de vie, Jésus lui dit : « ouvre-toi ! » Alors seulement l’homme peut écouter la Parole de Dieu, la mettre en pratique, et chanter les louanges de Dieu : il est devenu vivant et membre de la communion des saints.
 
Vous voyez, chers frères et sœurs, comment un événement historique, vécu quelque part en Décapole par Jésus et ses disciples, peut-être compris à la lumière de la Loi et des prophètes, mais aussi de la vie de Jésus. Toute la Bible doit se lire de cette manière. Et c’est merveilleux !

lundi 2 septembre 2024

01 septembre 2024 - PESMES - 22ème dimanche TO - Année B

Dt 4, 1-2.6-8 ; Ps 14 ; Jc 1, 17-18.21b-22.27 ; Mc 7, 1-8.14-15.21-23
 
Chers frères et sœurs,
 
Jésus a montré ces derniers temps, qu’il ne revendiquait aucune activité politique, mais qu’il se plaçait clairement sur le plan religieux. Il apparaît donc aux gens comme un prophète du Royaume des cieux, un homme de Dieu. Du coup, les religieux d’Israël s’intéressent davantage à lui, qui commence à devenir un peu gênant. Première étape : prendre en faute ses disciples, sur une question d’observance rituelle – c’est assez facile – et décrédibiliser par ricochet l’enseignement et donc l’autorité du Maître : « tes disciples prennent leur repas avec des mains impures ! »
Jésus va leur répondre en deux temps, en donnant un enseignement très important pour les Juifs et, par conséquent, pour nous aussi, les chrétiens.
 
En premier lieu, Jésus explique que l’homme religieux est toujours porté à noyer l’observance principale qui est due à Dieu, dans une multitude d’observances secondaires, sans doute instaurées par un désir de perfectionnement ou de dévotion au départ, mais qui finissent par étouffer et faire disparaître dans un fatras de détails, l’observance principale. Ce sont les ronces qui étouffent la bonne semence.
Pour conférer à son propos une autorité indiscutable, Jésus s’appuie sur la parole de Dieu proclamée par prophète Isaïe : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. C’est en vain qu’ils me rendent un culte ; les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains. » Et Jésus de préciser : « Vous aussi, vous laissez de côté le commandement de Dieu (c’est-à-dire l’observance principale) pour vous attacher à la tradition des hommes (c’est-à-dire les observances secondaires) », tout en faisant une distinction essentielle entre « le commandement de Dieu » – au singulier – et « les préceptes humains » – au pluriel – dont parle le prophète Isaïe.
Jésus explique donc aux pharisiens que leur reproche concernant les disciples est fragile, pour ne pas dire mesquin, car il ne porte que sur une des multiples observances secondaires, et non pas sur l’unique observance principale, qui est celle de la Loi de Moïse.
 
Cependant Jésus n’a pas répondu au fond du problème : est-ce que ce qui souille l’homme provient de l’extérieur de l’homme ? comme des aliments impurs qu’on mangerait, par exemple ; ou une pratique incomplète des observances secondaires ? Comme sa réponse est très importante et s’adresse, non pas seulement à ses disciples et aux pharisiens, mais à tous, Jésus sort de la maison pour s’adresser à la foule.
 
Conformément à son premier enseignement, à savoir que la Loi de Moïse indique l’observance principale, il se réfère à un des cinq livres de la Torah, qui sont la Genèse, l’Exode, le Lévitique, le Livre des Nombres et celui du Deutéronome. Ici il se réfère au livre de la Genèse. Quand il dit : « Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui entre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur », Jésus fait ici un commentaire du verset 5 du chapitre 6 de la Genèse, qui donne le motif du déluge, dont seul Noé va échapper parce qu’il est le seul homme juste : « Le Seigneur vit que la méchanceté de l’homme était grande sur la terre, et que toutes les pensées de son cœur se portaient uniquement vers le mal à longueur de journée. »
Ce n’est pas en raison d’une impureté supposée de la création que Dieu provoque le déluge ; car on l’a vu, quand Dieu crée par sa Parole, il vit que « cela était bon » : la création est donc bonne. Mais c’est en raison des pensées du cœur de l’homme, qui se portent vers le mal, que Dieu se repent d’avoir créé l’homme sur la terre, et qu’il décide du déluge pour l’effacer et recommencer à partir de Noé, le seul qui a trouvé grâce à ses yeux, le seul qui soit pur. Le mal vient donc des mauvaises pensées qui viennent du cœur de l’homme. Le cœur, pour les Hébreux ; pour nous c’est le cerveau !
Donc Jésus rappelle l’enseignement de la Torah aux pharisiens : ce n’est ni la nourriture, ni les plats, ni même la non-observance de rituels secondaires qui souillent l’homme, mais ce sont les mauvaises pensées qui surgissent de son cerveau. Et les pharisiens ne peuvent qu’être d’accord avec Jésus. C’est pourquoi la controverse s’arrête là. 1/0 pour Jésus.
Nous avons deux leçons à tirer de cet épisode.
 
La première est que les cinq premiers livres de la Bible – ce que les Juifs appellent donc la Torah – correspondent parfaitement à la Parole de Jésus, à la Parole de Dieu. Et Dieu n’a qu’une seule et même parole, que ce soit pour les Juifs ou pour les chrétiens. Quand, dans les évangiles, Jésus parle des Écritures ou de l’Écriture, par exemple avec les disciples d’Emmaüs, ou de la Loi de Moïse, c’est à la Torah qu’il fait référence : aux cinq premiers livres de la Bible. Ils sont toujours « valables », si je puis dire, même si nous les lisons, nous les chrétiens, à la lumière de la résurrection de Jésus et du don de l’Esprit Saint.
 
La seconde leçon porte sur la notion d’impureté ou de ce qui souille l’homme. Nous avons vu que la souillure provient du cœur ou du cerveau de l’homme, porté à avoir des pensées mauvaises. Cette déformation, qui est liée à notre absolue liberté à l’image de Dieu, de pouvoir choisir entre le bien et le mal, est à la racine du péché, de tous les péchés. Or ce sont justement les effets de cette souillure, les péchés, que lave le bain du baptême et c’est la souillure elle-même que vient dissoudre le don de l’Esprit Saint, par la confirmation notamment. Jésus sait que, quand par la Loi de Moïse il rappelle à l’homme sa faiblesse, il ne l’abandonne pas pour autant à son errance ; bien au contraire, il lui apporte le remède : le baptême dans sa mort et sa résurrection, et le don de son Esprit.

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