Gn
22, 1-2.9-13.15-18 ; Ps 115 ; Rm 8,31b-34 ; Mc 9,2-10
Chers
frères et sœurs,
Sur
le chemin parfois difficile qui est le nôtre, qui passe par la Croix, nous
sommes appelés à garder la foi dans le Seigneur, comme Abraham. Car le
Seigneur, qui a accepté la mort de son Fils unique, Jésus, par amour pour nous,
veut nous sauver par lui et nous ressusciter avec lui, dans sa gloire lumineuse,
avec tous les saints. Tel est le sens général des lectures de ce dimanche. Je
voudrais qu’on s’attarde un peu sur l’Évangile.
Comme
toujours, il faut le lire en ayant à l’esprit ce qu’il s’est passé avant. Une
grande foule était venue près de Jésus, parce qu’elle le percevait comme un
homme providentiel. Comme elle n’avait pas à manger, à partir des sept pains
disponibles, Jésus l’a nourrie abondamment. Puis les pharisiens – qui n’ont
rien vu et rien compris – demandent à Jésus de leur donner un signe venant du
ciel… En bateau vers Dalmanoutha, les Apôtres constatent qu’ils manquent de
pain et se disputent entre eux. Jésus les attrape : « Vous avez
des yeux et vous ne voyez pas, vous avez des oreilles et vous n’entendez pas ! »
Et pourtant eux aussi avaient été témoins de la multiplication des pains. On
amène ensuite à Jésus un aveugle-né, à qui il donne la vue. Jésus insiste sur
le fait que les foules, les pharisiens, les Apôtres, tout comme l’aveugle-né ne
voient pas et ne comprennent pas.
Il
demande alors aux Apôtres : « Au dire des gens, qui suis-je ? »
On lui répond : « Jean-Baptiste, Élie, un des prophètes » ;
Jésus leur demande ensuite leur avis : « Et vous que
dites-vous ? » Et Pierre répond : « Tu es le Christ. »
Jésus leur annonce alors sa Passion prochaine, sa mort et sa résurrection.
Personne ne comprend. Ils ne savent pas ce que veut dire
« ressusciter » ; et Pierre s’oppose à Jésus : pour lui, ce
n’est pas possible que le Christ souffre et meure ! Et ce n’est certainement
pas non plus de cette manière-là qu’il va réussir à sauver le peuple
d’Israël ! Mais Jésus lui répond violemment : « Passe derrière
moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des
hommes. »
À
cette étape, on s’aperçoit que même Pierre qui a pourtant un peu de catéchisme,
ne comprend rien à la mission de Jésus. Alors il leur redit qu’il n’y a pas
d’autre chemin pour marcher à sa suite que de renoncer à soi-même et de prendre
sa croix – et l’homme qui a honte de lui sur la terre, Jésus lui-même aura
honte de cet homme quand il viendra dans sa gloire. Et c’est alors, que six
jours après, Jésus choisit Pierre, Jacques et Jean pour aller avec lui sur la
montagne. Pour qu’ils voient et qu’ils comprennent.
Il
y a une erreur très courante que l’on fait à la lecture de la Transfiguration.
C’est celle de penser que Jésus ou ses vêtements se sont allumés comme une
ampoule – comme si l’homme Jésus était tout d’un coup traversé par une énergie
qui le transformait en lumière pour devenir divin. Le problème est qu’en bonne
théologie, Jésus est toujours le Verbe du Père, Dieu né de Dieu, lumière né de
la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu, et qu’il est toujours en communion avec son
Père dans l’Esprit Saint. Autrement dit, Jésus est toujours source de lumière.
C’est
l’homme qui – comme l’aveugle-né – ne le voit pas. Aussi bien, à la Transfiguration,
ce n’est pas tant Jésus qui a changé, que Pierre, Jacques et Jean, qui – par
l’Esprit Saint qui les habite – ont les yeux ouverts pour qu’ils voient et
qu’ils croient. C’est pour cela que Pierre se sent si bien sur la Montagne, tout
habité qu’il est par l’Esprit Saint. La Transfiguration est pour les trois
Apôtres un avant-goût de la résurrection – cette résurrection qu’ils ne
comprenaient pas – un avant-goût du Royaume des Cieux, qui est l’objectif pour
nous de la mission de Jésus. Ainsi par cette illumination, non seulement ils
voient, mais aussi ils commencent de comprendre.
Dès
lors, si Jésus a été transfiguré à leurs yeux, aux yeux de tous, Pierre,
Jacques et Jean, eux, sont transformés. Ils ne sont plus pareils. Et cela est
très important à comprendre car l’attitude des uns et des autres par la suite en
découle.
La
foule, qui venait à Jésus, attendant de lui un renouvellement politique et
social, qui acclamera Jésus aux rameaux, sera la même qui l’insultera au moment
de sa Passion, alors que Jésus donne sa vie pour elle, pour qu’elle obtienne le
vrai renouvellement : celui de sa résurrection pour le Royaume.
Les
pharisiens comme une partie des disciples, qui veulent des signes mais ne les
voient pas – alors que Jésus a multiplié des pains et fait des guérisons
extraordinaires – ne peuvent pas comprendre non plus : déçus, ce sont eux
qui trahiront Jésus.
Pierre
– pour ne prendre que lui – est transformé. Il était pêcheur, il n’exercera
plus ce métier. Inutile d’attendre de lui qu’il reprenne un filet. C’est lui
qui écrit :
« En effet, ce n’est pas en ayant recours à des récits imaginaires sophistiqués que nous vous avons fait connaître la puissance et la venue de notre Seigneur Jésus Christ, mais c’est pour avoir été les témoins oculaires de sa grandeur. Car il a reçu de Dieu le Père l’honneur et la gloire quand, depuis la Gloire magnifique, lui parvint une voix qui disait : « Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé ; en lui j’ai toute ma joie ». Cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendue quand nous étions avec lui sur la montagne sainte. Et ainsi se confirme pour nous la parole prophétique ; vous faites bien de fixer votre attention sur elle, comme sur une lampe brillant dans un lieu obscur jusqu’à ce que paraisse le jour et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs. »
Pierre
n’a jamais oublié la Transfiguration.
Et
c’est pourquoi, quand l’Église s’organise après la Pentecôte, il dit
aussi :
« Il n’est pas bon que nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables. Cherchez plutôt, frères, sept d’entre vous, des hommes qui soient estimés de tous, remplis d’Esprit Saint et de sagesse, et nous les établirons dans cette charge. En ce qui nous concerne, nous resterons assidus à la prière et au service de la Parole. »
Pierre
ne veut pas quitter le cœur de sa vocation – s’il y a des choses d’ordre pastoral
à faire, c’est à d’autres, choisis à cette fin et tout à fait capables, de le
faire. Si demain nous recevions Pierre ici-même, nous n’aurions pas l’idée
absurde de lui demander de nous organiser une soirée-crêpes, mais plutôt de
nous parler de Jésus, évidemment. Et bien sûr, ce serait là l’essentiel.
Chers
frères et sœurs, retenons de l’Évangile de ce dimanche, qu’il appartient à
Jésus et à lui seul d’ouvrir les yeux de ses disciples et d’illuminer leur
intelligence pour qu’ils comprennent qui il est et quelle est sa mission,
passant par la mort de la croix pour conduire tous les hommes à la gloire de la
résurrection.
Mais
aussi pour que chacun de nous puisse comprendre quelle est sa vocation particulière,
personnelle, dans ce monde. Nous avons tous des vocations différentes, qui ne
sont pas moins belles les unes que les autres, quand on se laisse habiter par l’Esprit
Saint, et qui sont d’autant plus belles qu’elles sont complémentaires, révélant
ainsi au monde le vrai visage du Christ dans son Église : « Quand
deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux. »