Dt
18,15-20 ; Ps 94 ; 1Co 7,32-35 ; Mc 1,21-28
Chers
frères et sœurs,
Avant
Jésus-Christ, les hommes n’étaient pas habitués à la voix de Dieu ; elle
les terrorisait. Ainsi les hébreux s’écriaient : « Je ne veux plus
entendre la voix du Seigneur mon Dieu, je ne veux plus voir cette grande
flamme, je ne veux pas mourir ! » La peur de mourir… C’est la
raison pour laquelle Dieu a voulu les apprivoiser – les accoutumer, dirait
saint Irénée – en leur parlant par l’intermédiaire des prophètes. Comme Moïse
par exemple. Ainsi, le feu de la Parole de Dieu ne les brûlait pas de trop et
on pouvait faire avec lui des « accommodements raisonnables »…
Mais
voilà qu’en Jésus-Christ c’est la Parole de Dieu elle-même qui s’est faite
homme. Ainsi, les habitants de Capharnaüm sont frappés par son
enseignement : « Il enseignait en homme qui a autorité, et non pas
comme les scribes. » – et pour cause, Jésus est Dieu lui-même ;
et les démons ou les esprits impurs sont perturbés. On voit ici toute la
différence entre la Parole de Dieu transmise par un prophète et la Parole de
Dieu en direct. Dans le premier cas, les démons ne sont pas trop
dérangés ; dans le second, ils sont débusqués. Il est très intéressant de
voir que si les hommes pressentent en Jésus quelqu’un de très différent d’un
scribe ou d’un prophète – puisqu’il parle avec autorité ; les démons, eux,
voient très bien à qui ils ont affaire : « Que nous veux-tu Jésus
de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais qui tu es :
tu es le Saint de Dieu. »
Entre
un prophète, même aussi puissant que Moïse qui a vu Dieu face à face, et
Jésus-Christ, il y a une différence aussi énorme qu’entre un roulement de
tonnerre et l’éclat d’un éclair. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Pour
les démons d’abord. Dans l’homme ancien, les démons étaient maîtres. C’est en
raison de leur puissance que l’homme ne pouvait pas supporter la Parole de
Dieu. Il avait peur de mourir. Mais en fait – nous le voyons maintenant en
présence de Jésus – c’étaient les démons qui avaient peur de mourir ! Lorsque
Dieu parlait par ses prophètes, les démons étaient chatouillés mais l’homme
rendu réceptif à la Parole de Dieu : il était appelé à la conversion. Mais
il restait dépendant. Avec Jésus, les démons sont face à Dieu ; et lorsqu’il
parle : « Tais-toi, sors de cet homme ! », ils sont
obligés de libérer l’homme. Jésus, la Parole de Dieu, a fait fuir le démon, et
l’a repoussé vers les ténèbres du néant.
Du
coup, il y a un enseignement pour l’homme. Au début, l’homme avait peur de la
Parole de Dieu, car l’esprit impur en lui, lui en inspirait la crainte. Mais,
comme d’habitude, avec un gros mensonge. Car en présence de la Parole de Dieu,
l’homme ne va pas mourir ; au contraire il va être libéré des esprits
impurs. Ce sont les esprits impurs qui vont mourir en lui ! L’homme libre,
c’est celui qui n’a plus peur d’écouter la Parole de Dieu.
Cependant,
pour arriver à cette libération, Dieu n’a pas pu s’y prendre d’un seul
coup : il a fallu qu’il apprivoise l’homme à entendre sa Parole par
l’intermédiaire des prophètes. Si nous sommes appelés à entendre un jour la
Parole de Dieu s’adresser à chacun d’entre nous en direct, cela ne sera
supportable que si nous nous sommes habitués auparavant à la reconnaître, par
la fréquentation des Écritures et des sacrements. Alors la Parole viendra pour
nous non pas pour nous terroriser, mais pour nous libérer entièrement.
On
voit d’ailleurs la différence qu’il y a entre les Hébreux du temps de Moïse et
les habitants de Capharnaüm. À entendre la Parole, les premiers avaient peur de
mourir ; à l’entendre, et même à la voir, les seconds – habitués par des
siècles de fréquentation des Écritures et de la prière des Psaumes – sont
surpris, frappés de stupeur – c’est-à-dire avec une forme de crainte sacrée
quand même –, mais ils s’interrogent positivement et la renommée de Jésus se
répand dans toute la Galilée. Ils reçoivent la Parole avec intérêt, et certains
– comme les disciples – avec joie. Voyez le chemin parcouru !
Ainsi
donc, la Parole de Dieu, Jésus, selon la volonté du Père, a d’abord apprivoisé
l’homme habité par le démon. Ce fut le temps des prophètes. Et quand l’heure
fut venue, la Parole de Dieu s’est faite homme. L’homme a pu l’entendre sans
mourir de peur, et c’est le démon qui en a été chassé, libérant ainsi son cœur.
Dès lors, l’homme guéri peut entendre directement la Parole de Dieu et vivre
libre. Tel est la volonté du Père. L’étape suivante, c’est quand l’Esprit de
Dieu est répandu dans le cœur de l’homme libre. Dieu fait alors de cet homme un
saint, un fils adoptif, un prophète pour ses semblables.
Aujourd’hui,
nous vivons après Jésus-Christ et nous avons l’impression d’être, au mieux
comme les habitants de Capharnaüm, au pire comme les Hébreux qui ne supportent
pas d’entendre la Parole de Dieu. Comme si rien ou pas grand-chose ne s’était
passé. Et pourtant, nous sommes baptisés et nous avons reçu le sacrement de la
confirmation.
Il
y a deux raisons à cela. D’une part, chaque homme, quelle que soit l’époque à
laquelle il vit, fait un cheminement spirituel personnel. Et il commence par
être Hébreu, puis habitant de Capharnaüm, puis disciple et – avec la grâce de
Dieu – il devient un prophète ou un saint. Ce chemin doit être fait en chacun
d'entre nous. Il s’est fait en Moïse, en Isaïe, en Ézéchiel… ; il s’est
fait en Saint Paul, sainte Thérèse de Lisieux ou en saint Charles de Foucault…
et pourtant lui, il partait de loin !
D’autre
part, selon les moments de notre vie on est tantôt Hébreu, tantôt habitant de
Capharnaüm, tantôt disciple : le combat intérieur en nous, entre les
esprits impurs et la Parole de Dieu, est permanent, avec des victoires et des
défaites, toujours à reprendre jusqu’à ce que Jésus vienne et nous libère entièrement.
Si la vie chrétienne est un chemin vers la sainteté, elle est aussi un combat. Elle
est réponse à l’appel de la Parole de Dieu, avec l’aide de la Parole de Dieu,
jusqu’à devenir soi-même Parole de Dieu : louange et témoignage pour la
vie éternelle.