Jon 3, 1-5.10 ; Ps
24 ; 1Co 7, 29-31 ; Mc 1, 14-20
Chers frères et sœurs,
Mille fois nous avons entendu cet évangile et il nous est devenu tout naturel que Jésus appelle des disciples et que ceux-ci le suivent immédiatement. Mais enfin, à y regarder de près, cela n’avait rien d’évident. Comment cela a-t-il pu se faire ?
Il se trouve que – comme tous les Juifs de Galilée et même de Judée – André et Simon, Jacques et Jean, savent que Jésus est le Fils de David, le descendant du roi David à qui est promise la royauté. Ce n’est déjà par rien. De plus, ils savent aussi que Jean-Baptiste lui a donné le baptême et, dans ce baptême, Dieu lui a donné l’onction prophétique et royale : il est le Christ, le Messie de Dieu. Étant donné qu’André de manière certaine, mais probablement aussi Simon, Jacques et Jean, sont des disciples de Jean-Baptiste, il n’est pas étonnant qu’ils accordent à Jésus une importance particulière. Jean-Baptiste n’a-t-il pas dit de lui : « Voici l’Agneau de Dieu, celui qui enlève le péché du monde ? » ; « Il faut que lui grandisse, et moi, que je diminue » ; « Je ne suis pas digne de délier la courroie de sa sandale. » Bref : face à un appel direct de Jésus, confirmé par la parole de Jean-Baptiste : il n’y avait donc pas à hésiter.
Ce qu’André, Simon-Pierre, Jacques et Jean ne savaient pas, c’est qu’ils étaient dès à présent engagés dans une histoire et une réalité qui les dépassent complètement. En effet, après son baptême dans le Jourdain, Jésus est allé au désert où il a affronté et vaincu les tentations du démon. Ensuite seulement, il a appelé ses premiers disciples pour opérer – par lui-même ou par eux – des guérisons, et chasser des démons annonçant dans les villes et villages la manifestation du Règne de Dieu.
Il y a là une prophétie des événements de Pâques jusqu’à la Pentecôte. En effet, le baptême d’eau dans le Jourdain, annonce la mort et la résurrection de Jésus à Jérusalem – tout baptême est une mort et une résurrection.
Les tentations au désert annoncent ensuite le combat de Jésus et de ses anges contre Satan et ses démons, où Jésus a vaincu la cause première du péché et son fruit ultime, la mort. Ce combat, tout ami de Dieu doit le faire sien : c’est ce que Jésus appelle la conversion. Il s’agit de choisir la voix de Dieu contre l’illusion des vaines idoles. Il s’agit aussi de reconnaître Dieu comme le principe créateur de toute vie, et de lui en rendre grâce. La conversion n’est pas seulement un acte négatif de refus du péché, mais c’est aussi un acte positif d’adoration de Dieu. Pratiquer habituellement des actes d’adoration renforce justement les capacités de lutte contre le péché.
Aujourd’hui plus que jamais, ne négligeons pas l’importance de la conversion, car c’est ce qui est le plus difficile à vivre – surtout dans un monde où la satisfaction immédiate des besoins les plus primitifs est devenu un impératif catégorique – au point que même dans l’Église certains, baissant les bras, ont tendance à tout lui sacrifier au-delà même de la simple raison naturelle. Accepter de se convertir, c’est accepter de se battre tout d’abord contre la peur de vivre selon la foi en Dieu, mais aussi contre tout ce qui est déraisonnable. L’adoration de Dieu elle-même, en effet, est combattue sans pitié par l’esprit du monde. C’est d’ailleurs elle qui, bien souvent, est la première sacrifiée dans l’ordre de nos priorités quotidiennes. Alors que cela devrait être l’inverse : nous devrions l’honorer prioritairement.
La victoire dans ce combat de la conversion ouvre sur une réalité nouvelle, celle de l’Église et du Règne de Dieu, de la même manière qu’après son Ascension, Jésus nous obtient du Père le don de l’Esprit Saint vivifiant. Ainsi, durant ses apparitions, Jésus ressuscité a-t-il appelé de nouveau ses disciples comme pierres de fondation de l’Église et filet d’évangélisation. À la Pentecôte, ce fut le moment du premier lancer, qui permis de recueillir des milliers de poissons, de nouveaux chrétiens.
Notons ici qu’au bord du lac de Galilée comme à Jérusalem, Jésus a appelé des binômes pour les envoyer évangéliser deux par deux. Ainsi, furent envoyés saint Ferréol et saint Ferjeux, par exemple.
Notons aussi que si il a vu André et Simon jeter leurs filets dans la mer, Jésus a vu Jacques et Jean réparer les leurs. Cette nuance est importante : dans l’Église, il y a ceux dont la vocation est d’aller dans le monde pour y lancer le filet de l’Évangile – mais il y a aussi ceux dont la vocation est de faire en sorte que ce filet ne soit pas rompu ni distendu dans l’espace et le temps par l’épreuve de force que constitue une pêche d’une multiplicité de poissons. Certains sont soucieux de la diversité, d’autres de l’unité. Et on ne peut pas faire les uns sans les autres : les deux sont appelés par Jésus. Car Jésus est lui-même le filet – il est lui-même l’Évangile envoyé dans le monde. Et il est un et unique : il n’est pas divisé et il n’y en a pas d’autre que lui.
Pour finir, alors qu’André, Simon-Pierre, Jacques et Jean, sont embarqué dans cette aventure incroyable, on s’aperçoit que Jésus a pris quelque chose de leur simple vie ordinaire – lancer des filets, réparer des filets, gestes techniques et basiques de n’importe quel pêcheur – pour en faire des gestes extraordinaires et par conséquent de leur vie ordinaire, une vie extraordinaire. Comme si Jésus avait transformé leur vie à la manière du pain et du vin devenus par sa grâce, son Corps et son Sang, vraie réalité du Royaume des cieux et de la vie éternelle. Et pourquoi pas notre vie aussi ?