Is
35,1-6a.10 ; Ps 145 ; Jc 5,7-10 ; Mt 11,2-11
Chers frères et sœurs,
Jean-Baptiste est en prison, et il pressent qu’il n’en sortira pas vivant. On lui rapporte les œuvres de Jésus. Du coup, il envoie ses disciples demander à Jésus : « Es-tu celui qui vient ou devons-nous en attendre un autre ? » Ici les interprétations de la volonté de Jean divergent. Pour certains, Jean doutait, ce pourquoi, avant de mourir, il voulait vérifier, de la bouche même de Jésus, qu’il était bien le Messie. Pour d’autres, Jean n’a jamais douté, mais il a envoyé ses disciples à Jésus pour qu’ils constatent par eux-mêmes que Jésus est vraiment le Messie. C’est l’interprétation de saint Ephrem. Elle est la plus juste et aussi la plus respectueuse de la foi de Jean.
En effet, Jean-Baptiste désigne Jésus comme « celui qui vient », selon l’expression consacrée au Messie par les Psaumes et le Cantique des Cantiques : « Celui qui vient », c’est l’Époux qui vient retrouver son épouse. En réponse Jésus dit : « aller annoncer à Jean ce que vous entendez et voyez », c’est-à-dire qu’il invite ses interlocuteurs à constater la réalisation des prophéties dans ses paroles et dans ses actes. Or, ce qui fait qu’une prophétie est vraie et non pas une illusion, c’est justement qu’elle se réalise. Jésus dit aux disciples de Jean : « Voyez, je réalise non seulement les anciennes prophéties, mais aussi la prophétie de Jean ; ce qui veut dire que, si moi je suis bien le Messie, alors Jean est aussi un vrai prophète de Dieu et non pas un imposteur. » Jésus confirme donc Jean comme prophète.
Mais les disciples de Jean ont besoin d’explications : Jésus évoque alors les aveugles, les boiteux, les lépreux, les sourds, les morts et, selon les manuscrits grecs, les pauvres. On peut lire cette énumération comme un mélange de quatre ou cinq citations du prophète Isaïe, destiné à prouver que – selon Isaïe – Jésus est bien le Messie. Mais on peut aussi lire cette énumération comme un chemin de conversion : on commence par être aveugle et voir ; puis on boîte : on a du mal à avancer ; puis on est purifié de ses péchés, et le cœur parvient à entendre le doux murmure de la Parole de Dieu. Alors celui qui, jusqu’alors, vivait comme un mort, par le baptême ressuscite, et le pauvre – c’est-à-dire le chrétien, le « pauvre de cœur » des Béatitudes – reçoit « la Bonne Nouvelle ». Il faut savoir ici qu’il y a deux autres traductions possibles : « les pauvres reçoivent l’espérance », ou « les pauvres sont nourris ». C’est une manière de dire que les chrétiens, après leur baptême, vivent tout autant de l’Évangile que de l’espérance de la venue définitive de Jésus et sont – déjà ici-bas – nourris de lui dans l’Eucharistie et l’Esprit Saint. Inversement, celui qui ne suit pas ce chemin qui conduit des ténèbres et de la mort jusqu’à la lumière de la résurrection et à la vie, risque fort de chuter et malheureux est-il.
Voilà donc ce que Jean-Baptiste et Jésus ont donné comme enseignement : d’une part, Jean est prophète de Jésus-Messie, qui réalise les prophéties – et donc confirme Jean en retour comme vrai prophète. Et d’autre part Jésus explique comment on devient chrétien, en suivant un chemin de conversion et de vie.
Après le départ des disciples de Jean-Baptiste, Jésus interpelle la foule : qui est-il vraiment ce Jean ? Comparé à un roseau mou et habillé de manière humoristique avec des doudounes – car le texte ne parle pas de vêtements « raffinés », mais d’habits moelleux ! Jean-Baptiste est exactement l’inverse : il est intransigeant sur son message, sur l’obéissance à la Loi de Moïse, sur la prophétie du Messie de Dieu et la nécessité de se convertir pour pouvoir l’accueillir. Ce qui le conduira au martyre. Et, nous le savons, il est habillé de vêtements en poils de chameaux, ce qui ne donne probablement pas la même sensation qu’une doudoune ! Finalement Jésus déclare que Jean-Baptiste est vraiment un prophète – cela nous l’avons déjà vu – mais qu’il est bien plus qu’un prophète. En effet, là où un prophète classique annonce et espère la venue du Messie sans le voir encore, Jean-Baptiste lui non seulement l’a vu, mais il a aussi désigné Jésus comme Messie et demandé à ses disciples de le suivre. En somme Jean-Baptiste, en plus d’être prophète a également été apôtre du Christ.
Jésus enfonce le clou en citant l’Exode et le prophète Malachie, disant exactement : « Voici que j’envoie mon messager devant ta face pour restaurer le chemin devant toi. » « Devant ta face » est une expression qui désigne l’homme qui se présente devant Dieu comme serviteur ou prêtre, pour la prière. L’expression « restaurer le chemin » indique qu’il ne s’agit pas simplement de l’aménager : il faut rétablir l’ancienne Alliance, revenir à la juste observance de la Loi de Moïse, se réconcilier de tout son cœur avec Dieu. Voilà Jean-Baptiste : le prêtre qui sert le Messie-Dieu qui vient dans le monde, et celui qui réconcilie le peuple par le baptême pour le préparer à la venue de Dieu.
On comprend donc mieux comment Jean-Baptiste, prophète, apôtre et prêtre est le « plus grand » parmi les hommes, parce qu’il ressemble le plus à Jésus, vrai prêtre, vrai prophète et vrai roi. Mais il passe après le « plus petit dans le royaume des cieux », qui est le plus petit d’entre les frères de Jésus – les chrétiens – par la grâce de leur baptême dans l’Esprit Saint et le feu.