Ex
3,1-8a.10.13-15 ; Ps 102 ; 1Co 10,1-6.10-12 ; Lc 13,1-9
Chers
frères et sœurs,
Dans
les lectures et l’Évangile d’aujourd’hui, nous apprenons que Dieu a la volonté permanente
de prendre soin de son peuple. À l’Horeb, c’est lui qui appelle Moïse et lui déclare
qu’il a connaissance de la souffrance du peuple et que Moïse est missionné pour
délivrer celui-ci de Pharaon. Saint Paul évoque ensuite les actions du Seigneur
en faveur du peuple lors de sa sortie d’Égypte, mais nous devons aussi – nous
qui sommes chrétiens – y reconnaître l’annonce du baptême et de l’eucharistie
dont nous sommes bénéficiaires gratuitement de la part de Dieu. Nous aussi nous
sommes le peuple dont Dieu prend soin. Enfin, Jésus, devant les épreuves du
massacre des Galiléens et de la chute de la tour de Siloé n’accable pas les
victimes mais prend leur défense : leur mort dramatique n’est pas une
punition ; ni pour elles, ni pour quiconque. Et de même dans sa parabole,
les reproches que le maître – ou Dieu lui-même – adresse au figuier sont autant
de défenses du sol et surtout de la vigne, c’est-à-dire du peuple.
On le
voit : Dieu porte un souci constant à son peuple, qu’il chérit, qu’il veut
libre et bienheureux, auquel il n’impute pas la responsabilité de l’adversité
et du mal, mais qu’il veut débarrassé de ses oppresseurs et des profiteurs de
tous poils.
Justement,
qui sont ces gens qui font écran entre Dieu et son peuple ? Il y a ceux
qui exploitent le peuple et lui font violence, comme Pharaon, et ceux qui le
stérilisent spirituellement en l’épuisant, comme le mauvais figuier épuise le
sol et la vigne. Jésus vise ici les scribes et les pharisiens. Saint Paul
ajoutera dans cette catégorie des nuisibles les chrétiens qui n’honorent pas
leur vocation en désirant ce qui est mal. Tous, Pharaon, scribes et pharisiens,
et chrétiens dévoyés, font écran entre Dieu et son peuple.
Heureusement,
nous voyons qu’il existe inversement de bons intermédiaires. À l’Horeb, Dieu
s’est choisi Moïse ; dans la parabole le Maître s’adresse à son Vigneron,
qui est Jésus lui-même. Tous les deux Moïse et Jésus ont cette faculté de
pouvoir s’adresser à Dieu en faveur du peuple – et Jésus même en faveur du
figuier stérile qui épuise le sol.
Moïse, qui doit retirer ses sandales pour
marcher à proximité du Buisson ardent, annonce la figure du Grand Prêtre qui
doit entrer pieds nus dans le Saint-des-Saints, en Présence de Dieu. De même,
Jésus – à qui Jean-Baptiste déclare qu’il n’est pas digne de dénouer la
courroie de ses sandales – est le vrai Grand-Prêtre qui s’offre lui-même à son
Père pour le salut des hommes. Observons que cette notion d’offrande de soi est
évoquée par saint Paul, quand il réprouve les chrétiens qui n'ont pas su « plaire
à Dieu ». Nous voyons là qu’il assimile les chrétiens au Christ :
comme lui, ils sont par vocation en même temps intercesseurs pour le monde et
offrandes pour son salut.
Ainsi
certains sont choisis parmi le peuple pour être à l’image du Christ prêtre et
offrande, ambassadeurs et intercesseurs, cultivateurs de Dieu pour les hommes
et des hommes pour Dieu. Les chrétiens eux-mêmes, comme Moïse et le Vigneron,
ont été appelés pour répondre à cette vocation : chacun de nous est prêtre
pour Dieu et pour son prochain. Mais les élus peuvent se détourner de Dieu et
devenir tyranniques et nuisibles pour les autres, comme des démons.
Quant
au peuple lui-même, il est marqué par une forme d’innocence : il est
victime de la servitude imposée avec violence par Pharaon, image de la
servitude des hommes piégés par le diable dans leurs péchés et dans la mort.
Dieu veut les en délivrer. De même, les victimes de l’exaction de Pilate et de
la chute de la tour de Siloé ne portent pas de responsabilité particulière dans
ce qui leur est arrivé. Cela aurait pu arriver à tous. Mais le drame qu’ils ont
vécu est un avertissement pour les vivants : l’heure de la mort et du
jugement peut survenir à tout moment. De même, saint Paul avertit les chrétiens
bénéficiaires des dons du Seigneur qu’ils ne doivent pas se relâcher dans leur
culte de Dieu : ils ne doivent pas désirer le mal. « Désirer le
mal », c’est-à-dire devenir idolâtre en passant sa vie à s’amuser, en
s’abandonnant à la débauche, en mettant le Seigneur à l’épreuve, ou en
récriminant contre lui. Il est étonnant que les liturgistes aient coupé la
partie du texte dont je viens de parler, car elle pointe exactement les
tentations du monde présent et les condamne fermement. Mais le Seigneur ne veut
pas nous condamner : il veut que nous nous convertissions et que nous
désirions le bien et non pas le mal.
En
définitive, l’Évangile nous enseigne que la fin de l’histoire ne dépend pas
tellement de Dieu mais de l’intercesseur qui agit pour nous par sa prière, et
surtout de nous-mêmes. On ne sait pas si le figuier – après que le vigneron a
promis de bêcher autour – va donner du fruit. On ne sait pas si les scribes et
les pharisiens vont se convertir pour éviter le jugement. On ne sait pas ce
qu’ont fait les Corinthiens après avoir entendu l’avertissement de saint Paul.
En réalité la porte du ciel est ouverte – elle est toujours ouverte – et il
nous appartient à tous et à chacun, avec l’aide de Jésus, d’entrer ou pas,
sachant que le Seigneur nous attend. Car, comme dit le psalmiste : il
« est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour ».