Ex
3,1-8a.10.13-15 ; Ps 102 ; 1Co 10,1-6.10-12 ; Lc 13,1-9
Chers
frères et sœurs,
Les oraisons de la messe nous rappellent que
nous sommes pécheurs mais que, par l’effort du carême, nous pouvons marquer
concrètement notre désir de conversion. De son côté, le Seigneur attend de nous
un geste de repentir sincère pour pouvoir nous relever avec amour. Dès lors,
puisque nous sommes bénéficiaires de sa grâce, notamment en communiant au Corps
et au Sang de Jésus qui a donné sa vie pour nous, Dieu attend de nous que nous
pardonnions nous aussi à nos frères. Le carême est donc un temps qui nous est
offert pour nous réconcilier avec Dieu, avec nos frères, et aussi avec
nous-mêmes.
Mais il n’y a pas entre Dieu et nous qu’une
histoire de péché et de pardon, une histoire de morale. Ce serait tout réduire.
Il y a au contraire quelque chose de plus grand, et c’est l’aventure de Moïse
au Mont Horeb qui nous l’apprend.
Cette rencontre nous présente un Moïse qui ne
connaît pas Dieu. Il en a certainement déjà entendu parler, mais il ne le
connaît pas. Il ne sait pas comment se comporter avec lui. Le buisson qui brûle
mais qui ne se consume pas l’intrigue : ce n’est pas possible. Il
s’approche donc pour vérifier.
C’est là que Dieu se manifeste à lui, et
aussitôt une séparation se fait : « Retire tes sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une
terre sainte », et aussitôt « Moïse
se voila le visage car il craignait de porter son regard sur Dieu ». Il
apparaît donc une partition entre l’espace profane où se tient l’homme, et
l’espace sacré où se tient Dieu. Nous retrouvons symboliquement cette partition
au Temple de Jérusalem entre l’espace commun et le Saint des Saints où se
trouve l’arche d’alliance, séparée par un rideau. Cette partition renvoie à la
séparation réelle qui se trouve entre nous, les hommes, qui sommes des
créatures, et Dieu, qui est notre créateur ; entre la terre, l’univers ou
l’espace-temps dans lequel nous sommes, et ce qu’on appelle le Ciel, le
Royaume, le Paradis ou la communion des saints, là où se trouve Dieu. Et le
voile, ou le rideau, c’est tout simplement la mort.
Or justement la volonté de Dieu, qui est révélée
à Moïse, est que dans son grand amour, Dieu a décidé de nous faire franchir le
voile qui nous sépare de lui et de nous faire habiter dans son espace sacré, c’est-à-dire
dans son Royaume.
Quand Dieu annonce à Moïse qu’il a vu la misère
et la souffrance de son peuple en Égypte, et qu’il va le délivrer de son
esclavage pour le faire entrer dans un « beau et vaste pays, ruisselant de lait et de miel », il lui
annonce la libération d’Égypte, certes, mais surtout, prophétiquement, qu’il va
libérer l’homme de sa condition de créature pour lui faire bénéficier de la
condition divine des fils de Dieu.
Ce que Moïse va donc faire de manière profane, politique
pourrait-on dire, dans l’espace-temps de notre monde, Jésus, lui, va le faire en
réalité. Moïse a libéré le peuple d’Israël en lui faisant franchir la Mer
Rouge, Jésus a introduit le peuple des baptisés dans l’espace sacré du Royaume,
en lui faisant franchir le rideau de la mort. Tous ceux qui sont baptisés,
étant passés avec Jésus de la mort à la vie, peuvent donc voir Dieu face à face
et marcher avec lui sur sa terre sainte. Ils sont fils de Dieu et ils sont
saints.
Comprenez donc, chers frères et sœurs, qu’entre
Dieu et nous, il n’est pas d’abord question d’une histoire de péché. Il est
d’abord question, pour Dieu, de nous faire entrer dans son Royaume, dans sa vie
à lui, dans sa sainteté, dans son amour. C’est cela sa priorité. Et pour ce
faire, comme il nous a créé libres, il faut que nous nous préparions, que nous
nous convertissions, pour pouvoir suivre Jésus à travers le voile de la mort,
et pour entrer avec lui dans la vie sainte de Dieu.
Pour nous qui sommes baptisés, saint Paul nous
prévient cependant : ce n’est pas parce qu’on a déjà reçu, par le baptême,
la dignité des saints, qu’on doit se croire parvenus. Après avoir été libéré
d’Égypte, le peuple d’Israël a récriminé au désert et il en est mort. Nous
pouvons, nous aussi les chrétiens, récriminer et chuter, et ce de manière
d’autant plus grave que nous avons été libérés par Jésus. C’est pourquoi, tant
que nous avons un pied sur la terre, nous devons rester humbles et prier le
Seigneur de nous garder dans la foi. Mais déjà, nos yeux peuvent briller de
l’immense bonheur que nous avons reçus de la part de Dieu, puisque par le
baptême, nous appartenons déjà à la communion des saints.