dimanche 31 août 2025

30-31 août 2025 - COURTESOULT - GRAY - 22ème dimanche TO - Année C

 Si 3, 17-18.20.28-29 ; Ps 67 ; He 12, 18-19.22-24a ; Lc 14, 1.7-14
 
Chers frères et sœurs,
 
Dieu s’est-il fait homme, est-il mort sur la croix et ressuscité, pour apprendre aux hommes des leçons de savoir-vivre élémentaires ? D’une certaine façon, oui, s’il s’agit du savoir-vivre de la Vie éternelle. Jésus semble profiter d’une situation assez ridicule pour rappeler à ses disciples – ceux qui écoutent l’évangile – que le commandement du service mutuel et celui de l’attention aux pauvres sont des signes du Royaume qui vient. Une telle écoute a pu donner la figure de saint Martin, par exemple, qui refusait absolument de s’asseoir tant sur un trône épiscopal dans sa cathédrale, que dans un fauteuil au cours d’une réunion officielle : il fallait toujours qu’on lui apporte un tabouret ! Les premiers chrétiens étaient très attachés à cette dimension morale de l’évangile, toute faite de service généreux et d’humilité, qui les distinguait des païens en les impressionnant, et leur permettait ainsi de faire rayonner l’Évangile.
 
Cependant, l’affaire du repas de Jésus avec les pharisiens prend une autre dimension quand on s’attache à lire le texte précisément. Jésus n’est pas entré chez un pharisien pour y prendre un repas comme on entre dans une brasserie pour y prendre un sandwich. Il a été invité par le pharisien : Jésus est l’invité d’honneur, ce pour quoi il se permet de donner un enseignement ; et le pharisien a également invité des collègues. Cependant, la situation est extrêmement tendue. Il est dit que les pharisiens « observaient » Jésus ; il faut comprendre qu’ils l’épiaient, le surveillaient, attendant qu’il fasse le moindre faux-pas pour lui tomber dessus.
Justement, nous sommes un samedi, un jour de sabbat, au cours duquel les activités sont réglementées par la Loi de Moïse. Or il se trouve qu’il y a dans la salle un homme malade d’hydropisie – cet épisode a été coupé dans notre lecture. Et Jésus va guérir cet homme, en présence des pharisiens pour lesquels l’exercice de cette activité pendant le sabbat est interdit par la Loi. Jésus leur rappelle alors ce principe que la défense de la vie, fut-elle celle d’un animal, prime sur tout autre précepte de la Loi en vertu du 5ème commandement : « Tu ne tueras pas. » Profitant du fait que les pharisiens sont décontenancés, il leur donne l’enseignement que nous avons entendu. Celui-ci semble être sans aucun rapport avec ce qu’il vient de se passer. Pourtant il s’en trouve un.
Pour comprendre, il faut aller directement à la citation du prophète Ézéchiel que cite Jésus : « Quiconque s’élève sera abaissé, et qui s’abaisse sera élevé. » Cette citation fait référence à un conflit entre Guédalia et Ismaël. Guédalia est le gouverneur nommé par Nabuchodonosor du petit reste d’Israël resté à Jérusalem après la chute du dernier roi de Juda, Sédécias, et la déportation à Babylone. Et Ismaël est un administrateur resté également en Judée, de sang royal. Évidemment, Ismaël ne rêve que de renverser Guédalia pour prendre sa place et restaurer la royauté en Israël. Or un jour Guédalia offre un repas à ses officiers, dont Ismaël, qui en profite pour l’assassiner. La fin de l’histoire est terrible parce que Ismaël est tué à son tour et le petit reste d’Israël resté jusqu’alors à Jérusalem doit s’enfuir en Égypte : il ne reste plus personne à Jérusalem. L’échec est total. Donc Jésus fait référence à cette histoire lorsqu’il évoque, au cours du repas avec les pharisiens qui en veulent à sa vie, la question des invités malséants et celle du souci des pauvres.
 
Aux pharisiens qui sont invités comme lui, il leur rappelle que Ismaël était lui aussi un invité, mais que son désir de prendre la première place en tuant Guédalia qui l’occupait, s’est soldé par la perte de sa propre vie. Plus finement, Jésus leur rappelle qu’on ne s’attribue pas à soi-même une promotion, mais que celle-ci doit venir de l’autorité supérieure. Et il y a plus de chance de la recevoir quand on s’en montre un digne serviteur. Sans doute Nabuchodonosor qui avait déjà permis à Ismaël de demeurer à Jérusalem, quoique de sang royal, l’aurait grandi après Guédalia s’il s’en était montré digne – et la royauté de David aurait peut-être été rétablie. Mais par son orgueil Ismaël a perdu et la royauté, et la vie. Évidemment, dans l’esprit de Jésus, cette histoire n’est qu’un prétexte pour parler du Royaume des cieux : l’orgueil spirituel de ceux qui se croient des purs en matière religieuse au détriment de ceux qui ont reçu de la part du Seigneur une fonction qu’ils tâchent de remplir honorablement, risquent de perdre et leur couronne de sainteté, et la béatitude. Le message de l’auteur est donc le suivant : « fuyons l’orgueil ; attachons-nous à l’humilité ! »
 
Mais Jésus se tourne ensuite vers le pharisien qui a lancé l’invitation à tous. Il le met en garde contre ses confrères qui risquent de l’entraîner dans une voie sans issue, sinon dangereuse. Jésus l’invite à choisir l’attitude de Guédalia : celle de l’administration pleine de sagesse, de l’humble service du petit reste d’Israël : les pauvres, les estropiés, les boiteux, les aveugles ; tous ceux qui sont restés à Jérusalem parce qu’ils ne valaient rien pour Babylone. Et le choix de les protéger, surtout contre les zélotes orgueilleux qui veulent se lancer dans des aventures sans lendemains, est préférable que d’emboîter le pas à ces derniers. Le message est donc double ici. D’une part Jésus condamne la radicalité et met en garde contre les familiarités qui compromettent – ceci vaut pour le pharisien que Jésus semble apprécier pour lui avoir donné cette recommandation, mais aussi pour les Apôtres, et les chefs d’Églises. Et d’autre part, le choix doit toujours être fait de la protection des plus faibles, qui sont toujours le choix de Dieu. Pour nous en convaincre, écoutons donc la Sainte Vierge Marie dans le chant de son Magnificat : « Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom ! Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais. »

dimanche 24 août 2025

24 août 2025 - PESMES - 21ème dimanche TO - Année C

 Is 66, 18-21 ; Ps 116 ; He 12, 5-7.11-13 ; Lc 13,22-30
 
Chers frères et sœurs,
 
Qu’elle est magnifique cette prophétie d’Isaïe ! Par sa bouche notre Seigneur annonce qu’il va « rassembler toutes les nations » – ce rassemblement, c’est l’Église – et qu’elles « verront sa gloire », la gloire de sa résurrection. Il mettra chez elles « un signe », le signe de la croix, celui du baptême. Du milieu d’elles, il enverra des « rescapés » – c’est-à-dire les baptisés devenus missionnaires – pour les envoyer « vers les nations les plus éloignées ». « Ma gloire, dit-il, ces rescapés l’annonceront parmi les nations. Et de toutes les nations, ils ramèneront tous vos frères. » Ainsi de toute l’humanité, tous ceux qui ont entendu et vu la gloire du Seigneur, qui sont marqués du signe du salut, ont pour vocation d’être rassemblés en un seul peuple, l’Église.
La suite n’est pas moins importante. Ce rassemblement se fait sur la montagne sainte du Seigneur, Jérusalem. Les baptisés y seront portés comme des offrandes, dans des vases purs, à la Maison, c’est-à-dire au Temple du Seigneur. Nous retrouvons ici cette parole que nous disons dans la prière eucharistique :  « Que l’Esprit Saint fasse de nous une éternelle offrande à ta gloire, pour que nous obtenions un jour l’héritage promis, avec tes élus. » Comprenons que la vie des baptisés est une vie offerte à Dieu en sacrifice d’action de grâce – une vie eucharistique – qui leur donne accès à la communion des saints. Telle est la vie chrétienne : une vie d’offrande. Cela a permis à l’évêque saint Augustin de dire un jour à ses fidèles en parlant de la communion : « Devenez ce que vous recevez. »
 
Nous ne devons pas oublier cette prophétie lorsque nous réfléchissons aux paroles de Jésus, dans l’évangile. Aujourd’hui un homme l’interroge : « Seigneur, n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? » À cette question Jésus ne donne pas de réponse : d’une part, seul son Père sait ce qu’il en est du jugement ; lui Jésus, vient pour sauver. D’autre part, la réponse dépend aussi en grande partie de chaque homme pour lui-même. Et c’est ce que Jésus explique.
Il évoque d’abord brièvement trois situations qui correspondent aussi à trois enseignements qu’on trouve à différents endroits de l’évangile de saint Matthieu. Premièrement : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite. » On devrait lire « Luttez pour entrer par la porte étroite », car saint Luc emploie ce même verbe pour l’agonie de Jésus. La lutte dont il s’agit n’est pas une épreuve de force, de pouvoir ou de puissance, mais tout l’inverse : d’humilité et de dépouillement. Deuxièmement, cette lutte est temporaire : il y a un terme. Le temps sera compté lorsque « le maître de la maison se sera levé pour fermer la porte ». Pour la génération qui écoute Jésus, le temps est écoulé lorsque Jésus ressuscite. Mais pour toute l’humanité, le temps sera écoulé lorsqu’il se manifestera à la fin des temps. Alors il sera trop tard pour se convertir : on aura été flashés dans l’état où nous serons à cet instant. Il s’agit donc de se trouver prêt à toute heure : que ce soit pour nous une habitude permanente d’attendre la venue du Seigneur. Et troisièmement, si on a été flashé, on aura beau essayer de faire valoir qu’on a croisé Jésus un jour au resto ou au supermarché, cela ne marchera pas. Plus sérieusement, Jésus vise ici les deux formes de culte de Dieu : les repas rituels – repas de communion avec Dieu – et l’écoute de la Loi, de la Parole de Dieu. Le culte comme tel ne constitue pas un passeport suffisant pour le ciel, surtout s’il n’est pour celui qui l’exerce qu’une formalité extérieure.
Car, pour finir, Jésus donne la clé de la bonne attitude, surtout pour le culte : « Éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l’injustice. » Il s’agit d’une citation directe du psaume 6, verset 9 : ils s’éloignent eux-mêmes de Dieu ceux qui, par leurs actes, ne mettent pas la Loi en pratique. Ce que Jésus exige donc comme passeport pour le ciel, pour être veilleur, pour passer la porte étroite, c'est la pratique de la Loi : l’amour de Dieu de toute son âme, de tout son cœur et de toute sa force, et l’amour du prochain comme soi-même. Il faut que cet amour soit pour nous une vertu intérieure et pratiquée de manière permanente. Elle se demande dans la prière.
La seconde partie de la réponse de Jésus semble concerner en priorité les Juifs, qui sont menacés, s’ils n’entrent pas réellement dans le commandement de l’amour, soit d’être séparés de leurs pères, les patriarches et les prophètes déjà entrés dans le Royaume de Dieu, soit d’y être doublés par les païens convertis – ceux dont parlait la prophétie d’Isaïe – qui seront rassemblés de toutes les nations à Jérusalem, à la Maison du Seigneur. La mention « et que vous-mêmes, vous serez jetés dehors » n’est pas dans tous les manuscrits ; elle provient peut-être d’un traducteur chrétien un peu trop zélé. Jésus ne dit pas que les Juifs sont exclus du Royaume, mais qu’en n’observant pas l’esprit de la Loi, ils perdent leur droit d’aînesse en quelque sorte : de premiers, ils deviennent derniers – ce qui ne veut pas dire qu’ils soient exclus. Cependant, soyons nous-mêmes bien conscients que Jésus ici ne parle pas seulement à l’homme qui l’a interrogé ou aux Juifs en général, mais à tous, y compris ses disciples, c’est-à-dire aussi à nous. Son enseignement vaut pour tous. Si notre baptême et nos célébrations eucharistiques, les sacrements que nous célébrons, ne sont que des rituels extérieurs, sans vie spirituelle intérieure selon l’amour de Dieu et du prochain ; si nous ne veillons pas en tout temps ; si nous ne vivons pas humbles et pauvres, alors nous serons certainement relégués en troisième division.
Jésus nous appelle aujourd’hui à faire mieux. Ensemble, par la force de son Esprit Saint, nous pouvons faire mieux – pour qu’à la fin nous entrions dans sa joie.  

mardi 19 août 2025

17 août 2025 - GRAY - 20ème dimanche TO - Année C

Jr 38, 4-6.8-10 ; Ps 39 ; He 12, 1-4 ; Lc 12, 49-53
 
Chers frères et sœurs,
 
Le choix des lectures de ce dimanche nous conduit à penser qu’être porteurs de la Parole de Dieu – que ce soit comme prophète ou comme Messie, et donc aussi comme chrétien – n’est pas sans danger… Jérémie se retrouve au fond du puits, enfoncé dans la boue, et Jésus est cloué en croix, voué à la mort. On nous fait entendre dans le psaume la supplication du juste dans l’épreuve et, dans l’Évangile, l’angoisse de Jésus à l’approche de son baptême – de sa passion. Le rédacteur de l’Épître aux Hébreux – c’est-à-dire les chrétiens d’origine juive – les invites à courir « avec endurance l’épreuve qui nous est proposée » ; il parle des persécutions.
Cependant, contrairement à ce que nous pourrions croire, ces lectures ne nous ont pas été proposées pour alimenter notre désespoir, mais elles nous rappellent la fidélité et la bonté de Dieu en toutes circonstances, pour que soient renforcées notre foi et notre espérance, en vue de la joie. Pour mieux comprendre cela, lisons attentivement l’Évangile selon saint Luc.
 
« Je suis venu apporter un feu. » Quand Jésus parle ici de feu, il ne parle ni des feux de forêt, ni du feu de l’enfer. Il parle du Saint-Esprit. Ce feu est celui que vit Moïse au buisson ardent : feu qui illumine le buisson sans le détruire pour signaler la Présence de Dieu. C’est le même feu qui, porté par le chandelier à sept branches, illumine le sanctuaire du Temple, que nous avons nous aussi dans l’église : ce sont les bougies qui clairent sur l’autel. Ce feu est aussi celui dont les disciples ont parlé : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant en chemin, tandis qu’il nous ouvrait les Écritures ? » Car, pour un araméen, c’est le même mot « nour » qui signifie le feu, et la passion de l’amour. Voilà le feu dont parle Jésus, qu’il est si impatient de voir allumé en nous : celui de l’amour de Dieu, le don de l’Esprit Saint.
 
Quand Jésus dit cela, il le dit en tant que Dieu : « Je suis venu apporter un feu sur la terre. » Mais quand il ajoute : « Je dois recevoir un baptême », il le dit en tant qu’homme. En fait, il répond à la promesse du feu d’amour divin par le cri de l’homme qui espère : « Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli. » Oui, nous sommes pressés et anxieux dans l’attente du baptême dans l’Esprit et le feu, par lequel nous accomplirons enfin totalement notre vocation à la communion d’amour, pour l’éternité. Jésus n’a pas peur du baptême pour lui-même, mais il est tendu dans l’attente de ce moment, comme des parents au moment d’une naissance, par exemple.
Voyez ce mouvement extraordinaire : en tant que Dieu Jésus dit qu’il est venu apporter un feu d’amour, et en tant qu’homme il répond qu’il est dans l’attente de cet accomplissement. Saint Irénée le disait si bien : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu. »
 
Maintenant, dit Jésus : « Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? » Ici il y a un petit piège, difficile à identifier si on ne sait pas. En araméen, il y a deux mots pour dire paix : « shyna », qui veut dire « terre cultivée », « tranquillité », prospérité » ; et « shelma », qui a donné « Shalom » ou « Jérusalem », qui est une paix intérieure profonde, une paix qui vient de Dieu. L’araméen fait donc la différence entre la paix humaine, la vie paisible sur la terre, et la paix qui vient de Dieu, une paix profonde. Or le grec ne connaît qu’un seul mot pour dire « paix » : « Eirenè », qui a donné les prénoms Irénée et Irène. Du coup, de quelle paix parle ici Jésus ? Non, il n’est pas venu apporter la paix humaine, la tranquillité et la prospérité de celui qui veut accumuler du blé dans ses greniers, mais oui, il est venu apporter la paix profonde de Dieu. C’est d’ailleurs le feu dont il vient juste de parler.
 
Par conséquent, on comprend mieux la suite : le feu d’amour – celui de la Pentecôte, le don de l’Esprit Saint, ne vient pas apporter une tranquillité humaine, une vie pépère, mais il a deux conséquences pour nous. D’un point de vue pratique, il va créer des divisions entre ceux qui ont la foi et ceux qui ne l’ont pas. Et d’un point de vue spirituel, il va purifier en nous ce qui est conforme à l’homme nouveau et brûler ce qui est de l’homme ancien. « Cinq personnes de la même famille », ce sont des gens qui vivent ensemble mais qui – du fait de la foi – ne vivent plus sur la même longueur d’onde ; et ce sont aussi nos dispositions intérieures, en chacun d’entre nous, qui se divisent lorsque nous sommes déjà attirés par la lumière de Dieu, mais encore tentés par les ténèbres, par les séductions diverses. Alors qu’avant nous ne le savions pas, et nous vivions entièrement dans les ténèbres, dans une fausse unanimité d’esprit en raison de notre aveuglement, la venue du feu d’amour nous révèle notre état réel de pécheur et en même temps nous attire vers la gloire lumineuse.
 
C’est ainsi, chers frères et sœurs, que lors de sa venue l’Esprit Saint sera comme un feu : il divisera les choses de ce monde, brûlera ce qui est péché et illuminera ce qui est justice, en donnant sa paix profonde. Nous pouvons être habités par la crainte devant les épreuves – Jésus est passé par là lui aussi –, mais nous devons être entraînés par l’impatience avec laquelle Dieu veut que nous soyons réconfortés. Derrière le feu, l’Esprit Saint se fait rosée.
  

vendredi 15 août 2025

15 août 2025 - BEAUJEU - Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie - Année C

Ap 11, 19a ; 12, 1-6a.10ab ; Ps 44 ; 1 Co 15, 20-27a ; Lc 1, 39-56
 
Chers frères et sœurs,
 
L’Apocalypse de saint Jean est un texte curieux, rempli d’images et de symboles. Pour une grande partie des gens, il annonce l’avenir de manière prophétique. Mais en réalité, il est plutôt un moyen crypté, compréhensible pour les chrétiens, incompréhensible pour les autres, pour évoquer et comprendre les difficultés, c’est-à-dire les persécutions du temps présent, à l’époque où vivait saint Jean.
 
Notre lecture commence de manière assez grandiose par l’ouverture du sanctuaire de Dieu, qui est dans le ciel, avec l’apparition de l’Arche d’Alliance. Nous devons savoir tout d’abord, que pour saint Jean la réalité est composée de la Terre – l’univers dans lequel nous vivons – et du Ciel, qui est le domaine de Dieu. Le temple de Jérusalem, comme toute église traditionnelle,  a été configuré selon cette distinction. Dans la première partie, la terre, se trouvent habituellement les prêtres, le grand candélabre, l’encens et les offrandes de pain. Derrière le rideau, dans la seconde partie appelée « Saint des Saints », le ciel, se trouve l’Arche d’Alliance qui contient les Tables de la Loi et sur laquelle repose la Présence de Dieu. Dans cette deuxième partie, seul le Grand Prêtre peut rentrer une fois par an pour la prière du Grand Pardon.
 
Justement, la vision de saint Jean, qui est un homme de la terre, n’est possible que par l’ouverture du rideau qui lui permet d’apercevoir l’Arche qui se trouve dans le sanctuaire du ciel. Cette ouverture ne se fait pas par hasard, mais sur la prière de louange des vingt-quatre anciens qui se trouvent devant le trône de Dieu, qui sont les vingt-quatre prophètes de l’Ancien Testament, en comptant parmi eux saint Jean-Baptiste. Ils rendent gloire à Dieu parce qu’il a décidé que l’heure de la Rédemption de l’humanité – l’heure de Jésus – était venue. Ces vingt-quatre anciens agissent donc comme des prêtres.
Ils voient donc, et saint Jean avec eux, l’Arche d’Alliance. Or saint Jean nous dit que cette Arche, c’est la bienheureuse Vierge Marie. De même que l’Arche qui se trouvait dans le Temple contenait les Tables de la Loi ; de même la Vierge Marie contient en son sein Jésus, la Parole de Dieu, source et accomplissement de la Loi. Sur l’Arche reposait la Présence de Dieu ; sur Marie repose l’Ombre de l’Esprit Saint, comme l’Ange Gabriel le lui a dit lors de l’Annonciation.
 
Nous voyons ensuite cette Vierge magnifique, comme était l’Arche d’Alliance, donner naissance à un enfant, qui est donc Jésus. C’est le mystère de Noël. Le Dragon qui veut dévorer l’enfant, humainement c’est Hérode, mais c’est surtout le Satan qui veut absolument empêcher Jésus de réussir sa mission.
Ce Dragon est fascinant : sur ses sept têtes se trouvent des diadèmes précieux. Ce sont les symboles de sa puissance. Le mal, de manière multiple, est puissant et attirant. Le dragon balaye le ciel et fait tomber le tiers des étoiles. Les étoiles sont les fils et les filles de Dieu. Chacun est libre de ses choix : être avec Jésus ou bien se soumettre, se livrer, aux puissances fascinantes du démon, et chuter.
Très vite saint Jean passe sur la vie de Jésus et même sur sa mort et sa résurrection. Il évoque seulement son Ascension au ciel : « L’enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son trône. » Ce que saint Jean veut nous enseigner, en effet, concerne plutôt ce qui se passe à ce moment et ensuite. Rappelons-nous ici, en passant, que seul celui qui peut entrer dans le sanctuaire du Temple est le Grand Prêtre, pour le rituel du Grand Pardon. Ainsi, lors de son Ascension au ciel, où il entre dans la gloire de Dieu, Jésus est le Grand Prêtre véritable.
 
Ici le texte de notre lecture est malheureusement coupé et, pour comprendre, il faut le lire en entier dans notre Bible. Nous apprenons alors que, pendant que la Femme – la Sainte Vierge Marie – s’enfuit au désert, le lieu où se réfugient habituellement les gens qui sont persécutés, il y a un immense combat dans le Ciel entre Saint Michel et le Dragon. Entre les anges et les démons. Mais le Satan est vaincu, c’est-à-dire que dans son Ascension au Ciel, accompagné de tous les anges, Jésus a vaincu non seulement le péché et la mort, mais surtout leur racine : le Diable et ses démons. Et c’est pourquoi, Jésus ayant rempli entièrement sa mission, on entend dans le ciel la voix forte qui proclame : « Maintenant, voici le salut, la puissance et le règne de notre Dieu, voici le pouvoir de son Christ. » Ce moment, c’est celui de la Pentecôte : le Démon est vaincu et l’Esprit Saint est répandu sur le monde. Ainsi le Grand Pardon est accordé par Dieu à Adam et à sa descendance, à toute l’humanité, à nous tous.
 
Mais que devient la Bienheureuse Vierge Marie ? Il faut continuer notre lecture dans la Bible. Le Dragon et ses démons, comme Adam autrefois, sont jetés hors du Ciel et chutent à leur tour sur la terre. Ils se lancent alors à la poursuite de la Femme. Saint Jean dit qu’elle est protégée par les ailes d’un grand aigle, c’est-à-dire par lui, comme Jésus le lui a demandé sur la croix. Et faute d’avoir pu la rattraper par ses puissances de mort, le Dragon et ses démons finissent par se retourner contre le reste des enfants de la Femme, c’est-à-dire contre les chrétiens, contre nous : « ceux qui obéissent aux ordres de Dieu et qui possèdent le témoignage de Jésus ». Ainsi s’expliquent les persécutions.
 
Voilà donc ce qui se trouve dans notre lecture de l’Apocalypse. Retenons que Marie est l’Arche d’Alliance qui contient la Parole de Dieu et sur qui repose l’Esprit du Seigneur. Retenons aussi que quand le Diable renonce à s’attaquer à elle, il se reporte sur nous. Mais qu’avons-nous à craindre ? Il a été vaincu par la prière de Jésus, par Saint Michel et ses anges, et jamais il n’a pu porter atteinte à la Vierge Marie. Si nous nous cachons dans le manteau de notre Reine du Ciel, nous ne craignons rien.

dimanche 10 août 2025

09-10 août 2025 - TINCEY - SOING - 19ème dimanche TO - Année C

 Sg 18, 6-9 ; Ps 32 ; He 11, 1-2.8-19 ; Lc 12, 32-48

Chers frères et sœurs,
 
Nous poursuivons notre lecture de l’évangile de Luc, où Jésus donne un enseignement sur la bonne manière de vivre en ce monde, dans l’attente de la vie future. Il préconise en premier lieu de se faire « un trésor inépuisable dans les cieux », en étant généreux en aumônes ici-bas. Non pas tant par le geste que par l’intention du cœur qui produit le geste. Cette intention manifeste autant un détachement des biens terrestres transitoires, qu’une générosité qui ne compte pas, comme Dieu donne toujours largement quand il fait grâce. Ainsi doit être l’homme généreux : bon comme Dieu est bon.
 
Cependant Jésus précise ensuite qu’un jour viendra à l’improviste, qui sera aussi un jour de jugement. Il invite pour cela son auditoire à veiller, à rester en tenue de service, la ceinture autour des reins, à garder sa lampe allumée, comme des serviteurs qui attendent leur maître à la fin des noces. Le jour où le Seigneur viendra, nous serons comme « flashés » dans l’état d’esprit et la disponibilité à servir où nous serons à ce moment-là. Autrement dit, il s’agit que l’état de veille et de service soit pour nous un état permanent, un mode de vie habituel, qu’on ne remet pas à demain, ou qu’on ne pratique pas seulement de 9h00 à 12h00 et de 14h00 à 18h00. L’homme que le Seigneur s’attend à trouver à son retour est un cœur qui l’attend dans une espérance vivante, en pratiquant humblement son service, à toute heure.
La surprise pour cet homme n’est pas tant qu’il aura à se mettre au service du Seigneur qui vient, mais plutôt que c’est le Seigneur lui-même qui le servira. Le maître de maison se fera lui-même le serviteur et il servira l’homme à sa table, pour un bon repas. Jésus veut dire ici que la récompense du juste dépasse toute attente ; elle est inimaginable pour un homme ; et sa part sera une communion de dignité avec son maître, une forme de divinisation : une participation au repas de Dieu. Pensons ici au moment où, dans l’Évangile de Jean, Jésus s’est lui-même ceint d’un linge pour laver les pieds de ses disciples : c’était lors du repas pascal, où pour la première fois il leur a partagé en communion son Corps et son Sang, la Vie divine.
 
Pierre s’interroge : si donc l’eucharistie, la communion des saints, est ouverte à tout homme juste tel qu’on vient de le décrire, qu’en sera-t-il pour un disciple ou un apôtre comme lui ? Aura-t-il une part supérieure, plus riche, plus importante ?
Peut-être que Jésus est surpris par la question ; il la reformule donc ainsi : « Que dire de l’intendant fidèle et sensé, à qui le maître confiera la charge de son personnel pour distribuer, en temps voulu, la ration de nourriture ? »
Nous avons déjà ici une définition de ce qu’est un apôtre tel que Pierre, un évêque : il est un intendant, à qui le personnel – c’est-à-dire tous les baptisés – est confié, pour lui distribuer la « ration de nourriture », c’est-à-dire la Parole de Dieu et les sacrements. Un évêque est un intendant : il n’est pas le Maître, mais il est au service du Maître en étant au service de ses serviteurs. Et tel est son service particulier, dans lequel Jésus s’attend à le trouver au moment de sa venue.
Cependant Jésus identifie la tentation terrible des serviteurs des serviteurs de Dieu : le découragement et l’abandon de l’espérance pour s’abîmer dans le relâchement et la dépravation. L’apôtre, ou l’évêque, a un devoir d’exemplarité d’autant plus qu’il connaît la Parole de Dieu : il sait quelle est la volonté du Maître. Sa responsabilité personnelle est donc d’autant plus importante en cas de faillite. « À qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage » dit Jésus. On peut prier ici pour nos évêques.
 
Remarquons ici que Jésus ne répond pas positivement à la question de Pierre. Il y répond négativement. A la question de savoir si l’apôtre où l’évêque recevra davantage dans le Royaume des cieux que le simple fidèle, Jésus répond à Pierre que ceux qui sont riches de la Parole de Dieu et des sacrements courent un bien plus grand risque d’être condamnés si ils perdent la foi, que celui qui mène une humble vie chrétienne en attendant la venue du Seigneur. Le critère du jugement n’est pas le degré d’ordination ou de la science de Dieu, mais la foi, l’espérance et la charité qui doivent habiter le cœur de tout homme aimé de Dieu.
On peut comprendre qu’il n’y a rien à gagner au ciel à être apôtre ou évêque sur la terre, sinon à prendre davantage de risques de ne pas pouvoir y entrer à cause de ses nombreux péchés ! Mais on sait aussi que les Apôtres sont appelés à siéger avec Jésus, sur Douze trônes pour y juger avec lui toutes les nations, c’est-à-dire à participer à sa royauté. Jésus y fait allusion, quand il dit, à propos de l'intendant: « Il l’établira sur tous ses biens. »   Il y aura donc une récompense particulière, une place particulière, mais qui ne dépend que de la fidélité de l’Apôtre d’une part, et de la grâce de Dieu d’autre part, car à la droite et à la gauche du Christ, les places sont réservées à ceux que le Père seul en aura jugé dignes. Et ce peut être n’importe qui ; même un larron !

dimanche 3 août 2025

03 août 2025 - GRAY - 18ème dimanche TO - Année C

Qo 1, 2 ; 2, 21-23 ; Ps 89 ; Col 3, 1-5.9-11 ; Lc 12, 13-21
 
Chers frères et sœurs,
 
L’évangile que nous venons d’entendre peut se comprendre de deux manières. La première nous vient à l’esprit spontanément, d’autant plus que les traductions successives tirent largement dans son sens. Il s’agirait ici d’un enseignement moral, où Jésus prend prétexte d’un différend familial à propos d’un héritage qu’il refuse de trancher, pour inviter son auditoire à ne pas s’attacher aux biens terrestres mais plutôt à se faire un trésor dans le ciel en donnant ses biens aux pauvres. Car « être riche en vue de Dieu », c’est mettre en pratique la parole suivante de Jésus : « Vendez ce que vous possédez et donnez-le en aumône. Faites-vous des bourses qui ne s’usent pas, un trésor inépuisable dans les cieux. » C’est aussi la réponse qu’il a faite au jeune homme riche : « Une seule chose te fait encore défaut : vends tout ce que tu as, distribue-le aux pauvres et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi. » A contrario, celui qui accumule les richesses n’emprunte pas un chemin qui conduit au ciel, mais plutôt au néant ou à l’absurde : « Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ? »
Les interlocuteurs de Jésus, et nous avec eux, seraient donc confrontés à une parole plutôt radicale, qui aurait pour effet paradoxal de condamner ceux qui ne la mettraient pas en pratique, alors que Jésus se défend tout d’abord de vouloir juger les hommes... Il y a quelque chose qui ne colle pas très bien. Peut-on comprendre cet épisode un peu différemment ? Il est à remarquer que celui-ci est propre à l’évangile de Luc ; il ne se retrouve pas dans les autres évangiles. Or saint Luc a la caractéristique de glisser dans son texte des expressions ou des mots-clés destinés à guider la compréhension de ses auditeurs.
 
La première expression est facile à trouver : il s’agit de la réponse de Jésus à l’homme qui l’interpelle : « Qui donc m’a établi pour être votre juge ? » Cette phrase-là, tous les Juifs en connaissent la référence dans le livre de l’Exode, lorsque le jeune Moïse, après avoir tué un Égyptien qui frappait un Hébreu, s’est fait apostropher alors qu’il tentait de séparer deux Hébreux qui se battaient entre eux : « Qui t’a institué chef et juge sur nous ? » La situation dans l’évangile est donc la suivante : un homme demande à Jésus de se faire juge entre lui et son frère. C’est un piège. Si il avait accédé à cette demande en s’instituant lui-même juge, immédiatement quelqu’un lui aurait renvoyé la réponse qui a été faite autrefois à Moïse. On l’aurait accusé d’usurpation ; on l’aurait disqualifié. Au contraire, Jésus renonce à toute prétention à se revendiquer comme juge, ou comme roi. Le piège a échoué.
 
Cependant, Jésus va se servir de cet échange pour donner une leçon à ceux qui voulaient l’attraper. Il raconte alors la parabole de l’homme riche. Nous nous souvenons de l’allusion à l’histoire de Moïse en Égypte. C’est également la clé de cette parabole. Quel est l’homme riche qui bénéficie d’une abondante récolte au point de devoir agrandir ses greniers ? Dans la Bible, il n’y en a qu’un : c’est Pharaon, au temps de Joseph. Mais aussi au temps de l’Exode, puisque le Pharaon de l’époque a fait construire par les Hébreux les deux villes-entrepôts de Pithom et de Ramsès. Pharaon a pour caractéristique de se prendre lui-même pour un dieu ; ce pour quoi il affirme ne pas connaître le vrai Dieu, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Or, dit Jésus, Dieu lui-même lui déclare : « tu es fou : cette nuit même, on va te redemander ta vie. » Cette nuit, où la vie est retirée d’Égypte, la vie des premiers-nés – c’est la nuit de la Pâque. C’est la nuit du jugement pour Pharaon et de la liberté pour les Hébreux ; c’est la nuit de la condamnation des idoles et des idolâtres, qui se fient à leurs biens matériels, et la nuit de la manifestation de Dieu et de sa puissance pour ceux qui ont foi en lui.
Dans la parabole de Jésus, Dieu a traité l’homme-pharaon de « fou » ; en araméen d’« insensé », celui qui « manque de raison ». Ceci est à mettre en rapport avec cette sentence du livre de Qohéleth, que nous avons justement entendue en première lecture : « Un homme s’est donné de la peine ; il est avisé, il s’y connaissait, il a réussi. Et voilà qu’il doit laisser son bien à quelqu’un qui ne s’est donné aucune peine. Cela aussi n’est que vanité, c’est un grand mal ! En effet, que reste-t-il à l’homme de toute la peine et de tous les calculs pour lesquels il se fatigue sous le soleil ? » On comprend que c’est folie de ne pas placer sa foi en Dieu, et c’est déraisonnable de se croire autosuffisant, de se prendre pour dieu.
 
Pourquoi Jésus a-t-il donc dit cela ? On aura bien compris qu’il vise ceux qui ont voulu le piéger avec l’histoire de l’héritage. Il leur dit, en somme : « Il n’y a pas de véritable quiétude sur la terre, que ce soit dans les biens dont on dispose par son travail ou par héritage, ou dans les actions dont on peut soi-même se gratifier, y compris les actions cultuelles. Car la vie terrestre est limitée : elle a une fin ; ses joies sont passagères ; et l’homme ne peut pas être sa propre mesure, sauf à vouloir se faire dieu de manière illusoire. Au contraire, le repos véritable – la paix réelle et la joie infinie – se trouvent dans la sagesse de Dieu, qui réside dans la foi en Dieu seul. C’est Dieu seul qui, par sa Pâque, peut libérer l’homme des contingences terrestres et lui donner accès à la terre de la liberté. »
Évidemment Jésus est celui-là même qui, par sa Pâque, c’est-à-dire sa croix et son baptême, donne accès au Royaume des cieux à tous ceux qui croient en lui. Jésus a résumé par ailleurs cet enseignement en une phrase : « Je ne suis pas venu juger le monde, mais le sauver. »

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