Jr
17, 5-8 ; Ps 1 ; 1 Co 15, 12.16-20 ; Lc 6, 17.20-26
Chers
frères et sœurs,
Nous
avons entendu les Béatitudes selon l’Évangile de Luc. Certains disent qu’elles
sont plus sociales que celle de Matthieu, qui seraient plus spirituelles, parce
qu’il dit : « Heureux les pauvres en esprit »… En effet,
le Catéchisme de l’Église Catholique s’appuie sur les Béatitudes de Luc
pour rappeler à juste titre que l’amour de l’Église pour les pauvres fait
partie de sa tradition constante. Cependant rien n’est plus ridicule que
d’opposer Luc et Matthieu, qui veulent tous les deux rapporter aussi fidèlement
que possible les paroles de l’unique Maître, Jésus lui-même. Alors, comment
comprendre les Béatitudes selon saint Luc de manière juste ?
Comme
d’habitude, il faut lire dans l’Évangile ce qu’il se passe avant et lire le
texte dans son intégralité, surtout quand la version liturgique coupe des
versets, comme c’est le cas aujourd’hui, où il manque les versets 18 et 19, qui
sont tellement importants pour comprendre !
Donc,
avant que Jésus ne descende de la Montagne, saint Luc nous a expliqué qu’il y
était monté pour y prier Dieu toute la nuit. Au petit matin, comme au jour de
la Résurrection, il a appelé ses disciples et parmi eux en a choisi Douze
auxquels il a donné le nom d’Apôtres. Ce qui suit – le passage que nous venons
de lire – explique donc ce qu’est être apôtre, ce qu’est être vraiment disciple
de Jésus.
Nous
apprenons que Jésus s’arrête sur un terrain plat – dans la plaine. C’est
peut-être un détail pour vous, mais pour saint Luc, cela veut dire
beaucoup ! La plaine est le lieu où Abel a été tué par son frère Caïn, et
où les Hébreux ont vaincu Og, le roi de Bashan. Comprenons que si la montagne
est le ciel où réside le Père, la plaine est la terre des hommes où Jésus sera
trahi et tué par ses frères, mais où le peuple de Dieu – l’Église – trouvera la
force de vaincre les puissances du mauvais.
Aussitôt,
nous voyons converger autour de Jésus des multitudes : le groupe nombreux
de ses disciples d’une part – c’est un premier cercle ; puis le groupe
encore plus nombreux des gens qui viennent de partout, qu’ils soient Juifs de
la Judée et de Jérusalem, ou païens du littoral de Tyr et de Sidon.
Voilà
maintenant les versets qui ont été coupés : tous ces gens affluent pour
être guéris de leurs maladies et délivrés des esprits impurs qui les
tourmentent. Ils viennent chercher auprès de Jésus la vie et l’Esprit de vie.
De fait, saint Luc nous dit : « Et toute la foule cherchait à le
toucher, parce qu’une force sortait de lui et les guérissait tous. »
Comment les liturgistes ont-ils donc pu couper aussi froidement l’action de
l’Esprit Saint en Jésus, la consolation donnée à tous ces pauvres, ces affamés,
ces attristés, ces exclus qui sont en quête de vie ?
Et
voilà, je vous ai déjà donné la clé des Béatitudes ! Car voilà que Jésus
« lève les yeux sur ses disciples » - et au premier chef sur
les Apôtres qu’il vient tout juste d’appeler ; et il leur déclare à eux –
et non pas à la foule des anonymes : « Heureux, vous les pauvres… »
Les Béatitudes ne s’adressent pas à tous de manière indifférenciée, elles
s’adressent aux disciples de Jésus. On ne peut donc pas les appliquer
indifféremment à tous les pauvres, tous les affamés, les attristés, les exclus…
mais ici seulement aux disciples. C’est important.
La
pauvreté des disciples – à mettre en opposition avec la richesse des riches est
donc particulière. Aux riches, Jésus dit : « car vous avez votre
consolation ». La traduction est difficile et les manuscrits donnent
plusieurs versions, mais qui convergent tous dans la même idée. La Consolation
dont il est question est l’Esprit Saint – on l’appelle parfois « le
Consolateur ». Or les riches de ce monde, soit se contentent de leurs
richesses terrestres qui suffisent à leur consolation, à leur bonheur immédiat ;
soit ils rejettent la véritable Consolation, l’Esprit Saint, dont ils n’ont pas
besoin ici-bas. Conclusion : les pauvres – comme dit saint Matthieu – sont
les pauvres qui sont en manque de l’Esprit Saint, qui attendent comme le
Vieillard Syméon, justement, la « Consolation d’Israël », ou comme
les Apôtres et les disciples de Jésus qui attendent l’Esprit de Pentecôte.
Voilà les pauvres, qui aspirent à la Vie de Dieu.
Pour
la suite, nous pouvons penser au Notre-Père : « donne-nous notre
pain de ce jour », dont les disciples du Christ sont affamés ; et
« pardonne-nous nos offenses » qui attristent le cœur de Jésus
et ceux de ses disciples qui, dans l’attente de la miséricorde de Dieu,
demeurent de pauvres pécheurs.
Ainsi
donc, quand l’Esprit Saint est donné, qu’il soit don de la joie, de la lumière
et de la paix du Royaume, qu’il soit Pain de la vie éternelle, et miséricorde
de Dieu pour les pécheurs, alors « Ce jour-là, réjouissez-vous et
tressaillez de joie » – exactement comme Jean-Baptiste a « tressailli »
de joie dans le sein d’Élisabeth quand celle-ci fut remplie de l’Esprit Saint,
lors de la Visitation. Saint Luc a expressément fait le lien, en employant les
mêmes mots. Et nous savons qu’à la Pentecôte, les disciples sont remplis de
joie.
Le
don de l’Esprit Saint fait le partage entre les vrais prophètes et les faux
prophètes. Les premiers sont, comme Jésus descendu de la montage, remplis d’une
force vitale qui les dépasse, qui guérit et exorcise, mais qui suscite en même
temps l’opposition des faux frères et des puissances du mauvais, Caïn et Og. Au
contraire, les faux prophètes s’attirent de leur part une grande sympathie. Les
amis de Jésus sont ostracisés et bannis, tandis que les simulateurs font la
« une » des journaux télévisés.
L’enseignement
des Béatitudes de Jésus aux disciples, c’est donc l’explication de ce qu’est
l’union avec lui, dans l’Esprit Saint, selon la volonté du Père ; c’est le
dévoilement du règne de Dieu, du visage de Dieu, de la vie de Dieu, à laquelle
la foule des gens tout simples, Juifs ou païens, aspire de toutes ses forces,
pour vivre.