Is
6, 1-2a.3-8 ; Ps 137 ; 1Co 15, 1-11 ; Lc 5,1-11
Chers
frères et sœurs,
Après
avoir été baptisé au Jourdain, où l’Esprit de Dieu s’est manifesté sur lui, et
après avoir vaincu le démon tentateur au désert par sa sainteté, peu après que
Jean le Baptiste ait été martyrisé, Jésus s’est mis à annoncer et à manifester,
par des exorcismes et des guérisons, la venue du Règne de Dieu. C’est ainsi que
des foules nombreuses se sont attachées à lui. Un peu comme Moïse au désert – accablé
par la tâche du gouvernement du peuple – s’est organisé et donné des adjoints
pour juger des affaires mineures, Jésus a manifestement voulu se donner, non
seulement des disciples privilégiés, mais surtout des prédicateurs du Règne de
Dieu comme lui : « Désormais, ce sont des hommes que tu prendras »
dit-il à Simon-Pierre. Tel est l’objectif.
Les
événements qui suivent nous montrent qu’on ne devient pas prédicateur du Règne
de Dieu, apôtre ou prophète, par simple déclaration administrative, par
élection démocratique, ni même par reconnaissance d’une vocation autoproclamée.
Ni Pierre, ni Jacques, ni Jean, les fils de Zébédée, n’ont jamais rien
demandé : ils n’ont fait que suivre les indications de Jésus.
C’est
ainsi que Jésus commence par demander, très simplement, un service. Pierre y
répond docilement : prêter son bateau pour que Jésus puisse s’en servir de
podium, ne prête pas à grande conséquence. Au début donc, entre Jésus et
Pierre, le service, la disponibilité, toute simple.
Puis
Jésus propose à Pierre comme un défi, qui lui paraît presque absurde :
avancer en eau profonde, pour y aller pêcher… alors qu’ils ont pêché toute la
nuit sans rien prendre. La docilité de Pierre prend ici la forme supérieure de
l’acte de foi : « Maître, sur ta parole, je vais jeter les
filets. » Ce que Pierre, Jacques et Jean ne savent pas, c’est qu’en
réalité, ce sont eux les poissons !
En
effet, la quantité de poissons prise dans les filets est telle qu’ils se
déchirent. La traduction est inexacte. Il est dit : « leurs filets
allaient se déchirer », mais en grec ou en syriaque, c’est très
clair : les filets « se déchiraient », ils « craquaient ».
Car rien dans la création ne peut contenir la grâce qui vient de Dieu. C’est
comme les six jarres de vin à Cana : elles n’étaient pas pleines, elles
débordaient. La grâce de Dieu est si abondante qu’elle déborde ; sa gloire
n’est pas lumineuse, elle est éblouissante. On rejoint ici la vision d’Isaïe
dans le Temple, que nous avons entendu en première lecture. Pierre, Jacques et
Jean sont tellement bouleversés que même les bateaux eux-mêmes commencent à
couler… C’est la panique !
Pierre
fait la même expérience qu’Isaïe en présence de Dieu : devant la
manifestation de la gloire de Dieu, l’homme ébloui, émerveillé, se reconnaît en
même temps immanquablement profondément pécheur : il n’est pas à la
hauteur, il n’est pas en adéquation avec la sainteté de Dieu. Il se sent
indigne : « Éloigne-toi de moi, Seigneur… car je suis un homme
pécheur. » C’est l’heure de vérité, mais c’est aussi l’heure de la
sainteté.
Dieu
appelle les pécheurs pour en faire des saints, comme il le fait pour
Isaïe : « Ceci a touché tes lèvres, et maintenant ta faute est enlevée,
ton péché est pardonné. » ; et pour Pierre : « Sois sans
crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras. »
Nous
avons ici le secret de la vocation d’un prédicateur du Règne de Dieu, d’un
prophète du Seigneur, d’un Apôtre. En fait, il n’a rien fait pour le
devenir : il est simplement le bénéficiaire docile d’une grâce inouïe, où
il a expérimenté de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit
l’amour du Seigneur, dont il devient témoin et débiteur. Témoin pour les
autres : il devient prophète, ou apôtre. Mais aussi débiteur à l’égard du
Seigneur : sa vie ne devient qu’Action de grâce.
Nous
retrouvons ici les deux actes essentiels de l’Église pendant la messe :
d’abord les lectures, où nous proclamons le témoignage ; puis
l’eucharistie, où nous rendons grâce au Seigneur.
En
fait, à la messe, nous faisons même plus, nous renouvelons le don de la grâce
du Seigneur. En effet, les lectures sont comme l’enseignement donné par Jésus à
la foule, au bord du lac. Puis, dans la prière eucharistique, nous partons en
eau profonde – seuls les élus, les baptisés, y sont conviés. Et là, jetant le
filet de l’offrande du pain et du vin, nous le remontons avec le Corps et le
Sang de Jésus, par lesquels, à la communion, l’Esprit Saint nous est donné,
débordant ce que nos sens ou nos intelligences peuvent en comprendre, dans ce
grand mystère qu’est l’Eucharistie. Chaque messe est Cana, chaque messe est la
pêche miraculeuse, dont nous sommes les témoins et les indignes débiteurs,
appelés à la louange du Seigneur.
Je
voudrais dire, pour terminer, qu’il y a désormais dans l’esprit de Pierre,
Jacques et Jean, une certitude absolue – qui devient la pierre angulaire de
leur foi : c’est que pour le Seigneur, avec le Seigneur, tout est
possible. En son temps, de sa manière à lui, dans sa grande miséricorde pour
les pécheurs, pour le Seigneur, avec le Seigneur, tout est possible. Que le Nom
du Seigneur soit béni.