dimanche 25 août 2024

24-25 aout 2024 - LARRET - CHARCENNE - 21ème dimanche TO - Année B - Saint Louis

 Jos 24, 1-2a.15-17.18b ; Ps 33 ; Ep 5, 21-32 ; Jn 6, 60-69
 
Chers frères et sœurs,
 
Voilà. C’est la fin de la lune de miel entre les foules de Galilée et Jésus, entre tous ces braves gens qui espéraient qu’il devienne leur roi, pour les libérer de l’impérialisme romain et de la colonisation culturelle grecque. Et qu’il rende sa liberté et sa fortune à Israël, le peuple élu de Dieu. En effet, Jésus n’était-il pas le descendant du roi David ? N’était-il pas le Messie tant attendu, celui qui avait reçu l’onction du Seigneur au moment de son baptême dans le Jourdain ? Il avait tout, humainement, pour réussir… Mais qu’est-ce qui a bloqué ?

Jésus a refusé tout pouvoir terrestre, parce qu’il n’est pas seulement roi pour Israël, mais pour toute l’humanité. Son Royaume n’est pas le « Pays promis » au sens géographique – de la mer à l’Euphrate pour voir large… mais le « Pays promis » est un univers nouveau, régénéré par la puissance de l’Esprit Saint, pour l’éternité. Nous ne comprenons pas bien ce que c’est. Ou plutôt, nous en avons connaissance par quelques éclairs fugitifs comme la Transfiguration, ou les apparitions de Jésus ressuscité, ou certains miracles avérés… et bien sûr, par tout de ce que Jésus nous en a dit, qui est consigné dans le témoignage des Apôtres.
 
Mais le refus de Jésus de devenir roi sur la terre n’est pas le problème central ; le véritable point d’achoppement entre lui et les foules porte sur sa véritable identité : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. » Par ces paroles, Jésus affirme non seulement qu’il est lui-même Dieu fait homme – il est « la Parole de Dieu faite chair » comme dit saint Jean ; mais en plus qu’il est la nourriture vitale de tout homme : il est le pain vivant, le pain de la vie éternelle. Et il n’y en a pas d’autre.

Aujourd’hui comme hier, et demain aussi, ces affirmations paraissent beaucoup trop fortes. – « Faut reconnaître : c’est du brutal… » dirait Raoul Volfoni ! Ainsi beaucoup renoncent et s’en vont. Ils sont très peu, ceux qui comme saint Pierre ont le courage d’accepter de boire à la coupe âcre que leur présente Jésus : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » ; « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu. » Pour pouvoir dire cela et l’assumer par toute sa vie, il faut un coup de pouce venant de la part de Dieu : la grâce ; certains diront un petit grain de folie… ! « Voilà pourquoi – dit Jésus – je vous ai dit que personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père. »
 
Il y a deux conséquences à cet état de fait. La première concerne chacun d’entre nous personnellement. Devant la coupe que nous présente Jésus, nous avons le choix : partir discrètement, comme les foules ; ou bien  confesser la foi, comme saint Pierre, en acceptant d’y boire. Soyons clair : cela n’a rien d’évident, ni de le faire certains ont peur de devenir aveugles !, ni de l’assumer ensuite par toute sa vie. 
Une chose est certaine cependant, c’est que nous tous qui sommes ici, d’une manière ou d’une autre, nous avons déjà fait ce choix positivement. Nous l’avons fait au jour de notre baptême, où nous avons reçu la grâce de Dieu et notre vocation chrétienne. Sinon, nous ne serions pas là. Nous avons déjà reçu la vocation d’être configurés à Jésus, prêtre, prophète et roi, avec sa croix sur la terre et sa gloire dans le ciel, pour l’éternité. Et déjà nous nous nourrissons de sa vie, par la communion eucharistique. Qu’à notre dernier jour, le Seigneur puisse simplement nous trouver fidèles.
 
La seconde conséquence concerne toute société humaine. Saint Louis, dont c’est la fête aujourd’hui peut nous aider à comprendre. Saint Louis fait partie de ceux qui croient fermement que Jésus est Dieu fait homme et qu’il est le vrai pain de la vie éternelle. Il a compris deux choses :
D’une part que sa responsabilité comme roi de France est que son royaume soit gouverné en tenant compte de la réalité dévoilée par Jésus – c’est-à-dire que s’il désire un royaume de France libre et paisible en ce monde, il faut que ce royaume soit d’abord spirituellement, intellectuellement et culturellement nourri par la vie véritable qui vient du royaume des cieux.
Et d’autre part, par conséquent, saint Louis a compris que son devoir comme roi de France, est de commencer ce programme par lui-même, le premier, pour gouverner son royaume avec sagesse et être un exemple vivant pour tous. Ainsi son modèle de royauté est Jésus lui-même. Comme Jésus roi, saint Louis rend justice et prend soin des pauvres ; comme Jésus prêtre, il prie et fait prier autour de lui, en se sacrifiant lui-même s’il le faut ; comme Jésus prophète, il témoigne de la réalité de Dieu et de son règne éternel. Pour cela, par exemple, il fait construire magnifiquement la Sainte-Chapelle.

Comme saint Louis de France, saint Étienne de Hongrie, saint Édouard d’Angleterre, saint Sigismond de Bourgogne, saint Vladimir de Russie, saint Olav de Norvège, saint Éric de Suède mais aussi sainte Adélaïde, Impératrice du Saint Empire Romain Germanique, sainte Marguerite d’Écosse, sainte Edwige de Pologne ou sainte Élisabeth de Portugal, tous ont voulu faire de leur royaume terrestre une part du royaume céleste. Ils l’ont réalisé en partie, par la sainteté de leur vie personnelle et leur sage gouvernement, et ils ont fait l’Europe chrétienne, ce beau jardin dont nous avons hérité.
 
Chers frères et sœurs, saint Louis comme saint Pierre, et bien d’autres, ont bu à la coupe de la vie éternelle que leur a présentée Jésus. Pas seulement pour leur salut personnel, mais aussi pour le salut de leurs proches et d’un grand nombre. C’était leur vocation, leur responsabilité et leur devoir. Alors… et nous ? Que faisons-nous ? Buvons-nous, nous aussi, à la coupe bien remplie que Jésus nous tend ?

dimanche 18 août 2024

18 août 2024 - PESMES - 20ème dimanche TO - Année B

Pr 9, 1-6 ; Ps 33 ; Ep 5,15-20 ; Jn  6,51-58
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous poursuivons, à la suite de dimanche dernier, notre lecture du chapitre VI de l’Évangile de Jean, lorsque Jésus explique aux foules pourquoi il refuse d’être pour elles un roi terrestre. Cette question s’était posée au moment de la mort de Jean-Baptiste, qui avait désigné Jésus comme Messie. À l’occasion du repas rituel de deuil, au bord du lac, Jésus avait multiplié les pains et, de ce fait, les foules attendaient de lui, qu’en plus de devenir leur roi, il perpétue ce miracle : elle attendaient de Jésus qu’il leur apporte une vie libre et heureuse sur la terre, dans l’abondance.
 
Mais Jésus leur propose bien plus – bien plus que la manne que Dieu avait accordée aux Hébreux, lors de leur exode au désert. Il leur propose non pas une libération de sempiternels tyrans, non pas le don d’un territoire, non pas une vie paisible, toujours limitée par la mort ; mais la libération totale de l’homme de son asservissement radical qu’est le péché ; il leur propose le don du véritable pays promis : le Règne de Dieu – non pas un simple retour au Paradis perdu, mais l’entrée dans la gloire de Dieu lui-même ; et enfin, la participation à la vie éternelle de Dieu, dans la paix, la joie et la lumière. Et dans ce nouvel Exode, où l’on passe de la terre au ciel, Jésus se donne lui-même comme nourriture : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour  la vie du monde. »
Et là : problème. « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » On comprend la perplexité des gens, car le mot « chair » employé par Jésus a deux sens en hébreu : celui de la « chair » au sens de la « viande », et celui de la totalité de l’homme créé : corps et âme ; tout l’homme. C’est évidemment dans ce second sens que Jésus emploie le mot « chair ». Mais nous ne comprenons pas encore très bien – et même les disciples, eux aussi, à l’époque, ont eu du mal avec les explications de Jésus.
 
Dans son explication Jésus dit : « si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. » La mention du « Fils de l’homme » est éclairante – et je remercie ici saint Clément d’Alexandrie de me l’avoir fait comprendre. Le « Fils de l’homme » est – selon la prophétie de Daniel – le Messie de Dieu qui, après avoir accompli sa mission dans le monde, monte auprès du Père dans sa Gloire, pour s’asseoir à sa droite. Ainsi, la chair du Fils de l’homme, c’est la chair de Jésus ressuscité : ce n’est pas sa chair terrestre, corruptible, mais sa chair incorruptible, lumineuse, qui peut passer à travers les portes fermées, mais qui peut aussi absorber du poisson et dont on peut toucher les plaies. C’est de cette chair dont Jésus a dit, en prenant du pain : « Ceci est mon Corps ». De même le sang de Jésus est double : il est en même temps son sang humain, versé sur la Croix pour le salut du monde, et il est aussi le vin doux répandu sur les Apôtres, et au plus profond de leur cœur, à la Pentecôte. C’est de lui dont Jésus a dit, en prenant une coupe de vin : « Ceci est mon Sang ».
Avec cet éclairage de saint Clément, nous comprenons d’une part pourquoi les foules de Capharnaüm et les disciples ne pouvaient pas comprendre de quelle chair et de quel sang Jésus voulait parler, puisqu’ils ne connaissaient pas la résurrection. Et d’autre part, nous comprenons mieux, nous – et peut-être d’ailleurs avec une certaine émotion – quels sont le Corps et le Sang de Jésus auxquels nous-mêmes communions aujourd’hui : il s’agit de la chair et du sang du Christ ressuscité.
On comprend alors d’autant mieux la phrase suivante de Jésus : « Celui qui mange  ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. » En effet, communier au Corps et au Sang de Jésus, c’est communier à sa résurrection, et vivre de sa vie éternelle.
 
Jésus – dans sa lancée, et même si les gens devant lui n’ont encore pas compris grand-chose à son discours – continue d’expliquer comment sa chair et son sang sont nourriture de vie éternelle, et quels en sont les effets. L’effet de cette nourriture : c’est la communion : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi. » Jésus ne propose rien d’autre que faire partie de la Sainte Trinité. Jésus évoque son Père qui demeure en lui et en qui il demeure ; il évoque lui-même, qui demeure en nous et en qui nous demeurons. Et il manque le Saint-Esprit, allez-vous me dire ? Pas du tout : l’Esprit Saint est bien présent : il est la Vie : « De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi. » Celui qui réalise la communion entre le Père et le Fils, et entre le Fils et chacun de nous, c’est l’Esprit Saint qui est la Vie divine et éternelle. En recevant la chair de Jésus – dans son Corps – nous recevons aussi sa Vie, qui est son Sang – les deux étant évidemment inséparables. Or la chair de Jésus et son Sang proviennent tous deux du Père.
 
Voilà chers frères et sœurs le programme politique et humanitaire de Jésus pour un monde plus juste et plus fraternel : la communion à sa Chair et à son Sang, qui sont vie éternelle dans l’amour de Dieu, notre Père à tous. 

jeudi 15 août 2024

15 août 2024 - BEAUJEU - Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie - Année B

Ap 11,19a ; 12,1-6a.10ab ; Ps 44 ; 1Co 15,20-27a ; Lc 1,39-56
 
Chers frères et sœurs,
 
Pourquoi saint Luc a-t-il voulu nous raconter cet épisode de la rencontre entre la sainte Vierge Marie et sainte Élisabeth ? Ce n’est certainement pas pour satisfaire notre curiosité. C’est parce qu’il y a un message.
 
La clé est dans la première phrase : « En ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée. » Comme souvent, j’en veux terriblement à ceux qui nous ont traduit l’Évangile en français. Si nous avions lu la même phrase dans le grec, nous aurions compris tout de suite. Voilà ce que cela donne : « En ces jours-là, Marie se lève. Elle va vers le pays-haut, en hâte, dans une ville de Juda. »
 
Immédiatement, dès que nous entendons dans l’Évangile que quelqu’un « se lève », nous devons comprendre qu’il ressuscite. À sa résurrection Jésus s’est « levé d’entre les morts ». Ici, en ces jours-là, c’est Marie qui se lève. De manière cryptée saint Luc nous parle de la résurrection de la Vierge Marie. D’ailleurs, il poursuit : « elle va vers le Pays-Haut ». C’est bien clair : elle va au ciel. Elle y va « en hâte » : il n’y a pas de délai ni d’étapes pour Marie, qui monte directement au ciel.
 
Saint Luc nous précise qu’elle va « dans une ville de Juda ». Voilà qui est bien curieux. D’abord saint Luc ne parle jamais de la région de « Juda » dans l’Évangile, mais toujours de celle de « Judée ». Il veut donc ici attirer spécialement notre attention. Or, quelle est la « ville de Juda » ? Évidemment, c’est Jérusalem. Mais pour qu’on ne confonde pas la Jérusalem terrestre et la Jérusalem Céleste, saint Luc utilise ce petit mystère.
Voilà donc qu’il nous a, en une phrase, annoncé que Marie, ressuscitée, est montée rapidement au ciel, dans la Jérusalem céleste.
 
Et là, que se passe-t-il ? Marie rencontre sa cousine Élisabeth. Élisabeth se comporte exactement comme les anges quand un homme se présente devant eux, aux portes du ciel : ils sont surpris et ils interrogent. Voilà ce qu’il s’est passé lors de l’Ascension de Jésus, selon le Psaume 23 :
 
Les anges supérieurs interrogent :
-          « Qui peut gravir la montagne du Seigneur et se tenir dans le lieu saint ?
 
et les anges inférieurs leur répondent :
-          L’homme au cœur pur, aux mains innocentes, qui ne livre pas son âme aux idoles et ne dit pas de faux serments. Portes, levez vos frontons, élevez-vous, portes éternelles : qu’il entre, le roi de gloire !
 
-          Qui est ce roi de gloire ?
-          C’est le Seigneur, le fort, le vaillant, le Seigneur, le vaillant des combats. Portes, levez vos frontons, levez-les, portes éternelles : qu’il entre, le roi de gloire !
 
-          Qui donc est ce roi de gloire ?
-          C’est le Seigneur, Dieu de l’univers ; c’est lui, le roi de gloire ».
 
Lors de la Visitation de la Vierge Marie, c’est Élisabeth, la plus ancienne, qui se trouve déjà au ciel, qui interroge : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? »
 
Et la Bienheureuse Vierge Marie, qui n’a pas besoin d’ange avocat puisqu’elle est la Mère de Dieu, lui répond elle-même : « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur ! Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse. Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son Nom ! »
 
Le dialogue entre les deux femmes à l’arrivée de Marie dans le Pays-Haut, dans la ville de Juda, dans la maison de Zacharie, est donc semblable à celui des anges qui gardent l’entrée du ciel, de la Jérusalem céleste, de la Demeure de Dieu. Ainsi, celui ou celle qui passe le voile entre dans la félicité, dans la communion de tous les saints, dans la gloire de Dieu.
 
Et l’on pourrait aller plus loin, en montrant que saint Luc utilise, pour dire le tressaillement de Jean-Baptiste au sein d’Elisabeth, ou plus exactement son « bondissement de joie », une expression tirée du Cantique des Cantiques : « La voix de mon bien-aimé ! C’est lui, il vient… Il bondit sur les montagnes, il court sur les collines, mon bien-aimé, pareil à la gazelle, au faon de la biche. Le voici, c’est lui qui se tient derrière notre mur : il regarde aux fenêtres, guette par le treillage. Il parle, mon bien-aimé, il me dit : « Lève-toi, mon amie, ma toute belle, et viens… »
 
Voilà donc pourquoi saint Luc a tenu à nous raconter cette visitation entre Marie et Élisabeth. C’est pour nous parler des secrets bien cachés de Dieu : ce qu’il a fait, dans son grand amour, pour notre bienheureuse et toute sainte Vierge Marie, en son Assomption.
 

dimanche 11 août 2024

11 août 2024 - COURCUIRE - 19ème dimanche TO - Année B

 1 R 19, 4-8 ; Ps 33 ; Ep 4,30-5,2 ; Jn 6, 41-51
 
Chers frères et sœurs,
 
Depuis qu’il s’est rendu à Nazareth et depuis la mort de Jean-Baptiste, Jésus est confronté à deux profondes incompréhensions. La première est celle de l’origine de son autorité et de sa puissance divines, qu’il revendique ouvertement lorsqu’il dit : « Je suis descendu du ciel » ; et la seconde est celle de son refus d’apporter au seul peuple d’Israël l’avenir séculier limité qu’il recherche : « Au désert, vos pères ont mangé la manne, et ils sont morts », dit-il aux foules venues pour la multiplication des pains. Ceci pour annoncer au contraire à tous les hommes qui croient en lui, leur participation à la vie éternelle du Règne de Dieu : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. » 
En fait, Jésus explique qu’il est comme la manne donnée par Dieu pour la survie du peuple dans le désert, lors de l’Exode, mais qu’il est évidemment beaucoup plus que la manne, puisqu’en lui réside la vie éternelle.
 
Mais comment croire que Jésus, fils de Joseph de Nazareth, est descendu du ciel ? Jésus calme l’inquiétude ou la colère des gens en leur expliquant : « Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire. » Dans le texte, en réalité,  il est écrit : « si le Père qui m’a envoyé ne le tire », comme on tire quelqu’un d’un puits profond, ou des poissons dans un filet sont tirés des eaux. On comprend ainsi qu’accéder à la connaissance de Jésus fils de Dieu est une grâce accordée par Dieu, une œuvre de Dieu. De fait, Jésus poursuit : « Ils seront tous instruits par Dieu lui-même. » Rappelez-vous la réponse de Jésus faite à Pierre, quand il posait la question aux Apôtres : « Et vous, que dites-vous, qui suis-je ? » ; Pierre avait bien répondu et Jésus s’était exclamé : « Heureux es-tu, Simon fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux ! » 
Ainsi, accéder à la connaissance de Jésus est essentiellement une grâce, une vocation. Mais il ne peut pas y avoir de vocation fructueuse pour quelqu’un, si personne ne lui parle par ailleurs de Jésus Christ fils de Dieu.
 
À celui qui répond à sa vocation chrétienne, qui croit en Jésus Fils de Dieu, la vie éternelle est donnée. Cette vie est présentée par Jésus comme un pain qui descend du ciel – et ce pain, c’est lui-même : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. »
Il y a ici une difficulté de compréhension, qui se trouve dans toutes les langues, même en hébreu : c’est le sens exact du mot « chair » que Jésus nous donne comme nourriture. En hébreu, le terme « basar », qu’on a traduit par « chair », a deux sens : soit il s’agit de l’être vivant, l’homme, dans son intégralité : corps et âme ; soit il s’agit seulement de sa chair au sens de sa « viande »… Inévitablement, des gens vont mal comprendre Jésus et s’étouffer en criant à l’anthropophagie ! Et d’autres  – un peu plus subtils, savent déjà que « l’homme ne se nourrit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». Bien sûr, Jésus emploie le terme « basar » dans ce dernier sens : c’est tout lui-même en tant que Parole de Dieu faite chair qui est le pain de la vie éternelle.
En grec et en français, nous sommes piégés parce que dans notre esprit nous divisons « basar » en corps et esprit, et nous assimilons la chair dont parle Jésus à son corps seul. Nous tombons ainsi facilement dans l’erreur d’une partie des gens qui écoutent Jésus. Et comme ceux-ci déjà ne croient pas que Jésus est Fils de Dieu, ils peuvent encore moins comprendre comment sa chair pourrait être un pain de vie éternelle. De ces incrédules, saint Irénée disait : « C’est ainsi que, ne croyant pas à la vérité et roulant dans le mensonge, ils ont perdu le pain de la vraie vie et sont tombés dans le vide. » Sans la foi et sans la connaissance de Jésus, ils perdent aussi le pain de la vie éternelle : ils ont tout perdu.
Au contraire, cependant, il est facile de comprendre que lorsque Jésus a pris du pain et a dit sur lui : « Ceci est mon corps », ce pain est vraiment devenu le pain de la vie éternelle en lequel Jésus Fils de Dieu, Verbe fait chair, est réellement présent. Ainsi celui qui mange de ce pain, où se trouve la vie éternelle, communie dès ici-bas à cette vie éternelle. C’est pourquoi on n’approche de l’Eucharistie qu’avec crainte et piété ; et on rend grâce à Dieu pour le don inestimable de lui-même qu’on a reçu.
 
Or, chers frères et sœurs – et je terminerai sur ce point – avez-vous observé que là où les foules parlaient de la manne qui avait été donnée à leurs pères, donc au seul peuple d’Israël, Jésus leur répond qu’il est lui le pain de vie éternelle donné à tous ceux qui croient en lui, donc possiblement à toute l’humanité ? Jésus a même tordu la citation du prophète Isaïe : « Tes filsles fils d’Israël – seront tous instruits par Dieu lui-même » en « Ils – quiconque a entendu le Père – seront tous instruits par Dieu lui-même ». Le don du pain de vie éternelle est pour l’humanité entière.
Curieusement, on apprend dans une tradition hébraïque ancienne que la manne, qui chaque matin fondait au soleil, se transformait en ruisseaux descendant vers la mer. À ces ruisseaux venaient s’abreuver des cerfs et des chevreuils que – soit les enfants d’Israël, soit les nations du monde – venaient chasser et manger, pour retrouver ainsi le goût si particulier de la manne. Or cette image des torrents auxquels venaient s’abreuver les cerfs se retrouve dans le psaume 41, bien connu : « Comme un cerf altéré cherche l’eau vive, ainsi mon âme te cherche toi, mon Dieu. » Car le Cerf sait bien que dans cette eau vive se trouve le vrai pain de la vie éternelle, Jésus-Christ fils de Dieu.

dimanche 4 août 2024

03-04 août 2024 - MOTEY-sur-SAÔNE - MONTOT - 18ème dimanche TO - Année B

Ex 16, 2-4.12-15 ; Ps 77 ; Ep 4, 17.20-24 ; Jn 6, 24-35
 
Chers frères et sœurs,
 
Après la mort de Jean-Baptiste, assassiné par Hérode-Antipas, Jésus s’était retiré avec ses Apôtres près de Bethsaïde, à l’ermitage de Jean dans le désert, pour y partager le repas rituel de deuil composé de pain d’orge et de poissons. Il y fut aussitôt rejoint par une foule de gens qui attendaient de lui qu’il en profite pour officialiser sa mission de Messie. En effet, n’avait-il pas été désigné comme tel par Jean, baptisé par lui au Jourdain et confirmé par la descente de l’Esprit Saint ? Dieu n’a-t-il pas de nouveau confirmé la mission de Jésus par le miracle de la multiplication des pains et des poissons, un vrai banquet royal ? Les foules attendaient vraiment de lui qu’il prenne la tête de la libération politique d’Israël. Mais, laissant là les foules, et même les Apôtres, Jésus était parti seul dans la montagne, pour prier. À une aventure politique, Jésus a dit non.
 
Et nous retrouvons l’Évangile de ce dimanche. Les foules n’ont probablement pas compris pourquoi Jésus était parti, mais les Apôtres, eux, ont dû être extrêmement déçus du refus de Jésus et de son départ. C’est l’incompréhension totale : d’un côté Jésus part seul dans la montagne, et de l’autre les Apôtres partent en barque pour revenir vers Capharnaüm, vers leur vie de tous les jours. Rien ne dit à ce moment-là qu’ils devaient se revoir ! Il se passe exactement comme au moment de la mort de Jésus : Jésus seul d’un côté, descend aux enfers, tandis que les Apôtres réunis au cénacle, se retrouvent comme sans avenir. C’est pareil.
Le parallélisme des situations continue lorsque, surprise, ils se retrouvent : Jésus leur apparaît de façon impossible : ici il marche sur la mer – sur la mort – et là, il apparaît ressuscité. Ils réagissent de la même manière : ils sont saisis de peur, croyant voir un fantôme. Ici il leur dit : « C’est moi, n’ayez plus peur ! », et là : « La paix soit avec vous ! » C’est bien lui. Alors, ils retrouvent la terre ferme : l’orage est passé… et l’histoire reprend, totalement différente.
 
Les foules et les Apôtres, témoins de ce nouveau signe de Jésus dominant la mort, sont en attente d’explications. Jésus reprend l’affaire au moment où ils se sont quittés : « Vous me cherchez… parce que vous avez mangé de ces pains et que vous avez été rassasiés », c’est-à-dire : « Vous attendez de moi que je vous procure un bonheur terrestre. » « Et voici le motif de mon refus : Travaillez non pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle… celle que je vous donnerai, moi qui suis bien le Messie. » … Messie venu donner un bonheur bien supérieur à celui qu’ils attendent, qui s’étend à la vie éternelle.
Les gens se montrent intéressés, et sont même prêts à collaborer à ce nouveau programme : « Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » Là encore, incompréhension : ils parlent « des œuvres » de Dieu, comme s’ils devaient accomplir les douze travaux d’Hercule ou mettre en œuvre les 613 commandements de la Loi. Mais Jésus leur répond : « L’œuvre de Dieu – au singulier – c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. » En gros, ils n’ont rien d’autre à faire que de placer leur foi en Jésus. Et le reste, c’est lui qui s’en occupe.
 
Les gens ont bien compris que Jésus leur demande de lui faire un chèque en blanc. Car donner sa foi à quelqu’un, c’est lui donner tout : absolument tout. Les gens demandent alors un signe. Pensez à l’Annonciation : quand l’Ange annonce à Marie quelque chose d’« impossible », qu’elle sera la Mère du Sauveur, elle ne lui demande pas de signe ; elle répond : « Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole. » Au contraire, Zacharie lors de l’annonce de la naissance de Jean-Baptiste, Thomas à l’annonce de la résurrection de Jésus, et les gens de Capharnaüm, demandent un signe, parce que tous, ils doutent : « Quel signe vas-tu accomplir pour que nous puissions le voir, et te croire ? »
Comme saint Thomas voulait toucher les plaies de Jésus, ici les foules lui proposent d’égaler ou de dépasser le miracle le plus impressionnant obtenu par Moïse : celui du don de la manne au désert. Ce qui est fou, c’est que Jésus l’a déjà fait lors de la multiplication des pains, mais en réalité tout le monde sait qu’au-delà de la nourriture terrestre, il s’agit en réalité de vie – vie des personnes, vie du peuple en tant que tel, du bonheur terrestre et éternel de tous – qu’il est vraiment question : « Seigneur donne-nous toujours de ce pain-là. » C’est le cri d’Adam, qui du fond des enfers, mendie la vie éternelle, le retour au Paradis.
 
Et Jésus de répondre : « Moi, je suis le pain de la vie. » Il fallait oser, et il n’y a que le Bon Dieu pour oser faire une réponse pareille ! À l’attente matérielle, politique et vitale des hommes, Jésus répond qu’il est lui-même le germe de cette vie, de toute vie, y compris sociale et matérielle.
Et nous, nous savons que cette vie nous est déjà donnée dans le Pain eucharistique. De fait, il n’y a pas de Pain eucharistique sans Église, sans communauté, sans amour mutuel et pardon, sans partage ou échange des ressources, sans paix pour prendre le temps de recevoir le Corps et le Sang de Jésus, sans espace béni pour se réunir en communion. Voyez comme de ce « simple petit bout de Pain » (si je puis dire) se développe une vie nouvelle immense, la vie du Règne de Dieu. Règne dont Jésus est le Messie, Règne de communion, qui est déjà ici-bas vie éternelle.

Articles les plus consultés